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25 avril 2008 5 25 /04 /avril /2008 08:03

Mc Coy Tyner (p), Joe Lovano (ts), Christian Mc Bride (cb), Jeff Tain Watts (dm)

Half Note 2008



 « Mc Coy Tyner quartet » est juste le titre de l’album. Sans autre manière. Un peu comme l’affirmation de ce que vous allez entendre : un quartet époustouflant, une sorte de pierre philosophale, la résurrection d’un quartet déjà mythique bien qu’il n’ait jamais existé avant. Un quartet qui fait sonner le jazz, qui exhume le jazz de ses errances pour le rendre à sa vérité simple et brute. Ce jazz comme on l’aime depuis Rollins, Trane ou Dexter. A tel pont que si l’on se demande pourquoi depuis tant d’années nous n’avions pas entendu cela. La seule réponse qui s’impose c’est que ces quatre bonhommes ne s’étaient tout simplement pas rencontrés auparavant. Gloire est donc rendue à  Jeff Levenson qui a eu l’idée géniale de produire ce quartet enregistré ici en live au Yoshi’s club de Oakland. Autour de Mc Coy Tyner, trois autres géants : Joe Lovano comme l’un des derniers héritiers de la tradition du sax qui va de Rollins à Dexter. Matériau brut à la limite des sonorités âpres, à la géniale raucité du son comme peu savent la maîtriser aujourd’hui. Et puis Christian Mc Bride, l’un des bassistes les plus inspirés du moment, sorte de Ron Carter sur énergisé qui en plus du son apporte une sérieuse et furieuse envie de groover avec les autres ou tout seul lorsque les autres ont lâché l’affaire. C’est parfois à se demander si, quand les autres ont plié les gaules et que les lumières du club s’éteignent, lui n’est pas encore là  jouer seul sur scène toutes lumières éteintes. Jeff « Tain » Watts, on l’a déjà dit dans ces colonnes, c’est monsieur 10.000 watts. Le garçon insuffle la fougue et le feu. Rare sont les batteurs qui comme lui, en donnant le beat d’un simple coup de baguette sur la cymbale parviennent  imposer autant leur présence. Magistral ! Et puis le jeune Mc Coy Tyner que l’on excuse parfois de jouer comme Mc Coy Tyner, celui de 70 ans. C’est qu’il y a chez celui que nous entendons ici, une puissance phénoménale dans ses attaques, dans son jeu en block chords frappé durement, une sorte de plaisir malin à maltraiter son piano avec amour toujours. A porter seul l’incandescence au plus haut jusque dans une version solo de For All We Know qui clôture l’album et qui est, finalement une histoire de cajolerie entre lui et son clavier,  à laquelle nous assistons en fin de concert comme par effraction.

Pendant plus d’une heure, pas une seule baisse d’intensité. Les morceaux s’enchaînent les uns après les autres, tous confinant au moment d’extase ou au pur chef d’œuvre, c’est comme vous voulez. Le jazz est là. Jamais éloigné, toujours au cœur brûlant du propos. Au foyer d’un volcan d’où surgit le jaillissement d’une musique brute, brutale, primitive un peu. Sur des motifs simples et répétitifs qui font partie du répertoire du maître, on retourne parfois en Afrique (du Sud) en pensant aussi à la musique de Randy Weston : Walk spirit ou Samya Layuca, (enregistré pour la première fois en 74). Mellow Minor, Passion dance ou plus spirituellement Search For peace alignent des moments qui prennent aux tripes et surtout qui vous invitent à la danse. Impossible de résister au beat de l’album. Impossible de laisser le pied, la tête ou les mains inertes…… et puis le fameux Blues in the Corner, là encore au sommet. Toujours cette évidence que parmi les plus grands thèmes de jazz écrits ces trente dernières années, Mc Coy en a signé un nombre incalculable qui méritent toutes d’accéder au statut de standards intemporels.

