Ouvrage de photos de Guy Le QUERREC.
Textes de Jean Rochard et préface de Bernard Perrin.
Les Editions de Juillet. 400 pages. Plus de 300 photos.
Une épopée musicale d’un demi-siècle, un parcours en zig-zag de Mozart au free jazz. Telle est l’aventure de Michel Portal saisie au plus près par l’objectif (toujours subjectif) de Guy Le Querrec dans un ouvrage monumental qui ravira amateurs de jazz, de photographie et plus largement de culture.
« Le photographe est un funambule sur le fil du hasard qui cherche à attraper des étoiles filantes », aime à dire Guy Le Querrec, une des figures de proue de l’agence Magnum à qui l’on doit notamment « Jazz, de J à ZZ » (Editions Marval. 1996), encyclopédie visuelle de la musique syncopée vivante depuis les années 60.
C’est à cette époque-là qu’intervient la première rencontre du photographe avec le 1er prix de clarinette du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris en 1959. Ce 13 mars 1964, à la salle Wagram, Michel Portal joue dans le big band de Sonny Grey lors d’un concert de bienfaisance destiné à régler les frais médicaux de Bud Powell, présent dans la salle. Le dernier instantané de son « modèle » signé Guy Le Querrec date de mars 2011, un an avant que ce dernier range définitivement son Leica : il nous montre le poly-instrumentiste en compagnie du pianiste Yaron Herman saisi dans les caves bordelaises de Château Palmer.
Entre ces bornes, un périple qui nous mène sur les scènes du monde et surtout dans les coulisses et les loges où se concocte ce curieux exercice qu’est la musique de jazz sous les doigts de Michel Portal. Ce tandem musicien-photographe, Jean Rochard (producteur, fondateur du label nato), auteur de textes éclairants et précis sur ce demi-siècle, la résume ainsi : « Au fond, Michel Portal a toujours le même âge que les gens avec lesquels il joue. (…) il n’a jamais cessé de chercher et plus souvent qu’à son tour de déclencher. Guy Le Querrec, avec le déclencheur de son Leica, s’ajuste aux questions posées, pénètre en nombre d’or l’espace qui confine à l’expérience personnelle, expérience poétique ».
Au fil des 400 pages et des quelque 300 photos (en noir et blanc), se déroule toute une vie d’artiste, faite de rencontres de haut vol où l’on croise Max Roach, Jack DeJohnette, Joachim Kühn, Henri Texier, Martial Solal, Bernard Lubat, Didier Lockwood, Trilok Gurtu, Gil Evans, Richard Galliano… Et bien entendu, notre héros-héraut, souriant, pensif, espiègle. Car « Michel Portal, au fur et à mesures » c’est non seulement un document riche sur un demi-siècle de vie musicale mais aussi une histoire d’un compagnonnage qui se dévoile, révélant l’œil acéré de Guy Le Querrec et invitant à écouter la musique toujours libre de Michel Portal.
Gary Brunton (contrebasse, composition), François Jeanneau (saxophone soprano), Andrea Michelutti (batterie), Emil Spanyi, Paul Lay (piano)
Malakoff, 2022
Juste une trace / Socadisc
Après deux disques en trio piano-basse-batterie («Night Bus», «Second Trip»), le contrebassiste revient avec un trio autour du saxophone soprano de François Jeanneau. Trio augmenté, car 9 des 13 plages accueillent alternativement au piano Emil Spanyi et Paul Lay. Du jazz de stricte obédience, mais du jazz d‘aujourd’hui : la présence de François Jeanneau, qui en 1960 enregistrait avec Georges Arvanitas dans un quintette très soul jazz, mais aussi plus tard avec le très contemporain Quatuor de saxophones, donne la mesure des langages partagés dans ces plages. Après les épisodes de ‘Night Bus’, le titre de ce nouvel album, d’un nouveau groupe, évoque le train de nuit tel que le nomme la langue galloise. Peut-être est-ce un voyage, parmi les moments historiques du jazz. Vigueur du premier titre, en quartette, où Emil Spanyi donne toute sa verve d’improvisateur, avant une ballade où la basse va s’épanouir à l’archet, en dialogue avec le piano de Paul Lay. Retour au plus vif, dans un thème qui fleure bon le souvenir des grands orchestres : à quatre ils ravivent cette époque épique, mais les improvisations fleurent bon le jazz d’aujourd’hui. Plage après plage, c’est une parcours panoramique dans les langages du jazz tel qu’on le parle en 2022, la mémoire en éveil, l’inspiration aux aguets. Absolu bonheur d’écouter François Jeanneau, sur qui le temps paraît n’avoir aucune prise. Cohésion du groupe qui manifestement vit ces instants comme une fête : beaucoup des thèmes semblent porter le souvenir des harmonies et des structures de standards, parés d’habits neufs. La magie du jazz en somme, intemporelle, et pourtant toujours en éveil sur le fil du temps.
