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15 février 2008 5 15 /02 /février /2008 07:38
Mc-Caslin.jpg

Sunnyside 2007

Donny Mc Caslin (ts, fl, as), Dave Binney (as, fl), Ben Monder (g), Scott Colley (cb), Antonio Sanchez (dm), Pernell Saturnino (perc)

 


                     On commence à connaître Donny Mc Caslin de ce côté ci de l’Atlantique depuis que le jeune homme s’est signalé à notre attention à travers quelques enregistrements bien justement remarqués. On se souvient de ses prestations dans l’orchestre de Maria Schneider dont il constitue l‘un des fidèles piliers et l’on se souvient aussi l’avoir entendu dans le magnifique « Meaning and Mysteries » de Dave Douglas malheureusement introuvable ici.

Ce nouvel album (le sixième signé sous son nom) confirme ce que l’on savait de ce futur « déjà » grand du saxophone. Une parfaite maîtrise de son instrument. Un art du contrôle. Jamais de dérapage ou alors parfaitement contrôlés. Sauf qu’à la différence des autres merveilleux saxophonistes de son âge, Donny Mc Caslin a des choses à dire et ne se contente pas de tourner en rond autour de sa maîtrise technique. Il affiche au contraire une très grande maturité musicale qui s’exprime à la fois dans la teneur de ses compositions, jamais uniformes mais aussi dans les leçons qu’il tire d’un jazz qui va puiser autant dans des lignes sinueuses post (ou néo) Shorteriennes que dans la fausse apparente simplicité des airs latinos qui sous sa plume et avec son lyrisme prennent la marque d’une véritable prouesse rythmique. C’est vrai qu’il est pour l’occasion entouré d’une section de luxe avec Antonio Sanchez (le batteur de Pat Metheny) à la batterie et Pernell Saturnino (le percu déjà entendu aux côtés de Danilo Perez) aux percus. Sorte de clin d’œil à son background pour ce saxophoniste Californien de 41 ans né du côté de Santa Cruz quelque part sur la One  O One entre Palo Alto et Monterey. Avec l’autre saxophoniste de l’album, Dave Binney, Donny Mc Caslin s’entend à merveille dans l’art du contre chant et du tramage des voix. On a un peu de mal à savoir qui joue en l’absence de liner notes le précisant et c’est bien dommage. On ne peut ainsi rester insensible aux deux chorus pris sur Madonna où l’on entend deux instrumentistes dépasser la simple progression harmonique pour délivrer un discours bien plus profond. Jamais cérébrales les compositions de Mc Caslin dépassent le cadre du swing pour le swing, de la mélodie pour la mélodie. Une réelle expression, un réel phrasé. On retiendra la précision de ses contre temps sur les airs latinos ( Descarga, Fast Brazil), sa capacité à se transformer en élégant joueur de saxophone d’orchestre salsa ou de boléro ( Send me a postcard) les univers bleutés ( Sea of Expectancy) et les prolongements de l’univers Breckerien ( Village natural , In pursuit), cet univers de Steps Ahead dont fit partie un moment notre saxophoniste. C’est que ce garçon un peu caméléon sur les bords sait tout faire, tout jouer et tout composer. Une sorte de génial éclectique.                                                                                                   Jean-marc Gelin

 

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13 février 2008 3 13 /02 /février /2008 07:43

recto_sortie_jaster_150.jpg
www.aurasky.com

François Creamer (clb), Vincent Limouzin ( vb et perc), Christian Duperray (b), David Pouradier Duteil (dm)

 

