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21 février 2021 7 21 /02 /février /2021 19:43

Claude Carrière et Rebecca Cavanaugh, Montpellier 25 juillet 2014

 

Quand j'écris ces lignes, le dimanche 21 février, Claude est mort depuis un peu plus de 24 heures. J'ai appris la sombre nouvelle dans le métro qui me conduisait à la Maison de la Radio pour un concert à huis-clos, avec en première partie le quartette de Géraldine Laurent (une musicienne que Claude contribua largement à faire connaître au début de sa carrière), et en seconde partie le quintette d'Olivier Ker Ourio. Cette seconde partie étant en direct sur France Musique, dans l'émission 'Jazz Club', inventée en 1982 par Claude Carrière et Jean Delmas, qui la co-produisirent jusqu'en 2008. Funeste coïncidence. Me reviennent aujourd'hui à propos de Claude une foule de souvenirs, d'amateur d'abord, à l'écoute de France Musique, puis de collègue, et d'ami.

J'avais écouté avec passion, à la fin des années 70, les premières années de la série 'Tout Duke', dont Claude produisit pour France Musique quelque 400 épisodes. Et j'avais lu ses articles dans Jazz Hot, même si mes goûts et autres choix idéologico-esthétiques me rattachaient à la 'famille' de Jazz Magazine. J'ai rencontré Claude et Jean Delmas (et aussi André Francis) en juillet 1981 au festival de Nice. Je faisais des émissions de jazz sur Radio K, une radio francophone basée à San Remo. Station à la naissance de laquelle j'avais très activement participé : un ministre de Giscard avait déclaré (révélations du Canard Enchaîné) que nous étions «un poignée d'aventuriers gauchistes». Pas faux. Contact très amical avec Claude et Jean, manifestement très intéressés par notre démarche libertaire (et puis, une radio où il y a plusieurs émissions de jazz chaque semaine, ça leur parlait !).

En janvier 1982, alors que je dînais seul après mon émission dans la cuisine de notre hôtel transformé en station de radio, j'ai écouté un des premiers 'Jazz Club' sur France Musique avec Barney Wilen. Or peu avant Barney, que j'avais rencontré à Nice, et qui était venu improviser en direct pour nous pendant trois heures sur des mixages de musiques et autres divagations sonores, m'avait ouvert les portes de Jazz Magazine, conseillant à Philippe Carles de me recruter. J'étais avant cela à Lille, et je n'aurais pas postulé à JazzMag, par égard pour mon pote Gérard Rouy qui officiait déjà depuis plus de 10 ans dans ces colonnes. Encore une rencontre, encore une chance. Le mois suivant, après la fermeture de Radio K, venu à Paris rejoindre ma petite amie, je cherche du boulot. René Koering (celui-là même qui avait accepté l'idée du 'Jazz Club'), cherche de nouvelles voix pour France Musique. Fin février, je suis reçu par Koering, qui a bien aimé l'enregistrement du direct avec Barney (je lui ai bien dit que je n'avais fait que concrétiser une idée du saxophoniste....), et cinq semaines plus tard je fais mes débuts sur France Musique le samedi matin dans l'émission de Philippe Caloni consacrée à l'actualité du disque, et où je vais succéder à Lucien Malson pour traiter l'actualité phonographique de ma musique préférée. Pour le petit gars de province que très peu de gens dans la micro-jazzosphère connaissaient, encore un coup de chance.

 

Et l'évocation de Philippe Caloni ravive un autre souvenir. En juillet 1982, toute l'antenne de France Musique est au festival d'Aix-en-Provence, y compris les jazzeux, et je fais quotidiennement à Aix une émission que j'aurais pu faire dans les studios de Paris. Nous sommes sur une terrasse, devant l'Institut d'Études Politiques où sont nos studios provisoires, à l'heure du pastis, et nous chantons à tue-tête (à peu près juste et en place....), le thème Hot House, composé par Tadd Dameron et immortalisé par Gillespie et Parker. Joyeuse tablée avec Caloni, Claude, le réalisateur Michel Gache, Jean-Paul Beaugelet-un technicien féru de jazz-, et quelques autres dont votre serviteur....

Une foule d'autres souvenirs au fil des années, comme ce soir où deux jeunes producteurs de France Musique avaient organisé une soirée privée entre nous, hors antenne, au studio 106, où ceux et celles qui le souhaitaient (productrices et producteurs, réalisatrices et réalisateurs, technicien.ne.s, attaché.e.s de production....) étaient convié.e.s à jouer pour leurs collègues. On écouta ce soir-là un mouvement de sonate pour violon & piano de Brahms, un quatre mains sur quelques danses hongroises du même, une mélodie de Rachmaninov, et les jazzeux ne furent pas de reste, au piano : Arnaud Merlin joua en trio Israel de Johnny Carisi, Yvan Amar nous offrit un solo improvisé d'une insolente sinuosité harmonique, Claude était attendu en milieu de programme pour jouer Ellington ou Strayhorn, et votre serviteur devait intervenir en fin de soirée. Mais Claude était en retard : on me demanda d'anticiper ma prestation. Et pendant que je me livrais à une variation sauvage intitulée Le chien d'Igor aboie et la caravane passe, massacrant les accords du Sacre, et aussi un court fragment mélodique de L'Oiseau de feu, avant de glisser vers les harmonies de Caravan (une des rares tonalité où je puis, très sommairement, improviser....), Claude fit une magistrale entrée en haut du gradin du studio. Le voyant, je fus pris d'une panique insondable, comme un délinquant pris sur le fait : massacrer le Duke devant la Statue du Commandeur des Ellingtonophiles, c'était un crime de lèse majesté ! Mais le piano du studio 106 (un Steinway 'D' de Hambourg de la fin des années 90) était d'une telle qualité, c'était un tel plaisir que de le maltraiter, que j'ai accompli mon forfait jusqu'à l'ultime accord (de Fa, très altéré). Claude, toujours bon camarade, et naturellement bienveillant, ne fit aucun commentaire désobligeant à propos de mon sacrilège....

