Peter Erskine (drums), Nguyen Lê (electric guitar), Michel Benita (bass) + Stéphane Guillaume (ténor et soprano saxophones). Act – 2008.
Peter Erskine (drums), Nguyen Lê (electric guitar), Michel Benita (bass) + Stéphane Guillaume (ténor et soprano saxophones). Act – 2008.
Effendi 2008
François Bourassa (p), André Leroux (ts,ss, f), Guy Boisvert (cb), Greg Ritchie (dm), Philippe Melanson (dm), Aboulaye Koné (perc)
Il serait peut être temps que le public parisien commence à se familiariser avec le nom de François Bourassa. Car à 49 ans, ce pianiste canadien habitué aux prix et aux récompenses, ne cesse de marquer le paysage du jazz par la qualité de son travail et de ses créations. Dernière récompense en date et non des moindres, celle du prix Oscar Peterson reçu en 2007 et qui, à entendre le présent album est très largement justifié. Car disons le tout net, il y a dans le travail de François Bourassa la quintessence de ce qui nous fait vibrer dans le jazz actuel. L’énergie et l’engagement bien sûr mais aussi des compositions brillantes, jazzy en diable qui associent autant l’émotion pure à un groove terrible, quelques idées géniales de compositions, un amusement rythmique qui passe des métriques impaires à des passages en binaires où le jazz peut parfois se teinter de pop et de world sans jamais y perdre son identité fondamentale et sa capacité à créer des espaces d’improvisations brûlantes. C’est qu’il y a dans cet album autant de force que de puissance dynamique. Avec l’aide d’un saxophoniste qui a tout compris, Bourassa passe d’un jazz-pop comme III Wooster Street, à un jazz world où les percus explosent ( Aboubou), pour glisser ensuite une belle ballade au jazz plus bleuté ( Nationz) sans jamais donner une once de sentiment de « décousu ». C’est que cet album est au contraire intelligemment conçu dans son ensemble et dans son agencement. De quoi nous mettre constamment les sens en éveil. Le saxophoniste André Leroux, incandescent au ténor comme au soprano y affûte les thèmes avec une lame aussi brûlante qu’acérée et se révèle un très grand saxophoniste. Il s’appuie sur une rythmique dans laquelle le jeu de François Bourassa, est un joyau d’intelligence dans l’utilisation de la grille, dans l’accompagnement du soliste et surtout dans la puissance et la dynamique de groupe. Le pianiste qui signe cet album sous son nom ne se surexpose jamais et joue la carte du collectif. Toute l’intelligence de Bourassa consiste alors à rendre à cet opus une grande cohérence dans la diversité du discours. C’est ce que ce groupe a véritablement « un truc ». Lorsque l’on ne sait pas quoi dire sur un album ou sur un groupe, on dit « il a le son ! » pour se débarrasser du sujet. Mais ce que nous entendons surtout ici, c‘est un vrai plaisir à ne jamais se répéter, à sortir des formats sans jamais nous perdre. Loin de tout académisme, ce quartet nous donne une nouvelle preuve de la formidable vitalité du jazz en s’appuyant sur un discours stimulant et vivifiant en phase avec les canons du jazz d’aujourd’hui. Jean-Marc Gelin
Parco della Musica Records 2008
Attention chef d’œuvre ! Le saxophoniste et clarinettiste, Francesco Bearzatti, bien que vivant la plupart de l’année en France, reste un musicien méconnu dans notre pays et pourtant quel talent de compositeur et quel son ! Ici il rend hommage ou plus précisément il écrit une biographie musicale de Tina Modotti. Cette femme sublime née en 1896 et morte au Mexique en 1940 fut comédienne de cinéma et de théâtre, photographe et militante politique révolutionnaire; une femme fatale aventurière, femme-monument au sang chaud, pasionaria et muse. Sa vie foisonnante a inspiré le quartet dont le son est excessivement cohérent, brut et riche avec des accents rock (grâce à Zeno de Rossi à la batterie et Danilo Gallo à la guitare basse). Le son du saxophoniste est sale, « crad », fougueux, brûlant. Les improvisations de Bearzatti au saxophone ténor ou à la clarinette sont époustouflantes sans parler de celles de Giovanni Falzone à la trompette, débridées et totalement jubilatoires. Un plaisir à jouer communicatif et une soif de vie. Aucune uniformité ou moment ennuyeux. Au contraire, ici la variété des climats est de mise. Cette suite est résolument chronologique et chaque morceau est en écho à une période-phare de la vie de l’artiste. Du Frioul au Mexique en passant par les États-Unis et la Russie. De l’enfance pauvre à la guerre civile. Du bonheur béat à la révolution politique. Sans être illustratives, les compositions de Bearzatti évoquent les rythmes et les sons d’époque (comme la musique mariachi). Nous ne sommes bien sûr pas dans le folklore mais plus dans l’aspiration/respiration du temps et de l’espace dans lesquels ont vécu Tina Modotti. C’est un projet grandiose qui emballe dès la première écoute par un quartet qui porte bien son non « Tinissima ». Sublissima !
Régine Coqueran
Tzadik 2008
« Lucifer » est le premier album studio du Bar Kokhba sextet, probablement le groupe préféré des fans de John Zorn, depuis dix ans. Ce dernier a composé une série de pièces, réunis sous le nom de « Book of Angels » qui fait référence aux noms des anges cités dans la Torah. Chaque volume de la série, parue chez Tzadik le label de Zorn, est signé par un groupe différent (Masada, Cracow Klezmer Band ...). « Lucifer » de Bar Kokhba en est le dixième volume.
