On le sait bien, depuis le début le jazz a toujours été affaire de syncrétisme et de métissage.
Le saxophoniste Alexis Avakian pour son 3ème album ne cesse de naviguer entre deux de ses racines profondément ancrées dans sa personnalité musicale : le jazz d'une part et sa culture arménienne d'autre part.
Pourquoi choisir ?
Alexis Avakian s'y refuse préférant jeter des ponts entre les deux, mélanger les sons, les instruments et les fusionner. Il y a certes de l'affirmation culturelle et identitaire dans cet album. Mais le résultat c'est surtout une musique qui porte en elle quelque chose de plus. Comme une grande leçon de fraternité que la musique parvient à créer ici-bas dans son immédiateté (c'est maintenant) et son intemporalité ( c’et toujours).
A partir de là, Alexis Avakian outre ses talents de tenor coltranien, sa puissance mais aussi sa très grande sensibilité mélodique, se révèle un compositeur délicat. Il écrit l’âme.
Et c’est certainement parce que sa musique s’écoute comme de doux poèmes que ses camarades de jeu sont à l’unisson des sentiments exprimés.
Miasin veut dire ensemble.
C’est bien de cela dont il s’agit, d’une musique qui réunit. Ceux qui la font et ceux qui la vivent.
Jean-Marc Gelin
Alexis Avakian sera au Studio de l’Ermitage à Paris le 30 janvier 2019
Le 1er février au Crescent à Mâcon
le 19 mars au Sunset à Paris
Whirlwind 2019
Ingrid Jensen (tp), Steve Treseler (ts, cl, clb) , Geffrey Keezer (p), Martin Wind (b), Jon Wikan (dms), Katie Jacobson (vc), Christine Jensen (ss)
L’an passé nous nous étions esbaudis devant l’album que le trompettiste Dave Douglas et le saxophoniste Joe Lovano avaient consacré à Wayne Shorter.
Cette fois, ce sont deux grands musiciens qui rendent hommage à un autre immense compositeur, Kenny Wheeler.
Les deux musiciens ont eu l’occasion de collaborer plusieurs fois avec Kenny Wheeler et alors que la communauté du jazz était sous le choc de sa disparition, c’est un an après sa mort ( en 2015) qu’ils ont enregistré l’essentiel de ce sublime hommage.
Si l’album en lui même est une grande réussite cela tient à, plusieurs ingrédients.
Tout d’abord les compositions de Wheeler qui apparaissent ici dans un registre plus classique et presque Shorterien. Moins dans ce que nous avons l’habitude d’entendre mais dans une véritable relecture qui rend à Kenny Wheeler sa place dans les plus grands compositeurs de cette musique.
Mais le charme de cet album tient aussi à ce supplément d’âme que les deux maîtres d’oeuvre parviennent à lui insuffler en restant fidèles à leur propre personnalité jazzistique.
Et tout d’abord il y a là, la révélation d’une trompettiste absolument exceptionnelle que, pour dire le vrai , nous ne connaissions pas beaucoup si ce n’est par ses apparitions toujours flamboyantes dans l’orchestre de Maria Schneider. Totalement inspirée elle apporte à cet hommage autant de brillance que de profondeur, portant les compositions de Kenny Wheeler à de véritables sommets.
A 53 ans, elle apparaît comme une très grande de l’instrument, en totale maîtrise mais aussi en passion.
Son entente avec le saxophoniste de Seattle, Steve Treseler est fusionnelle. Les deux musiciens se connaissent parfaitement et l’on ne compte plus les collaborations qui les unissent. Le saxophoniste , élève de Jerry Bergonzi mais aussi de Bob Brookmeyer ( la référence de Maria Schneider) est lui aussi une véritable révélation. Saxophoniste soulful s’il en est Steve Treseler a des sonorités qui évoquent Michael Brecker
C’est dans un jeu de questions réponses que les deux musiciens fusionnent, échangent , dialoguent, contre-chantent pour faire de cet hommage une petite merveille.
Un disque rare à découvrir de toute urgence.
Il faudra suivre avec attention les possibles apparitions de cette formation sur la scène européenne. A ne manquer sous aucun prétexte.
Jean-Marc Gelin
Né à Bourges en 1987, Géraud est le petit dernier d’une fratrie de trois frères dont les deux premiers étaient musiciens, l’un batteur (futur avocat), l’autre pianiste (devenu chanteur lyrique d’opéra). Voyant Géraud intéressé, le premier lui mit une basse électrique entre les mains vers l’âge de 7 ans et tous deux l’initièrent à la musique des Beatles et autres Deep Purple, Led Zepelin, Doors … et bien d’autres musiques.
Les préférences de Géraud allaient plutôt vers la batterie et les percussions, mais son frère ainé lui fit comprendre que la basse était plus intéressante, en particulier dans le métier, où l’on manquait souvent d’un bassiste.
