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30 avril 2006 7 30 /04 /avril /2006 17:36

Le saxophoniste Laurent Bardaine, le guitariste Maxime Delpierre et le batteur David Ankin doivent partager une sorte de vision cinématographique de la musique. Car avec Limousine, le groupe qu’ils ont fondé, les trois hommes créent un véritable climat, un univers presque irréel entre les grands espaces à la Wim Wenders et les no man’s land d’un Jim Jarmusch. Par touches délicatement insensées, Limousine à chaque morceau nous raconte une séquence. Une sorte de road movie. Lente déambulation de somnambules dans des paysages éthérés où les rencontres les plus fantasmagoriques deviennent possibles au détour du chemin ou à l’occasion d’un interstice subrepticement ouvert. A coup de grands travellings musicaux les trois musiciens sillonnent des espaces oniriques, des univers en apesanteur où l’on croise même des petits bals où se dansent parfois des petites valses dérisoires (Valse, Patinages). Une mélodie triste à trois notes tourne inlassablement sur elle même (Les Noces). Des silences de fin du monde s’installent (Lilas) suivis de petites mélodies enfantines. Bardaine alterne le sax avec les claviers tandis qu’il émerge de la guitare de Delpierre des harmonies subtiles de guitare folk métallisées à la Ry Cooder. Il y a une force incroyable de cet album dans lequel il ne se passe pas rien. Éloge de la lenteur et de l’espace vide- habité  où les trois hommes déroulent la toile avec une infinie patience.  Pas de musiciens performants lançés dans de vains chorus. Juste une pâte sonore faite à petites touches sensibles. Magnifique poésie cinématographique de cet album à l’ineffable  mélancolie.

 

 

Jean Marc Gelin

 

 

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30 avril 2006 7 30 /04 /avril /2006 17:30

Parlez-vous "contrebasse"? Renaud Garcia-Fons oui!
D'ailleurs, il ne fait pas que parler...il "respire" contrebasse. Quelques photos sur la pochette toute simple : Garcia-Fons en vibration avec sa contrebasse, yeux clos, la joue et l'oreille collées au bois, les mains en caresses énergiques..."Entre Continentes" nous offre un solo de ces moments volés où  l'homme soupire avec son instrument : indiscrétion d'un érotisme sulfureux...Le ton est donné. Il est le matador audacieux de l'arène, l'enivrante volute d'opium, le trait d'union solaire d'avec ses deux compères. On est immédiatement captivé par ces trois univers interactifs en perpétuelle conversation : -Antonio "Kiko" Ruiz est à la guitare ce que l'araignée est à sa toile : fine dentelle et force saisissante, une tarentule qui fait la tarentelle  "Anda Loco"
-Negrito Trasante le percussionniste, n'en finit pas d'hypnotiser au point de nous insuffler un nouveau rythme cardiaque comme une nouvelle conscience ("Entremundo" et "Entre Continentes" percutantes transes, est-ce possible?!)

 

 

Ce trio là n'en est pas à son 1er "voyage". Et ça s'entend. Au-delà de sa musique jazz, world, flamenca, très inspirée, c'est sa complicité alchimique qu'il nous donne à savourer : un bijou ethnique d'une réjouissante universalité. Plus de frontières, pas de limites, la virtuosité lumineuse d'Arcoluz nous embarque dans un nouveau langage où échange, partage, rencontre sont les mots clé à la sauce
impro. Le plat servi en live donne un rendez-vous authentique aux accents de liberté. Les rythmes de "Berimbas", délicatement, amorcent la frénétique mélopée Garcia-Fonsienne (s'en serait presque un pléonasme!) totalement décoiffant. A peine remis (improbable), l' "Anda Loco" (la marche folle) vous rattrape, envoûtante, mystérieuse, jusqu'à la fièvre...Vous êtes azimuté!
Est-ce l'effet 5ème corde de la contrebasse? Fons "le chercheur" fou, l'a en effet rajoutée à son arc pour notre plus grand plaisir; de l'ivresse pure.
C'est furieusement bon. Fons à donf!