Zorn, saxophoniste moins en colère ici, nous propose ici une musique qui puise sa source dans la tradition hébraïque et qui, par ce biais, permet à son auteur de progresser dans sa quête de créer la « nouvelle musique juive ». Musicien qui se challenge en permanence, le saxophoniste surprend encore avec « Lucifer ». Et une fois n'est pas coutume, la musique y est tout à fait accessible et subtile. Enfin les mélodies sont cousues dans la dentelle et puisent leur source aussi dans les traditions latines, arabo-andalouse et le rock. Cet album donne la part belle aux instruments à cordes avec Marc Ribot à la guitare et Erik Friedlander au violoncelle et Mark Feldman au violon particulièrement lyriques. La rythmique n'est pas en reste puisqu'il s'agit du duo contrebasse/batterie préféré de Zorn (Greg Cohen, Joey Baron) assisté de Cyro Baptista aux percussions. Le groupe ainsi réuni fait preuve d'une cohésion osmotique et d'une motricité fantastique tout au long de l'album.
L'esthétique de l'album est totalement homogène et continue grâce à l'extraordinaire niveau du sextet.
Habituellement répétitif lorsqu'il garde le cap sur une approche musicale bien précise (« Party Intellectual », « Asmodeus »), Ribot est particulièrement brillant dans « Lucifer ». D'ailleurs sont apport artistique est essentiel à l'album et ses interventions lumineuses. Ses coutumières imprécisions stylistiques, qui font partie intégrante de son formidable talent, enrichissent la musique impeccablement exécutée par le groupe en lui donnant un petit côté wild. Ses improvisations inspirées mettent en exergue l'exceptionnelle richesse des compositions de Zorn. On l'appellera comme on le voudra: jazz de chambre, jazz lyrique, la musique de « Lucifer » fait aussi bien dans la beauté et la retenue que dans l'énergie et le joyeux. On pourrait la qualifier de musique d'orfèvre. Jérôme Gransac
Cristal 2008
Eric Barret (ts,ss), Serge Lazarevitch (g), Joël Allouche (dm)
Petit coup de cœur pour cet album du trio Eric Barret, Joël Allouche et Serge Lazarevitch qui tourne déjà depuis près de 10 ans. Une décennie qui leur permet d’arriver aujourd’hui à ce point d’osmose et de compréhension mutuelle, d’automatisme et de partage si évident dès la première écoute de ce bien bel album. Car ces trois là prennent visiblement du plaisir à jouer ensemble. Pas seulement à la jouer d’ailleurs. A la créer ensemble tant à la table en la composant qu’à l’instant en l’improvisant. Refusant toute posture conceptuelle, les trois hommes, avec un bonheur rare ne rejettent pas la ligne mélodique. En témoignent des thèmes tendres comme Lou is Louise ou Les météores par exemple. Le jazz est au cœur du sujet. Et les trois hommes sur ce terrain là s’y entendent à merveille dans l’exploration de thèmes de Monk remarquablement revisités (Rythm a ning et Evidence) ou à réécrire un Au Clair de la Lune où il est question de jouer subtilement et simplement avec les harmonies. Dans cet exercice qui marche sur trois pieds, si Eric Barret insuffle une inspiration puisée dans les racines du jazz, les envolées de Lazarevitch ramènent plus au rock, moins à la manière de Mike Stern qu’à celle d’un John Scofield.
Parce qu’ils ne se laissent jamais trop fermer dans un schéma de jeu et parce qu’ils tirent leurs inspirations autant de compositions très mélodiques que de l’exploration harmonique ou rythmique d’un espace, ils offrent là un album particulièrement ouvert dans lequel le format du trio sax-guitare-batterie ne s’enferme jamais mais au contraire ouvre des perspectives, des angles et des contrastes toujours intéressants et raffinés. Dans ce trio là, chacun ne cherche pas forcément à servir le propos de l’autre mais à s’inscrire en cohérence tout en affirmant son propre contrechamp (et pas contre chant). Ainsi lorsque Eric Barret affiche le son tranchant d’un sax ténor acéré, Serge Lazarevitch arrondi les angles et étire les espaces dans lesquels s’amusent les frissonnements de Joël Allouche. 10 ans d’entente parfaite leur permettent de parvenir à cette forme de contraste complémentaire, à cette attirance des oppositions de jeu qui offre à l’auditeur un superbe relief à cette musique qu’ils ont visiblement tant de plaisir à jouer ensemble. Une totale réussite.
Jean-Marc Gelin
Miguel Zenon, le héros très discret que l’on a pu entendre notamment aux côtés de Charlie Haden dans le Libération Music Orchestra ou aux côtés de Joshua Redman dans le San Francisco Jazz Collective, publie son troisième album, véritable révélation de l’année ( cf. article de Lionel Eskenazi).
Il était en concert à Paris en mai dernier. L’occasion de rencontrer la future grande étoile du saxophone alto.
Quelles sont vos principales influences ?
MZ : Bien sûr pour moi le numéro 1 c’est Charlie Parker. Mais il y a d’autres musiciens que j’écoute beaucoup. Ornette Coleman, Cannonball, Benny Carter. Parmi les contemporains il y a Kenny Garrett, Greg Osby et Steve Coleman qui est certainement celui qui m’influence le plus. Voilà pour les altos. Parmi les ténors, bien sûr Coltrane, Rollins, Joe Lovano.
Dans le jeu on peut entendre cette influence de Steve Coleman mais pas dans votre écriture qui est très personnelle
MZ : Effectivement. J’écris ce que j’écris et j’ai mon propre background. J’ai mes propres idées sur la façon d’organiser ce que j’ai à dire en fonction des formules, des systèmes, des métriques….