Sa première découverte du jazz : à son collège, à son entrée en 6ème, le professeur de musique avait créé un Big Band avec d’autres professeurs et élèves, et écrivait tous les arrangements (en particulier les lignes de basse), sur de courtes pièces (d’environ 3 mn) de Gleen Miller, Count Basie …. L’essai qu’il lui proposa fut concluant ! C’est là qu’il se liera d’amitié avec le pianiste qui sera l’inséparable compagnon de ses futures aventures musicales : Étienne Déconfin*.
Une révélation pour l’adolescent qu’il est devenu : la musique de Miles Davis et John Coltrane (surtout l’époque du quintet et du sextet, de ‘Kind of Blue’), pour laquelle son second frère se passionnât ! Il découvre à cette occasion la beauté de la contrebasse et supplie ses parents de lui en payer une. Par prudence on commencera par lui en louer une et l’inscrire au conservatoire de Bourges (et à son Big Band). Sa fréquentation assez peu assidue du lieu lui permettra cependant d’y suivre une certaine initiation théorique et de découvrir beaucoup de musiciens et de professeurs.
De fait, après son bac (passé machinalement), Géraud ne glanera aucun diplôme ou titre musical particulier pendant sa période formatrice, ne fréquentera jamais la Berklee School de Boston ou quelque autre école prestigieuse de musique, le seul titre qu’il ait gagné étant celui d’exploitant forestier, lors d’un épisode Lozérien, sur la terre de ses ancêtres, en 2013, où il répondit à l’appel de la nature, (parenthèse ouverte après son dernier long séjour à New-York et entre les enregistrements de ses deux premiers albums)
Dernières Nouvelles du Jazz (DNJ) : Peux-tu nous parler de ton expérience américaine ?
Géraud Portal (G.P.) :
New-York : j’y ai passé deux ans en six ou sept séjours.
Pour le premier, j’y étais invité par David S. Ware, sax ténor free décédé il y a quelques années, (protégé de Sonny Rollins, à l’époque des disques au Vanguard), venu donner à Bourges un concert et une master class de 3 ou 4 jours, organisés par le conservatoire. Mon prof. de jazz m’y avait inscrit (j’avais 14 ou 15 ans), et David, constatant ma motivation pour la liberté de la musique qu’il professait, m’avait invité à venir étudier avec lui pendant l’été à Big Apple. Mes parents m’ont payé le billet d’avion et je suis resté un mois et demi avec David, qui m’a fait connaître William Parker, (un disciple de Garrisson) … premières connexions, avec des musiciens témoins de l’époque des Lofts New-Yorkais (Rachid Ali, Cecil Taylor, Cooper Moore … toute cette génération de musiciens d’avant-garde qui idolâtraient Coltrane, Archie Shepp, Albert Ayler).
En 2012, je partageais mon temps entre le Berry et Paris, où je jouais avec Gaël Horellou, que j’avais connu, étant lycéen, avec François Gallix, (autre membre du collectif Mû), à un stage de jazz organisé par le Crescent de Mâcon. C’est lui qui m’a mis en contact avec Ari Hoenig qui cherchait un contrebassiste pour l’accompagner lors de ses apparitions européennes. Il m’a d’abord proposé quelques dates dans des clubs new-yorkais pour rôder le répertoire, et c’est au cours de ce nouveau séjour que j’ai fait la connaissance du contrebassiste Bill Lee (le père de Spike), et de trois jeunes musiciens qu’il hébergeait dans le quartier de Fort Greene : Arnold Lee, Ben Solomon et Kush Abadey, (tous trois membres, par ailleurs, du groupe de Wallace Roney).
Quand je suis revenu à l’automne pour travailler avec eux, Étienne* est venu nous rejoindre. J’étais à l’époque en pleine période Coltranienne (celle d’A Love Supreme), et c’est à ce moment-là que j’ai écrit plusieurs titres et que tout s’est mis en place pour permettre l’enregistrement en quintet de mon premier album, « Fort Greene Story » (Studio Systems Two -Brooklyn- en janvier 2013).
Avant même que la tournée française de promotion ne débute, Etienne et moi nous sommes remis à l’écriture pour un second album, « Brothers », (qui sera enregistré en décembre 2013 avec Kush Abadey à la batterie et Ben Solomon -sax ténor- en invité spécial au studio Peter Karl –Brooklyn-).
DNJ : Quelle a été ta principale influence musicale ?
GP : Entre 13 et 20 ans, je n’ai pratiquement écouté que la musique du quartet de Coltrane, surtout la période Impulse, (Crescent, A Love Supreme, tous les Live … ).
Une curiosité pour ce quartet, l’édition récente (2018) d’un inédit (Both directions At Once, The Lost Album -Impulse-), qui n’est pas un vrai album, mais l’édition de prises de travail de studio.
Il faut se souvenir que Trane n’avait pas autorisé la sortie de « Transition » de son vivant, ne jugeant pas l’album d’un niveau suffisant ! (Je laisse réfléchir sur le niveau d’exigence du Monsieur).