 Pour leur deuxième album, les inspirateurs de Jaster ont choisit d’explorer un univers quasiment organique aux contours légèrement bizarres. Une sorte d’exploration avec leur Bathyscaphe d’un univers où le poétique côtoie des atmosphères plus inquiétantes. Une plongée dans quelques eaux profondes qui aurait très bien surgir de l’univers littéraire d’un Edgar Allan Poe ou encore d’un Jules Vernes sous substances hallucinogènes. Un univers marin quasiment fantasmagorique. Du coup le quartet s’engage dans la recherche d’une atmosphère, d’une couleur globale où il est moins question d’alterner les solistes que de contribuer à la couleur d’ensemble. Il y a de l’architecture dans ce travail là. L’architecture d’un corps en mouvement. L’exploration d’un univers inconnu, qui oscille entre le calme (Gameland comme une petite musique enfantine) au déchaînement des éléments ou d’une foule en furie (Crow). Car c’est bien d’inconnu surprenant dont il s’agit tant les contours de cet album ont bien du mal (et c’est tant mieux) à répondre à une quelconque classification. Des éléments se juxtaposent qui viennent parfois de l’improvisation contemporaine ( pourquoi ne pas penser à John Cage parfois) ou d’une musique façon Zappa, avide de touts les renversements harmoniques, rythmiques et des cassures nettes. C’est d’ailleurs le reproche que l’on pourrait faire à des compositions dans lesquelles le procédé de la rupture est utilisé de manière quasi systématique. Au risque de perdre en cohérence mais en maintenant constamment en éveil l’attention de l’auditeur explorateur qui embarque intrigué, avec ces musiciens inventifs dans cet étrange sous marin.                                                           Jean-Marc Gelin

 

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11 février 2008 1 11 /02 /février /2008 07:51
imbert.jpg



Zig Zag territories 2008-02-02


Chroniquer ce nouvel album de Raphaël Imbert est une tâche aussi ardue que l’œuvre à laquelle il s’attaque. Car ce qui pourrait être considéré facilement comme une « somme » autour des relations entre Bach et Coltrane pourrait aussi facilement décourager les impatients et ceux qui hésiteraient à se plonger dans plus d’une heure de musique que l’on qualifiera du bout des lèvres de « sacrée ». Car cet album n’est pas un objet de consommation musicale immédiat mais au contraire une sorte de thèse manifeste invitant à la réflexion sur le thème de la spiritualité dans la musique. Ceux qui parmi les musicologues chercheront dans cet ouvrage les traces des relations musicales entre Bach et Coltrane resteront peut être sur leur faim même si, sur le thème de l’approche modale et d’une certaine horizontalité dans la musique de Bach et Coltrane il y a des ponts qu’ils n’hésiteront pas à franchir. Au jeu très sérieux des correspondances, Raphaël Imbert nous en livre une brillante démonstration. Ne tombant jamais dans le piège d’une grille de lecture univoque, cet album juxtapose les formes et les motifs. Tantôt un quatuor à cordes (le quatuor Manfred) joue simplement du Bach sans aucune jazzification, tantôt ces opus sont la porte ouverte à l’improvisation démontrant ainsi ce lien flagrant entre Bach et Coltrane. André Rossi qui enseigne l’orgue au conservatoire de Marseille contribue à son tour à en apporter un témoignage qui surprendra certains mais n’étonnera pas ceux qui le dimanche matin entendent quelques uns des grands organistes actuels improviser du côté de Notre Dame de Lorette à Paris.

Lorsqu’il s’agit de la musique de Coltrane, celle-ci est livrée, brute, dans sa splendeur mystique  comme ce Crescent qui, prenant la suite de l’art de la fugue, démontre combien cette musique apporte à l’élévation de l’âme. Il s’agit alors d’une lecture spirituelle de l’œuvre de Coltrane qui se place soit à côté de celle de Bach soit parfois dans son prolongement. C’est ainsi que s’entend ainsi l’improvisation sur B.A.C.H (pour « Si, La, Do et Si bécart ») ou encore Reverend King. Où l’on découvre aussi comment la musique de Coltrane se prête à l’exercice d’un quatuor à cordes, exercice il faut bien le dire (et le regretter) très peu souvent réalisé (une première ?).

Les apports de Jean Luc Difraya dans le rôle du haute contre à la voix (trop) exceptionnelle et qui jetterait les liens entre classique et moderne sont en revanche bien moins convaincants. Car ces liens se trouvent ailleurs. Les sublimes improvisations à haut risque de Raphaël Imbert sur Bach ou celles non moins risquées de André Rossi sont beaucoup plus éclairantes ( les Chorales de Mi).