Quelle est l’influence de Porto Rico dans votre écriture ?
MZ : Elle est partout. Il y a une partie de mon âme dans cette musique. Cela est très important depuis 4 ou 5 ans. J’ai passé du temps à étudier la culture musicale de Porto Rico, l’histoire de la musique, le folklore. Du coup cela est parfois le propos de ma musique, parfois moins mais elle est toujours là. Il y a toujours une sorte de ‘’Porto’ Rican attitude’’.
Dans Awake ce background musical est présent mais on sent que vous allez au-delà ?
MZ : Oui spécialement dans ce CD où mon propos n’était pas d’écrire autour du folklore ou de ma culture. Ce n’est pas le principal sujet de ce CD. Il y a beaucoup d’autres choses que je voulais mettre en avant et avant tout le son de groupe et la pulse.
Lorsque l’on vous entend, notamment en concert on entend dans votre jeu une progression harmonique et rythmique qui semblent très construits. Il y a plusieurs mouvements dans un même morceau. D’où tenez vous le goût pour ce type d’écriture ?
MZ : C’est quelque chose que j’ai beaucoup travaillé dans les cours de compositions et que je tiens aussi beaucoup de la musique classique. Mais aussi et surtout en écoutant des musiques du monde entier, d’Afrique ou d’Amérique du Sud ou encore la musique européenne. Cela m’a ouvert à une autre perception de la musique. Ce qui m’intéresse c’est de développer la forme d’une composition. Ecrire pour différente section qui sont à certains moments reliées par un motif. Dans mes morceaux il y a souvent des interludes par exemple, qui sont des moments de connection des différentes sections
Est-ce que « Awake » est une part de votre recherche musicale ou bien est une sorte d’accomplissement ?
MZ : « Awake » » a moins a voir avec mes recherches sur la musique Porto Ricaine que sur mon travail pour le groupe. C’est plus le point de départ d’une route que je voudrais suivre dans l’avenir. C’est une sorte de point que je fais avec moi-même, sur ce que je veux faire, sur ce que je veux réussir, en essayant d’être honnête avec moi même.
Est-ce une étape dans votre musique ?
MZ : Oui c’est quelque chose de très personnel. Il arrive à un moment très personnel de ma vie où je parviens à grandir. C’est une étape pour aller vers autre chose. Je ne sais pas si l’on peut dire que j’ai trouvé quelque chose mais plutôt que je sais dans quelle direction je veux aller. Avant cet album je me sentais, comment dire, un peu collé dans un format. Et depuis cet album c’est comme si je me libérais de quelque chose.
On a pu lire dans une autre interview qu’il y avait un fondement religieux dans cet album.
MZ : Absolument ! Tout simplement parce que je suis quelqu’un de très religieux.. Mais la religion inspire la musique que je fais d’une manière générale. Je ne veux pas trop développer cela mais il y a c’est ce côté spirituel qui anime ma musique. C’est quelque chose de très important dan ma vie et dans ma musique aussi. C’est difficile de parler d’aspects très spécifiques qui influenceraient ma musique. Ce qui est important c’est de partager quelque chose de très profond avec le public. Quelque chose d’essentiel. Quand je pense à ma musique et à ce qu’elle peut produire c’est surtout à la relation spirituelle qui compte. Une connection avec quelque chose de très élevé.
On a le sentiment en entendant votre musique qu’elle progresse toujours. Est-ce que vous-même avez le sentiment d’améliorer toujours votre jeu ?
MZ : Oui je suis toujours dans ce processus. Mais ce n’est pas quelque chose auquel je pense. Il y a une part de moi même qui est comme ça. Qui cherche toujours à s’améliorer. C’est juste ma nature. Et devenir toujours meilleur est mon seul but dans la vie.
Certains critiques parlant de votre musique parlaient d’une musique très introspective, que leur répondez vous ?
MZ : En fait le propre de la musique c’est que chacun la ressent différemment. Chacun peut s’en faire sa propre opinion. Ce que la musique reflète vraiment c’est uniquement « vous ». Mais je pense que notre musique peut être très abordable par le public ou alors pas du tout. Et quand j’écris je ne pense pas à l’impact immédiat sur le public. Pour moi c’est un process plus long.
Pouvez vous nous parler des membres de votre groupe ?
MZ : Luis (Perdomo) et Hans (Glawhischnig) sont des musiciens avec qui je joue depuis pas mal de temps. Notre collaboration remonte à l’époque où nous jouions dans le groupe de David Sanchez. Luis cela fait très longtemps que je le connais et nous sommes tous les deux très amis. Henry (Cole), le batteur a rejoint le groupe il y a trois ans environ. Il est aussi de Porto Rico. Entre nous tous, nous arrivons à fabriquer une véritable alchimie.
Pourquoi avez-vous choisi de jouer sur certains morceaux avec des cordes ?
MZ : En fait au départ j’ai fait ce morceau (Lanamilla) pour ma femme. Et en écrivant ce morceau j’entendais les cordes. Du coup j’ai réellement écrit ces parties pour cordes pour ce morceau précisément. Puis j’ai trouvé que cela pourrait aussi apporter une autre couleur. Mais en fait tout cela résulte d’un long process car j’ai dû écrire spécifiquement pour les cordes et apprendre à le faire. C’est quelque chose pour lequel il a fallu que j’étudie un peu en matière d’instrumentation. Le plus difficile c’est que cela doit coller avec le groupe et surtout avec le contexte musical. Brandford a fait un gros boulot avec nous, en studio. Il nous a rendu les choses très faciles. Mais je ne vois pas les cordes comme l’aspect le plus important de mon travail. Le plus important c’est le groupe. Et surtout la couleur d’ensemble.