Après, ce fut l’intérêt pour le quintet, avec Alice Coltrane et Rachid Ali, contemporain de la période où j’ai travaillé avec David S. Ware.
DNJ : Mais encore ?
GP : En fait, celui qui m’a fait véritablement découvrir le jazz dans son entièreté, c’est Barloyd**, dont la discothèque est une mine de découvertes ! Tu arrives chez lui : tu ne connais pas ça ? Ni ça ?? Assieds-toi, je te fais écouter ! Des nuits blanches sur le canapé, à écouter des disques, des vinyls … Quel complément à mon intérêt premier pour Coltrane et l’avant-garde américaine, pour Mingus, Roland Kirk et Eric Dolphy !
Et par là, je me suis recentré sur des bases Bop, et adore jouer avec des partenaires comme lui ou Luigi Grasso, avec qui j’apprends tous les jours. En fait, ce qui est fascinant dans le Bop, c’est toute l’architecture de la musique qu’il véhicule ; c’est comme dans la musique de Bach, et il n’y a pas une si grande différence entre la musique de Parker et celle de Bach. Dans les deux cas, tu as l’impression d’être devant une cathédrale ; la seule différence, avec Bird ou avec Ornette, c’est que tu as en plus le cri des noirs américains, le cri du Blues.
Avec Barloyd, donc, la découverte de l’Histoire du Jazz et de ses monuments (le plus grand musicien de jazz n’est pas un homme : c’est Mary Lou Williams, -voir son évolution des Twelve Clouds of Joy d’Andy Kirk au concert de Carnegie Hall 77 avec Cecil Taylor- … etc) : le jazz est un univers entier, tu y entres par une porte, et tu y navigues en fonction de tes affinités.
Cela dit j’aime beaucoup la musique classique et contemporaine, les chants grégoriens (intérêt que je partage avec Luigi) et la musique du Moyen Age, souvent une musique de prière. Il y a de toutes façons une musique pour tous les moments de la vie, une musique pour danser, une pour prier, une pour méditer … d’ailleurs David S. Ware pratiquait la méditation transcendantale, s’intéressait beaucoup à l’Indouisme et au Bouddhisme, récitait des mantra le matin dans sa salle de musique….
Le grand rêve de Trane, vers la fin, était de monter une fondation pour les jeunes musiciens, dont le titre serait ‘Musique et Méditation’. C’était l’aventure spirituelle centrée sur l’Inde et le Japon, après le rêve africain fantasmé et avorté de nombre de musiciens africain-américains.
Alice Coltrane (disparue en 2007) avait poursuivi sur cette voie et créé un ashram en Californie (qui a brulé récemment).
DNJ : Un rêve secret ?
GP : Jouer dans le quartet de Trane à la place de Garrisson, avec Elvin et McCoy !
DNJ : Une réflexion particulière sur l’évolution du monde de la musique ?
GP : les labels ont compris que pour exister, un musicien a besoin à un ou des moments donnés de créer un, deux ou trois albums, pour marquer sa progression, avoir un coup de projecteur particulier, passer dans une ou des émissions de radio, travailler avec la presse. Ce n’était pas forcément la même chose auparavant, et si tu demandes par exemple à Alain Jean-Marie combien il a enregistré de disques, il ne saurait peut-être pas te le dire : à l’époque, et c’était le truc, les gens venait lui demander d’enregistrer et il y allait.
A l’heure actuelle, le musicien est beaucoup plus impliqué dans la démarche, et ne pense plus qu’à ça pendant les six ou huit mois qui précèdent la production de son projet ; c’est son bébé, qui va jalonner son parcours : c’est une pierre de plus dans l’édifice qu’il construit. Le but du jeu est de progresser, et, à un moment donné, de faire une belle photographie de ce qu’il fait, et aussi , pour l’occasion, d’inviter, de rencontrer un ou des musiciens étrangers que l’on entendrait sinon pas. A l’arrivée, c’est plus une satisfaction de musicien que de businessman, car il se vend beaucoup moins d’albums qu’auparavant.
Après il y a une question de catégorie d’instruments : quand tu es batteur ou bassiste, tu n’as pas trop de problème pour travailler si tu as un niveau suffisant, (tu peux même choisir tes engagements). C’est complètement différent pour les soufflants, par exemple, (trompettistes, saxophonistes), qui passent leur vie à travailler leur instrument et à peu ou moins jouer.
DNJ : Quelques réflexions particulières sur ton troisième album (Let My Children Hear Mingus), sorti en 2018 ?
GP : Pour ce projet, j’ai fait des relevés sur les disques de Mingus, mais j’ai confié toutes les orchestrations à César Poirier, qui sait le faire, et vite, et qui en a beaucoup plus la compétence que moi …
Sinon, cela a été l’occasion de recréer un son, un propos commun faisant référence à ce qui avait été élaboré dans le workshop de Mingus, au gré des alliances d’identités stylistiques différentes qui en avaient fait la richesse.