Vers la même époque un directeur de France Musique voulut faire une grande opération en direct du Jazz Club de Méridien (baptisé à l'époque 'Jazz Club Lionel Hampton') car le grand Lionel lui-même devait y donner un concert. Ce n'était pas un vendredi, mais le directeur voulait que Carrière et Delmas en fissent une soirée spéciale de l'émission 'Jazz Club'. Nous pensions tous que le grand Lionel Hampton, alors âgé de 92 ans, n'était plus à l'époque musicalement qu'un pâle reflet de son considérable talent passé. Ce ne fut donc pas un 'Jazz Club' spécial, mais une soirée exceptionnelle de France Musique. Depuis deux ans j'avais la responsabilité du Bureau du Jazz, Claude et moi avions comme activité principale, et presque exclusive, la radio. Il nous fallut donc avaler la couleuvre et faire ensemble ce direct. Le directeur savait que ce serait, médiatiquement (sinon musicalement....), un événement, et quelques jours plus tard il exhibait triomphalement un argus de la presse (photocopie des tous les articles de presse, avant et après cette soirée) de plus d'un kilo ! Manifestement lui et nous n'avions pas la même conception de notre métier. Nous fîmes vaillamment ce direct, avec des invités (donc certains 'suggérés' par la direction) qui parlèrent surtout d'eux-mêmes, et assez peu, et peu pertinemment, de Lionel Hampton. Lequel joua, comme il put. Souffrance pour une partie des présents, et des auditeurs de France Musique, et aussi manifestement pour les musiciens qui l'accompagnaient, qui tenaient à conserver un autre souvenir de ce héros du jazz. Le seul bon souvenir de cette pénible soirée, ce fut Sacha Distel, très affable, qui parla brillamment de Lionel Hampton, de ses émois d'amateur, et de l'enregistrement qu'il avait fait pour Barclay avec Hampton en 1955. Sacha fut le seul qui vint à la fin du direct nous saluer. Je ne le connaissais pas personnellement, mais pour moi il était le guitariste d'un très beau disque avec John Lewis et Barney Wilen, en 1956, et l'homme confirmait mon préjugé favorable.

 Le Jazz Chamber Quintet, pendant la répétition, 25 juillet 2014

 

Je vais clore là cette litanie des souvenirs professionnels qui m'ont lié à Claude Carrière, alors qu'il en est bien d'autres. Mais je voudrais conclure par celui qui, peut-être, me tient le plus à cœur. Nous sommes en juillet 2014. Claude a été écarté de France Musique en 2008, et il a mal vécu cette injuste éviction. J'ai moi-même appris deux mois plus tôt que Radio France ne renouvelle pas mes contrats. J'ai encaissé mais je n'en mène pas large. Pour la programmation de jazz du festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon j'ai conçu une série de concert où figuraient le trio de Manuel Rocheman, le quartette de Boris Blanchet, beaucoup d'autres, dont Dominique Pifarély qui conclurait le festival, et qui serait mon ultime production pour Radio France après 32 ans de présence. Et le 25 juillet, veille de ma dernière prestation, j'accueillais le formidable 'Chamber Jazz Quintet' avec en invité André Villéger. Le groupe rassemblait la chanteuse Rebecca Cavanaugh, Frédéric Loiseau, Marie-Christine Dacqui, Bruno Ziarelli.... et au piano Claude Carrière. J'écris formidable pas seulement en pensant à l'adjectif que Claude utilisait volontiers, mais parce que j'aimais beaucoup ce groupe. Juste avant d'entrer sur scène, alors qu'en coulisse je m'apprêtais à faire l'annonce de présentation avant de laisser place aux artistes, Claude semblait paniqué à l'idée de jouer devant ce très nombreux public (plus de 1.500 spectateurs dans l'Amphi d'O), et les micros de notre chère radio en prime. Le doute et l'angoisse de celui qui était pourtant plus que légitime. Claude entra vaillamment sur scène avec ses amis. Le concert commençait avec une composition à lui dédiée par son ami le guitariste Frédéric Loiseau, Blues for C. Introduction par le piano seul. Claude avait vaincu le démon furtif de l'angoisse d'avant-scène. L'intro était magnifique. Le concert le fut tout autant. Il fut diffusé à la rentrée par une consœur de France Musique. C'est ainsi que l'Ami Claude fut un repère dans ma vie de radioteur occupé de jazz, de ses prémices jusqu'à sa conclusion. Merci Claude !

Xavier Prévost

L'Amphi d'O à Montpellier, photo Luc Jennepin

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21 février 2021 7 21 /02 /février /2021 11:46
BLACK AND BLUE : adieu à Claude Carrière, passeur de jazz.

BLACK AND BLUE : adieu à Claude Carrière, passeur de jazz.