Un brin de nostalgie et un zest de modernité. Erik Truffaz écrit sa partition originale pour une sélection musicale dédiée à quelques films et séries télévisées bien connus des années 50 à 70.
Le trompettiste savoyard joue la carte de la sobriété, à la tête d’une courte formation de musiciens partageant son univers, dont le « vétéran » Marcello Giulani, complice de la période « électro ». La surprise sur le plan orchestral vient de la contribution de la chanteuse Camelia Jordana, qui reprend la partie de Marylin Monroe dans ‘One Silver Dollar’, titre-culte de la ‘’Rivière sans retour’’ (River of No Return) d’Otto Preminger, composition de Lionel Newman et Ken Darby et de la comédienne Sandrine Bonnaire, récitant un extrait de César et Rosalie, de Claude Sautet, sur une musique de Philippe Sarde.
Le choix du répertoire effectué par Erik Truffaz ne connaît pas de frontière et donne lieu à un parcours qui ravira les cinéphiles (et « téléphiles ») et les amateurs de BO. Jugez plutôt : outre les deux films précités, les compositeurs se nomment Nino Rota (La Strada), Michel Magne (les Tontons Flingueurs, Fantomas), John Barry (la série Amicalement Votre, The Persuaders! , où s’illustraient Tony Curtis et Roger Moore), Ennio Morricone (Le Casse), Alain Romans (Les vacances de Mr. Hulot) et idole de Truffaz, Miles Davis (Ascenseur pour l’échafaud).
Une trentaine de minutes en tout et pour tout qui évoquent des sentiments aussi divers que la tristesse, l’inquiétude, l’insouciance. « Quel temps fait-il à Paris ? », la composition d’Alain Romans, à qui Jacques Tati commandera aussi la musique de Mon Oncle, vient clore sur une note alerte ce bref panorama dans un rappel de l’atmosphère des vacances à la mer des années 50. Et si l’on retenait « ROLLIN’ » comme le disque de l’été 2023 ?
Jean-Louis Lemarchand.
En concert en juin à Nice (8), Chatellerault (14) et Vauvert (30).
Retrouvailles sur disque d’un duo qui existe depuis quelques lustres. Avec des thèmes repris de leurs répertoires respectifs, dont certains qu’il jouaient en duo lors de concerts passés. Et de nouvelles compositions aussi, comme celle, intitulée Poul an Serf, qui évoque le lieu où fut enregistré ce disque. Ou Dji-Dji, qui salue la mémoire d’un contrebassiste que beaucoup d’entre nous aimaient et admiraient. Un bouquet de dédicaces qui disent sur quoi ces deux artistes se retrouvent, et qui nous est aussi donné en partage. Profondeur du son, de la basse comme des anches ; soin jaloux des nuances ; éclats surprenants, vifs et libres ; fascinant dialogue de deux esprits connivents : un régal, un chemin de découverte, d’imprévu, d’émois soudains. Et le texte de Jean Rochard, sobrement, entrouvre pour nous la porte de l’écoute. On s’y plonge avec délices.
Il sont treize en piste réunis en un ensemble décidément peu commun, audacieux et débridé dans cet Ok Boomer d’une fraîcheur bienvenue .