 

 

Anne Marie Petit

 

 

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12 mars 2006 7 12 /03 /mars /2006 14:30

JJJJ MICHEL SARDABY: “Night in Paris  

 

 

 

 

Paris Jazz Corner 2006

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JJJJ

 

 

 

 

A 70 ans, Michel Sardaby, grand pianiste bop des années 60 fait son retour sur scène après 20 ans d’absence pendant lesquelles le pianiste martiniquais s’est beaucoup plus consacré à l’enseignement de la musique (il a même obtenu un award en 2004 pour son œuvre en matière éductative) qu’à jouer lui même. A l’occasion d’un concert donné pour fêter d’autres septuagénaires (les 70 ans de Jazz Hot), l’équipe de Paris jazz Corner (Arnaud Boubet en tête) a eu l’idée de restituer en un double CD, dans son ordre original ce concert donné à l’Archipel un soir d’avril 2005. A côté du fringuant pianiste on retrouve une rythmique d’une redoutable efficacité composée de deux petits jeunes,  Reggie Johnson à la contrebasse et John Betsch à la batterie. Et c’est dans cette ambiance  de club, bon enfant et devant un public tout acquis à leur cause que ce trio livra durant près de deux heures un concert autour des standards du répertoire bop. C’est sans souci et sans arrières pensée que les trois hommes revisitent des thèmes ultra connus ( Don’t Explain, Crazeology, Lush life, On green Dolphin street, Rythm a ning etc…) d’autres un peu moins (comme ce Canadian sunset du très grand et méconnu pianiste, Eddie Heywood) ou encore deux compositions originales du pianiste. Le résultat, du moins pendant tout le premier set est absolument jubilatoire. Certes Sardaby c’est parfois Ray Bryant par son inspiration et son phrasé. Mais Sardaby démontre aussi à chaque phrase musicale combien il est parvenu à s’émanciper de ses maîtres d’hier. Sardaby surprend. Son phrasé dans le même mouvement alterne des attaques franches autant que les caresses légères de l’ivoire sous ses doigts. Véritable modulation aérienne de l’intensité du jeu. Jamais dans la facilité harmonique, Sardaby parvient toujours à se libérer des contraintes de la grille pour y revenir l’instant d’après ( il n’est que d’entendre ce qu’il fait sur Green Dolphin street où il est capable de s’embarquer sur d’autres pistes mélodiques et de nous ramener ensuite au thème). Rythmiquement il parvient à une sorte d’entente télépathique avec John Betsch comme lorsqu’il suspend sa phrase musicale et que Betsch s’arrête instinctivement de jouer, alors que nous autres attendions une descente straight de toute la longueur du clavier. A l’aise dans toutes les atmosphères (remarquable blues plus que lent sur Blues for JP and N, thème de sa composition), Sarbady est capable de réinventer voire de simplifier Monk au point d’en faire un pur pianiste bop (ce que lui reprocherons peut être certains). Très largement au dessus des pianistes de club, Sardaby dégage une véritable force jubilatoire. Au sommet de son art ce pianiste au phrasé et au lyrisme délicat ne cherche pas à moderniser les thèmes qu’il joue. Au contraire sa façon de les reprendre sur le mode de la musique bop est empreinte d’une véritable modernité. Pas la modernité tapageuse tape à l’œil et révolutionnaire. Non, plutôt celle de la réinvention quasi dialectique d’un discours bien connu.

 

 

 

 

Jean Marc Gelin

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JJJJ

 

 

 

 

Musicien mythique au Japon, pianiste de collectionneurs (certains de ces albums s’arrachent sur ebay), connu en France mais de façon bien plus raisonnable, le martiniquais Michel Sardaby, est en train de faire son grand "retour" dans notre pays, même s'il a rarement quitté la métropole.  Il n'y jouait pas beaucoup, très estimé par la profession, mais peu connu du public.