Alors, en entendant cet album nous n’avons finalement que deux regrets. Le premier bien sûr c’est de ne pas avoir été là ce soir là. Mais on peut encore espérer que des programmateurs de festival auront entendu cette « tuerie » et programmerons rapidement ce quartet de génie quoiqu’il en coûte. Mais il y a autre chose, c’est qu’en entendant les sommets auxquels se hisse encore et toujours Mc Coy Tyner on ne peut aujourd’hui s’empêcher de penser à ce que, malheureusement un géant de la trempe de Sonny Rollins pourrait être aujourd’hui et qu’il se refuse pourtant de devenir. C’est que le jazz est une affaire autant individuelle que collective. Mc Coy Tyner n’a jamais perdu le sens de cette évidence. C’est la démonstration imparable à laquelle il se livrait ce soir là avec Joe Lovano, Christian Mc Bride et Jeff Tain Watts pour ce concert en tous points exceptionnel.                Jean-Marc Gelin

 

 

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25 avril 2008 5 25 /04 /avril /2008 08:00

Foreign Media Jazz – 2007

 




Il aura fallu deux ans et ce troisième album pour voir la saxophoniste hollandaise Tineke Postma se produire en ce début d'avril à Paris au Duc des Lombards, club refait à neuf aux conventions américaines actuelles. Élève de Dave Liebman et de Chris Potter à New York  et Prix de la Révélation de l'année 2006 alors inconnue du grand public, elle n'avait pas laissé indifférente lors de sa fulgurante prestation télévisée des Victoires du jazz. Côté inspirations, Tineke Postma rappelle Cannonball Adderley et aussi Art Pepper à qui elle emprunte quelques gimmicks de jeu. Nous lui trouvons aussi des inflexions et la même attaque douce que Pepper.

Comme l'indique l'accroche de son site web, Tineke Postma est une saxophoniste, compositrice et musicienne de jazz. Avec ?A Journey that Matters ?, elle ne fait pas mentir cette description accrocheuse. Elle a écrit huit pièces sur les onze du cd où elle joue des trois saxophones. Et pour l'occasion, elle s'est entourée de dix très bons musiciens dont la batteuse Terri Line Carrington (Herbie Hancock) pour cinq jours d'enregistrement studio. C'est donc une assez grosse production que lui offre le label Foreign Media Jazz. Avec ses avantages et généralement ses inconvénients. On l'aura deviné: une bonne production assure aux musiciens de travailler dans de bonnes conditions et au leader de s'attirer quelques sidemen de pointure. Les inconvénients peuvent être une musique trop calibrée et formatée. Les grosses productions étant destiné à un large public.

Et bien ce n'est pas le cas ici! Certes, les compositions sont jolies, harmoniquement simples et sont expressives mais sans esbroufe. Les chorus des musiciens sont concis, courts, très bien exécutés et ne dépareille pas de l'atmosphère d'un jazz mainstream convenu et propre mais qui n'est pas dépourvu de jolies cavalcades et envolées sur "A Journey that Matters "et "Short Conversations "où Postma et le pianiste Randal Corsen nous régalent de leur discours riche en réponse. Pour donner un joli relief aux pièces ("Fleurette Africaine), trois d'entre elles sont agréablement arrangées avec un quatuor à bois (clarinette, basson, flûtes, cor) qui évoque poésie et aventure.

Le jeu de Postma est classique, efficace et sans réelle surprise alors que celle-ci ne prend pas la place de la leader charismatique qu'on s'attend à écouter. Mais on lui trouve plutôt une aptitude particulière à se fondre dans ce type de production et à s'exprimer avec talent lors de ses interventions. Ses chorus sont construits autour de différentes scènes mélodiques qui colorent ses compositions de bonne facture. Au sax, ses inflexions sont expressives et rêveuses et les nuances de jeu sont nombreuses. Entouré d'excellents musiciens qui savent la mettre mettre en valeur,  la saxophoniste a su faire de "A Journey that Matters "un album de jazz agréable à écouter, romantique, harmonieux, équilibré et qui lui correspond très probablement.  Jerome Gransac