Raphaël Imbert nous livrait récemment son analyse reposant sur une distinction entre le Mystique (Coltrane), le métaphysique (Pharoah Sanders) et le religieux (Albert Ayler). Sur cette base Raphaël Imbert trouve un autre point de convergence entre Bach et Coltrane, celui de la psalmodie où la réinterprétation du choral luthérien évoque le thème, le psaume comme élément fondateur. Dans la mystique coltranienne, le rapport au divin s’inscrit dans une démarche personnelle d’élévation de soi vers Dieu. La musique en est l’un des témoignages au même titre que la littérature. Raphaël Imbert se plaît ainsi à évoquer le poème écrit par Coltrane dans Love Supreme et à poser la relation avec ceux de Saint Jean De La Croix, fleuron de la littérature mystique d’Occident si tant est qu’il fallait apporter une preuve de la spiritualité coltranienne.

Il faut alors prendre ce travail de Raphaël Imbert pour ce qu’il est. Une visitation bigrement intelligente et quasi universitaire de l’univers de Bach et de Coltrane dans leur double dimension philosophique et musicale. Mise en perspective, juxtaposée ou dans le prolongement l’une de l’autre, cette approche pourrait bien servir de base à la conférence que Raphaël Imbert donnera sur la place du sacré dans la musique.

Les dix dernières minutes concluent magnifiquement cet album. Reverend King puis le Chorale de Mi et enfin O welt, ich muss dich lassen achèvent cette lecture sublime. Car avant tout, ce travail enregistré dans une église où les résonances et les craquements du bois n’ont pas été éliminés, illustre merveilleusement le transport « religieux » que ces musiques évoquent. Qui parlent à l’âme et revêtent ainsi leur part d’exaltation. De divin. Jean-Marc Gelin

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11 février 2008 1 11 /02 /février /2008 07:44

Carla-Bley.jpg 

 

 

La très bonne idée de ce dernier album de The lost chords est d’être allé chercher le trompettiste sarde Paolu Fresu pour accompagner le quartet de la plus suédoise des compositrices américaines, Carla Bley. Une quête contée comme une bande dessinée et avec beaucoup d’humour dans les « liner notes » qui accompagnent l’album. Une rencontre en apparence contre nature tant la pianiste s’est ses dernières années appliquée à l’understatement dans ses compositions, un certain minimalisme froid alors que Paolo Fresu transmet beaucoup d’émotion par  la sincérité et le naturel de son phrasé. Et pourtant le résultat est exceptionnel. La suite The Banana Quintet est une pièce majeure où chaque note semble absolument nécessaire, indispensable. Une harmonie élégante, majestueuse, vibrante, porteuse de lendemains lumineux, sans aucun pathos. Le timbre charnu et rond de Fresu se marrie parfaitement à l’élégance effacée de Drummond à la batterie, au swing de Steve Swallow, toujours parfait à la basse électro-acoustique et au son pur d’Andy Sheppard aux saxophones soprano et tenor.  Quel bonheur ces compositions que nous offre Lady Bley, de la très belle ouvrage, montant en intensité avec subtilité et nous tenant en haleine jusqu’à l’accord final. En apparence d’une grande facilité, la suite est d’une construction très complexe, avec des ruptures harmoniques très brutales, des chorus de cinq mesures et de nombreuses quintes. Et surtout ensemble, les cinq musiciens ont un son d’une homogénéité parfaite, un peu comme si cela faisait vingt ans qu’ils traînaient ensemble dans tous les rades de la planète. Des vieux de la vieille à qui on ne la raconte pas. Ils se sont vraiment trouvés (« find »), au sens fort du terme, trouvés dans le souffle qui les traverse, trouvés dans la pâte sonore, trouvés dans le même amour de la musique. Leur art explose sur le sublime Death of Superman – Dream sequence 1 Flying , une pièce très intime, très lyrique, très dépouillée où Fresu se découvre être le jumeau poète de Sheppard. Absolument bouleversant. A la fin de l’album, ils reprennent une vieille composition de Carla Bley, Ad libitum, qui semble avoir été écrite pour conclure cet album choral. Régine Coqueran