Le fait d’être entouré de musiciens venant d’horizons divers, Luigi Grasso érudit du bebop, Kush Abadey qui à l’histoire de la batterie afro-américaine avec lui (fils et petit-fils de batteur de jazz), Vahagn Hayrapetyan pianiste Arménien, mentor de Tigran Hamasyan, m’a permis de donner un visage nouveau à l’interprétation de la musique de Mingus.
Le maitre mot est : Freedom !
DNJ : Depuis la rentrée de septembre, tu fais partie d’un sextet-septet en résidence au Duc des Lombards à Paris ; comment est né ce projet ? En as-tu d’autres sous le coude ??
GP : Ce projet est né en collaboration avec Sébastien Vidal
L’idée est d’avoir un orchestre maison et de jouer 2 soirs par mois la musique de nos héros !
Nous avons commencé avec Cannonball, Woody Shaw…affaire à suivre !!!
Voilà que Michel LEGRAND a rejoint son copain Jacques DEMY au paradis des musiciens et cinéastes, des amoureux de comédies musicales, des compositeurs de musiques de film.
Les hommages fleurissent et chacun de se souvenir de cette époque, selon son âge et ses goûts musicaux: variétés, pop, jazz...
Une autre façon de penser à ma mère qui écoutait à la radio, sur France Inter, ses duos avec Caterina Valente, Nana Mouskouri, qui me fit écouter Nougaro interprétant "Le cinéma" sur le 45 tours ”Sur l' écran noir de mes nuits blanches"... Je la revois encore, enthousiaste, reprenant la mélodie de “Quand on s’aime” de 1965 qui swinguait terrible… Et moi aussi, j’aimais ça…
Plus tard, passionnée de ciné, je suis tombée sous le charme de ses orchestrations, de certaines mélodies qui collaient parfaitement aux films comme celle d' Un été 42 du trop méconnu Robert MULLIGAN (1976) : une musique romanesque, plus poignante que celle de "The windmills of your mind", dans L’Affaire Thomas Crown (1968) de Norman Jewison. De toute façon il eut un oscar pour chacun de ces thèmes.
Il y eut aussi Peau d’âne que j’eus la chance de voir à sa sortie en 1970 et qui me ravit, c’était quand même mieux que DISNEY. Cette histoire où “on ne mariait pas les filles avec leur papa” avait la texture, la saveur d’un conte de fées moderne et français : un Chambord de rêve, la beauté des costumes, des robes "couleur de temps" de Catherine Deneuve, le charme des acteurs, de la féminine fée lilas Delphine Seyrig à Jacques Perrin si juvénile. Je comprenais mal les chansons mièvres comme "Rêves secrets d'un prince et d'une princesse"…. “nous nous gaverons de pâtisseries...mais qu’allons nous faire de tous ces plaisirs? Il y en a tant sur terre...nous ferons ce qui est interdit”. Un fameux credo, ceci dit, pas du tout politiquement correct...
Et le jazz dans tout ça? Pour moi, demeure ce classique We must Believe in spring que les plus grands jazzmen ont repris mais que la version de Bill Evans transcende peut être; ce titre vaudrait à lui seul d'écouter du Michel Legrand, qui imprime à toutes ses compositions, véritables "chansons", sa marque. Absolument inimitable dans son extravagance.
Et puis, en conclusion, je souhaitais vous faire partager la pépite, dénichée sur l’INA d’un amateur de jazz, l'expert Gérard Ponthieu qui tient un blog curieux, éclectique et inspiré.
Une belle façon de rendre hommage aux musiciens de jazz, aux pianistes…et à cette musique!
« Le jazz je l’aime avec ma raison, mon cerveau, ma technique mais je l’aime aussi physiquement », confiait Michel Legrand disparu le 26 janvier à 86 ans. Si le concert de Dizzy Gillespie en 1948 à Pleyel fut pour lui « un électrochoc », une révélation du jazz, c’est avec Miles Davis que le protéiforme et oscarisé Michel, compositeur aux 1600 musiques de films, vécut l’aventure musicale la plus forte.
L’élève de Nadia Boulanger va rencontrer Miles en 1957 à Paris au club Saint Germain. Ils échangent quelques mots. L’année suivante sera déterminante pour leur coopération. Philips et Columbia décident de financer l’album de son choix pour remercier Michel du succès énorme aux Etats-Unis de son disque I Love Paris où le musicien avait arrangé sur le thème de la ville-lumière quelques-uns des grandes chansons comme Les Feuilles Mortes, Sous les ponts de Paris, Paris, je t’aime. Le choix de Michel est vite fait : un album de jazz haut de gamme. La preuve : avec l’aide de Boris Vian, il retient quelques titres majeurs (Round Midnight, Django, Nuages, Night in Tunisia) et surtout sélectionne ses interprètes, Miles Davis, John Coltrane, Ben Webster, Phil Woods, Herbie Mann, Hank Jones, Bill Evans…Rendez-vous est pris pour l’enregistrement en studio à New-York le 25 juin 1958. Reste à convaincre Miles. Des gens du métier lui font part de leurs craintes : Miles viendra écouter ta musique en catimini et si cela ne lui plaît pas, tu n’entendras jamais plus parler de lui. Sombre prédiction qui ne se réalisera pas. « A la fin de la première prise de Django, Miles lui adresse « un large sourire » et dit « tu es content de moi ? j’ai joué comme tu voulais » (in J’ai le regret de vous dire oui. Michel Legrand avec Stéphane Lerouge. Ed. Fayard 2018). A partir de là, « notre séance de quatre heures se révèle rapide, fluide, sans accroc ». L’album gravé intitulé simplement « Legrand Jazz » recueillera un large succès et pas seulement chez les amateurs de la note bleue. « Je dois infiniment à cet album, il m’a offert une crédibilité, une crédibilité comme homme de jazz ».