 

 

 

 

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22 avril 2008 2 22 /04 /avril /2008 07:24

Universal Réed. 2008





 De quoi est fait le monde expérimental de Michel Magne ? le Michel Magne que l’on connaît pour avoir aligné dans les années 50 et 60 un nombre incalculable de musique de film. Tout simplement d’une musique abordée avec l’esprit d’un chercheur complètement fou se lançant dans une musique plurielle et protéiforme où Stockhausen flirterait allègrement avec le jazz. Le jazz ai-je dit ?  Non-sens total puisque cette musique où l’on entend autant la symphonie classique que l’Opéra ou le jazz est un heureux mélange expérimental de musiques et de sons. Rien n’est suggéré et tout est dit ici. Dans Self service ce sont des bruits de couverts, plus loin un carillon explose, plongé dans l’eau bouillante ( Carillon plongé dans l’eau bouillante), des femmes simulent la douleur dans Pointes de feu amorties au dolossal, des rires fusent et des moines prient. Aucune logique si ce n’est une sorte de passion du génial collage. Du bousculement des lignes et des logiques harmoniques, rythmiques et surtout stylistiques. Un zapping permanent ob ;igeant les protagonistes à un véritable don d’ubiquité musical. Lorsque la « musique tachiste » fut créée en 1954 Salle Gaveau, la représentation tourna au fiasco. Pour Carillon plongé dans l’eau bouillante, le musicien chargé de la manip failli fiche le feu sur scène et l‘on dut appeler les pompiers. Dans Self Service «  les casseurs d’assiette s’en donnèrent tellement à cœur joie dès le début de la pièce qu’il ne resta vite plus rien à casser pour la fin du morceau ». De même « dans Pointes de feu, les chirurgiens devaient opérer une fille à poil dans un piano. Mais les musiciens décontenancés ne regardaient pas leurs partitions et firent n’importe quoi ». C’est donc finalement en studio que Michel Magne refit cette expérience et utilisa alors cette technique alors révolutionnaire et largement utilisée aujourd’hui, celle du re-recording..

Une deuxième partie de cet album repose sur des musiques de Magne arrangées par Jean Claude Vannier et jouées par Martial Solal. Là encore les frontières explosent et l’on passe sans cesse du classique au jazz avec un sens aiguisé de la poésie surréaliste où Breton finalement n’est jamais loin ( si ce n’est le poète Bernard Dimey). Cette partie là prend des allures de suite symphoniques où l’esprit structuré de Duke Ellington rejoindrait l’esprit déstructurant de Monk (pour la partie jazz).

Deux pièces des années 70 viennent compléter ce voyage musical inédit et totalement barré : Musique sensorielle et Mozart en Afrique qui là jettent les prémisses de ce que sera plus tard le jazz rock.

Et l’on doit alors rendre hommage à ce formidable travail de réédition de cet hommage à la pure folie musicale, à l’esprit d’incroyable liberté qui animait Michel Magne et ses colistiers. Sa musique demeure comme une expérience totalement inédite. Une sorte d’expérience esthétique à nulle autre pareille. Aussi folle que déraisonnable. Jean-Marc Gelin

 

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21 avril 2008 1 21 /04 /avril /2008 08:13













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21 avril 2008 1 21 /04 /avril /2008 08:11

Subséquence 2008

Eric Löhrer (g), Jean-Charles Richard (ss), Eric Surmenian (cb), Patrick Goraguer (dm)




 