Watt Works 2007
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11 février 2008 1 11 /02 /février /2008 07:41
dbinney2006.jpg 

Mythology 2007

David Binney (as), Bill Frisell (g), Craig Taborn (p, org, synth), Eivind Opsik ( ac & elec b) Kenny Wollesen (dm, perc), Adam Rogers (g)

 

 

 

 

 

Nous avions été emballés il y a un an à l’écoute de « Welcome to life ». Aujourd’hui nous sommes juste un peu plus réservés à l’écoute de « Out Of Airplanes » même si c’est vrai il ne manque pas d’atouts. La conception de la musique telle que la développe ici David Binney est véritablement celle d’une œuvre collective dans laquelle le tramage des voix (Contributors) qui s’emmêlent, se confondent et contre chantent les unes avec les autres, cette conception est celle d’une histoire racontée. Une histoire dans laquelle le rôle du soliste compte beaucoup moins que l’univers dans lequel il semble plonger. Ainsi par exemple les chorus de David Binney s’entendent plus comme la narration d’une histoire que la force évocatrice permet à chacun de s’inventer. Les voicing et les backgrounds  sonores contribuent à tisser l’espace musical sur lequel les voix émergent. Celle de Bill Frisell qui ne fait pas partie de la bande mais est invité pour l’occasion, donne à la force presque romantique de David Binney un contre éclairage plus ténébreux de rock un peu plus trash (Out of Airplanes). Les univers sont complexes mais poétiques. On relève un gros travail de composition jouant sur une réelle complexité harmonique cependant jamais fastidieuse à l’écoute. On est au contraire plus intéressé par la lente organisation des morceaux. Chaque soliste ici reste très respectueux du cadre pas seulement défini par la rythmique mais par chacun d’entre eux. Dans Bring your dream, les acteurs de cette pièce poétique semblent improviser une déambulation dans une sorte de ville fantôme où les éléments traversent l’espace sonore furtivement, craquent et couinent avant de disparaître. Les morceaux sont parfois entrecoupés de petits interludes comme des petites escales qui emmènent ailleurs, changent le décor tout en conservant une certaine continuité. Mais l’essentiel de l’album est conçu comme de lentes progressions de thèmes fondés sur des ostinato dont l’intensité progresse peu à peu et sur lesquels le soliste s’exprime jusqu’à toujours la porter à son paroxysme final (Out of  Airplanes, Home). C’est très beau même si, utilisé plusieurs fois il donne un caractère un peu répétitif. En fin d’album il est encore utilisé sur Instant Distance pour laisser place au batteur qui aura été de bout en bout assez impressionnant et qui conclut un album qui s’étend entre fascination des paysages et émotions vives. En dehors de l’avion s’étend ce paysage cotonneux et inaccessible que nous observons derrière le hublot. En spectateurs, parfois étrangers. Jean-Marc Gelin

 

 

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9 février 2008 6 09 /02 /février /2008 06:44
PORTRAIT-GIOVANNI-MIRABASSI_-Cr-dit-Photo-Gildas-Bocl-.jpg
Ó Gildas Boclé



Propos recueillis par Bruno Pfeiffer

 

Le pianiste de Pérouse enchante la France depuis son arrivée, il y a quinze ans. Les projets du compositeur l'ont mené à  tous les couronnements : Victoires du Jazz; Prix Django Reinhardt; Prix de l'Académie du Jazz. Son dernier trio, qui s'appuie sur le batteur phénoménal Leon Parker, nous plie à nouveau les genoux, admiratifs. Rencontre avec un rebelle impénitent dans son quartier, les Abbesses.

 

DNJ De quand date ton rapprochement avec le jazz ?

GM J'ai commencé enfant. Notre argent de poche, avec mon frère, filait dans les disques. Tous les Blacks arrivaient sur nos étagères : Miles, Mingus, Monk, Blakey. Le festival de Pérouse se passait à une vingtaine de kilomètres de mon village. On est allé les voir tous. Je me suis mis naturellement au piano. Ma réputation a rapidement dépassé le village...