Comment rendre compte de la formidable diversité de sons, de styles que brasse le multi instrumentiste ( saxophones, clarinettes, harmonica et cornemuse) Laurent Dehors à la tête de son Orchestre Tous Dehors, ce sacré Grand Format qui fête ses trente ans , en sortant sur son propre label un album insolent et drôle dès le titre et la pochette? Son big band s’organise concentriquement depuis sa garde rapprochée composée de l’inénarrable Michel Massot au tuba, trombone et euphonium, du pianiste Matthew Bourne, du batteur Franck Vaillant, de fidèles plus ou moins récemment acquis à la cause comme le guitariste (à 7 cordes) et banjoïste Gabriel Gosse ( actif sur “I wanna boo on the beach”), ou la saxophoniste Céline Bonacina qui l’a impressionnée depuis leur récent duo vraiment formidable. Comme le chef sait évoluer et se renouveler, il s’entoure de partenaires recrutés selon leur potentiel, “des femmes, des gars, des jeunes, des moins jeunes". Dans cette mixité recherchée, seul le talent compte et une bonne dose d’humour, de fantaisie pour s’approprier la musique de Laurent, quelle que soit la difficulté des partitions, tous s'emparant du potentiel orchestral avec une aisance souriante... qui s’entend!
Laurent Dehors a créé son propre langage, mis au point une formule singulière et festive qui, en dépit de l’hétérogénéité apparente et des influences multiples révèle sa cohérence artistique. Dès les premières notes, on reconnaît la signature de ce compositeur qui ne joue pas que sur l’humour. Des interventions brèves, des fulgurances, des éclats soudains mais aussi de superbes unissons, de la rigueur en dépit de ces "décalages oreille" qu’il affectionne. Une partition mouvementée, très élaborée, aux ruptures soudaines, tout un art du collage et du montage. Les titres sont d’ailleurs un plaisir supplémentaire qui pourrait induire en erreur comme ce “Charleston” qui ouvre l’album, totalement déjanté, volontiers dissonant qui aurait fait fuir les “flappers” les plus délurées ou cette “Polka” plus cartoonesque (avec son emprunt au “vol du bourdon”) que dansante. “Disque Jockey” n’est pas en reste avec ses petits bruits rigolos (Michel Massot), “Les Quartes en main” suit, plus inquiétant, très percussif et répétitif. Toujours dans le détournement jusque dans ses micro-citations qui surgissent abruptement parodique. Laurent Dehors aime jouer des transversalités, déjouer les musiques populaires et s’il a détourné brillamment l’opéra, les chansons d’amour, repris à sa façon le trombone dans Dommage à Glenn, cet album n’ a pas une thématique précise, ce serait comme un condensé de tout le vécu d’un orchestre avec des morceaux courts, des instantanés, d’autres plus longs qui prennent le temps de se développer comme dans ce “Soleil” où pince-sans-rire, Matthew Bourne calme le jeu avec ce lent prélude où le silence entre chaque note s'entend avant une composition pas toujours resplendissante, plutôt élégiaque en dépit des percussions. "Heureux" n’est pas non plus le titre le plus réjouissant, constat lucide, lancinant retour en arrière sur notre temps?
On ne perd pas de temps dans cet orchestre : à l’intérieur de chaque composition se distribuent les rôles, les interventions des solistes, les plages d’improvisations et d’équilibre entre parties mélodiques et rythmiques. Ludique et lyrique à sa façon, une poésie instantanée se dégage de ces zigzags et acrobaties jusqu’au “folklore” de ce final surprenant Taïko Blues qui, loin de résonner du son des tambours japonais nous immergerait plutôt, cornemuse en tête, dans un bagad du festival interceltique de Lorient. Pas chauvin, ce diable de Normand, “fast and furious” à l’aise dans tous les déplacements et variations, envoyant un bon gros son d’une énergie incomparable. Et là, vous n'écoutez que l’album! Imaginez en live avec son sens irrésistible de la scène, la puissance de feu de cette belle machine décuplée. Alors n’hésitez plus à le programmer !