Suivront des albums avec Sarah Vaughan-qui donnera un sublime The summer knows, version vocale du film Un été 42- Stan Getz (Communications 72, album symphonique avec une pochette ornée d’une peinture de Raymond Moretti) ou encore Stéphane Grappelli pour un disque (sorti en 1992) construit sur des chansons françaises éternelles (Mon légionnaire, Mon homme, C’est si bon) .
Avec Miles, les contacts s’espacent, chacun menant sa carrière. Jusqu’en 1990 où Michel est contacté par un cinéaste australien Rolf de Heer qui prépare un film, Dingo. Miles veut bien en écrire la musique mais à la condition que « Mike » lui apporte son concours. L’affaire est conclue. S’il n’est pas une merveille du 7ème art, Dingo, qui sortira en 1992 après le décès de Miles, restera comme la dernière coopération entre deux génies musicaux.
Jean-Louis Lemarchand
Confirmation éclatante du talent de compositeur d'Alfred Vilayleck et de la qualité musicale autant qu'instrumentale des membres du Grand Ensemble Koa de Montpellier. Le fil rouge (plus qu'un prétexte assurément), c'est une évocation des poètes de la Beat Generation via trois figures tutélaires : Jack Kerouack, Allen Ginsberg et William Burroughs. La musique ne plonge pas ses racines dans les musiques de jazz qui furent contemporaines de ce trio poétique (le bebop, la révolution d'alors, et ses suites tumultueuses). Le choix est de jouer une musique d'aujourd'hui, marquée autant par le jazz des sixties et le rock progressif que par un sens des formes hérité de la tradition musicale de l'ensemble du vingtième siècle. La qualité des solistes irradie les espaces improvisés, et le sens collectif est palpable dans tout le déroulement du CD, plage après plage. La chanteuse Caroline Sentis, venue en renfort du groupe, prête sa voix aux textes, en anglais ou en traduction française. Dans la dernière plage, après le dernier vers de Thanksgiving Prayer, de William Burroughs, c'est une imprécation contre ceux qui accusent la Beat Generation de tous les maux. Déjà sorti en téléchargement (https://www.bauerstudios.de/de/data/shop/6632/ncd4195.html), l'album verra bientôt le jour en support physique (25 janvier en Allemagne, 1er février en France). Mais dès maintenant le groupe est en tournée : on se précipite !
Xavier Prévost
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En concert le18 janvier à Perpignan (Jazzèbre), le 26 à Lautrec (Tarn) au Café Plum, le 2 février Saint-Claude (Jura) à La Fraternelle, le 8 à Nantes, au Pannonica & le 9 à Toulouse, au Taquin.
Un avant-ouïr sur Youtube
Editions PARENTHESES (144 pages, 120 photos en bichromie).
Ce livre n'est pas un nouvel album de photos de jazz, même s'il en présente tous les aspects. Bel ouvrage au format agréable, proche d'un cahier à l'italienne, il se feuillette avec plaisir car le papier est épais et de qualité, la mise en page originale et surprenante, les photos placées avec soin en respectant l'équilibre avec les textes qui documentent, précisent, poétisent.
C'est tout simplement le premier livre qui rende hommage à cette "drum society" selon la formule même du photographe, à ses acteurs souvent méconnus ou oubliés, à cette communauté de musiciens, née avec l'histoire de cette musique. Un "labour of love" envers le jazz, la batterie, cet instrument si singulier, inventé par et pour le jazz, les batteurs, ces "esprits frappeurs" selon un expert en la matière, le disert Bernard Lubat.
Amateur de jazz, Christian Ducasse, a toujours fréquenté les clubs de jazz et à Marseille, le Cri du Port depuis son ouverture. Progressivement, alors que son métier l'appelait ailleurs, la musique a fini par s'imposer jusqu'à prendre la première place. Cette complicité naissante avec les batteurs se fait alors sentir au point de plonger dans ce rêve de bois, de peaux et de métal, il établit même un parallèle entre batteur et photographe, figures à part, isolées au sein de leur métier.
