Mc Coy Tyner (p), Joe Lovano (ts), Christian Mc Bride (cb), Jeff Tain Watts (dm)
Half Note 2008

« Mc Coy Tyner quartet » est juste le titre de l’album. Sans autre manière. Un peu comme l’affirmation de ce que vous allez entendre : un quartet époustouflant, une sorte de pierre philosophale, la résurrection d’un quartet déjà mythique bien qu’il n’ait jamais existé avant. Un quartet qui fait sonner le jazz, qui exhume le jazz de ses errances pour le rendre à sa vérité simple et brute. Ce jazz comme on l’aime depuis Rollins, Trane ou Dexter. A tel pont que si l’on se demande pourquoi depuis tant d’années nous n’avions pas entendu cela. La seule réponse qui s’impose c’est que ces quatre bonhommes ne s’étaient tout simplement pas rencontrés auparavant. Gloire est donc rendue à Jeff Levenson qui a eu l’idée géniale de produire ce quartet enregistré ici en live au Yoshi’s club de Oakland. Autour de Mc Coy Tyner, trois autres géants : Joe Lovano comme l’un des derniers héritiers de la tradition du sax qui va de Rollins à Dexter. Matériau brut à la limite des sonorités âpres, à la géniale raucité du son comme peu savent la maîtriser aujourd’hui. Et puis Christian Mc Bride, l’un des bassistes les plus inspirés du moment, sorte de Ron Carter sur énergisé qui en plus du son apporte une sérieuse et furieuse envie de groover avec les autres ou tout seul lorsque les autres ont lâché l’affaire. C’est parfois à se demander si, quand les autres ont plié les gaules et que les lumières du club s’éteignent, lui n’est pas encore là jouer seul sur scène toutes lumières éteintes. Jeff « Tain » Watts, on l’a déjà dit dans ces colonnes, c’est monsieur 10.000 watts. Le garçon insuffle la fougue et le feu. Rare sont les batteurs qui comme lui, en donnant le beat d’un simple coup de baguette sur la cymbale parviennent imposer autant leur présence. Magistral ! Et puis le jeune Mc Coy Tyner que l’on excuse parfois de jouer comme Mc Coy Tyner, celui de 70 ans. C’est qu’il y a chez celui que nous entendons ici, une puissance phénoménale dans ses attaques, dans son jeu en block chords frappé durement, une sorte de plaisir malin à maltraiter son piano avec amour toujours. A porter seul l’incandescence au plus haut jusque dans une version solo de For All We Know qui clôture l’album et qui est, finalement une histoire de cajolerie entre lui et son clavier, à laquelle nous assistons en fin de concert comme par effraction.
Pendant plus d’une heure, pas une seule baisse d’intensité. Les morceaux s’enchaînent les uns après les autres, tous confinant au moment d’extase ou au pur chef d’œuvre, c’est comme vous voulez. Le jazz est là. Jamais éloigné, toujours au cœur brûlant du propos. Au foyer d’un volcan d’où surgit le jaillissement d’une musique brute, brutale, primitive un peu. Sur des motifs simples et répétitifs qui font partie du répertoire du maître, on retourne parfois en Afrique (du Sud) en pensant aussi à la musique de Randy Weston : Walk spirit ou Samya Layuca, (enregistré pour la première fois en 74). Mellow Minor, Passion dance ou plus spirituellement Search For peace alignent des moments qui prennent aux tripes et surtout qui vous invitent à la danse. Impossible de résister au beat de l’album. Impossible de laisser le pied, la tête ou les mains inertes…… et puis le fameux Blues in the Corner, là encore au sommet. Toujours cette évidence que parmi les plus grands thèmes de jazz écrits ces trente dernières années, Mc Coy en a signé un nombre incalculable qui méritent toutes d’accéder au statut de standards intemporels.
Alors, en entendant cet album nous n’avons finalement que deux regrets. Le premier bien sûr c’est de ne pas avoir été là ce soir là. Mais on peut encore espérer que des programmateurs de festival auront entendu cette « tuerie » et programmerons rapidement ce quartet de génie quoiqu’il en coûte. Mais il y a autre chose, c’est qu’en entendant les sommets auxquels se hisse encore et toujours Mc Coy Tyner on ne peut aujourd’hui s’empêcher de penser à ce que, malheureusement un géant de la trempe de Sonny Rollins pourrait être aujourd’hui et qu’il se refuse pourtant de devenir. C’est que le jazz est une affaire autant individuelle que collective. Mc Coy Tyner n’a jamais perdu le sens de cette évidence. C’est la démonstration imparable à laquelle il se livrait ce soir là avec Joe Lovano, Christian Mc Bride et Jeff Tain Watts pour ce concert en tous points exceptionnel. Jean-Marc Gelin