 Il y a ce que l’on savait. Il y a ce que l‘on devinait. Enfin il y a ce que l’on ignorait. Ce que nous savions, nous le tenions du premier album de Jean-Charles Richard qu’il avait réalisé en solo au soprano et au baryton. Nous avions alors écrit qu’il y avait chez ce musicien quelque chose que nous ne trouvions nulle part ailleurs, une sorte d’expression directe de l’âme. Ce  que nous devinions c’était le très grand talent de Éric Löhrer dont on savait pour l’avoir entendu aux côtés de Julien Lourau sur Fire and Forget, combien ce garçon comptait parmi les futurs grands guitaristes. Enfin ce que nous ignorions c’était que ces deux musiciens préparaient un disque ensemble et allaient se rencontrer sur des compositions du guitariste pour un  album qui à tous les coups va marquer fortement cette année musicale. Peut être même voué à quelques distinctions suprêmes. Il faut dire que rares sont les albums qui reposent sur autant de talents au service d’une émotion et d’une énergie si bien partagée. Une musicalité qui s’exprime autant dans le fond que dans la forme. Dans l’intention du jeu du saxophoniste que dans celle des compositions superbes du guitariste. Il y est alors question de tendresse ou de mélancolie (Dolce Vita). Il y est question de faire swinguer le blues avec autant de facilité que de gravité (582 Blues). Il peut y être question de tristesse aussi (Sélène Song). Il y est question d’eau forte. Il est question de la pureté des sons autant que de la ligne mélodique simple. Il est surtout question de transcender cette ligne mélodique en la portant au paroxysme de son exaltation. A ce titre le jeu de Jean-Charles Richard est saisissant. Quelque chose d’essentiel dans son jeu comme dans celui des très très grand. Comme Coltrane, quelque chose de fondamental, un élan irrésistible. Un flux vital qui passe de lui à nous. Dans un morceau comme Boréale, le saxophoniste tient la note droite et rectiligne alors que dans Moons (seule pièce de sa composition) il semble s’enrouler autour de son soprano, sort quelques notes dans l’aigu avec une pureté extatique saisissante dans sa musicalité. Éric Löhrer dont c’est pourtant son propre disque semble cependant un peu trop en retrait à notre sens si l’on en juge les quelques fois où il se met en valeur et où l’on perçoit le guitariste rare capable avec finesse et nuances d’exprimer la légèreté et la gravité profonde avec autant d’aisance naturelle. La puissance et l’incroyable pureté du jeu de Jean-Charles Richard amène le guitariste à plus de réserve ce que l’on peut regretter un peu d’autant que Löhrer semble disparaître pendant quelques titres. En fin d’album India vient conclure admirablement cet album avec beaucoup d’à propos. Cette élévation toute coltranienne  à laquelle Jean-Charles Richard nous avait convié trouve là son point culminant, saisissant dans son inspiration et dans la tension qu’il induit. Furtivement Eric Löhrer sonne comme Hendricks et l’on devine alors chez lui le grand guitariste qu’il est  et dont le talent rare ne manquera pas dans les années à venir, de frapper les esprits.                                                            Jean-Marc Gelin

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21 avril 2008 1 21 /04 /avril /2008 08:08