DNJ Quand as-tu décidé de devenir pianiste professionnel ?

GM En 1996, arrivé en France, j'avais 27 ans. Je sortais d'un problème personnel. Je vivais comme un SDF. Je me suis levé un matin en me posant la question de mon avenir. Que voulais-je faire? Je voulais jouer la musique que j'aime, sur un piano accordé, avec mes musiciens, et en vivre dignement. Pour cela il fallait que le public l'apprécie. J'avais remporté quelques concours. J'ai mis cette réputation à  profit pour enregistrer "Architectures" au studio de la Buissonne, le top. J'ai eu la chance de tomber sur le batteur Louis Moutin.

DNJ Quelles sont tes influences majeures ?

GM Le swing que dégagent les collectifs de Mingus me transporte. C'était un "talent scout", comme Blakey, du reste. Les sidemen sortaient le meilleur d'eux-mêmes sous sa baguette. Une musique "on the edge", en recherche permanente, mais qui ne perd jamais de vue la tradition. Certains esprits grincheux avancent que le jazz est mort depuis, comme s'il ne fallait pas comme eux recréer les lois du genre à  chaque prestation. Sans se reposer sur leurs lauriers, ces gars régneraient le genre. Chercher me semble un devoir.
Enfin, à la source de mon jeu : deux pianistes gigantesques. Bill Evans, que j'ai raté, enfant, au festival annuel de ma ville natale. J'avais dix ans. Mon père ne pouvait pas m'emmener : il était malade. "Portraits in Jazz" sur Riverside, d'Evans m'a fait tomber amoureux du son de l'instrument. Enfin Enrico Pieranunzi : j'ai craqué pour le sens esthétique. Pour son art de mettre l'harmonie au service de la mélodie. Je me suis reconnu dans sa connaissance des marches harmoniques, rare en jazz. J'ai opéré une plongée dans sa maîtrise des styles comme s'il s'agissait d'une descente en moi-même. Il m'époustoufle encore.

DNJ Le son te paraît essentiel ?

GM Oui. Le nerf de la guerre du piano, c'est avant tout du son. Nous n'avons qu'un contact du bout des doigts avec cet instrument complexe. Sans maîtrise du toucher, à  mon sens : pas de piano. Ceci dit, le phrasé garde son importance. Coréa, à  ce titre, a influencé toute l'école européenne. Ma main droite lui doit beaucoup.

DNJ Keith Jarrett ?

GM Qui contesterait qu'il s'agisse de l'un des plus grands pianistes qui soit passé de toute éternité sur cette planète. Sa maîtrise de l'instrument sort de la logique. Il possède la faculté de jouer à  genoux, rien qu'en faisant confiance aux muscles de ses doigts. Il a des mains de crabe! C'est un extra-terrestre! J'éprouve toutefois des difficultés à  acheter son dernier album. Il a insulté le public à  Pérouse, simplement parce qu'il entendait du bruit dans la salle. Il faut qu'il change de métier. Un artiste qui en arrive à  insulter le public n'en est plus un.

DNJ Ton meilleur souvenir?

GM A 19 ans, le saxophoniste Steve Grossman m'a invité sur scène. Je remplaçais un pianiste qu'il avait viré on ne sait pas trop pourquoi. Mal luné, sans doute... J'ai encore le souvenir du trac... et cette sensation de me voir enfin dans le coup, au milieu du truc. Parachuté en conservant la sensation d'observer le frisson de l'extérieur. Comme si jétais passé à  travers le miroir d'Alice aux Pays des Merveilles. J'avais appris à  l'ancienne, en écoutant les vinyles. Imagine : tu écoutes "Kind of Blue", et d'un coup, c'est toi qui es assis au piano : une folie! J'ai suivi Grossman dans la tournée italienne. La réalité prend une autre dimension. Je ressens la même émotion depuis. De me retrouver sur scène change la perception : une seconde devient une éternité.

DNJ  Pourquoi t'être exilé à  Paris ?
  