 

 

J’ai appris la nouvelle lors du passage d’antenne hier soir sur France Musique entre Jérôme Badini des Légendes du jazz et Yvan Amar du Jazz Club. Ce dernier a rendu hommage à Claude Carrière, journaliste et producteur, le créateur avec Jean Delmas, de la formule en 1982 avec ces concerts retransmis avec les aléas du direct.

J’ai bien conscience que toute une génération tire sa révérence et cela fait mal. Ce sens de la perte est aussi aggravé en cette période anxiogène. Comme si on perdait ses repères. Je me souviens de Claude Carrière, mon “papa de jazz” comme j’aimais à l’appeler, dont la voix si particulière ( mais il y en avait d’autres à l’antenne à l’époque, Alain Gerber, Lucien Malson, Daniel Nevers, sans parler d’Henri Renaud ou André Francis) me révéla Tout Duke dans cette formidable série, dont chaque épisode, toujours trop court, passait à 12h 05 sur les ondes, si ma mémoire ne me joue pas des tours. Heure tout à fait improbable, mais possible pour une lycéenne malade qui s’était trompée de fréquence, délaissant France Inter que sa mère écoutait toute la journée à partir du “Bonjour” tonique et décontracté de Bouteiller.

Nous étions en 1977, cela je m’en souviens parfaitement. Si j’écoutais dans la discothèque familiale Gershwin et Armstrong sur des LP Brunswick épais noir réglisse, j’allais avec les émissions de Claude Carrière et ses extraits généreux que j’enregistrais frénétiquement sur des Sony chrome vertes très résistantes que m’avait rapporté mon père, entrer dans le monde du Duke et de Billy Strayhorn, apprendre qui était le “lapin” Johnny Hodges, le voluptueux Harry Carney ( "Frustration"), le trompettiste Cootie Williams qui eut droit à son concerto, le clarinettiste Barney Bigard ou le tromboniste Juan Tizol ("Caravan")… Il n’ y avait pas internet, j’entendais des noms dont l’orthographe me paraissait approximative (Joe Tricky Sam Nanton !) et je repassais les extraits sans fin.

Ma connaissance et mon amour du jazz ont été “déformés” ainsi alors que la musique pop, rock, le free vivaient des heures excitantes. J’écoutais d’autres musiques mais quand on en venait sur le terrain du jazz, c’était le classique des grands orchestres…

Je ne lisais pas encore la presse spécialisée, et je me fichais bien de Jazz Hot, Jazz Magazine, Rock and Folk ou Best. Je lisais plutôt du cinéma. Mais je dois à la radio cet apprentissage, ce voyage initiatique dans le temps et la musique.

Plus tard, j’ai retrouvé Claude Carrière, l’homme du label CRISTAL, et je me suis régalée à lire ses livrets aux notes de pochette si érudites. Tout un art de la synthèse pour présenter une compo, un musicien, un thème. Je me suis constituée toute la série des Original Sound de Luxe, collection qu’il dirigea à partir de 2007, aujourd’hui bien rangée dans ma discothèque. Albums de référence que j’ai chroniqués sur ce site très régulièrement, par ailleurs. Claude Carrière | Un artiste du label Cristal Records

avec toutes ces pochettes merveilleusement dessinées par Christian Cailleaux, après une sélection rigoureuse en fonction de chaque thème.

Comme Claude Carrière était pianiste, il enregistra aussi sur Black and Blue deux albums : 

Rebecca CAVANAUGH/LOISEAU/CARRIERE/DACQUI: "Looking Back" - les dernières nouvelles du jazz (over-blog.com)

THE CHAMBER JAZZ QUINTET MEETS ANDRE VILLEGER :"For all we know" - les dernières nouvelles du jazz (over-blog.com)

 

A lire aussi le témoignage de Franck Bergerot Claude Carrière – Reminiscing in Tempo – Jazz Magazine et évidemment l’hommage de Jean Louis Lemarchand sur notre site des DNJ.

Sophie Chambon

 

 

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20 février 2021 6 20 /02 /février /2021 20:55

Héraut du jazz un demi-siècle durant, producteur de radio, directeur de collection discographique, président de l’Académie du Jazz (1993-2004), pianiste, Claude Carrière décédé le 20 février à Paris d’un malaise cardiaque à l’âge de 81 ans, restera dans l’histoire de « la plus populaire des musiques savantes » comme l’infatigable admirateur de Duke Ellington.

 

L’une des dernières œuvres de cet aveyronnais de Rodez « monté » à Paris dans les années 50, aura d’ailleurs été la réalisation d’albums d’inédits d’Ellington pour la Maison du Duke, association dont il assurait la présidence, succédant à un autre fan du compositeur, Christian Bonnet.
Sa légitimité était incontestable. Claude Carrière avait, entre 1976 et 1984, diffusé en 400 épisodes l’œuvre intégrale de Duke Ellington sur les ondes de Radio France avec son émission simplement baptisée « Tout Duke ». Et c’est tout naturellement que Christian Bonnet et l’éditeur Slatkine lui avaient demandé de préfacer la version française de l’autobiographie du Duke (Music is my mistress, Mémoires inédits. Duke Ellington. 2016).

 

Mais il ne limitait pas sa passion du Duke à ces hommages de producteur et journaliste. Claude Carrière aimait à jouer la musique du Duke –et de son complice Billy Strayhorn- notamment en compagnie de la chanteuse Rebecca Cavanaugh et du guitariste Fred Loiseau (en attestent deux albums sous le label Black & Blue, ‘Looking Back' et ‘For all we know’).

