Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
29 juillet 2016 5 29 /07 /juillet /2016 08:15
DAN TEPFER : ALGORITHMES, PIANO ACOUSTIQUE & IMPROVISATION

Après le concert du Festival de Radio France & Montpellier, les réflexions du chroniqueur, et les précisions du pianiste apportées lors d'un entretien téléphonique et transatlantique.

À l'occasion de la Carte blanche que lui offrait le festival de Radio France & Montpellier Occitanie, Dan Tepfer a choisi de poursuivre ses expérimentations personnelles autour du piano acoustique à interface numérique, de la programmation et de l'improvisation.

Au cours du concert, le pianiste a fait le va-et-vient entre le piano de concert (Steinway modèle D) et le Disklavier Yamaha, piano à queue d'une taille plus modeste, équipé d'un dispositif qui lui permet tout à la fois d'enregistrer la musique jouée par un pianiste, de la restituer instrumentalement mais aussi, via une interface numérique pilotée par ordinateur, d'exécuter une musique programmée ou, dans le cas qui nous intéresse, de réagir à la musique jouée sur le clavier par le pianiste et de générer d'autres notes, d'autres rythmes, d'autres accords.

Dan Tepfer, de culture scientifique de haut niveau, pratique la programmation depuis l'adolescence. Et il conçoit et programme lui même des algorithmes qui font réagir le piano à ses improvisations selon des choix dûment codifiés par ses soins. Pour éclairer le public du concert donné le 19 juillet dans l'imposant Amphithéâtre du Domaine d'O, il a commencé en jouant, sur le grand piano de concert, la 3ème Variation Goldberg de Bach. Puis, comme il l'a fait régulièrement en concert, et sur disque, il a improvisé à partir de la contrainte que s'était fixées Bach pour cette variation : celle du canon à l'unisson, qui consiste à répéter en décalage de temps et de registre les notes jouées dans la phrase initiale, et de poursuive ainsi le discours en suivant la même règle, ce qui entraîne vers des espaces de complexité dont Bach se délectait. Il a ensuite expliqué au public qu'il allait, sur le Disklavier et en utilisant un algorithme élaboré par ses soins selon le même principe, improviser sur All The Things You Are : et le piano, piloté par l'ordinateur et cet algorithme, ajoute à son improvisation des notes, phrases et rythmes obéissant à cette règle, et suscitées par le jeu de Dan Tepfer au clavier. Le résultat est vertigineux, et reste totalement musical, car c'est le musicien-improvisateur qui fournit la matière, et continue d'improviser en tenant compte de ce que génère le programme.

DAN TEPFER : ALGORITHMES, PIANO ACOUSTIQUE & IMPROVISATION

Pour une série de duos avec ses partenaires (la chanteuse Claudia Solal, le contrebassiste François Moutin, le batteur Arthur Hnatek), il va chaque fois élaborer un algorithme propre à engendrer, à partir de son jeu de piano, la matière d'un dialogue avec l'invité(e). La folle effervescence rythmique du programme destiné au duo avec le batteur va entraîner les deux musiciens dans une complexité ludique réjouissante, où l'extrême concentration de chacun participe de la jubilation commune.

Quand on demande à Dan Tepfer si écrire un algorithme, dans ce contexte, c'est composer, il répond par l'affirmative, mais en précisant que l'algorithme est un procédé, un cadre, comme dans la composition musicale peuvent l'être une choix de forme ou de règles. Si l'on demande au pianiste si l'algorithme écrit par ses soins laisse place à l'aléatoire, il dit que ce n'est pas le cas, en tout cas pour l'instant. Dans le dispositif cependant existe une petite part d'aléatoire, mais qui n'est pas codifiée comme telle, avec l'intention d'introduire l'aléa comme une élément conscient du code. Et lorsque l'on lui demande si l'algorithme conçu par ses soins devient comme un partenaire de jeu, il répond « oui »,sans hésiter.

Quand on évoque la délicate question de savoir si une contrainte, ou un faisceau de contraintes, une règle, stimulent la créativité, sa réponse est aussi nettement positive. Et il cite l'influence qu'a eue sur sa réflexion une pièce de György Ligeti, Musica Ricercata , œuvre pour piano qui utilise d'abord dans un premier mouvement deux notes, dont l'une est déclinée dans d'infinies variations de dynamique, de timbre, de couleur.... Puis dans le suivant trois notes, et ainsi de suite. C'est par exemple le défi que s'impose Dan Tepfer, en improvisant après chacune des Variations Golberg, d'en reprendre les contraintes dans un langage différent, le sien en l'occurrence. Dan Tepfer se dit que l'on eut aller encore beaucoup plus loin dans la démarche entreprise. Le concert de Montpellier, avec différents partenaires, et en public, marque une nouvelle étape, et ces premiers résultats l'encouragent à développer encore ses recherches ; il pointe cependant la limite du conceptuel, et l'importance du facteur humain (compositeur-programmateur-improvisateur) ; mais il reconnaît aussi que, par cette démarche, il parvient à produire une musique à laquelle il n'aurait pas accédé par d'autres voies, et le but recherché est atteint : produire de la joie.

Dans le prochain disque, d'ores et déjà enregistré, avec Lee Konitz, et qui devrait paraître dans les mois qui viennent sous un grand label, il y a une plage qui utilise le disklavier et un algorithme conçu par Dan ; et le pianiste dit que Konitz s'en est trouvé inspiré, entraîné vers un ailleurs insoupçonné. Dan Tepfer prévoit, en 2017, de mettre chaque mois en ligne une vidéo illustrant l'évolution de son travail, avant de publier un nouveau disque qui sera le résultat de ce parcours presque initiatique.

Les Dernières Nouvelles du Jazz suivront cette progression, avec un ou plusieurs entretiens en compagnie de Dan Tepfer, pour illustrer et éclairer ce qui s'annonce, d'ores et déjà, comme passionnant.

Xavier Prévost

Plus d'informations , en anglais, sur le site The Culture Crush :

http://www.theculturecrush.com/acoustic-informatics

Partager cet article
Repost0

commentaires