 

 

 

 

Ce nouvel album fut enregistré en direct lors de la  double soirée anniversaire donnée à l’Archipel  en avril 2005, pour les 70 ans de la revue Jazz Hot et du pianiste (son premier disque «Blue Sunset» remonte à 1965). Paris Jazz Corner, à l’origine de cet album, est bien plus jeune, fêtant seulement quatorze années fertiles en rééditions bienvenues. Le pianiste  se produisait ce soir là en trio avec Reggie Workman à la contrebasse et John Betsch à la batterie. Sa discographie nous confirme qu’il a déjà joué avec ce trio au Japon, enregistrant un autre "Intense moment" en juin 1997. 17 titres gravés sur deux Cd, soit plus de deux heures de musique qui restituent le concert dans son intégralité.

 

 

 

 

Plutôt que de faire découvrir ses propres compositions (il n’y en a que deux sur l’ensemble des titres proposés), Michel Sardaby a choisi ce qui est certainement un exercice des plus périlleux aujourd’hui : reprendre des standards, de Gershwin à Ellington (Dont’ you know I care et Billy Strayhorn (Lush life), de Billie Holiday ( Don’t explain ) à Miles et Monk. Le public jubile sur certains titres, et on les comprend quand il s’agit de  In walked Bud ,  Rhythm-a-ning » et  Blue Monk .

 

 

 

 

Sardaby est souverain dans les thèmes bop qu’il exécute avec efficacité et originalité. Le bop est bien l’une des périodes les plus illustratives de cette musique de partage. A l’écoute de cette musique captée sur le vif, l’auditeur est frappé par le naturel avec lequel elle mêle audaces formelles, puissant flux vital et appel à la danse. On ne se lasse pas d'entendre les mêmes morceaux… parce qu'ils ne sont jamais les mêmes. C'est à un véritable bain de jouvence que nous sommes conviés, et les amateurs les plus coriaces (et les plus éclairés) y trouveront matière à découverte. Un vrai travail de relecture de toute une époque. Ayant de l’intérêt pour les mélodies, Michel Sardaby sait les adapter à son goût fervent, les imaginant à chaque fois différentes. Imposant sa manière dans une nouvelle "construction", il n' y a rien de moins convenu que la rencontre de ces trois musiciens qui s'inscrivent dans les modalités d'un chant venu des profondeurs, et qui produit dans son énonciation les formes de sa modernité. On y croit à nouveau, au moment même de son surgissement. Il ne faut pas se priver de ces petits bonheurs quand ils surviennent. Le jazz est assurément la musique de l'instant.

 

 

 

 

Sophie Chambon

 

 

 

 

 

 

 

 

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12 mars 2006 7 12 /03 /mars /2006 14:29

JJJ  Nicolas rageau / yves brouqui / grantr stewart / Philip Stewart / Joe MAGNARELLI: “Made in ”

 

 

 

Elabeth 2006

 

 

 

 

 

 

Il y a deux mois nous ne tarissions pas d’éloges envers le saxophoniste canadien, Grant Stewart que nous avions pu entendre au Small’s à New York et qui sortait un album très Rollinsien chez Criss Cross (Grant + 4). Il faut dire que cela fait plus de dix ans que le saxophoniste a élu domicile dans le petit club du Village.  Et justement dans les années 94/95 Grant Stewart tournait là bas avec deux français le contrebassiste Nicolas Rageau et le guitariste Yves Brouqui , tous deux amateurs de la même musique hard bop. C’est justement cette formation à laquelle s’ajoute Philip Stewart (le frère de Grant) à la batterie et l’incroyable trompettiste Joe Magnarelli que l’on retrouve 10 ans plus tard pour enregistrer un album tournant essentiellement autour des compositions du trop méconnu pianiste, Elmo Hope. Le pianiste constituait dans les années 60 l’un des fers de lance de Blue Note mais surtout du label espagnol Fresh Sound chez qui il grava quelques monuments en compagnie de Harold Land (ts), Leroy Vinegard (cb), ou Curtis Counce.