Nocturne 2008




Inclassable. Cet enregistrement ne vous laissera pas indifférent. Difficile de ne pas rester scotché devant un tel monument. Il faut tout d’abord commencer par expliquer qu’il s’agit d’une commande faite par le festival « Jazz entre deux tours » de La Rochelle, à l’intention du pianiste français à renommée internationale Olivier Hutman. Ayant pour thème la francophonie, enregistré en Octobre 2006 au studio Alhambra-Colbert de Rochefort par François Gaucher, ce disque regroupe les musiciens complices du pianiste, en la personne du saxophoniste d’origine guadeloupéenne vivant à New York, Jacques Schwarz-Bart. Mais en comptant également sur les talents du contrebassiste Salvatore De La Rocca et du batteur Hans Van Oosterhout, tous deux originaires de cette Europe du nord franco-flamande, productrice de remarquables artistes. Ce quartet interprète les compositions d’Olivier Hutman tout au long de ce disque au caractère résolument dansant et festif. Les mangroves, cette végétation aux rivages de chaque continents, représentent ce qu’il y a de plus commun entre les terres séparées par les océans. Dans cet hommage plein de « bravitude » commence la première danse de ce disque (« Status Island »). Le groove y est tellement monstrueux qu’il en ferait presque peur. La rythmique de ce quartet développe une énergie déroutante, pleine d’interaction, poussant nos hanches à se trémousser, pour ne pas dire autre chose. Mais rien de vulgaire dans tout ceci, car la finesse du choix du son est poussée à l’extrême lorsque se laisse entendre un étrange effet électronique sur le timbre nasillard d’un saxophone endiablé. S’agirait-il d’une traditionnelle pédale wah-wah ? On connaissait le goût prononcé de Jacques Schwarz-Bart pour les essais électroniques, ainsi que pour l’incarnation de la descendance d’un Sonny Rollins des îles. Aussi, il est impossible de passer à coté des remarquables solos du pianiste Olivier Hutman, jonglant sur les contrastes in et out de l’harmonie, offrant un merveilleux panorama sur sa magistrale technique d’improvisateur. C’est dans sa troisième composition, « The Path That Was Always », que l’esprit dansant des caraïbes refait son apparition, toujours dans un respect scrupuleux des formes traditionnelles du Jazz, thème-solos-thème. Cet album est construit sous forme de suite offrant une série d’envolées exclamatives, mais aussi entrecoupés d’incantations méditatives réalisées à la flûte traversière, en témoigne cette intro du blues intitulé « Chain of Souls ». De long en large, ce recueil de compositions est truffé de redoutables grooves, dynamiques et imposants. Comment rester insensible devant la magie sans cesse renouvelée de ce que le Jazz a de plus majestueux dans ses mélanges. Pour achever ce lancé de pavé dans la mare, le disque se termine par un morceau intitulé « The Cliffs », gorgé d’un swing à géométrie variable, lourdement pénétrant de passion pour la Musique d’Herbie Hancock. C’est par cette passion que l’on devine sans efforts tout le coté enfant des protagonistes de cette œuvre remarquable. Un amusement sans doute partagé par les auditeurs. Tristan Loriaut
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20 avril 2008 7 20 /04 /avril /2008 06:59


Denis Guivarc’h (as), Pierre de Bethmann (p), Jean-Luc Lehr (bass), Mathieu Chazarenc (dm)


 



 
Denis Guivarc’h qui signe là son premier album n’est pas un inconnu dans le microcosme du jazz. Et d’ailleurs avec son premier album qu’il présente ici, sa renommée devrait franchir un large pas qui l’amènera certainement à s’installer une solide réputation par delà l’hexagone.

Ancien prof assistant au Cim, Guivarc’h a surtout depuis quelques années, poursuit son parcours au sein du groupe de l’orchestre de Magic Malik. Il faut dire que les deux hommes partagent ensemble un goût évident pour la même musique, en l’occurrence celle de Steve Coleman qui, il faut le reconnaître est depuis le bebop l’une des choses les plus intéressantes qui soit arrivée au monde du jazz ces vingt dernières années. Et l’on retrouve à l’évidence chez notre saxophoniste alto une filiation directe avec le génie de Chicago. D’abord par le son qui comme chez son mentor est fait de puissance gracile, de lyrisme véloce à la diabolique précision rythmique dans le groove toujours sous jacent ou carrément évident. La musique de Guivarc ‘h, relève de l’équation presque mathématique, jonglant avec les systèmes métriques et les enchaînements harmoniques complexes. Le tout prenant sous l’impulsion de Guivarc’h des allures d’arabesques dessinées dans le ciel, fluidifiées dans un espace contraignant mais toujours ouvert. Dans ce système basé sur un grand nombre d’obstacles, Guivarc’h en boxeur qu’il est, se révèle un maître de l’esquive serpentant sans s’arrêter au travers des pièges harmoniques et rythmiques rendant paradoxalement cette musique là incroyablement ouverte. Sur des thèmes du répertoire comme sur ses propres compositions, Guivarc’h fait une démonstration étincelante des leçons Colemaniennes. Les deux seuls thèmes qui ne sont pas de sa propre composition, Nefertiti et All the things you are sont des modèles de réappropriation de thèmes bien connus et embarqués dans l’univers de Guivar’ch. Un thème comme Steps reprend la structure de Giant Steps de Coltrane pour là encore en livrer une récriture particulièrement intéressante. Sur MMO ou Exit par exemple il y est question d’exercice rythmique qui par ses décalages ou ses ruptures relève d’un casse tête que seuls des musiciens de grand talent peuvent relever comme un défi. De Bethmann dont on sait combien il est à l’aise dans cette musique là reste au piano et apporte au quartet une force supplémentaire et une autre intelligence de l’instant musical et Jean-Luc Lehrr à la basse électrique arrondi les angles de ces chemins déjà bien si sinueux.