 

Si le Duke était son idole, Claude Carrière n’aura cessé de prêter oreille à ce que le jazz pouvait apporter de vivant et surtout d’authentique et de lui donner droit de cité dans une émission unique en son genre, Jazz Club. Le tandem formé avec Jean Delmas présentera pas moins de 1150 émissions entre janvier 1982 et juin 2008 sur France Musique. Le concept, accepté par le directeur de l’époque de la station, René Koering, était révolutionnaire : inviter chaque vendredi soir pendant deux heures l’auditeur au cœur d’un club, ce « véritable laboratoire du jazz », selon l’expression de Claude Carrière.

« Sa principale qualité était que, comme il était lui-même musicien, il parlait d’égal à égal avec les musiciens, explique Arnaud Merlin, producteur à France Musique et programmateur de la série des concerts "Jazz sur le vif" à Radio France. Ce n’était pas un théoricien, il était de plain-pied avec la musique. » « Il avait une justesse de jugement sur les musiciens, j’oserais même dire une infaillibilité, qui m’étonnait en permanence » souligne Jean Delmas.

 

Le livre d’or de l’émission qui s’ouvrait sur un générique composé par le pianiste-chanteur Bob Dorough comprend le gotha du jazz planétaire : Dizzy Gillespie, Chet Baker, Elvin Jones, Roy Haynes, Milt Jackson, Brad Mehldau, Martial Solal, Jim Hall… Mais peut-être ce dont Carrière et Delmas étaient les plus fiers, c’est d’avoir ouvert leur micro à des jeunes musiciens, le guitariste Biréli Lagrène en 1982 (il avait 16 ans), le pianiste Manuel Rocheman en 1986 ou la saxophoniste Géraldine Laurent en 2007.

 

Cette passion pour le jazz, Claude Carrière la fera partager également aux lecteurs des magazines spécialisés ( Jazz Hot, Jazzman, Jazz Magazine) et aux collectionneurs de disques avec son travail pour plusieurs labels, dont RCA, Vogue, Dreyfus Jazz, Cristal Records.

« Le jazz est une musique fragile, nous confiait en 2007 Claude Carrière, il faut le soutenir » ... Mission accomplie par un amoureux du jazz, érudit (sans pontifier) et chaleureux, qui savait à merveille transmettre sa passion.

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

©photo Jean-Louis Lemarchand
 

 

 

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15 février 2021 1 15 /02 /février /2021 15:25
Oui, c'était tout ça Chick!
Oui, c'était tout ça Chick!

 

 

Chick Corea oui, c’ était tout ça Chick!

 

Tout le week end, les hommages ont afflué pour célébrer l’une des légendes du jazz des cinquante dernières années. Il a traversé toutes les esthétiques : d'une solide culture classique, amoureux du bop (Bud Powell), il devint le héros du jazz rock et de la fusion à son acme, et  il n'en a pas moins flirté un temps avec le free.

Passons sur les innombrables messages sur les réseaux sociaux, souvent dispensables, même si on pourrait me rétorquer que le ressenti ne ment pas, forcément subjectif,  pas moins “communicable” et “partageable”. 

Revenons plutôt sur les radios qui ont joué leur rôle, enfin surtout France Musique. Mais on n’en attendait pas moins de nos émissions préférées sur cette antenne qui sont revenues sobrement sur sa carrière, illustrées- et c’est ce qui importe, de généreux extraits musicaux. 

Notre Jean Marc Gelin des DNJ a bouleversé sa programmation sur Radio Aligre FM, 93.1, pour évoquer avec aisance, en une petite heure, trop courte, le pianiste.

Les journaux de la presse nationale se sont livrés au passage obligé, le “marronnier” de la nécrologie. C’est drôlement difficile de faire une bonne nécro, cela demande talent, connaissances et de partager son sentiment, forcément subjectif. J’ y reviens décidément, un ressenti qui serait universel, ou simplement intersubjectif?

Sur le blog de Jazz Magazine, Franck Bergerot nous a livré, dans Bonus, sa recollection de Now He Sings, Now He Sobs, sorti initialement sur Solid State. Bonne pioche. Il a découvert le disque, comme il le fallait, à sa sortie, il y a cinquante deux ans mais il cite encore l’article de 1971 d’Alain Gerber que j’aimerais bien lire…. sur Jazz Magazine n°171, d’octobre 1969. C’est ça qu’est Chick. Et dont je m'inspire car je n’ai jamais su trouver de titre accrocheur! 

J’ai acheté le même disque, ressorti sur Blue Note, bien des années après, mais à “mon” époque, je n’ai guère écouté de Chick Corea que l’incontournable Return to Forever, comme un torrent d'énergie  avec ses espagnolades, sans nuance péjorative de ma part, je précise.

C’est la dernière émission de Laurent Valéro, “Repassez-moi le standard”, hier soir à 19h, toujours sur France Musique, qui m’a donné envie de faire le point. Il nous fit entendre les thèmes obligés devenus cultes, mais aussi les standards ( émission oblige) aux quels, comme tout grand du jazz, Chick s’est frotté avec bonheur, éternelles compositions de jazz ou de la pop. En cherchant dans mes papiers, je n’ose dire “archives”, j’ai retrouvé une chronique que j’avais écrite, en 2002, témoignage d’une époque passée, où ECM se livrait déjà à une compilation, pas “dégoutante” du tout!