 

 

 

Le quartet/quintet réuni ici perpétue cette tradition et joue impeccablement cette musique connue par cœur de tous les amoureux du jazz de cette époque. On ne pourra que louer le jeu de Grant Stewart encore et toujours dans une verve à la Sonny Rollins avec qui il ne coupe décidément pas le cordon et, tiens c’est vrai maintenant que vous le dites, pourquoi pas aussi Harold Land dont il rappelle les lignes mélodiques nettes et chaleureuses. Yves Brouqui à la guitare est d’une redoutable efficacité assez élégante mais dans un jeu dont il est difficile d’éviter les stéréotypes. Une mention toute particulière pour le jeu de Joe Magnarelli dont la sonorité évoque Blue Mitchell, sonorité tendue et cristalline.

 

 

 

Alors ces 5 là, perpétuent un son. Ces cinq là montrent qu’ils ont tout assimilé et dans leur façon de rendre hommage la musique de Elmo Hope nous incitent à y retourner ( à quand un album dédié à Herbie Nichols ou à Phinéas Newborn !). Sorte de voyage dans le temps pas déplaisant du tout. Bon moyen pour des générations nouvelles de découvrir ce versant adouci du jazz dont les émules se garde bien toutefois des folies harmoniques des maîtres du hard bop pour rester là dans une épure qui, simplifiée à l’extrême revêt forcement un caractère facilement consensuel.

 

 

 

Jean Marc Gelin

 

 

 

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12 mars 2006 7 12 /03 /mars /2006 14:27

JJJ  SUSIE ArIOLI BAND:  Learn to smile again”

 

 

 

Justin Time Records 2005

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Learn to smile again » est un album-hommage au chanteur de country Roger Miller (1936-1992) qui reçut au cours de sa carrière 11 Grammy Awards. Excusez du peu ! Six des ballades de Miller sont interprétées par Susie Arioli avec la nonchalance qui convient bien à ce type de musique. Chemin de traverse pour cette chanteuse de jazz, habituée du Festival International de Jazz de Montréal et qui dans son précédent album, « That’s for me », ne chantait que des standards. Sur ce répertoire qui évoque les rocking-chairs, les longues chevauchées dans la plaine texane, les colts de John Wayne, le duo composé par la chanteuse montréalaise et Jordan Officer à la guitare et aux arrangements fait merveille. Leur complicité est absolument magique : elle, dans la plus pure tradition des chanteurs de country, lui dans un registre plus jazzy. Le son d’ensemble du Susie Arioli Band est capiteux et rond avec de belles guitares acoustiques, une discrète section rythmique et un harmonieux tapis vocal de Jason et Sheldon Valleau. On est sous le charme à l’écoute de cet album : du  magnifique standard de jazz By Myself revisité en folksong au très célèbre By the time i get to Phoenix de Jimmy Webb, en passant par les pièces composées par Jordan Officer et interprétées à la Django Reinhardt. Un album sans coup d’éclat et sans virtuosité extravagante. Ils sont dans le Less and Less (au passage sublime chanson de Miller). Avec eux, on part sur les routes à la rencontre de l’Amérique profonde et bien sûr on finit le voyage avec un bon blues à la papa composé par Jordan Officer, Leo’s blues.