GM Avant tout parce que j'ai fui Berlusconi. J'ai lié mon avenir à  cette ville. Ici, nous nous sommes retrouvés avec des artistes comme Paolo Fresu, Flavio Boltro, Rosario Giuliani, Stefano Di Battista. Aldo Romano nous a bien aidés. Nous nous sommes serrés les coudes mais chacun a fait son chemin de son côté. Maintenant, avec Sarkozy, j'éprouve de grandes craintes. A vrai dire mon avenir est lié à  l'avenir du monde, et je ne vois pas très clair dans l'avenir du monde. Les manipulations du grand capital font sur le monde la pluie et le beau temps. On vit dans une perte totale du sens commun. Les gens sont emportés par cette spirale. Forcément, ils ont peur. Or la peur, c'est la base du fascisme.


DNJ Quel a été le tournant de ta carrière ?

GM Mon histoire a fait un bond avec l'enregistrement d'AVANTI! sur le label Sketch, en 2001, sur des moyens artisanaux. Le fondateur du label, Philippe Ghielmietti, a produit un bijou. Ce fut un rêve. Les Japonais en ont acheté dix mille sur le coup. Depuis ils m'invitent deux fois par an pour de grosses tournées. Je ne m'attendais pas à  devenir célèbre d'un coup. Le disque a marqué les esprits Je réponds encore à  plusieurs mail par semaine d'amateurs qui me demandent où¹ le trouver.

DNJ : Te définirais-tu comme un romantique ?

GM Chaque artiste ressent une fêlure personnelle. Je suis sensible au temps qui passe, à  la mélancolie. S'ajoute à  cela que les Italiens ressentent une certaine intimité avec la mélodie. J'ai beau avoir passé la moitié de ma vie à  Paris, j'ai conservé cette esthétique dans mon identité. Par bonheur, s'il n'y pas de culture généralisée du jazz en France, ce pays peut se targuer d'une vraie culture de la mélodie, grâce à  la chanson. Enfin, je dois avouer que j'ai répété les gammes en bossant Chopin comme un acharné. Il n'y a pas plus romantique que lui! Ceci posé, je me perçois plutôt comme un anti-romantique. J'essaie de ne pas insérer mes petits bobos personnels dans la musique : j'aurais l'impression d'arnaquer le public. Méditons cette sentence du grand concertiste Alfred Cortot : "la musique n'est pas une poubelle où¹ l'on jette ses échecs personnels".

DNJ Quelle est pour toi la section rythmique idéale?

GM Je suis très sensible aux batteurs. J'aime beaucoup Dave Holland et Paul Motian. Je trouve que Marc Johnson déploie des lignes extraordinaires. Il figure sur plein d'albums de Pierannunzi. Un de mes rêves s'est réalisé avec Leon Parker. Maintenant je jouerais volontiers avec Brian Blade.
  

DNJ Es-tu heureux dans ton métier ?
  

GM La vie d'artiste est un choix. Sans la musique je ne pourrai pas vivre. Je suis accroc et instant miraculeux où des ténèbres de l'arrière-scène, tu passes à  la lumière : une vraie drogue! Je reconnais toutefois qu'il y a plus confortable que le métier de concertiste : je ne saurais blâmer une personne qui hésite à  se lancer. Mais quand on se retrouve au milieu de la danse : on danse! Après, certaines règles simples s'appliquent. Notamment ce don que tu fais de toi-même au public.

  

Giovanni Mirabassi
"Terra Furiosa" (DISCOGRAPH) 2007
VOIR CRITIQUE DANS LES DNJ DE JANVIER

 

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8 février 2008 5 08 /02 /février /2008 21:02

grapelli.jpg

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8 février 2008 5 08 /02 /février /2008 06:52

thieblemont.jpgAphrodite 2007




Bruno Thieblemont, compositeur, arrangeur et vibraphoniste signe son premier opus chez Aphrodite. De formation classique, il a étudié dix ans le hautbois et les percussions classiques. On le retrouve dans l'orchestre philarmonique de Radio France. Pour autant, il est aussi musicien de jazz et s’impose sans ambiguïté comme tel sur « Septième Couleur ».

