Samedi 18 novembre
KUBIK’s MONK: Pierrick Pedron (saxophone alto), Thomas Bramerie (contrebasse), Frank Agulhon (batterie)
Arborant un tee-shirt à l’image de leur pochette, les musiciens entrent en scène pour un récital Monk joué avec brio par un trio décomplexé.
Je me souviens d’avoir écrit sur ce même site, alors que le CD sortait chez ACT : Voilà que Pierrick Pedron revient à Monk et cela pouvait faire peur : comment osait-il s’attaquer au roc aride et tranchant, à ce géant bancal et inimitable, ce pianiste fou et génial ? Aux côtés de Monk, a défilé la fine fleur du jazz moderne de l’époque, les batteurs Kenny Clark, Art Blakey, Max Roach, le contrebassiste Oscar Pettiford, le trompettiste Clark Terry...
Avec ses fidèles complices, Franck Agulhon, Thomas Bramerie, l’une des plus belles rythmiques jazz actuelles, Pierrick Pedron fait entendre la formidable musicalité de la musique de Monk dans des compositions peu jouées, comme ce « Who knows » qu’affectionnait Steve Lacy, « Ugly beauty », « We see », « Trinkle, tinkle », l’étonnant « Skippy ». Rejouer sans piano ces petites pièces, aux titres improbables, n’est vraiment pas facile, car il faut entrer dans la logique de Monk, s’adapter à sa vision des choses, reproduire en l’adaptant une architecture complexe, une « toile en trois dimensions » à la façon des cubistes. « L’ermite » Monk va loin dans son souverain mépris des règles, ne suivant que son « tempo intérieur». Laurent de Wilde a écrit que dans Monk, « rien n’est carré, tout est de guingois...La tyrannie de sa mélodie singulière est totale, et l’improvisation, plus que jamais est totalement asservie ».
Le résultat est une musique précisément ciselée : avec l’expérience de nombreux concerts, elle a acquis une lumineuse « évidence », elle respire et s’épanouit comme dans ce titre justement, qui débute le set. On retrouve les envolées, toujours très lyriques de Pierrick Pedron et sa généreuse sonorité. Un sacré défi qu’il s’était lancé ... et qui a réussi ( il rêve à présent d’un Kubik’s CURE, toujours avec ses potes). Car le chant monkien resurgit dans la musique du trio, sans que cela ne ressemble à un hommage ou un « tribute » de plus. Quel talent pour se risquer en solo à jouer le célébrissime « Round Midnight » sans tomber dans une reproduction trop serrée.
Après le concert, la conversation s’engage entre le saxophoniste et le président de l’association du festival ( bénévole , pharmacien de son état, pianiste et fin connaisseur de Monk) autour de l’œuvre du « maître » (75 titres au moins) et de ces jazzmen, véritables « chevaliers de l’éphémère » (Pascal Quignard) qui fondèrent le be bop.
Le Diaporama Pedron par Alain Julien
Eric Seva ( saxophones baryton, soprano, sopranino), William Leconte (piano), Didier Irthusarry (accordéon), Pierre François “Titi” Dufour ( batterie)
Décidément, Francis Le Bras, le directeur du festival a concocté une soirée réussie au style musical plus limpide et familier, illustrant la formidable plasticité du jazz actuel.
Changement de set pour le dernier groupe, les Espaces croisés d’Eric Seva, saxophoniste vivant à Marmande dont le premier album en leader en 2005, Folklores imaginaires obtint un succès vraiment mérité. Il manie le baryton avec aisance, mais ne dédaigne pas le soprano et sopranino. Il continue son voyage au long cours avec une formation originale, où contrebasse et guitare sont remplacées par piano et accordéon, fort élégamment... C’est un tout autre style que l’on entend, des premières notes de « Résonances » ou « Crossroads » jusqu’au final. On embarque pour un itinéraire sans fausse note, au carrefour d’influences assimilées finement, de musiques traditionnelles («Les roots d’Alicante») : un jazz à « l’identité vagabonde», sensible, fraternel, qui exalte les rencontres. La musique se risque et s’épanouit dans le souffle du leader et le son inoubliable de l’accordéoniste Didier Ithursarry.
Le diaporama Seva par Alain Julien
Sophie Chambon