 

 

Dans son anthologie ECM RARUM, 2002, Chick Corea a choisi 13 titres de 6 albums et 3 groupes dont le mythique Return To Forever. Nostalgie oblige, il choisit de commencer avec la suite de 1972, qui évoquait déjà un monde idéal “Sometime ago” et “La Fiesta”. Qu’on nous pardonne d’écouter encore avec quelque émotion ces plages datées aujourd’hui, qui mettent en évidence le talent du flûtiste et saxophoniste soprano Joe Farrell, le percussionniste Airto Moreira transformé en batteur pour la circonstance, la voix perchée de Flora Purim et l’enthousiasme contagieux de Chick Corea au piano électrique, instrument adopté à l’époque pour faire sonner cette musique d’inspiration diverse, à la fois classique, jazz et brésilienne. Changement d’ambiance avec les délicats duos piano-vibraphone avec son pote de toujours Gary Burton, ou encore un live à Zurich en 1979, “Desert Air” choisi sur le remarquable Crystal Silence.

Mais la crème de la crème reste tout de même le trio avec Miroslav Vitous et Roy Haynes, “Now he sings, now he sobs” dans certaine reprise de Monk “Rhythm-ning” ou dans le final d’un live à Willisau en 1984 “Summer night/ Night and Day”: 14’22 de pur plaisir avec le trio : swing impressionnant, rythme intense, mélodies recherchées!

Corea a une qualité rare, il laisse ses partenaires suffisamment libres dans des échanges qui prennent leur temps et tout leur sens. Immense soliste, il sait aussi être un accompagnateur de premier ordre. Constamment en recherche, il a changé de direction maintes fois dans sa vie et il faudrait plus que cette première compil pour rendre compte de toutes les influences qui l’ont traversé et qu’il a su transcender. La carrière de Corea est si fertile que l’on attend avec impatience un nouvel opus: il faut en effet réentendre le soliste des Children songs, ou des Piano Improvisations, le révolutionnaire créateur de l’ensemble Circle. Oui Corea , c'est vraiment un chic type….

Sophie Chambon

Oui, c'était tout ça Chick!
Oui, c'était tout ça Chick!
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27 janvier 2020 1 27 /01 /janvier /2020 20:40

La remise des Prix 2019 de l’Académie du jazz  a eu lieu lors de la soirée de gala organisée le lundi 27 janvier 2020 au ’Pan Piper’, 2-4 Impasse Lamier, à Paris (11ème), animée par le président François Lacharme et en présence de personnalités de la musique, du cinéma et des spectacles :

 

Prix Django Reinhardt (musicien français de l’année),avec le soutien de la Fondation BNP Paribas :
HUGO LIPPI, guitariste.
Finalistes : Théo Ceccaldi (violon), Leïla Olivesi (piano, composition, arrangements).


Grand Prix de l’Académie du Jazz (meilleur disque de l’année) :
YES ! TRIO, pour l’album « Groove du Jour » (Jazz&People / Pias).
Finalistes : Avishai Cohen & Yonathan Avishai pour « Playing the Room » (ECM / Universal), et Theo Croker pour « Star People Nation » (Okeh / Sony Music).


Prix du Disque Français (meilleur disque enregistré par un musicien français) :
LAURENT COULONDRE, pour l’album « Michel On My Mind » (New World Production / L’Autre distribution).
Finalistes : Leïla Olivesi pour « Suite Andamane » (Attention Fragile / L’Autre distribution), et Louis Sclavis pour « Characters On A Wall » (ECM / Universal).


Prix du Musicien Européen (récompensé pour son œuvre ou son actualité récente) :
DANIEL ERDMANN (saxophoniste).
Finalistes : Matthieu Michel et  Hanna Paulsberg.

 

Prix de la Meilleure Réédition ou du Meilleur Inédit :
BARNEY WILEN QUARTET pour l’album « Live In Tokyo ’91 » (Elemental Music / Distrijazz).
Finalistes : Paul Bley, Gary Peacock, Paul Motian pour « When Will The Blues Leave » (ECM / Universal), Stan Getz Quartet « Getz at The Gate » (Verve / Universal).


Prix du Jazz Classique :
ALBERT AMMONS « Complete Work, Albert Ammons (1907-1949) Boogie Woogie King » ( Cafe Society / eurenie@gmail.com).
Finalistes : Three Blind Mice pour « See How They Run » (autoproduction / www.threeblindmice.fr), Evan Christopher / Fapy Lafertin pour « A Summit in Paris » (Camille productions / Socadisc), Guillaume Nouaux & The Clarinet Kings (autoproduction / www.guillaumenouaux.com).


Prix du Jazz Vocal :
LEÏLA MARTIAL pour l’album « Warm Canto » (Laborie Jazz / Socadisc).
Finalistes : Jazzmeia Horn pour « Love & Liberation » (Concord Jazz / Bertus) et Veronica Swift pour « Confessions » (Mack Avenue / Pias).


Prix Soul :
MAVIS STAPLES pour l’album « Live in London » (Anti- / Pias).
Finalistes : Kelly Finnigan pour « The Tales People Tell » (Colemine / www.coleminerecords.com), et Michelle David & The Gospel Sessions pour « The Gospel Sessions, vol.3 » (Excelsior / V2).


Prix Blues :
JONTAVIOUS WILLIS pour l’album « Spectacular Class » (Kind of Blue Music / www.jontaviouswillis.com).
Finalistes : Atomic Road Kings pour « Clean Up The Blood » (Big Tone / www.bigtonerecords.com), et Robert Randolph & The Family Band pour « Brighter Days » (Provogue / Wagram).