 

 

 

Régine Coqueran

 

 

 

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12 mars 2006 7 12 /03 /mars /2006 14:26

JJJJ  RENEE FLEMING: “Haunted hearts”

 

 

 

Universal 2006

 

 

 

 

 

 

Vous qui avez vilipendé les sopranos lyriques qui s’essayaient au jazz, vous qui avez souffert en entendant les Barbara Hendricks et les Jessie Norman dont les prestations en la matière relèvent généralement d’un massacre à la castafiore,  voilà un album qui vous obligera à réviser tous vos préjugés. Car Renée Fleming n’est pas une chanteuse de notes, c’est une véritable interprète des mots du chant. Sa tessiture d’ailleurs n’a pas la faiblesse cristalline de ses consoeurs lyrique dont la pureté du timbre s’accommode mal au phrasé du jazz. Non, lorsque la voix incroyable et profonde de Fleming plus accoutumée aux lieds de Schubert, rencontre le jazz, il se produit alors une alchimie rare, une véritable rencontre de deux univers. La voix de Renée Fleming possède cette clarté des ténèbres avec laquelle elle chante la gravité des mots simples. Lorsqu’elle chante  You’ve changed  elle y met la force d’une interprétation à faire pâlir d’envie la plus grande des chanteuse de jazz. Et parce que sa voix a la profondeur de certaines chanteuses de gospel ou de soul music, elle n’est pas sans rappeler celle d’une Aretha Franklin. Elle possède cette tessiture des voix noires et cette féminité farouche et sensuelle qui la rapproche du jazz. Universalité aussi du rapport avec le musicien. Rencontre des deux univers (classique et jazz) dans les deux sens d’ailleurs puisque si René Fleming choisit de s’attaquer à un répertoire de jazz riche et peu chanté par ailleurs (hormis peut être un magnifique My one and only love), elle offre aussi à Fred Hersh (au piano) et à Bill Frisell (à la guitare) la possibilité de venir aussi s’essayer au répertoire classique. Démonstration de l’universalité du langage comme lorsqu’elle invite le guitariste à l’accompagner sur son terrain pour interpréter en duo un lied de Schubert. Ou lorsque, en rapprochant les harmonies de Wozzeck d’Alan Berg et the Midnight Sun de Lionel Hampton, elle jette avec Fred Hersh un pont évident entre les deux rives. Au point même que l’universalité de son langage lui permet de s’approprier, sans se dénaturer, Stevie Wonder (My chérie amour) ou John Lennon (In my life). Son duo avec Bill Frisell sur The moon’s a harsh mistress est un modèle du genre et véhicule une force  émotionnelle incroyable. Modèle absolu de dépouillement du chant. Consécration de l’expressivité du chant. Il n’est pas étonnant alors que cette chanteuse, qui ne renie aucun des mondes qui la construisent  soit parvenue un jour à tirer des larmes à son professeur, le saxophoniste Illinois Jacquet sur You’ve Changed lors d’une master class de jazz. Preuve s’il en est que la chanteuse possède dans ses bagages une très large culture, elle place dans son panthéon des chanteurs qui meublent sa discothèque des gens comme Shirley Horn ou Kurt Elling. Mais Renée Fleming apporte aussi l’illustration que le jazz ne se résout pas au swing. Qu’il est aussi et avant tout l’expression d’une liberté forte, d’un véritable état d’âme.

 

 

 

Jean Marc Gelin

 

 

 

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12 mars 2006 7 12 /03 /mars /2006 14:25

 JJJ EMMANUELE CISI: “Urban adventures”  

 Elabeth 2006

 

 

 

 

  

 

 

 

 

 

 

 

 

Concernant le  très sympathique label Elabteh, on peut dire deux choses : d’abord qu’ils aiment les saxophonistes. On s’en était rendu compte avec le merveilleux album de Sam Newcombe il y a deux mois et ce mois ci avec Grant Stewart associé à Nicolas Rageau. On pourrait aussi bien dire que le label aime les albums consensuels. Ceux où l’on entend du bon jazz qui résonne entre tradition, évidence des thèmes choisis et une certaine modernité dans le jeu. Et l’album d’Emmanuele Cisi n’échappe pas à la règle. On y retrouve en effet un jazz bop revival servi par un remarquable ténor italien (ah les ténors italiens…).