Second disque de ce groupe rassemblé par un saxophoniste français formé à Strasbourg, et qui a forgé cette phalange lors de son séjour berlinois. Le premier («Timeprints», Double Moon Records) avait été enregistré en 2018. Ce nouveau répertoire fut conçu et répété durant la crise sanitaire. La musique est d’une très subtile facture : polyphonies fouillées, harmonisations serrées, contrepoint savant, mais sans ostentation. En écoutant le disque, plage après plage, j’entends défiler dans mes souvenirs beaucoup des musiques qui m’ont emballé, depuis quelques décennies : de Konitz et Warne Marsh à Mark Turner en passant par Wayne Shorter. Bref la barre est placée très haut, et le groupe la franchit gaillardement, jouant et improvisant avec une verve sans pareille.. Très belle construction des thème et de leur développement (espace d’improvisation compris). C’est «de la très belle ouvrage», et pour tout dire du Grand Art, ou pour le dire autrement de la ‘grande forme’. Car tout en préservant la liberté des interprètes, le leader-compositeur a construit des pièces, et l’ensemble du répertoire, dans un cadre à ranger précieusement sur l’étagère des œuvres (très) abouties. Du Grand Art vous dis-je !
Delphine Deau (p), Camille Maussion (ss), Pedro Ivo Ferreira (cb), Pierre demange (dms)
NEFERTITI ou la dynamique des fluides.
Nous étions restés scotchés l’an dernier, à peu près à la même période, au festival de Coutances où ils avaient enflammé le Magic Mirror. On les retrouve aujourd’hui avec la parution de cet album live enregistré à Paris.
Nouveauté de la scène émergente du jazz français, Nefertiti (dont le nom vient de la célèbre composition de Wayne Shorter) nous avait été révélée par Jazz Migration et l’on peut leur rendre hommage et les saluer ici puisqu’il s’agit d’une véritable pépite qu’ils nous ont permis de découvrir.
Ce quartet, sous l’impulsion notamment des compositions de la pianiste Delphine Deau, c’est de la création instantanée, de l’inventivité en temps réel. Tout y est construit pour mettre en mouvement les quatre pièces de l’engrenage que sont les quatre membres du quartet. C’est en quelque sorte la dynamique des fluides à quoi on assiste dans des moments où l’attention est captivée de bout en bout. Et, si l’on a l’habitude en jazz de parler de power trio, on pourrait ici parler de power quartet.
Parce que tout y est : 4 musiciens incroyables. Une énergie circulaire où se mélange les phrases incisives et puissantes de Camille Maussion et les harmonies mystérieuses de Delphine Deau. Un groupe qui fonctionne véritablement à l’unisson de leurs idées musicales.
Tout y est vous dit-on. Les compositions riches de la pianiste et la façon qu’a le quartet de planter le décor aux quatre coins de l’espace musical. Car c’est de cela qu’il s’agit : d’habiter un espace musical comme, pour des acteurs habiter la scène. Avec eux l’immobilité n’est jamais immobile (Maelstrom, follow my lead) et le mouvement est lui cyclique et fluide. Un peu comme des mobiles que feraient se mouvoir le vent, qu’il soit doux ou tempétueux.
Camille Maussion s’y montre impressionnante de lyrisme autant que de puissance, projetant le son avec autant de fougue que de grâce. Sur les traces d’un Emile Parisien, assurément. Il y a dans son jeu quelque chose de tripal qui vient des entrailles et qui l’amène sur des sommets (Danse futuriste). Delphine Deau quant à elle déroule son jeu avec une incroyable finesse. Avec une légèreté fluide qui lui vient des grands noms du jazz (Danse futuriste), elle apporte le socle mélodique et harmonique et plonge parfois dans des sortes de clairs-obscurs aux atours mystérieux (Vague à l’âme).
Laissez-vous embarquer dans l’univers de NEFERTITI et ses longs morceaux aux développements surprenants. Suivez les guides, ils vont vous emmener dans les plus belles contrées du jazz.
Jean-marc Gelin
Et retrouvez Nefertiti sur Jazzbox ( Aligre fm 93.1), samedi 3 juin à 17h.
Jean-Michel Pilc (p), François Moutin (cb), Ari Hoenig (dms)
Quand le créativité d’un trio vient vous pétiller dans les oreilles !
Ces trois là se connaissent bien. Très bien même. Leur dernier album ensemble remontait cependant à 12 ans et il s’agit ici, dans cet enregistrement à New-York d’une sorte de retrouvailles toutes naturelles entre ces musiciens totalement fusionnels. Et comme ils se connaissent bien, pas besoin de longue préparation, de répétitions préalables. Il leur a suffit d’entrer en studio, de savoir ce qu’ils allaient jouer et de laisser l’instant se produire spontanément.