Quelle est la raison pour laquelle vous avez choisi le label de Brandford Marsalis alors que l’on imagine de toutes les majors doivent vous faire des ponts d’or ? N’est ce pas risqué ?
MZ : La principale raison est le grand respect que je porte à Brandford. On a une relation très proche. Et il avait accepté de produire mes premiers albums. En fait lorsqu’il a créé son propre label il m’a approché pour me demander d’être le premier à inaugurer son catalogue. C’était un grand honneur pour moi. J’ai tellement de respect pour lui et pour son travail ! C’était un très grand compliment qu’il me faisait en me demandant de faire partie de ce projet. C’est la principale raison pour laquelle j’avais accepté. Il est donc normal que je reste sur son label.
Mais n’auriez vous pas eu une plus grande diffusion avec un autre label
MZ : Je ne sais pas. Si vous parlez de reconnaissance du public, c’est vrai c’est important. Mais ce n’est pas ce qui compte le plus pour moi. C’est vrai que c’est important d’être reconnu pour son travail, d’être appelé, de jouer pus. Mais ce qui compte avant tout pour moi c’est d’être heureux dans ce que je fais, être heureux avec moi-même. Je suis vraiment en paix avec moi-même aujourd’hui. Je fais les choses graduellement, pas à pas. Je travail de plus en plus. C’est bien pour moi. Je ne fais aucun complexe d’avoir une diffusion plus limitée.
Tout le monde est dithyrambique au sujet de votre album sauf Downbeat. Cela vous affecte t-il ?
MZ : En fait sincèrement, je ne lis pas les critiques et les commentaires sur mon travail. Je n’aime pas être influencé par ce que l’on pense de moi. Que ce soit positif ou négatif.
Hier soir le club était vraiment très chaud et les gens réagissaient à votre musique. Est-ce que cette atmosphère de club influence votre jeu ?
MZ : Oui je pense que cela a une influence sur le groupe en général. C’est une question d’énergie. Cela influe sur nous si les gens se sentent bien. Cette énergie circule. Mais pour moi je garde à l’esprit que de toutes façons, quelle que soit la réaction du public, je dois jouer de mon mieux. Il y a pour moi une sorte de quête très personnelle. J’essaie de faire abstraction du fait qu’il y ait peu de monde dans la salle ou au contraire qu’il y ait foule.
Transmettre est quelque chose qui semble important pour vous. Enseignez vous toujours ?
MZ : Oui la transmission est quelque chose de fondamental pour moi. Pas seulement enseigner mais transmettre la musique d’une manière générale. Pour moi ce n’est pas si important que les gens connaissent la musique. Ce qui importe c’est de créer un feeling avec cette musique. Ce qui importe c’est de créer ce sentiment de bonheur, de bien être, de joie. J’essaie de transmettre cela.
Avez-vous en tête votre futur projet ?
MZ : Oui, j’écris quelque chose pour la fondation Guggenheim qui sera très lié à Porto Rico autour de la Plena ( musique folklorique de Porto Rico). Ce sera très lié à l’influence de la musique africaine.
Miguel, sur votre site on voit que vous avez lu un livre que beaucoup de gens on lu, « The Road » de Cormack Mc Carthy ( Prix Pullitzer), belle source d’inspiration musicale non ?
MZ : Oui mais avec la musique on peut tout transformer. Pour moi c’est différent. Ce n’est pas parce que j’ai aimé quelque chose que je vais en faire de la musique. Mais c’est vrai que c’est un livre très profond.
Sur votre site o voit aussi que l’un de vos films préféré est « Paris je t’aime ». Est-ce vrai ?
MZ : définitivement oui.
Propos recueillis par Jean-Marc Gelin et Bruno Pfeiffer
Miguel Zenon sera à Paris dans le cadre du Paris Jazz festival au Parc Floral avec le San Francisco Jazz Collective.
Retrouvez par ailleurs l’extrait vidéo du concert de Miguel Zenon sur les DNJ
DNJ : on vous a vu dans un film « 24 mesures » et vous avez composé aussi une BO cette année. Votre relation avec le cinéma semble être très forte ?
AS : Au départ lorsque j’étais à l’Université je voulais devenir comédien. Mais quand j’ai commencé je me destinais surtout à la carrière d’avocat. Je voulais me donner les moyens de changer les choses. Plus tard, toujours à l’université j’ai rencontré Joseph Rosenberg, un écrivain qui était dans la mouvance de Tennessee Williams. Je prenais des cours d’écriture pour écrire des contes. J’ai alors écris une histoire et je lui ai lu. Il en avait été impressionné et m’avait demandé si je ne voulais pas devenir écrivain ou scénariste. Mais c’était quelque chose d’inenvisageable pour moi ! Comment aurais je pu imaginer qu’un noir puisse devenir écrivain ! Pour nous la culture se limitait à devenir danseur ou musicien. Mais Rosenberg m’a encouragé et j’ai commencé à écrire des pièces dont une pièce en trois actes : « Heaven ». Je crois que si je n’avais pas été musicien j’aurais pu effectivement devenir scénariste ou réalisateur.
DNJ : Que vous jouiez sur scène ou que vous apparaissiez à l’écran, il y a toujours la même émotion. Est ce quelque chose que voulez créer consciemment ?
Archie Shepp : Oui bien sûr, mais ce n’est pas spécialement influencé par les caméras. La caméra est pour moi comme un instrument de musique. Si la musique est bonne on l’écoute et si l’image est bonne on la regarde. Mais le plus important c’est d’oublier qu’il y a une caméra. C’est comme quand je joue, il ne s’agit pas de jouer un rôle mais d’être soi même.