 

 

 

Car Emmanuele Cisi qu’il soit au sax ténor ou au soprano est un saxophoniste de la nonchalance qui se ballade le nez au vent sur les harmonies des thèmes qu’il compose. On est assez d’accord avec les liner notes de Benny Golson lorsqu’il dit que, l’air de ne pas y toucher, Cisi n’hésite pas à prendre des risques. Là où certains saxophonistes croient s’en sortir en alignant des gammes descendantes suivies de gammes montantes le saxophoniste italien explore sans en avoir l’air toutes les possibilités harmoniques des thèmes qu’il joue avec un sens de la mélodie qui rend évidentes toutes ses compositions. Sur neuf titres il en signe 7 et interprète pour les deux autres un thème de Victor Young pour un superbe Weather of dreams et de Charlie Parker pour un Quasimodo aux arrangements particulièrement raffinés avec une guise d’intro et de conclusion un contrepoint avec le trompettiste niçois, François Chassignite qui semble là avoir été élevé au biberon de Kenny Dorham. A l’opposé d’un Stefano Di Battista qui semble parfois pressé d’en finir, Cisi joue ne se dépêche pas, toujours au fond du temps avec une précision rythmique diabolique à laquelle sa belle section rythmique n’est pas étrangère. Sur deux de ses compositions il ajoute avec un raffinement et une élégance toute transalpine une légère section à cordes. Sur lazy rainy Sunday Cisi fait pleurer le soprano qui devient alors un instrument à la lancinante mélancolie. Cielo Celeste est une composition ultra efficace presque chantante où Cisi fait sonner son ténor comme un alto cristallin. Sur Primaltina le ténor redevient velouté et la composition semble rendre un hommage à Benny Golson alors que le point de départ de La notte delle lucciole est une descente chromatique un peu à la manière de Midnight Sun de Lionel Hampton. Emmanuelle Cisi tout au long de cet album s’imprègne

 

 

 

de tous les styles de ce hard bop calme et posé que l’on trouve parfois chez Joe Henderson, parfois chez Benny Golson et parfois même plus près de nous chez Joe Lovano ( Weather of dream)

 

 

 

L’album de Emmanuele Cisi n’est assurément pas un grand album mais c’est un bon album de jazz. Qui ne laissera certainement pas un souvenir impérissable. Auquel on ne reviendra pas forcément tous les jours. Pas un chef d’œuvre mais un album parfaitement honnête qui donne à entendre un saxophoniste d’une grande intelligence harmonique et d’un sens mélodique remarquablement affûté. Album éminemment consensuel qui a fort peu de chances de décevoir les amoureux du jazz. Dont vous êtes.

 

 

 

Jean Marc Gelin

 

 

 

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12 mars 2006 7 12 /03 /mars /2006 14:19

JJJJJ STEVE COLEMAN: “WEAVING SYMBOLICS  

 

 

LABEL BLEU 2006

 

 

 

 

 

 

 

 

Pas une seconde d’hésitation, 5 Smiles pour le dernier album de Steve Coleman !  Après Lucidarium qui était déjà un album superbe, Steve Coleman revient avec un album différent tout en restant la même, celui que l’on reconnaît entre mille. Et s’il faut avancer des raisons à notre enthousiasme débordant nous dirons d’abord qu’avec Steve Coleman c’est chaque fois une évidence : he « got the sound » !  On le sait bien, depuis le temps mais chaque fois on reste saisi par le son Coleman qui porte assurément la marque des géants. Jamais il n’a été aussi superbement parkerien. Et le truc, je vais vous dire, c’est que ce « son » Coleman et bien il ne le garde pas, il circule, comme une sorte d’énergie, de relais qu’il sait transmettre et insuffler aux autres musiciens. Par capillarité.