Alors que Steve Coleman ou même Magic Malik semblent s’orienter aujourd’hui vers une musique intellectualisante qui ne devient parfois abordable qu’après l’obtention d’une agrégation de Mathématiques appliquées, celle de Guivarc’h repose avant tout sur la notion de plaisir dont il n’exclut pas une réelle sensualité. Sa musique et son jeu possèdent l’évidence que l’on rencontre souvent dans les premiers albums réussis. Cette évidence faite à la fois d’exigence et surtout d’envie. Intelligente et lumineuse la musique de cet élève surdoué a peut être bien dépassée là celle de ses maîtres.                                          Jean-Marc Gelin

 

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19 avril 2008 6 19 /04 /avril /2008 18:00




Zig Zag Territories

 Avec cet album Greaves Verlaine, le pianiste, bassiste, auteur-compositeur et  chanteur gallois s’est lancé un nouveau défi : sortir un disque en français sur des poèmes de Paul Verlaine. S’inspirant de divers recueils très connus  Chansons pour elle, Romances sans paroles, Parallèlement, Fêtes galantes, Poèmes saturniens, La bonne chanson, John Greaves a extrait dix titres auxquels il a rajouté un plus leste en final.

Dans les frimas d’Ecosse, en vacances, il a donc choisi « une poignée de diamants » qu’il a transposés en chansons et interprétées de façon originale mais fidèle tout de même à l’esprit de l’auteur : chansons d’amour éperdu et perdu, chansons charnelles aussi (l’ érotisme de « Séguedille » est plus convaincant que  le « triolet à une vertu ». Le bonheur et la douleur de la possession, le temps qui passe donnent une coloration sombrement mélancolique à ce recueil.

 Dans l’ interview d’Aymeric Leroy  pour Citizenjazz, John Greaves avoue que le choix de Verlaine s’est avéré rapidement le seul posssible. Ses poèmes précis et structurés sont faciles à mettre en  musique : « après les deux premiers vers, le reste suit assez naturellement, car la métrique est toujours parfaite. Il est assez facile d’intégrer les strophes à une structure musicale de type chanson … La musique est venue assez rapidement,dès lors que la  question des textes était réglée. Restant narrateur, la dimension harmonique est portée par l’arrangement et tout ce qu’il y a autour de la voix. Et quelle voix ! Un accent anglais prégnant, une voix rauque, rocailleuse et souvent monotone (il faut parfois s’aider du livret quand on ne connaît pas les poèmes par cœur), le choix de l’interprète est troublant  pour servir l’auteur « de la musique avant toute chose ».  De quoi choquer peut-être les puristes. Encore que Ferré et Gainsbourg aient ouvert la route… D’ailleurs  l’ensemble tient la route : avec ses ralentis traînants et ses accélérés pour garder la cadence… sans avoir le velours de Bashung , on pense parfois –et le compliment n’est pas mince- au rocker du vertige.

L’unité paradoxale de l’album réside dans l’alliance de tous les timbres musicaux qui brossent un arrrière-plan omniprésent, empreint d’une nostalgie et d’ une déprime très actuelles, écrin  pour la voix de John Greaves, qui  réussit alors son coup.