DNJ : D’ailleurs en vous entendant je me dis que quand on parle de faire de la musique, ou du théâtre ou du cinéma, on dit toujours « jouer », « to play », comme si chaque fois on ramenait à de l’entertainement. Mais pourtant la musique, tout comme les autres formes de l’art, sont des choses très sérieuses. Et dans votre jeu il y a toujours quelque chose de très profond. C’est assez curieux, ce mot de « jouer »
AS : Oui mais les musiciens par exemple ils ne parlent pas de « jouer ». Ils parlent de «travailler ». C’est curieux effectivement d’utiliser ce mot que d’ailleurs on n’utilise pas pour les peintres. On ne dit pas « jouer de la peinture » par exemple. Cela veut aussi dire que le public perçoit avant tout la musique comme un divertissement. Alors on oublie que pour celui qui a créé, il y a derrière cela un vrai travail, du labeur et parfois de la souffrance. Pour le théâtre c’est pareil.
DNJ : Franck, tu disais en parlant de Archie, qu’il avait une façon particulière « de se placer par rapport à la caméra et de capter la lumière », qu’entendais tu par là ?
FC : Lorsque je l’ai rencontré pour la première fois, je ne connaissais pas vraiment sa musique. Dans le film que nous avons fait ensemble ( NDR : « Je suis jazz, c’est ma vie » ), il s’agissait au départ d’un travail sur Sun Ra. Je ne connaissais pas vraiment le parcours d’Archie à l’époque. La première fois que je l’ai vu il y a eu un vrai déclic. Il y a des gens qui ont un certain charisme. Quand ces êtres là se déplacent, on a l’impression que le monde se déplace avec eux. Quand Marlon Brando se déplace dans une pièce ou dans un rue, c’est la rue qui déplace avec lui. Pour moi Archie, c’était un peu ça et quand je l’ai vu arriver avec son chapeau, je l’ai vu comme un comédien. Je l’ai d’ailleurs toujours vu comme un comédien, au sens plein du terme. Il occupe l’espace. Les grands comédiens n’ont d’ailleurs pas besoin de metteur en scène, ils organisent l’espace. Quand je voie Archie je me dis que c’est en lui même un musicien acteur. Il n’y en pas beaucoup comme ça. Duke Ellington était comme ça aussi lorsqu’il était sur scène. Il y avait de la comédie. Et je me suis toujours dit que je ferai un jour un film avec Archie comme acteur.
DNJ : N’est ce pas cela le lien entre la musique et l’image : l’occupation de l’espace quoi vient du rythme ?
AS : Mon professeur lorsqu’il me parlait de Shakespeare et de la tragédie antique me rappelait que la scène est un espace pour un discours. Qu’il s’agisse de Musique, de Macbeth ou de Racine. Et lorsque je monte sur scène je sais qu’il y a toujours une expérience en place qui arrive. Une expérience aussi visuelle qu’auditive. La scène est un endroit où l’on fait quelque chose. Et c’est aussi important que la musique. Lorsque l’on regarde Madonna ou Prince, c’est un spectacle. La musique n’est plus quatre bonhommes rigides sur scène avec le public devant qui claque les mains. Le public en lui même fait partie de l’expérience aujourd’hui. L’expérience a changée. Lorsque j’ai joué récemment avec Chuck D et Public Ennemy, la musique était tellement forte que je ne pouvais plus m’entendre moi même. Heureusement j’ai l’habitude parce que j’avais joué avant avec eux. Mais c’est pour dire que le public transforme la musique en « happening ». La performance est aujourd’hui forcément audio+visuelle.
DNJ : Voulez vous dire que la musique a aujourd’hui moins d’importance que le spectacle en lui même ?
AS : Pas moins d’importance mais c’est devenu une partie essentielle du spectacle. Avant la musique était le spectacle à elle seule. Dexter, Johny Hodges….. Maintenant la musique est devenue seulement une partie de l’expérience. Il suffit de voir les musiciens aller en plein concert serrer des mains dans le public en plein milieu de la musique !
DNJ : Mais justement, lorsque l’on vous entend jouer ou lorsque vous apparaissez à l’écran, il y a cette capacité d’émotion brute. Il n’y a pas besoin de spectacle tout autour. Lorsque l’on vous entendre dire du Rimbaud dans un taxi, il n’y a pas de spectacle tout autour. Je ne sais pas si Prince, le spectacle en moins, peut véhiculer la même émotion ?
AS : Je crois que si. En tous cas il cherche. Lorsque nous étions jeunes, il y avait des mélodies, des Stardust, des belles ballades, le blues. C’était obligatoire pour un musicien de connaître ces formes et ces standards. Aujourd’hui c’est différent, la danse et la voix priment. A partir des années 80, le phénomène du rap et du breakdance a commencé. Il faut maintenant être jeune et presque athlétique pour faire de la scène. Il y a 25 ans je pouvais me contenter de dire simplement un passage d’une « Saison en Enfer » de Rimbaud dans un taxi pour émouvoir. C’était logique, plausible. Mais aujourd’hui les formes de communication ont changé. Maintenant même si je ne suis pas bien connu je peux essayer Myspace et je peux mettre ma musique sur Youtube. Avec le rap, l’importance de la musique et des musiciens a commencé à décliner. Ils deviennent de moins en moins importants. La voix et le rythme sont devenus prédominants. Et cela vient aussi du fait que depuis les années Reagan, l’accès à la musique est devenue très difficile financièrement pour les jeunes (américains). Du coup on a vu les jeunes noirs ou de Porto Rico utiliser ce qu’ils avaient, utiliser d’autres moyens comme simplement utiliser leur corps pour faire la rythmique (les beat boxers). Ces jeunes ont crée des choses incroyables avec le peu qu’ils avaient.