 

 

Cet album est construit à géométrie variable et les formules en solo ou en duo jouxtent celles en trio ou en septet (on y entendra ainsi la contribution de Jason Moran au piano, celles de Tim Albright au trombone ou encore Jonhatan Finlayson magnifique à la trompette, sans parler de Magic Malik, de Jeff  Watts ou de Sarah Murcia ou encore Nelson Veras). L’album remarquablement agencé renvoie les thèmes en correspondance les uns avec les autres. Ainsi la série des Ritual’s absolument exceptionnelles reprend la même formule mélodique pour l’adapter à différentes  formations (en solo –Aether-, en duo - water- en trio – earth ou en septet – fire). De même la série dans les Triads où le travail de Coleman  est une réflexion personnelle sur la signification non religieuse de la trinité revient régulièrement dans l’album. Base de ce que Coleman entreprend : une sorte de mystique non religieuse, une alchimie où l’ésotérisme côtoie la numérologie voire l’astronomie. Les parties chantées donnent lieu à deux morceaux d’exception, eux aussi en correspondance l’un par rapport à l’autre : Gregorian et Glyphs in motion. Dans ces deux cas il est question de thèmes conçus comme des fugues de Bach où Coleman multiplie les contrepoints derrière la vocaliste. Jen Shyu  ne chante pas mais se fait instrumentaliste vocale. Il n’y est pas question de belle voix mais de vocalises déformées parfois même grimacées comme pour donner à ses interventions une sorte de dimension d’une actrice de théâtre Nô.

 

 

Dans cette musique complexe harmoniquement mais dans laquelle l’auditeur entre avec facilité (on songe encore à Parker), la difficulté des structures ne cède jamais le pas ni au « son » ni au swing toujours présents. Des personnalités se dégagent comme ces quelques découvertes que sont le trompettiste Jonathan Finlayson ou le tromboniste Tim Albright. Et surtout il est l’occasion d’entendre une rythmique extraordinairement riche, baliseur d’un chemin circulaire.

 

 

Et s’il fallait encore donner une autre raison d’aimer cet album, il fat absolument parler des deux DVD qui se lisent sur le verso de chaque CD. Le premier est une passionnante interview de Steve Coleman. Le deuxième est un moment immense qui nous permet d’entendre durant près de 15mn Steve Coleman s’amuser en duo avec Marcus Gilmore, jeune batteur de 19 ans découvert au Brésil et qui montre dans cette vidéo (mal filmée au demeurant) qu’il atteint déjà la dimension des géants.

 

 

Label Bleu, le label qui produit Steve Coleman depuis déjà de nombreuses années en enrichissant son catalogue de ce bel ouvrage entre dans sa vingtième année de fort belle façon. Et Steve Coleman au sommet de son art lui fait là, à l’aube de ses cinquante ans, le plus merveilleux des cadeaux.

 

 

Jean Marc Gelin

 

 

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12 mars 2006 7 12 /03 /mars /2006 14:18

JJJJ CHRIS CHEEK: “Blues Cruise”

 

 

Fresh Sound New City 2005

 

 

 

 

 

 