Prix du Livre de Jazz,  EX-AEQUO :
NICOLE BERTOLT & ALEXIA GUGGÉMOS pour « Boris Vian 100 ans » (Éditions Heredium) et CHRISTELLE GONZALO & FRANÇOIS ROULMANN, pour « Anatomie du Bison – Chrono-bio-bibliographie de Boris Vian » (Éditions des Cendres).
Finalistes : Nicolas Fily pour « John Coltrane – The Wise One » (Le Mot et le Reste) et Jean-Pierre Jackson pour « Keith Jarrett » (Actes Sud).

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27 janvier 2020 1 27 /01 /janvier /2020 20:30

L’Académie du Jazz a couronné dans son palmarès 2019 trois artistes français qui animent la scène avec bonheur dans des registres différents : le guitariste Hugo Lippi, prix Django Reinhardt du jazzman de l’année, le pianiste Laurent Coulondre pour son album-hommage à Michel Petrucciani, et la chanteuse Leila Martial avec le prix du jazz vocal. Et c’est une figure historique de la jazzosphère, prix Django Reinhardt 1958, le saxophoniste Barney Wilen (1937-1996) qui a également été distinguée avec un album inédit enregistré à Tokyo en 1991, lors de la cérémonie de remise des prix le 27 janvier au club parisien le Pan Piper par François Lacharme, président de l’Académie du Jazz.

 

 

Le Prix Django Reinhardt (soutenu par BNP Paribas) vient récompenser un jazzman confirmé, Hugo Lippi (42 ans) remarqué l’année passée par un album en leader (‘Comfort Zone’. Gaya Music) enregistré à New-York avec une formation franco-américaine et qui s’ouvre…avec une célèbre composition de Django, ‘Manoir de mes rêves’. Né à Portsmouth, Hugo Lippi a traversé la Manche et débuté sa carrière professionnelle à 17 ans en Normandie -son premier disque en leader, en 2000, se nomme ‘Live at Yport’, petite cité balnéaire près d’Étretat- avant de participer à de nombreux groupes sur la scène européenne (dont récemment la petite formation d’Eric Legnini ou le Michel Legrand Big Band). Coiffant sur le fil le violoniste Théo Ceccaldi, il devient le sixième guitariste à décrocher le prix baptisé du nom du génial gitan depuis sa création en 1954 (après Joseph Dejean, Christian Escoudé, Marc Ducret, Sylvain Luc et Nguyen Lê).

 

 

Année du 20 ème anniversaire de la disparition de Michel Petrucciani, 2019 aura vu Laurent Coulondre rendre hommage de belle manière à cette étoile du piano jazz. Participant au concert de All Stars réuni par l’Académie du Jazz en février 2019 (Joe Lovano, Aldo Romano, Géraldine Laurent…) le pianiste-organiste a donné au printemps sa vision délicate du répertoire de Michel Petrucciani dans ‘Michel on my Mind’ (Neworld). Une prestation qui est couronnée du Prix du Disque Français de l’année.

 

 

L’audace de Leila Martial s’est révélée payante. La chanteuse qui affirmait dès 2012 vouloir « s’aventurer à la limite extrême de ce que je peux faire », l’a emporté devant deux consœurs (Jazzmeia Horn et Veronica Swift) pour le Prix du Jazz Vocal. Avec ses comparses, le batteur Eric Perez et le guitariste Pierre Tereygeol, l’ancienne élève du collège de Marciac évolue dans le groupe Baa Box aux confluents du jazz, de l’électronique et du rock alternatif (‘Warm Canto’. Laborie Jazz).

 

 

L’Académie du Jazz s’est aussi souvenue du saxophoniste Barney Wilen qui était revenu dans ses dernières années à la sonorité veloutée remarquée trois décennies plus tôt dans Ascenseur pour l’échafaud. Le Prix de l’Inédit ou de la Réédition Marquante vient saluer une captation en direct d’un concert au Japon, (‘Live in Tokyo 1991’. Elemental), où Barney, tout en décontraction, bénéficiait de la complicité d’un jeune trio -Olivier Hutman (piano), Gilles Naturel (contrebasse) et Peter Gritz (batterie)-.

 

 

Défenseur du patrimoine jazzistique, l’Académie salue également un de ses glorieux anciens, Boris Vian dont on célèbre cette année le centenaire de la naissance : le Prix du Livre de Jazz est attribué ex-aequo à deux ouvrages traitant avec exhaustivité du talent protéiforme du romancier-chroniqueur-trompettiste-auteur- ingénieur : Nicole Bertolt et Alexia Guggémos, pour ‘Boris Vian 100 ans’ (éd.  Heredium/Prisma) et Christelle Gonzalo et François Roulman, pour ‘Anatomie du Bison, chrono–bio- bibliographie de Boris Vian’ (éd. des Cendres).

 


 

Le palmarès 2019 récompense par ailleurs par son Grand Prix du Disque un trio qui fit les beaux soirs des clubs de la rue des Lombards, le Yes ! trio, groupe bien soudé -25 ans de travail en commun- formé d’Ali Jackson (batterie), Aaron Goldberg (piano) et Omer Avital (contrebasse),   pour l’album ‘Yes Trio ! Groove du jour’, publié par un label français : Jazz & People.

 


Jean-Louis Lemarchand.