Dès la préface-mise au point, Jacques Réda, tout en réintroduisant la notion (toujours) essentielle du "swing", laisse entendre qu'il ne faut pas chercher l' exhaustivité dans ce "Dreaming drums". Christian Ducasse n'a pu photographier en effet les tout premiers batteurs, les historiques, les "ancêtres". Mais aucun des batteurs actuels n'a pu échapper à l'influence des grands maîtres de l'instrument dont quelques grandes figures apparaissent cependant dans le livre, comme Max Roach, Tony Williams, Daniel Humair et son set spécifique de batterie, Kenny Clarke, dont l'une des deux photos, si émouvantes du livre, fit "la une" de Libération, à la disparition du musicien, le 28 janvier 1985.
Mais si l'histoire récente, contemporaine de la batterie vous intéresse, ce livre est fait pour vous, vous y retrouverez une "épopée du rythme" représentée par la centaine de musiciens rencontrés par le photoreporter depuis 1981, année décisive, initiatique. Commence en effet sa traversée au long cours de la contrée "drumland", de Doug Hammond au Cap d'Agde en avril, Milford Graves à Pise en juin jusqu'à Fred Pasqua, au club marseillais Le Jam, en avril 2018. Quant aux femmes, comme dans le jazz, elles ne sont pas assez nombreuses,évidemment, mais elles ne sont pas oubliées : on découvre une Anne Pacéo pensive, Terri Lyne Carrington et Susie Ibarra très concentrées.
Si le photographe se dit braconnier, toujours sur le qui-vive, il profite de ce "droit d'ingérence de l'oeil", sans qu'il soit question de mise en scène. Vont ainsi défiler devant nos yeux, les corps en action de batteurs qui dansent derrière leurs fûts, cogneurs fous ou délicats coloristes. Certaines positions, attitudes sont captées sur le vif : on saisit le rapport du batteur à l'instrument avec lequel il fait corps, des cymbales aux baguettes qui parfois peuvent leur échapper! Classées en séquences, apparaissent des sourires (attendrissant de Hamid Drake, épanouis de Christophe Marguet, Mourad Benhammou, Dave King...), des grimaces en plein effort ( Antoine Paganotti, Nasheet Waits...), le portrait saisissant de Michel Petrucciani dans les bras d'Aldo Romano, des duos de section rythmique ( Drew Gress et Tom Rainey, Dennis Charles et Didier Levallet, Vincent Segal et Cyril Atef...). Sans compter que le livre nous donne une pleine double page de noms de sections rythmiques!
Les mots ne sont pas en reste: les photos ne sont pas soulignées de leur traditionnelle légende (elle est reportée en fin de livre avec la page de référence) mais de textes, artistiquement mis en scène, en plus ou moins gros caractère dans les polices Andrea Tinnes et Univers, sélectionnées avec soin par les formidables architectes-éditeurs de la maison Parenthèses dont le catalogue jazz est une référence.
Franck Médioni est le deuxième auteur du livre, absolument complémentaire, dressant à grands traits l'évolution de la batterie en jazz, esquissant les portraits de batteurs historiques sans oublier de recueillir les témoignages de musiciens actuels sur leur conception du rythme, savoureuses confidences, toujours chères aux amateurs de jazz. Une forme assez ludique qui se prête à une lecture spontanée, diagonale, jamais fastidieuse. Ce document, sorte de journal qui engage un dialogue avec le lecteur, est riche de descriptions et d'analyses en rythme, qu'il faudrait presque suivre en se déplaçant...Ting, ti-gui-ding, ti- gui-ding. Cette histoire visuelle ainsi racontée, galerie de portraits toujours tendres, réussit à ne pas figer l'aventure du jazz et de ses batteurs qui font entendre leur voix.Et l'on finit avec le clin d'oeil malicieux d'Edward Perraud, lui même passionné de photo, qui a saisi un Christian Ducasse encore tout étonné.
Michel Petrucciani : « je commence à peine à savoir un peu jouer »
Propos recueillis par Jean-Louis Lemarchand (1)
Disparu à 36 ans à New-York le 6 janvier 1999, Michel Petrucciani n’aura pu mener à bien le grand projet qui lui tenait à cœur, une œuvre symphonique. Quelques parties pour une durée de 25 minutes avaient été présentées en concert le 15 septembre 1997 à La Haye par un orchestre symphonique sous la direction de Jurre Haanstra sur des arrangements d’Anders Soldh (ndlr : musique qui sera publiée en avril 2016). Quelques semaines après, le pianiste-compositeur s’était confié à l’occasion de la sortie de Both Worlds.(Dreyfus Jazz) album qui regroupait musiciens italiens (Flavio Boltro à la trompette et Stefano di Battista au saxophone) et américains (le tromboniste à piston Bob Brookmeyer, Steve Gadd à la batterie et Anthony Jackson à la basse.
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Dans « Both worlds », votre jeu paraît moins fougueux. Michel Petrucciani aurait-il changé ?
Michel Petrucciani. - Je vais répondre avec une phrase bateau : avec l'âge on s'assagit (rires).