Et là encore, le jazz français crée!

Les mélodies, toutes du vibraphoniste, sont simples et variées. Les structures sont modernes et très efficaces tout en restant positionnés sur un jazz finalement mainstream plutôt grounded qu’abstrait. Les thèmes de Thieblemont, lorsqu’ils sont joués au vibraphone, nous semblent naïfs, poétiques, enchanteurs même (« Septième Couleur »). Pourtant très touffus, l'oreille ingurgite les morceaux avec une facilité déconcertante sans qu'on perçoive quelconque sensation de succession de morceaux. Probablement que Thieblemont l’arrangeur a parlé et bien parlé.

Surtout, on sent que le compositeur a le sens naturel de la nuance et de l'intégration transparente dans un contexte jazz d'un style musical dont on veut exploiter les atouts tout en échappant à ces stigmates. Sans s'en rendre compte, l'oreille est baladé du funky « Time For You »  à «  P'tit déjeuner » qui fait irrésistiblement pensé à un morceau d'Horace Silver bien trempé et de bonne cuvée. Remarquable de finesse. Le jeu du vibraphoniste est duveteux, sans impétuosité et ces chorus respirent, particulièrement quand ils sont associés à la section rythmique (Martin Guimbellot, Laurent Palangié) qui livre une bonne motricité générale pour le groupe.

Didier Forget et Baptiste Herbin forment une combinaison de vents aux saxophones très soudés et toujours en tension, même sur une ‘presque-ballade’ qu’est « 16=12 » où le soprano bluesy de Didier Forget est en flux continu relayé par le vibraphone, bluesy aussi, de Thieblemont. Leur expression est douce et reposée sur l'étrange « 5 sur 5 ». La combinaison Saxes et vibraphone est particulièrement homogène, entre sons tranchés et ronds.

A l'alto, Herbin étonne sur «  P'tit déjeuner ». Avec un imaginaire riche et une improvisation fluide et rugueuse, Herbin semble s'en donne à coeur joue dans un registre à la Kenny Garrett, avec les sonorités et les accents qu'il s'est appropriés. La sensation reste la même sur « Septième couleur ».

Sous couvert d'un certain classicisme apparent, « Septième Couleur » s'avère plein de vigueur, d'originalité, de richesses insoupçonnées comme on dit à propos de la nature et de subtilité dans les compositions. Maintenant qu'on a la musique dans la tête, on n'a qu'une hâte: les concerts.

Messieurs les programmateurs, si vous lisez les DNJs... Jérôme Gransac

 

 

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8 février 2008 5 08 /02 /février /2008 06:49

Volcanic records 2007


Tchangodei.jpg

 

Franchement on y croirait. A entendre Tchangodeï, on pourrait effectivement croire à un genre de bluesman venu direct du Delta dans la pure tradition du blues bien gras, celui qui vous colle aux basques. Une voix rocailleuse, un brin facétieuse. Une voix fatiguée de celui qui a trop fumé (on ne sait pas trop de quoi d’ailleurs), de celui qui a peut être trop bu aussi et beaucoup bourlingué. Traîné ses guêtres au bar des comptoirs dans les clubs de jazz à la nuit tombée.

Il faut dire que Tchangodeï n’est pas un inconnu dans le milieu du jazz. Songez que la garçon a tout de même tenu le clavier aux cotés Steve Lacy, Archie Shepp, Georges Lewis, Mal Waldron, Sunny Murray, Sonny Simmons, Louis Sclavis … Avouez que l’on aurait pu trouver pire comme référence….