Ce ne sont donc que des prises uniques qui sont ressorties de cette séance en studio.
Et le moins que l’on puisse dire c’est que Pilc-Moutin-Hoenig sont à leur affaire, comme des gamins qui s’amusent ( qui jouent) à démonter des puzzles pour en recréer d’autres à leurs guises.
Alors ils jouent à détruire et reconstruire les structures classiques, les rythmiques, les harmonies et mêmes les mélodies réinventées. Er c’est là où ça devient magique ! Car, dans leur liberté, aucun des trois n’est en reste et chacun se retrouve à l’unisson de cette entreprise de re-création.
Alors, libre à eux de reprendre quelques standards (after you’ve gone, the song is you) ou même le célèbre Impressions de Coltrane, ils en font tout autre chose. A leur façon. Même ce morceau traditionnel qu’est Dear old Stockholm jadis magnifié par Miles davis ou Stan Getz semble retrouver une nouvelle vie harmonique.
Avec eux, le thème est un prétexte à l’improvisation à la création d’une sorte de désordre pétillant.
Les papilles auditives sont en alerte devant tant de créativité.
Comme tous les ans, le festival donnait carte blanche à un artiste pour jouer avec le musicien de ses rêve. Pour le jeune pianiste arménien Yessaï Karapetian et son frère Marc (contrebassiste) il s’agissait de la grande batteuse américaine Terry Line Carrington. Malheureusement, après avoir répété durant une semaine ensemble, Terry ne pouvait finalement pas faire le concert étant rappelée aux US pour des raisons familiales. Du coup c’est notre « immense » Gauthier Garrigue ( batteur d’Henri Texier ou de Flash Pig entre autres) qui prenait la place de la batteuse. Et, le concert ayant été conçu pour laisser beaucoup de place aux solos de batterie, Gauthier Garrigue pouvait revêtir sur la musique de Yessai Karapetian ses habits de lumière avec un incroyable brio. Trouvant là toute la place pour démontrer à quel point la musicalité de ses toms fait de lui l’un des plus grands sur l’instrument en ce moment. La musique du pianiste évoluait alors entre ses propres compositions et des thèmes traditionnels arméniens, avec deux superbes solistes au duduk et à la flûte.
Beau voyage pour un public ravi de se laisser séduire par ce programme qui l’emmenait entre deux mondes.
ANA CARLA MAZA
Ana Carla Maza (cello, vc), Fidel Fourneyron (tb), Irving Acao (ts), Norman Peplow (p, claviers), Luis Guerra (percus)
@jmgelin
La violoncelliste-chanteuse de Cuba est la véritable diva du moment. Elle nous avouait d’ailleurs en interview qu’elle avait déjà donné plus de 150 concerts aux quatre coins du monde depuis le début de l’année ! JSLP qui l’avait déjà accueillie l’an dernier dans le programme de Fidel Fourneyron, ne pouvait pas passer à côté de cette musicien aussi solaire que charismatique qui venait présenter en avant-première son nouvel album, « Caribe » écrit autour des musiques d’Amérique latine ( Cuba, Brésil, Pérou, Colombie, Argentine etc…). Le moins que l’on puisse dire c’est que la violoncelliste-chanteuse sait y faire pour mettre le public dans sa poche, l’invitant à chanter avec elle sur des gimmicks de salsa ou de rumba. Avec Ana Garla Maza c’est le sourire allié à une énergie débordante de vitalité au service d’une musique qui donne au public sa dose de bonne humeur et de soleil.
Ana Carla Maza utilise son violoncelle à l’archet ou comme contrebasse, chante avec une voix venue des faubourgs de la Havane, rend hommage à ses ancêtres sud-américains et apporte dans ce monde parfois si terne, une bouffée d’air frais. Le public, là encore est aux anges et se levait pour danser et chanter avec Ana Carla Maza, véritable star du moment.