Il ne faut pas prendre ce disque trop à la légère. Malgré les apparences (un titre-invitation au voyage, une jaquette en forme de carte postale, un répertoire de standards divers et variés) Chris Cheek n’a pas pris cette session par-dessous la jambe. Embarquons donc pour cette croisière de charme, la « Blues cruise » dans le sillage d’une digne nostalgie avec un quatuor de qualité. A l’heure où la grippe aviaire nous  menace en nous encerclant, on s’envole dès le premier titre sur les ailes d’un volatile porteur d’un onctueux son d’alto : incontournable, le majestueux Flamingo qui fit aussi les beaux jours du (très emphatique ) crooner Herb Jeffries. Et le final mancinien « The sweetheart tree » est un hommage à tous les merveilleux instrumentistes d’antan. Presqu’inconnu (ne pas confondre avec Chris Speed, à peine plus connu il est vrai ) ce saxophoniste soprano-ténor-alto  est somptueux dans les ballades de jadis comme dans ses propres compositions qui ne dérogent pas à l’harmonie de ce disque bienvenu.  Une formation chic et choc, remuante,  accompagne le saxophoniste puisqu’il s’agit du trio bien connu et toujours  impeccable  de Brad Mehldau. Que c’est bon de se laisser bercer par le deuxième thème « Low key lightly » du Duke ; si le pianiste est toujours capable d'infinies délicatesses de toucher et poursuit avec bonheur dans le fil de ses pulsions rythmiques,  c'est avant tout l'instrumentiste Chris Cheek que l'on découvre dans le même temps, soliste généreux, puissant, soucieux de la mélodie et du rythme. Ecoutez son solo à l’ambiance lunaire dans « Song of India » et vous comprendrez comment on peut construire un thème avec un étonnant sens de l'envol  : et puis c’est la « madeleine » du « Captain Troy et des Aventures dans les îles » que ce thème de Rimsky-Korsakov induit ! Il ne manque plus que Gilda-Rita  glissant sur le parquet du « dance-floor» pour que notre bonheur soit complet.  Bravo donc au label défricheur catalan de Jordi Pujol  « Fresh Sound  New Talent » ondoyant  et ouvert, qui  ressort aussi des « oldies but goldies »  tout à fait formidables comme ce  « Russell Garcia and his four trombone band » dans la série Jazzcities  où l’on réentend avec délice le tromboniste inspiré et ombrageux qu’était Frank Rosolino.

 

 

Sophie Chambon

 

 

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12 mars 2006 7 12 /03 /mars /2006 14:17

JJJ  LAURENCE ALLISON : “Secrets”

 

 

 

Âmes 2005

 

 

 

 

 

 

Quelle artiste ! Laurence Allison signe les paroles et musiques des treize titres de ce nouvel album. Dans ses chansons, il est question de tempêtes intérieures, de parole bâillonnée (A prison of glass), de jalousie (« Il rêve, elle donnerait son âme pour se glisser par effraction dans ses songes et tout savoir de lui »/ Insomnia), d’aspiration à la liberté (« qu’on ne me tire pas les cartes, je veux espérer et douter, je veux être surprise chaque matin »/Let me doubt). Il est question de tous ses secrets tus enfouis dans la nuit de nos vies. Il est poignant ce jeu de cache-cache de la petite fille qui porte une étoile jaune, dont chacun des doigts est une poupée et qui finit par devoir se cacher pour de vrai (Hide and seek). Elle est émouvante cette rencontre entre une femme, l’enfant qu’elle était et la vieille femme qu’elle sera (The corridors of time). Elle est drôle cette arrivée de Bill Evans au 7ème ciel, où on lui ouvre les grandes portes en lui vantant les avantages des lieux pour un concert éternel ; il hésite et finit par avouer qu’il n’est venu là que pour visiter un ami. Il est difficile de pénétrer dans l’univers dense et hanté de Laurence Allison, parce que ses mots sont à la fois pesants (Born in the night), dérangeants et envoûtants. Sa musique est habitée, animée (est-ce un doux hasard que le label qui produise cet album se nomme «Âmes » ?). Elle a un don exquis pour l’écriture d’histoires courtes, de presque comptines et sait créer pour chaque titre un climat particulier, la palette de ses talents d’interprète pouvant s’exprimer ainsi largement. Elle est accompagnée, on aimerait presque dire portée, par trois pianistes d’exception, Alain Jean-Marie, Benoit Sourisse et Niels Lan Doky, qui servent sa musique avec un immense respect. Les artistes invités viennent enrichir et nourrir l’inspiration de l’artiste. Notons en particulier le sublime accompagnement de Didier Lockwood sur Una Palara. Un album qui ne livre pas facilement ses Secrets mais indubitablement de la belle ouvrage.

 

 

 

Régine Coqueran

 

 

 

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