Tchangodeï surprend à plus d’un titre. D’abord par ce qu’il allie le piano stride et boogie avec le blues chanté le plus caverneux. Un blues qui flirterait avec Waller, avec Earl Hines et Jerry Roll Morton. Mais Tchangodeï ne s’arrête pas là et évite les clichés pianistiques de manière étonnante. Il n’est que d’entendre un titre comme Electronic Blues spiritual pour se rendre compte que Tchangodeï entend bien moderniser le genre dans une forme assez inédite et bigrement séduisante. Une sorte de piano bastringue accompagne sa voix avec une rythmique en overdub. Mais Tchangodeï surprend aussi avec une voix paradoxalement très blanche qui évoque plus Jacques Higelin ou Tom Waits que James Blood Ulmer. Du coup il se joue des contrastes. Son côté activiste au piano, stride et nerveux vient en contrepoint d’une voix quelque peu « lazy », au chant traînant, dans une sorte de lascive posture. Contraste gagnant !

Tchangodeï joue des standards (Darn that dream), les chante aussi (très beau Memories of you), compose lui-même et écrit parfois les paroles. Son Europe promise derrière un magnétisme envoûtant sonne comme une cruelle et sombre mise en garde à tous les prétendants à l’exil. C’est simplement que Tchangodeï dit la même chose que les vieux bluesmen du Delta. Il dit une forme de désespoir traînant, brut, Terriblement brut. Son piano le rend optimiste et incroyablement vivant.                     Jean-Marc Gelin

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21 janvier 2008 1 21 /01 /janvier /2008 07:43

Yvinec.jpg
Bee Jazz 2007



Daniel Yvinec, on le sait adore jouer les grands standards américain. Il en fait habituellement un champ de partage très intime, un terrain propice à l’échange feutré et tout en nuance pour ceux avec qui il joue. On se souvient de son travail avec Guillaume de Chassy en duo sur Wonderful World où ils démontraient alors l’universalité de ce patrimoine commun. Ces thèmes que chacun a dans la tête et dont Daniel Yvinec n’a de cesse de magnifier le chant.

Il faut dire que le futur Directeur Artistique de l’ONJ, collectionneur compulsif de tout se qui se grave en matière de jazz possède une connaissance quasi encyclopédique de cette musique là.

Dans « The Lost Crooners », Yvinec se joue des formats et passe du duo, au trio ou au quartet avec la mise en évidence des contre chant et des complémentarités. Toujours avec le même souci de la mise en valeur de la mélodie sur le terrain de l’improvisation. Car elle est toujours au centre, qu’il s’agisse bien sûr des solistes remarquables ( Nelson Veras, Benoît Delbecq ou Méderic Collignon) ou de l’association de Yvinec et de Stéphane Galland  qui, à la batterie ne se contente pas d’assurer un drive exceptionnel mais assure même un contre chant mélodique comme dans ce Once in a while en trio avec le guitariste où chaque personnalité impose son évidence sans jamais nuire à la mise en lumière de ces thèmes magnifiques. Magnifiés ! Quelques moments forts émergent comme ce I Fall in love too easily, très bref où par la richesse de son jeu, Nelson Veras ouvres des voies harmoniques à la fois loin et toujours si près du thème. Idem avec Benoît Delbecq qui sur ce sublime Smile  donne une vraie leçon de détours et contours harmoniques, capable de nous perdre, de se perdre lui-même, crooner perdu mais jamais égaré tout à fait. Méderic Collignon transperce ou plutôt traverse cet album tel un rêveur déambulant avec langueur dans ce chant aux espaces bien délimités par une rythmique pourtant très libre. Ce côté languide ne nous quitte pas. Nelson Veras vient conclure l’album par un merveilleux Goodbye. Le guitariste ne joue pas à l’économie mais joue comme si chaque note, chacune d’entre elles, chacune de celles qu’il joue à cet instant précis, chacune de ces notes prenait une signification essentielle. Rien n’est vraiment dit. Tout est suggéré et donc tout est dit. L’album est censé se terminer à cet instant mais la rêverie se poursuivait. La session était terminée mais Yvinec s’était mis au piano, en régie on laissa tourner la bande. Méderic improvisa sur I’ll be seeing you. Il était encore question de cette belle intimité partagée entre les musiciens, de ce moment de grâce volé. Les crooners perdus dans leur rêve, rêvaient encore. Et nous, nous emportons un bout de ce rêve longtemps après la longue dernière note, perdue……. Jean-Marc Gelin

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