Music for chamber orchestra and small ensemble
CD 1 «Dreamt Twice»
EOS Chamber Orchestra, direction Susanne Blumenthal &
Sam Pluta (électronique), Cory Smythe (piano & clavier quarts de tons), Robert Landfermann (contrebasse), Tom Rainey (batterie), Ingrid Laubrock (saxophones ténor & soprano)
Cologne, 5-6 décembre 2019
CD 2 «Twice Dreamt»
Ingrid Laubrock (saxophones ténor & soprano), Cory Smythe (piano & clavier quarts de tons), Sam Pluta (électronique) + Zeena Parkins (harpe électrique), Adam Matlock (accordéon), Josh Modney (violon)
Mount Vernon (État de New York), 22-23 décembre 2019
Intakt Records CD 355 / Orkhêstra
Double CD qui offre, en miroir, deux regards sur les mêmes compositions qui dialoguent dans des instrumentations différentes, avec un noyau de trois interprètes-improvisateurs/trices comme pivots de cette construction un peu folle, autour des rêves transcrits par Ingrid Laubrock dix années durant sur un carnet que lui avait offert la guitariste Mary Halvorson. La saxophoniste allemande explique dans les notes du livret que, durant ses années londoniennes, avant son installation à New York, elle avait côtoyé le spiritisme. Mais plutôt que de procéder à une écriture musicale sous influence médiumnique, elle a composé cette musique à partir de la relecture des transcriptions de rêves passés. Après avoir d'abord écrit la version pour petite formation, la saxophoniste dit l'avoir plutôt «ré-imaginée que ré-arrangée» pour l'orchestre de chambre. Laissons là cette cuisine compositionnelle pour nous concentrer sur ce que nous percevons et ressentons à l'écoute de chacun de ces disques, et sur ce que notre esprit construit de perception globale à partir de ces écoutes successives. Les écoutant dans l'ordre du disque (le CD 1 d'abord, avec l'orchestre de chambre, puis le CD 2, par la petite formation), j'ai élaboré une écoute personnelle qui inverse la démarche d'écriture. Cette écoute fondée sur l'ordre du disque a-t-elle une incidence sur ma perception ? Je ne le saurai jamais puisque qu'il m'est impossible de faire ensuite l'expérience inverse : écouter en commençant par la fin du CD2 ne peut me faire oublier la première écoute qu'inaugurait la version avec orchestre de chambre. C'est donc un jeu labyrinthique qui me tiendra lieu de perception et d'écoute réfléchie. Et pour tenter de relater cette expérience de la manière la plus concise j'écrirai ce qui suit. J'écoute cette musique comme s'il s'agissait d'un concert improvisé, tant la liberté qui s'en dégage fait oublier qu'il y a là une forme élaborée, et cette liberté dispense de faire le départ entre le préconçu et l'instantané. En écoutant cette musique dans l'ordre des CD et des plages, c'est à dire libérée de la construction en miroir qui a présidé à son élaboration, j'ai la sensation confuse de me livrer à une escroquerie esthétique, un affront au respect de la forme. Mais cette écoute possède manifestement sa propre cohérence, et elle est infiniment jouissive. L'œuvre, finalement, appartient à ceux qui l'écoutent. L'enfance de l'Art.
Xavier Prévost