DNJ : cela veut il dire que cette évolution contraint les musiciens à s’adapter ?
AS : Bien sûr. D’abord parce que la mélodie n’a plus la même importance qu’avant. (Archie fredonne une petite mélodie). Il n’y a plus que les gens de 70 ans qui peuvent écouter ça. A la limite c’est de la pub pour la télé. Mais le style de la musique s’adapte. Il faut s’appeler Coltrane pour pouvoir exploiter une chanson avec un seul accord. Mais il y a toujours dans la musique afro-Américaine la trace de la musique des églises noires qui a toujours influencé la musique populaire. Écoutez ce que faisait le père de Aretha Franklin, comment il chantait le Gospel. C’est une musique très très riche qui swingue comme celle de Ellington ou de Basie. Ray Charles a commencé comme ça. Les Blind Boys. James Brown aussi.
DNJ : Et vous même ?
AS : Moi, avec ma grand-mère, Mama Rose qui m’a permis écouter cette musique là. Tous les mois nous allions à des battles of songs, des sorte de batailles de Gospel où l’on entendait pendant une seule journée des dizaines de groupes qui venaient chanter : Le Golden Gate Quartet, les Blindes Boys de Virgine.
Franck Cassenti : Archie, il y a une question que je me pose : Et si pour le peuple noir américain il n’y avait pas eu ma musique ?
(Un moment de silence)
AS : Oui mais ils avaient……. Heureusement
FC : Mais quand même, pour en revenir au cinéma, lorsque l’on regarde le grand cinéma américain qui moi m’a nourri énormément lorsque j’étais jeune, les Nicolas Ray, les Minnelli, on constate qu’il n’y a pas un seul noir. Imagine des martiens qui débarque sur la terre et qui va à la cinémathèque et qui regarde un film de Minnelli. Pour lui le monde de l’époque était un monde blanc. Du coup, Archie, lorsque tu regardais ces films là , quel effet cela faisait de voir que le noir n’existait pas ?
AS : c’est pareil si j’étais un martien et que l’on me parle de Archie Shepp. Je me dirai que ce musicien là n’a pas existé. Donc en fait c’est mon habitude, pour moi ou pour mon peuple c’est d’être invisible. Récemment avec Monette on a revu aux États Unis, « Autant en emporte le vent ». La première fois je n’ai pas pu le regarder longtemps, je trouvais ça trop raciste et stéreotypique. Et l’actrice a été la première femme noire à gagner un oscar, pour ce film justement. Mais cela ne m’impressionne pas parce que les seuls rôles que les Noires pouvaient jouer étaient des rôles de bonnes ou de nurses. C’est comme lorsque mon professeur m’a demandé un jour si je voulais devenir écrivain, j’en étais presque choqué parce que c’était inimaginable. Quand Billie Holiday a joué au cinéma c’était uniquement pour un rôle de bonne. Elle a dit ensuite que c’était la dernière fois qu’elle faisait du cinéma parce que l’on n’imaginait pas lui confier un autre type de rôle.
Monette Berthomier : Oui mais en même temps cela correspondait à leur réalité dans la société
AS : Oui mais ce n’est pas parce que c’est la réalité qu’il faut représenter cette réalité là. On peut montrer un film sur les juifs à Auschwitz réduits à l’état d’esclavage. Est ce que cela veut dire que c’est la réalité des juifs. On ne peut pas que représenter la réalité comme elle est, en donnant le sentiment de la justifier.
DNJ : Mais il s’agit bien de représentation. Prenons la place des noirs dans le cinéma français aujourd’hui. Elle est totalement inexistante. Pourtant leur place réelle n’est pas celle là. Est ce que la future conquête des noirs n’est alors pas celle de l’image ?
AS : Entre autre et au milieu de beaucoup d’autres expériences. En Europe il est possible de trouver des films africains fait en Afrique. Aux États Unis c’est impossible. Les cinéastes africains sont totalement inconnus aux États Unis.
FC : La censure existe bel et bien sur ce sujet en France. Je me souviens avoir proposé un film sur un bateau avec un équipage russe qui avait à l’époque trouvé des clandestins noirs et les avait jetés à la mer ; Il en est resté un seul rescapé. J’ai écris son histoire. Mais les responsables de la télé m’ont dit : « Franck tu ne penses tout de même pas que l’on va intéresser les gens avec cette histoire ? ». En France on n’est pas encore arrivé au moment où l‘on va faire un film en prime time avec un héros qui est un noir C’est une réalité
AS : Aux Etats-Unis c’est une réalité pourtant. Mais elle est rare.
DNJ : Pourtant les États-unis sont peut être sur le point d’avoir un Président Noir ?
AS : Oui peut être ! J’ai beaucoup de respect pour Barak. Mais est ce que les américains blancs sont prêts pour avoir un président noir ? Pour le moment Barak Obama ne fait pas mal lorsqu’il s’agit de s’opposer à Hillary Clinton. C’est une femme blanche. Dans un sens ce sont tous les deux des minorités. Mais comment Barak va t-il faire devant Mc Cain. Et comment va t-il résoudre le Kosovo, le conflit israélo-arabe etc….
DNJ : Puisque l’on parlait de la représentation des noirs au cinéma, j’ai deux questions à vous poser. D’abord pensez vous que l’on peut filmer le jazz ? Et que pensez vous des films qui ont été fait sur le jazz comme « Bird » de Clint Eastwood ou Autour de inuit de Bertrand Tavernier etc… Ne véhiculent ils pas certains clichés ?