La découverte du répertoire, dans des orchestrations plutôt dépouillées,  différentes d’un titre à l’autre selon les invités , séduit dès l’ouverture "Chanson pour elle". Plus cabaret et pop club que jazz de chambre,  certains titres sont même entraînants, ritournelles de "Streets" ou "Beams". Jeanne Added que l’on entend surtout chanter, double la voix de John Greaves dans « Le piano que baise une main frêle » et le « Triolet à une vertu ».

Cet album que Leroy qualifie, fort justement, de "Superproduction artisanale", tant sa réalisation fut minutieuse et  compliquée tient à la coopération bidouillée des  nombreux copains musiciens invités (ils sont onze).

Le batteur et le pianiste (formidables Mathieu Rabaté et Marcel Ballot) ont fait des prises chez eux, les autres instrumentistes  sont venus au fur et à mesure faire leurs parties, en jouant  un ou plusieurs titres, selon l’inspiration du moment :  judicieusement choisis, Karen Mantler à l’harmonica, Scott Taylor à l’accordéon, Arthur Simonin aux cordes, lancinantes à souhait, le violon solo de Dominique Pifarély  parfaitement adapté, la scie (et la soie) musicale de Fay Lovsky, un ravissement ; quant aux guitares finement saturées  de Jef Morin, elles donnent une résonance rock poignante à quelques titres et en particulier à « Silence silence ». .

Cette belle association de talents dans un projet très personnel souligne l’ éclectisme sensible du Gallois : cet album est révélateur de musiques actuelles qui flirtent avec toutes les musiques aimées. Intelligent ! Sophie Chambon

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19 avril 2008 6 19 /04 /avril /2008 17:55




Nocturne 2008

Peter Delano (p), Dewey Redman (ts), Doug Weiss (cb), Anders Hentze (dm)



Belle initiative de la part des éditions Nocturne que d’éditer ce disque du jeune pianiste américain, Peter Delano (31 ans). L’histoire du jazz aurait bien pu en effet l’oublier si le jeune homme ne s’était pas récemment remis d’un terrible accident au dos qui lui valu à la suite d’une paralysie partielle d’être écarté longtemps de la scène du jazz. Car avant cela, celui que Ira Gitler comparait à Bud Powell avait pu graver deux albums avec des pointures comme Michael Brecker ou Gary Bartz, tous deux impressionnés par ce talent prodige. Jusqu’à ce fichu accident qui interrompit sa carrière.

Et pourtant à entendre ce grand pianiste et compositeur on comprend ce que l’on a pu perdre durant ces années de douloureux intermède.

Cet album enregistré en 2007 en hommage à Dewey Redman et qui contient 3 plages enregistrées avec le saxophoniste est assez jubilatoire pour nous faire découvrir de ce côté-ci de l’Atlantique un pianiste surdoué et impressionnant. Un pianiste dont on devine à l’énergie et la fougue qui marque son jeu avec quelle avidité il renaît à la musique. Qu’il s’agisse de sa maestria à dévaler le clavier (Inner limits), de sa science d’un jeu dynamique qui l’amène progressivement au paroxysme (Everytime we say goodbye) ou encore de son talent de compositeur plus assagi que l’on découvre avec intérêt ( Zoning ou Sound spirit). Il y a chez Peter Delano une soif de jouer avec force et puissance qui nous laisse parfois épuisés mais totalement bluffés (Inner Limits) au point de nous demander - comme lorsque nous entendions Bud Powell - quand ce garçon peut bien prendre le temps de respirer ! A ce jeu  là ce n’est pas la rythmique qui viendrait lui donner une bouffé d’oxygène, prompte qu’elle est à porter l’estocade et à remettre du feu sur les braises à l’image de son batteur totalement survolté. Cette énergie peut parfois amener au contresens. Mais il est intéressant de voir Peter Delano attaquer de manière un peu décalée ces thèmes que l’on entend jouer souvent tristement mais dont il s’empare avec un brin de sourire dans la nostalgie ( For all we know). Un peu de légèreté sans emphase dans un jeu virtuose particulièrement délié et swinguant à la manière des grands maîtres du bop.