-Vous partez pour un mois au Japon et en Corée. Votre programme est bouclé pour les dix-huit mois à venir. Une pause ne s'impose-t-elle pas après dix-huit ans de carrière ? –
MP -Le public vous donne une énergie incroyable. J'aime la vie et tant que j'aurai envie de jouer... Le cauchemar, ce serait de ne plus avoir d'idées. Effectivement, le métier demande énormément de travail tous les jours, travailler sur des concepts, essayer de jouer mieux. C'est un travail microscopique. Cela prend des années avant d'être un musicien accompli, dans le classique comme dans le jazz. Je considère que je n'ai pas encore fini. Je commence à peine à savoir un peu jouer (rires).
Certains jazzmen, comme Keith Jarrett, se sont aventurés dans la musique classique. Ce n'est pas une expérience qui vous tente ? –
MP - Je ne fais pas le complexe du musicien de jazz qui veut essayer d'être reconnu comme pianiste classique. On peut être tout aussi grand en improvisant qu'en jouant comme Arthur Rubinstein. Ce sont deux vies, deux cultures, deux façons de travailler différentes.
Si vous deviez séjourner seul sur une île déserte, qu'emporteriez-vous ? –
MP -Quelques disques de jazz : Wes Montgomery, Erroll Garner, Bill Evans, John Coltrane (Live at Birdland), Miles Davis et Gil Evans (Porgy and Bess par exemple), Ella Fitzgerald et Louis Armstrong. Deux chanteurs brésiliens, Elis Regina et Joao Gilberto. Dans le classique, le pianiste Arturo Benedetti Michelangeli, Maria Callas. Un livre, Le Maître et Marguerite, de Mikhaïl Boulgakov, un tableau le Concert inachevé de Nicolas de Staël. Et je demanderais à manger de la cuisine italienne jusqu'à la fin de mes jours, c'est la cuisine la plus variée.
(1) Extrait de l’interview publié dans Paroles de Jazz (Ed Alter Ego 2014) avec l’aimable autorisation de l’éditeur Joël Mettay. Dans ce livre, figurent aussi des entretiens avec Aldo Romano, Joe Zawinul, Ahmad Jamal, René Urtreger, Herbie Hancock, Dee Dee Bridgewater, Melody Gardot.
Ingrid Laubrock, Contemporary Chaos Practices. Two works for orchestra with soloists. Mary Halvorson, guitar, Kris Davis, piano, Nate Wooley, trompette, Ingrid Laubrock, saxophone. Décembre 2017. Power Station, Berkeley NYC. Intakt Records.
Lors d’une récente conversation, Philippe Carles, l’auteur de « Free Jazz » (avec Jean-Louis Comolli) me confia son admiration pour cet album sorti l’automne passé par un label suisse assez pointu, Intakt Records, sis à Zurich. Le titre m’avait interpellé, mais j’avoue que j’ignorais totalement l’existence d’Ingrid Laubrock, même si la saxophoniste allemande (48 ans) résidant depuis dix ans à New-York après vingt ans à Londres s’est illustrée au sein des groupes marquants du free jazz. Membre régulière de la formation d’Anthony Braxton, qui l’a grandement inspirée, Ingrid Laubrock s’avère être aussi bien une vraie improvisatrice-au ténor et au soprano- qu’une sérieuse compositrice, Les deux titres présentés dans le disque constituent d’ailleurs des commandes passées à la jazzwoman. L’audace et la liberté tiennent le haut du pavé dans ces deux œuvres –Contemporary Chaos Practices (4 parties pour 24 minutes) et Vogelfrei (hors la loi en français) qui s’étire sur 17.48 minutes. Pas moins de 47 musiciens ont participé à ces créations en studio qui alternent mouvements d’ensemble et solos du quartet de la saxophoniste. Est-on dans le jazz ou la musique contemporaine ? La question ne se pose pas, tant les œuvres vous emportent dans un univers qui marie improvisations et compositions. L’accueil de la presse américaine témoigne de cette appartenance aux deux mondes : le New York Times a retenu l’album parmi les 25 disques de musique classique (classical music tracks) de 2018 et Downbeat consacré Ingrid Laubrock comme l’étoile montante (Rising Star) de l’année dans la catégorie saxophone ténor après lui avoir attribué la même distinction trois ans plus tôt pour le saxophone soprano. Le chaos et l’harmonie peuvent-ils faire bon ménage ?, 20 ans après l’astrophysicien Trinh Xuan Thuan (Le chaos et l’harmonie. Editions Fayard), la musicienne Ingrid Laubrock apporte sa réponse, en notes.
Jean-Louis Lemarchand
Ingrid Laubrock se produira le 8 février à Vitry sur Seine (94)au sein de l’Anthony Braxton Zim ensemble dans le cadre du festival Sons d’Hiver.
J'ai un souvenir très vif du festival de jazz de la Seyne sur mer, au Fort Napoléon (83) qui accueillait la fine fleur du jazz européen et américain invitée par Robert Bonaccorsi qui dirigeait par ailleurs la VILLA TAMARIS, centre d'art contemporain. Ainsi les diverses pratiques artistiques étaient réunies (théâtre,cinéma, photographie, écriture, et bien sûr peinture) et le jazz se confrontait entre mémoire et création.