@jmgelin
Vendredi 19 mai
Girls in Airport
Martin Stender (saxs), Mathias Holm (claviers), Victor Dybbroe (percus), Anders Vestergaard (dms)
Pour le coup il s'agissait d'une totale découverte puisque jamais entendus auparavant. On en avait entendu parler mais c'est tout.
Et franchement, autant vous dire que ce groupe de jeunes musiciens Danois a été pour nous une véritable révélation. Découverte donc de leur musique et de leur vision d'un jazz totalement modernisé basé sur un intrumentarium original. 4 jeunes garçons dans le vent réunissant un batteur, un percussionniste magicien, un sax minimaliste et un clavier ultra créatif. Au début on peut avoir un peu de mal à entrer dans leur climax. Mais très vite s'en suit une sorte de fascination hypnotique. La musique est hyper bien construite et ce quartet nous embarque totalement dans leur trip. Dans une sorte d’onirisme fait de nappes et de tapis sonores sur lesquelles se greffent mille détails électro-acoustiques. Une sorte de jazz psychédélique et planant. Leur prochain album ( « How it is now ») dont ils donnaient un aperçu sortira en août 2023. A découvrir d’urgence.
THIERRY MAILLARD, ensemble Caméléon
Thierry Maillard (p), Chris Jennings (cb), Yoann Schmidt (dms), Maë Defays (vc), Christelle Racquillet (fl), Olga Malechenko (as), Olivia Gay (cello), Virna Nova (g), + le groupe Vagabondes : Zoe Brocard, Sofie garcia, Clémence Marcourant, Gladys Roupsard, Thifaine Zerbib, Louise Challieux (vc)
L’occasion ici de réentendre cet album du pianiste Thierry Maillard, artiste étonnant par la diversité des projets auxquels il s’attaque. Son ensemble « Caméléon », composé uniquement de femmes repose ( à l’exception de la rythmique) sur un répertoire original à la frontière du jazz et du lyrique, dans une veine qui n’est pas sans rappeler celle de Magma. On est frappés par la richesse des compositions au service de chanteuses vestales qui, telles des prêtresses romaines, semblent inviter les oracles et en appeler à des divinités païennes.
Thierry Maillard faisait aussi appel à quelques invitées avec la violoncelliste Olivia Gay, l’incontournable saxophoniste Olga Malechenko ou encore l’incroyable flutiste Christelle Racquillet.
FEMI KUTI
@jmgelin
Changement de décor radical à la salle Marcel Helie pour accueillir le descendant de Fela, en l’occurrence son fils, Femi Kuti.
Arrivée sur scène tonitruante du chanteur et multi-instrumentiste accompagné de trois danseuses plantureuses revêtues de leur (mini) tenues de guerrière africaines.
Celui qui perpétue la tradition et poursuit la voix de l’afro-beat faisait résonner tambours et cuivres sur des tempos sur lesquels le public, en partie debout sur le parreterre ne pouvait pas résister. Toujours empreint de cette colère politique et africaine, Femi Kuti transmettait son énergie à la scène et au public avec en ligne de mire, le ballet sensuel et dechorégraphié des trois grâces que l’on avait du mal à quitter des yeux.
Notre coup de cœur, ever ! Ce groupe fait définitivement partie de ce qui se produit de mieux dans l’hexagone. Que voulez-vous, ce groupe transpire le jazz ! L’essence même du jazz. Sa quintessence. On a beau les avoir entendus maintes fois, ce groupe nous bluffe par son talent et par la cohésion du quartet. Et, quand 4 musiciens parviennent ensemble à élever leur jeu à un tel niveau, il n’y a plus, pour nous public, qu’à se laisser porter pour atteindre avec eux, les sommets du jazz. Tout en haut des cimes. Toute une histoire du jazz entre leurs mains et dans nos oreilles, en passant par Sonny Rollins ou Ornette Coleman. Avec Flash Pig on a affaire à des passeurs. On pourrait parler des quatres, individuellement et énumérer leurs talents mais une page n’y suffirait pas. Alors on préfère s’attarder sur le collectif. Qu’il nous propose un étonnant morceau qui sera dans leur prochain album où Adrien Sanchez prend des allures lesteriennes, qu’ils nous embarquent dans des morceaux spaciaux où tout est presque murmuré ou bien qu’ils balancent un groove irrésistible, tout y est ! On est dans le jazz. En plein cœur.