Et puis et surtout il y a le regretté Dewey Redman qui sur trois morceaux apporte sa science et la profondeur du sage. Celle de celui qui a vécu le jazz depuis toutes ces années. La rythmique s’impose alors plus de réserve mais reste incandescente quand le saxophoniste de son côté donne du sens et de la gravité à la musique qu’il joue (Too long to wait, Zoning). Une sorte de leçon qu’il donne à ses camarades de jeu : la musique est une affaire sérieuse. C’est qu’il y a dans le jeu de Dewey Redman une longe histoire du saxophone. Une déchirure sublime.                                                                   Jean-Marc Gelin

 

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19 avril 2008 6 19 /04 /avril /2008 17:53




Half Note 2005

James carter (ts, ss, bs), Gerard Gibbs (org), Leonard King (dm), Hamiet Bluiett (b), James « Blood » Ulmer (g)

 La distribution tardive de cet album réalisé en live en 2004 au Blue Note de New York ne trouve pas sa justification par une actualité particulière liée au saxophoniste. Juste le hasard de la distribution dont, n’ayant pas le dossier de presse en mains, nous ne connaissons pas les raisons. Néanmoins cet album prit dans son jus « live » témoigne d’une telle énergie et d’un tel volume de jeu de James Carter qu’il eut été assurément dommage de s’en priver et de priver du même coup tout le fan club du saxophoniste de Detroit.

Après une mis en bouche sublime où James Carter entame avec une incroyable sensualité un Out of Nowhere au ténor avec un immense respect pour les saxophonistes de la lignée de Coleman Hawkins ou de Don Byas, l’album se poursuit avec une belle version de Along came Betty » le fameux thème de Benny Golson sur lequel Carter fait montre d’une grande liberté farouche tant dans la forme que dans le fond, s’affranchissant comme il le veut de la grille sans la lâcher complètement. Assez bluffant  et même quasiment « Aylerien » mais dans le même temps assez perturbant pour une rythmique qui ne semble pas forcément très à l’aise et en tous cas nettement en deçà de ce que le niveau de James Carter exige de ses partenaires. Dans un esprit plus blues and roots se glisse sous la guitare du génial bluesman James Blood Ulmer et sur la composition de celui-ci, Highjack, quelques accents rock du plus profond de racines qui nous ramènent quelques années en arrière à l’époque où le grand Jimmy était encore en vie. Le mélange avec James  Carter s’y fait alors explosif et la rencontre des deux y est totalement convaincante. En effet, virtuose exceptionnel James Carter dans sa façon de jouer de tous les saxs ( baryton entre autres) balance des inflexions rocailleuses venues de l’âge de pierre avec une sauvagerie brute et presque animale qui plonge dans les entrailles d’une musique afro-américaine dont le saxophoniste balaie largement les grands espaces. Avec un matériau âpre et rugueux, James Carter est une sorte d’archétype du saxophoniste dur au mal qualifié dans les liner notes de bad-ass, voire de sale gosse ou d’ours mal léché comme vous voulez. On pourra regretter certains choix (pourquoi doubler le baryton au point que l’on ne sait pas forcément qui joue de Carter ou de Hamiet Bluiett ?) ou s’agacer peut être du côté ultra démonstratif de James Carter. Pas nous. C’est que cette musique là est prise en live dans un concert où de toute évidence, le saxophoniste ne compte pas ni avec son plaisir ni avec le notre et où l’échange semblait était la recette du soir. Sacrément jubilatoire et sacrément vivifiante la musique de James Carter devrait faire le bonheur de tous les programmateurs de festivals. La musique très américaine de Carter est un hommage à tous les héros de cette musique mort une guitare à la main ou un sax entre les lèvres. Elle résonne chez nous comme une sorte d’épopée. Parfois duraille, parfois énervée ou brouillonne mais toujours héroïque.             Jean-Marc Gelin

 

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