 

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14 janvier 2020 2 14 /01 /janvier /2020 19:14

de gauche à droite : Simon Goubert, Alex Dutilh, Jacques Périn & Arnaud Merlin

 

La primeur du palmarès Jazz, Blues & Soul était réservée cette année à l'émission Open Jazz d'Alex Dutilh, sur France Musique, le 14 janvier à 18h

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Grand Prix Jazz

SIMON GOUBERT «Nous Verrons...» (Ex-Tension Records/Bertus Distribution)

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Prix in Honorem Jazz

ZEV FELDMAN , de Resonance Records, pour son travail de réédition et de publication d'inédits, à l'occasion de la parution de NAT KING COLE «Hittin the ramp, the early years» (Resonance / Bertus Distribution)

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Grand Prix Blues & Soul

LEYLA McCALLA "The Capitalist Blues" (Jazz Village / PIAS)

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Coups de cœur Jazz

PATRICE CARATINI / ALAIN JEAN-MARIE / ROGER RASPAIL «Tropical Jazz Trio» (French Paradox / l'autre distribution)

TERRI LYNE CARRINGTON «Waiting Game» (Motéma / Pias)

THÉO CECCALDI Trio «Django » (Brouhaha / l'autre distribution)

MARC DUCRET «Lady M» ([Illuions] / l'autre distribution)

RÉMI DUMOULIN «Das Rainer Trio» (Neuklang / Pias)

ANDY EMLER-DAVID LIEBMAN «Journey Around the Truth» (Signature Radio France SIG 11116 / Outhere)

SIMON GOUBERT «Nous Verrons...» (Ex-Tension Records / Bertus Distribution)

HUGO LIPPI «Comfort Zone» Gaya Music / l'autre distribution)

LEILA OLIVESI NONET «Suite Andamane» (Attention Fragile / l'autre distribution)

SYLVAIN RIFFLET «Troubadours»Magriff / l'autre distribution)


 

Coups de cœur Blues & Soul

KELLY FINNIGAN «The Tales People Tell» (Colemine / https://www.coleminerecords.com/ )

LARKIN POE«Venom & Faith» (Triki-Woo / http://www.larkinpoe.com/ )

LEYLA McCALLA «The Capitalist Blues» (Jazz Village / PIAS)


 

La cérémonie de remise des Grand Prix de l'Académie se tiendra le jeudi 16 janvier 2020 à 19h au Théâtre Traversière, 75012 Paris

La commission 'Jazz, Blues & Soul' est composée de Xavier Prévost, Arnaud Merlin, Alex Dutilh, Philippe Carles, Jean-Michel Proust, Daniel Yvinec, Réza Ackbaraly, Jacques Périn et Stéphane Koechlin


 

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21 novembre 2019 4 21 /11 /novembre /2019 21:33

Haut lieu du jazz parisien de l’entre deux guerres avec ses multiples cabarets et boîtes de nuit de Pigalle qui virent évoluer Sidney Bechet, Duke Ellington, Django Reinhardt, le 9 ème arrondissement compte désormais une nouvelle adresse indispensable pour les amateurs du circuit de la nostalgie. Une plaque sera prochainement apposée sur l’immeuble du 87, rue de Dunkerque, au coin de la rue Gérando, où Stéphane Grappelli, décédé le 1er décembre 1997, vécut les trente dernières années de sa vie.

 

 

Né le 26 janvier 1908 à l’hôpital Lariboisière, dans l’arrondissement voisin du Xème, Stéphane Grappelli a passé toute sa jeunesse dans le IX ème, a rappelé la maire de l’arrondissement Delphine Bürkli, en dévoilant le 19 novembre la plaque avec de nombreux musiciens et amis de l’artiste (Philippe Baudoin, Boulou Ferré, Patrice Caratini, Jean-Philippe Viret, Dominique Pifarély, Pierre Blanchard ...).

 

 Dans ce quartier, il vécut ainsi Square Montholon et Rue Rochechouart, et dès l’âge de 12 ans jouait du violon dans les cours d’immeuble. Le violoniste revint dans l’arrondissement de ses jeunes années en 1968, cette année bouillonnante de la société française qu’il évoquera en musique dans ‘Milou en mai’ de Louis Malle (1989). Là, Stéphane Grappelli aimait à travailler son instrument et aussi le piano (un piano droit Gaveau), lui permettant ainsi de se trouver toujours au top dans un duo avec Michel Petrucciani en juin 1995 (Flamingo. Dreyfus Jazz).

 

 

Etre « affable et élégant », selon son ami proche, Joseph Oldenhove*, Stéphane Grappelli, « homme espiègle » incarnait, souligna lors de la brève cérémonie de dévoilement de la plaque commémorative le musicologue Philippe Baudoin « le classicisme dans sa perfection ».

 
La ville de Paris avait en octobre 2003 donné le nom de l'artiste à une nouvelle voie créée dans le quartier de la porte d’Asnières (17ème arrondissement). Les cendres du jazzman sont déposées au colombarium du Père Lachaise.

Le musée de la musique, situé à la Cité de la Musique, conserve le plus célèbre des violons joués par Stéphane Grappelli. L’instrument, réalisé par Pierre Hel en 1924 à Lille, sur un modèle d’inspiration Guarneri, avait appartenu à Michel Warlop (1911-1947). Ce dernier l’offrit à la fin des années 20  au jeune Stéphane qui  en joua au moins jusqu’aux sessions avec Duke Ellington en 1963.


Jean-Louis Lemarchand.


*Joseph Oldenhove est co-auteur avec Stéphane Grappelli et Jean-Marc Bramy de « Stéphane Grappelli, mon violon pour tout bagage » (Editions Calmann-Lévy, 1994).