MARCUS MILLER
Marcus Miller (b), Donald Hayes (as), Russell Gunn (tp), Xavier Gordon (p), Anwar Marshall (dms) + Tom Ibarra (g)
Et oui, ça le fait toujours avec Marcus Miller ! Grosse machinerie à l’américaine, certes mais avec un savoir-faire qui ne se dément pas. On le sait et l’on sait exactement à quel type de concert s’attendre, mais toujours l’effet whaouh !
Pourtant le concert n’avait pas très bien démarré et sur les 3 ou 4 premiers morceaux on sentait le bassiste un peu en dedans, un peu las. Les solos des uns et des autres alternaient sans que l’on en relève quoique ce soit si ce n’est ceux du jeune guitariste français Tom Ibarra dont Sylvain Luc nous avait parlé et que l’on promet être un futur grand de l’instrument. Et puis, il suffisait que Marcus Miller se dise, c’est bon on va faire décoller ce concert pour qu’il nous livre un solo époustouflant dont il a le secret pour qu’enfin tout à coup tout se réveille.
Bien sûr avec Marcus Miller il y a les incontournables références à Miles en passant par Amandla ( Mr Pastorius) ou, forcément, Tutu qu’il reprend à chaque concert. Et là du coup tout se met en marche et l’on découvre un Russell Gunn bien plus inspiré par son rôle à la Miles Davis.
Quelques rappels alors pour un public debout qui n’avait pas envie de cela s’arrête.
@jmgelin
Le même public, bon enfant, gourmant de musique et si attachant de Coutances qui se retrouvait dehors avec l’envie de poursuivre la soirée. Parce que définitivement personne n’avait envie de voir la fête s’arrêter.
Et que, à l’aube venue nous avions déjà une seule envie en tête : être déjà l’année prochaine.
Ce sont deux complices inséparables qui se retrouvent en duo. Deux copains qui de longue date ont l’habitude de jouer ensemble. Mais si le saxophoniste a l’habitude du dialogue avec son autre compère, l’accordéoniste Vincent Peirani, c’est dans ce nouvel album qu’Emile Parisien et la pianiste Roberto Negro se retrouvent pour un album en duo.
Et le moins que l’on puisse dire c’est que cette rencontre est virevoltante dans une sorte de flow et de circulation d’énergie entre les deux acteurs de cette pièce. Dans ce qui s’apparente à la fois à un conte fantastique parfois crépusculaire et ténébreux mais aussi à un échange mutin et joyeux, les deux musiciens semblent croiser le fer. Comme deux duettistes sur un champ de bataille musicale où il ne serait pas question de mettre à mort mais au contraire, de mettre à vie.
Emile Parisien (on ne va pas cesser de le dire durant les 20 ou 30 prochaines années !) est encore et toujours exceptionnel. Comme la version actuelle et moderne de Sydney Bechet. Emile Parisien c’est le flow et l’énergie couplés à la puissance du son projeté avec un sens inoui de l’improvisation. Prenez n’importe quelle plage de cet album et le lyrisme du saxophoniste va vous suater aux oreilles charmées par le prodige. Mais s’il ne s’agissait que de cela nous serions dans le tour de force. Mais non ! Au-delà il y a une force de vie incroyable. Une forme d’urgence à dire. Une flamboyance du geste ( Alla marcia, pesante).
Et qui de mieux pour s’exprimer ainsi que le pianiste Roberto Negro qui, comme toujours affiche une incroyable liberté du clavier avec la puissance d’un forcené maltraitant les graves de son piano comme un Dieu déclenchant l’orage, la foudre et la tempête.
Parce que tous les deux vont chercher au-delà du dialogue gentil et souvent dans ce genre d'exercice très(trop) respectueux, dans Metanuits c’est comme si chacun cherchait à pousser l’autre dans ses extrêmes limites. Sauf que les limites, ils n’en ont guère et que s’ils en ont ce n’est que pour s’en affranchir.
Et lorsque le calme vient après le paroxysme, c’est pour nous embarquer dans une sorte de promenade imaginaire. Comme une parenthèse dans les nuages ( Tempo di valse) Puissant de bout en bout !