Le peintre JP Giacobazzi était un habitué des lieux. Pour son ami Robert Bonaccorsi qui lui avait consacré une belle rétrospective en 1996, il était un "virtuose du collage, maître du coq à l'âne visuel, iconolâtre et iconoclaste, il possédait l'art et la manière de décrypter le réel". Ses "bleus crus et rouge sang" illustrent une mémoire à vif, violente, celle de l'immigration italienne dont il était issu, celle des chantiers navals de la Seyne où il avait été docker, un temps. Inscrit dans le mouvement de la Figuration narrative ( Rancillac, Fromanger,Erro, Arroyo), il travaillait à partir de photos, cette technique lui permettait de s'insérer dans l'histoire, l'actualité, de faire partager son engagement en déclinant ses mythologies personnelles.
"Rendre le jazz présent et surtout l'inscrire au coeur du projet pictural" était l'un de ses objectifs. Il fut ainsi l'auteur d'affiches du festival et signa quelques pochettes pour le label sudiste CELP Musiques, qui enregistra dans le temps, André Jaume, JimmyGiuffre, Charlie Mariano, Joe Mc Phee, Rémi Charmasson... et le Jazz Hip trio de Daniel Humair, JB Eisinger et Roger Luccioni ( créateur du festival des 5 continents à Marseille).
Le festival et JP Giacobazzi ont disparu mais ses amis, les musiciens de l'AJMI avignonnais ont voulu, avec leur collectif, créé en 2014, la compagnie de l'ARBRE DE MAI, composer la bande-son d'un film qui salue son travail, le personnage et son humanité : le tableau d'une exposition sudiste de "GIACO" où l'on reconnaît portraits, affiches du festival, Marseille, La Seyne et ses chantiers navals. Le guitariste Rémi Charmasson, à l'éloquence fleurie et poétique précise :
"Giaco" peint l’histoire des peuples et de leurs destinées. De l’Indochine à l’Algérie, de l’Italie aux Usa, de l’opérette à Sinatra, du Che à Sitting-bull, du Coca au Pastis, le grand-écart permanent, la valise à la main et le miston sur l’épaule… Et ce « noir » esseulé coloré de son blues...Ennio Morricone, Verdi, Robert Mitchum, Jimi Hendrix, Martin Scorsese soutiennent ses pinceaux tout autant que ses amis musiciens. La lumière peinte à l'épaisseur du son."
C'est la chanteuse Laure Donnat qui ouvre l'album par une composition co-écrite avec le contrebassiste Bernard Santacruz "Al Djazaïr" qui présente ce "rêve de toiles qui fait décoller". Un rapport fantasmé à cette Afrique du Nord. "Ce qu'il raconte, c'est cette invitation à traverser l'au-delà de la peinture... ses toiles sont des guides pour traverser l'imaginaire".
Le CD est le résultat du travail d'équipe d'un quintet à l'énergieféconde. En dépit d'approches différentes, la musique garde une grande unité, portée par la voix de la conteuse, la rythmique précise et souple, le martèlement pénétrant du piano, le chant rauque et tendre de la guitare. Ayant visité son atelier, les musiciens sesont inspirés d'une sélection de toiles pour écrire les quelques chapitres de cette histoire avec le concours d'une vidéaste. Les morceaux agissent plus en résonance qu'en références, nous immergeant dans l'atmosphère singulière du peintre. On perçoit la lumière, l'espace, on ressent le vent qui habitait les toiles hyperréalistes de Giacobazzi, habités de curieux paradoxes, de rapprochements singuliers. Quelle étrangeté dans ces lieux ainsi immobilisés dans une palette absolument unique, qui a le tragique du bleu implacable méditerranéen.
Le spectacle enregistré au jazz club l'Osons, à Lurs en 2017, a été ensuite présenté à la Gare de Coustellet puis au Chêne Noir d'Avignon. Une douceur mélancolique vous envahit quand musiques, voix et couleurs s'entrelacent avec finesse. Car il est fait appel aux sensations, jamais à la sentimentalité, que les préoccupations sociales soient au premier plan comme dans ce "Rosita" ou "Les champs de liberté" que Laure Donnat porte de sa voix vibrante, en italien, avec un esprit et des accents proches de la passionaria Lucilla Galeazzi. Quand vient le temps des souvenirs, celuides photos de classe, ce sont "Les enfants" qui sont évoqués dans une berceuse délicate. "Early Work's Suite" reprend des études des débuts, retraçant l'éveil d'un peintre ou d'un musicien à sa pratique.
On se laisse prendre par cette musique d'atmosphère, grave souvent, exaltée ettendre, qui semble venir d'une contrée lointaine et pourtant familière, celle des toiles de Giaco.Que l'on aimerait voir encore programmé ce spectacle complet de musiques, d'ombres et de lumières.