 

©photo X. (D.R.)

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27 septembre 2019 5 27 /09 /septembre /2019 10:25

S’il avait une certaine idée de la France, comme le général de Gaulle, Jacques Chirac, décédé le 25 septembre à 86 ans à Paris, n’avait jamais caché son affection pour les Etats-Unis. Le Président de la République (1995-2007) aimait à rappeler comment il avait découvert le pays de George Washington en 1953, en tant qu’étudiant à Harvard mais aussi dans différents emplois saisonniers, garçon dans un restaurant Howard Johnson à Cambridge (Massachusets), cariste à St Louis ou encore journaliste au New Orleans Times-Picayune.  

 

Nul doute qu’au cours de cette année passée aux Etats-Unis le futur homme d’Etat aura découvert les musiques diverses, élément majeur de la culture américaine. Passionné des cultures du monde, et notamment des Arts Premiers auquel il consacra un musée quai Branly, amateur de poésie chinoise, Jacques Chirac eut l’occasion de témoigner de son penchant pour les musiques improvisées.  

 

En 1989, alors Maire de Paris, il avait organisé une réception à l’Hôtel de Ville en l’honneur de Frank Sinatra qui effectuait une tournée avec Dean Martin et Sammy Davis Junior et lui avait remis la plaque du bimillénaire de la ville de Paris. Ce jour-là, Jacques Chirac, se souvient un journaliste présent, Jean-Baptiste Tuzet, futur fondateur de Crooner radio, s’était lancé dans un discours en anglais extrêmement chaleureux et drôle avec des jeux de mots relatifs à de grands succès interprétés par l’artiste tels que « Strangers in the Night », auxquels Frank Sinatra avait répondu par « April in Paris ».  

 

Cette même année, le futur chef de l’Etat avait remis la grande médaille de Vermeil de la ville de Paris à Miles Davis, nouveau témoignage du respect que portaient l’ami des américains et la ville-lumière au prince de la trompette.

 

Longtemps, Jacques Chirac aura laissé croire que ses seuls centres d’intérêt personnels étaient les romans policiers, les westerns et la musique militaire. Ainsi, avait-il confié en souriant à un proche, « j’ai eu la paix pendant vingt ans sur la question de mes goûts culturels ». La vérité était tout autre.

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

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26 septembre 2019 4 26 /09 /septembre /2019 16:52

Rien ne prédestinait Eglal Farhi, disparue le 25 septembre à Neuilly à 97 ans (8 avril 1922/25 septembre 2019), à fonder à Paris un club de jazz , le New Morning,  qui allait devenir l’un des lieux mythiques des amateurs de la note bleue, au même titre que le Village Vanguard de New York ou le Blue Note de Tokyo.

 

L’ancienne élève de l’école des Dames du Sacré-Cœur du Caire avait dépassé le demi-siècle quand elle ouvre le 16 avril 1981, avec Art Blakey et les Jazz Messengers comprenant les frères Marsalis (Wynton, trompette, et Branford, saxophone ténor),  un club* dans un lieu tout à fait inhabituel, une ancienne imprimerie du Parisien Libéré au 7-9  rue des Petites Ecuries, à proximité de la Gare de l’Est.

 

 

Fan de jazz dans sa jeunesse, Eglal Farhi, qui écoutait dans la maison familiale au Caire Fletcher Henderson et Count Basie, avait décidé d’endosser le costume de chef d’entreprise et de prendre le relais de ses beaux-fils (Daniel et Alain) qui avaient rencontré quelques difficultés financières dans la gestion de leur club à Genève , dénommé déjà le New Morning, allusion à une chanson de Bob Dylan.

 

Tout le gotha du jazz est passé sur la scène du New Morning :  Stan Getz, Dizzy Gillespie, Dexter Gordon, Milt Jackson, Jim Hall, Elvin Jones, Art Blakey à plusieurs reprises et notamment pour ses 70 ans en 1989, Archie Shepp, Freddie Hubbard, Michel Petrucciani (la première fois à 18 ans), Nina Simone, Martial Solal, Michel Portal, Brad Mehldau, Joshua Redman… Le préféré d’Eglal Farhi restera Chet Baker : « un visage mélancolique, James Dean en plus beau, un fabuleux trompettiste qui me touchait beaucoup et a toujours tenu ses engagements même après avoir atteint dans l’après-midi un coma de stade 2 ».

 

 

Eglal Farhi nous confiait à la fin des années 90 « marcher au feeling » et « détester les ayatollahs » dans la musique.  « Le public jazz-jazz ne suffisait pas. Nous avons ouvert la scène à toutes les musiques afro-américaines », témoignait en 1996 Mme Farhi, une des rares femmes à tenir un club de jazz. « Chaque soir, c’est un coup de poker financier…. Et il m’arrive de perdre », ajoutait-elle, comme ce soir où un flutiste français (dont elle taira le nom) « fit » une dizaine de spectateurs.

 

La fondatrice du New Morning n’éprouvait qu’un seul regret : Miles Davis ne s’est jamais produit face au public exigeant de la rue des Petites Ecuries. Une consolation pour Eglal Farhi, le prince de la trompette a signé le livre d’or de l’établissement après y avoir tourné, acteur, l’année de sa mort (1991) quelques scènes du film Dingo dont il composa la musique avec Michel Legrand.

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

*Depuis 2010, sa fille Catherine lui a succédé à la direction du club.

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