AS : Si tu prends « Bird », le film était bien fait. En plus Forrest Whitaker joue très bien. Mais dans le film, Parker est surtout entouré de blancs et l’on se demande « mais où a-t-il bien pu apprendre le blues ? ». En voyant le film on se dit que cela devait être avec Red Rodney !! De même en voyant le film on a rien sur sa mama. Pourtant la mère de Parker était très importante pour lui. Souvent quand Bird sortait d’un concert il appelait sa mère pour lui dire : « mama j’ai bien joué ce soir ! ». C’était sa mère qui est allée lui acheter son premier instrument. Et de cela il n’en est absolument pas parlé dans le film. Parker arrive là comme s’il avait toujours su jouer.
C’est pour cela que je n’utilise pas le mot « jazz ». On ne peut pas faire un film sur cette musique si l’on ne tient pas compte de sa culture, de cette communauté qui a créé cette musique. Il faut parler de la danse, de la religion. Cette musique est une expérience entière. Si l’on veut parler de la vie de Parker il faut que toutes ces choses soient représentés. C’est pourquoi un film comme Bird est plus le film d’une vedette que celui d’un homme.
FC : Lorsque ce film est sorti je faisais un film sur Dizzy. Il me disait qu’il n‘était pas allé voir le film et j’ai compris qu’en fait il n’aurait pu se retrouver dans un film comme ça. Moi je trouve, sur le plan du cinéma que c’était un bon film et l’on sent beaucoup de respect de la part de Clint Eastwood pour cette musique. Il aime les musiciens. Mais il ne faut pas oublier qu’il fait ce film dans le système hollywoodien. Mais dans le système américain, faire un film sur le jazz est déjà incroyable. Moi le premier film que j’ai vu, où l’on sent un peu la musique c’est un film de Preminger avec la musique de Duke (NDR : « Autopsie d’un Meurtre »). Il n’y a que Cassavetes ou Preminger qui ont commencé à sentir cela. Mais en tous cas je trouve ça bien que quelqu’un ait fait un film sur Bird
AS : Tu as vu le rôle de Dizzy dans le film ? Il est presque nul. Et j’ai aussi l’impression que Miles n’a pas voulu parler avec Clint parce qu’il en est totalement absent.
DNJ : Pensez vous que l’on peut filmer le jazz ?
FC : C’est ce que disait Archie, tout dépend du point de vue que l’on a. De l’angle que l’on prend. Ce qui m’a toujours passionné chez Shepp c’est d’abord qu’il incarne quelque chose qui dans l’histoire du jazz est assez unique. Quand j’entend Archie j’entend le passé, j’entend le présent et aussi le futur de cette musique. Mais aussi parce que Archie représente le croisement de l’esthétique et du politique.
AS : Tout dépend ce que l’on veut dire par le mot jazz, si l’on veut faire un film à son sujet. Si je veux faire un film sur le jazz, alors je commence dans un bateau avec des esclaves qui chantent une plainte. Cela commencerait alors avec la sueur, la souffrance, cela commencerait dans les églises, tout ça c’est jazz. Moi je suis jazz, c’est ma vie. C’est une vie qui vient de l’esclavage il y a quatre siècles avec les tambours, les banjos, les percussions de Martinique. On peut faire un film sur le jazz si l’on est honnête et si l’on admet qu’il ne s’agit pas seulement de la musique d’une époque
FC : Je me rappelle lorsque je faisais ce film avec Max Roach, il me disait « si tu fais un film sur un batteur de jazz, film son pied ». Le pied c’est la relation au tempo et aussi au pied qui portait les chaînes.
AS : C’est une expérience organique. On ne peut pas diviser et dire que cela c’est du Gospel, cela c’est du Blues, cela c’est du jazz. C’est une expérience totale.
DNJ (à Archie) : Auriez vous aimé être réalisateur de cinéma ou scénariste
Archie : Bien sûr, en fait c’était le rêve de ma vie ! Et encore aujourd’hui. Mais ce n’est pas évident et c’est largement une question de finances. Il faut beaucoup de moyens pour devenir réalisateur ou cinéaste. Il y a malheureusement quelques domaines artistiques qui ne sont pas accessible sans argent. Le cinéma en est un.
DNJ : Vous avez récemment joué dans le film « 24 Mesures » (De Jalil Lespert) , qu’est ce qui vous a poussé à accepter ?
AS : C’est Jalil qui a réussi à me convaincre. Et puis j’ai beaucoup aimé le petit monologue que j’ai trouvé particulièrement bien écrit. C’était aussi une chance pour moi de participer à une petite comédie. Il avait aussi choisi des thèmes que j’avais déjà enregistrés donc l’intérêt n’était pas dans la création de la musique. Mais j’ai apprécié ce rôle d’acteur, notamment avec le jeune Sami (Bouajila). Notre dialogue était très intéressant. En plus en discutant avec Jalil, il m’a laissé aussi beaucoup de liberté sur les dialogues pour proposer une autre version. Dans un autre contexte j’avais pu avec Franck être acteur au théâtre dans Black Ballad.
FC : oui, et tu as joué aussi dans Novencento avec Jean-François Balmer. Tu sais, Hitchcock disait que pour un acteur le plus difficile était de ne rien faire. Il y a beaucoup d’acteurs qui ne peuvent pas ne rien faire. Archie au contraire il se met devant la caméra et c’est toujours génial. C’est une question de charisme, de présence. De vibrations. C’est comme les comédiens qui sont très beaux et lorsque tu les filmes il ne se passe plus rien. L’une des plus belles scènes que nous ayons fait c’était avec Archie en Afrique où il est devant un baobab et petit à petit il y a tout le village qui arrive et Archie est alors intégré à cette communauté. Il est tout au fond de l’image et pourtant on ne voit que lui.
DNJ : Quel est votre panthéon des cinéastes préféré ?
AS : J’aime beaucoup Billy Wilder. Les films qu’il a fait sont simples mais touchent beaucoup. Il a une manière de traiter les choses quotidiennes qui est très bien vue. Aussi il y a Elia Kazan. Aussi Spike Lee. Bien sur Cassavetes !
FC : Quel dommage ! C’est sûr que si tu l’avais connu il faisait un film sur toi.
AS : Oui, Cassavetes était effectivement très engagé
FC : Mais aussi parce qu’il avait cette façon de filmer que d’une certaine manière l’ion retrouve dans la musique afro-américaine. Il laissait beaucoup tourner et alors tout pouvait arriver
AS : Il n’a pas seulement filmé la réalité, il créait sa réalité propre. C’est important pour un artiste.
FC : Il utilisait le plan séquence. C'est-à-dire en fait la possibilité d’improviser. Et c’est quelque chose que l’on retrouve dans le jazz : tout peut surgir. Quelque chose de tout à fait nouveau.
AS : Aussi, il y a un autre réalisateur, c’est Gordon Parks. Il est noir. Il a fait l’un des plus beaux films que j’ai vu : « The learning tree » (1968)
Propos recueillis par Jean-Marc Gelin
EGEA -1990 / Réed. 2008
Bien sûr lorsque l’on évoque Pieranunzi, c’est Bill Evans auquel on songe. Il y a pourtant dans cette réédition historique que nous propose le label Egea, bien d’autres choses. La réinvention de la modalité dans les traces de Bill Evans amène Pieranunzi dans cet exercice solo capé en studio en 1990 en France à s’approprier une grande part de l’histoire du piano jazz. Du côté des influences et mis à part le maître du jazz modal, on entend des références à Bud Powell ou Art Tatum (What is this thing called love ou Fascinating Rythm). Mais avec Pieranunzi ici dans une forme éblouissante, grand maître du piano solo bien avant Keith Jarrett, on peut s’attendre à tout. Passer dans un même morceau du lyrisme romantique, à la fugue ou au ragtime avec toujours ce sens du balancement, du swing et du contretemps rythmique. Il y a chez lui le sens inouï de l’improvisation, de la digression, l’évadée belle avant le retour au thème, le swing de la main gauche et la liberté baladeuse de la droite, l’invention et même l’inventivité, le sens de l’émotion et celui de l’intensité jubilatoire.
Si Pieranunzi s’affirme comme l’un des maîtres du jazz modal, il n’en perd jamais pour autant le sens mélodique, notamment au travers de ses superbes compositions dans lesquelles parfois on entend ce que deviendra plus tard un Giovanni Mirabassi. Mais c’est moins sur le terrain de ses propres thèmes qu’il convainc que dans cette façon de s’emparer de grands standards et d’en livrer une lecture à nulle autre pareille, totalement réinventée comme cette version de My Funny Valentine où le thème se laisse juste deviner par petites touches subtiles et où tout est affaire d’harmonies ici incroyablement révélées sous un jour nouveau. Jean-Marc Gelin
Seventh 2008
Entre le 10 mai et le 10 juin 2005, le Triton, le club des Lilas dirigé par Jean-Pierre Vivante avait pris cette formidable initiative de demander à Magma de venir tout un mois durant faire une sorte de rétrospective en 4 volets ou plutôt 4 « epok » prétexte chacune à un DVD dont 3 ont déjà paru. Il s’agit donc ici du 4ème et dernier volet qui retrace une période venue, comme le dit Vander, « mettre un terme aux grandes fresques des années 70 ».
Comme toujours, inlassablement, infatigablement, Christian Vander y est le gardien du temple, grand gourou perpétuateur de la légende, maître du feu chargé de maintenir ce magma éruptif en fusion dans un volcan qui jamais ne s’éteint. A tel point que le génial chanteur- batteur porte à bout de bras (qu’il a fort musclés au demeurant) cette mécanique bien huilée à vous coller des transes sur des tourneries épuisantes, éreintantes dont on sort ( après près de deux heures) totalement lessivés. A l’époque des trucs hyper formatés, Magma 35 ans après donne les mêmes leçons d’énergie que c’est pas possible que vous restiez les fesses vissés sur le tabouret en écoutant ça. Inventeur d’un langage qui jette des ponts entre le Jazz rock et Coltrane, Magma reste paradoxalement d’une brûlantissime actualité à l’heure où certains pourraient penser à tort que l’engagement ne serait plus cette composante nécessaire du jazz et du rock.
Il faut attendre le deuxième set pour pouvoir entendre Vander délaisser le micro et se poser derrière la batterie, toujours avec la même incandescence généreuse abordant un thème comme Ka I-ka II – ka III de près de 50 mn sans jamais mollir un seul instant. Magma mythique et toujours légendaire. Magma insurclassable !
Et pour cette rétrospective il faut rendre hommage au travail du Triton et au travail de co-production de Seventh record. Il faut une réelle science du cadrage, de la lumière et des plans nerveux mais jamais chaotiques pour maintenir à l‘écran cette énergie qui ne tombe jamais dans le plan saccadé ou stroboscopique. C’est super intelligemment réalisé, sans plans bidons et toujours au plus près de la musique. On a le sentiment alors de rentrer au plus près de ce temple à l’ésotérisme post Coltranien à l’heure de la grand messe sacrificielle.
Le moins que l’on puisse dire c’est que Magma c’est sûr, était ce soir là au rendez vous de sa propre légende. Inusable !Jean-Marc Gelin
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