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11 novembre 2021 4 11 /11 /novembre /2021 16:36
DJAZZ NEVERS : Fin de partie réussie à Nevers...

Troisième et dernière journée de mon premier festival Djazz Nevers, où il faut tenir le rythme qui s’amplifiera encore en fin de semaine quand je serai partie vers de nouvelles aventures musicales. Mais j’aurai connu un final enthousiasmant...

 

CLOVER, 12h 30 à la Maison.

 

Chaque fois que j’entre dans une maison de la culture, je repense au premier Ministre des Affaires culturelles, André Malraux qui eut l’idée en 1961 de ces “modernes cathédrales, religion en moins”. Je découvre ainsi celle de Nevers, sur les bords de Loire, devenue La MAISON, pour le premier concert du jour. Ce sera Clover du “trio Yolk” ou Triolk, à savoir les fondateurs de ce label indé, exemplaire d’une démarche reconnue, respectée et respectable, fondé il y a près de vingt ans par le saxophoniste Alban Darche, le contrebassiste Sébastien Boisseau et le tromboniste Jean-Louis Pommier.

Ils semblent toujours avoir le même plaisir à se retrouver, à partager. Une complicité originale et exigeante dont chaque nouvel échange complète le tableau de leurs variations en série. Quelle délicatesse dans le travail de de ces amis de longue date, dynamiques entrepreneurs et porteurs de projets, leaders de formations étoffées comme le Gros Cube, LPT3, Unit...

Tous trois n’ont cessé de jouer collectif tout en s’aménageant un parcours individuel original. Avec le souci d’un véritable engagement pour faire connaître la musique à des publics variés-le trio tourne ici devant des publics scolaires pendant le festival, conscient de l’importance de la transmission. Ils ont toujours eu aussi le souci de garder le contrôle de leur travail. Cela semble anecdotique mais cela ne l’est pas tant que ça, Sébastien Boisseau lutte depuis des années contre la SNCF qui s’obstine à taxer dans les TGV les instruments VOLUMINEUX, et en particulier les contrebasses, oubliant que les clients les plus fidèles, captifs certes, mais “grands voyageurs” sont ...les musiciens.

Faire un pas de côté, réfléchir, “dire non” ce qui est aussi une façon de revenir à la vie, à l’envie. Ce nouveau trio qui les rapproche encore un peu plus, leur donne la possibilité de se retrouver au sens musical, de jouer une carte plus intime, les isolant dans une complicité heureuse. Espérons que ce trèfle leur portera chance dans ce programme logiquement intitulé Vert émeraude. “China pop”, “Le chemin vertueux”, “Snake” seront mes morceaux choisis. La douceur est une dynamique qui porte la vie, elle peut être une résistance à l’oppression politique, sociale, psychique, un combat contre le cynisme actuel.

Un jazz chambré poétique, entre improvisation impressionniste et puissance organique. La petite salle est un écrin parfait pour cette musique de l’instant, grave et doucement élégiaque parfois, quand on voit échapper ce qu’on ne reverra plus. La musique de cet ensemble parfaitement équilatéral se déguste pourvu qu’on prenne le loisir de se laisser aller à autre chose que la précipitation: une conversation triangulaire subtile sans le moindre cliché, avec cette élégance dans la persistance même de l’échange, toujours rebattu. Chacun donne la pleine mesure de son talent, dans une clarté d’articulation, de phrasé par des perfectionnistes du trait. Avec une confondante aisance, le trio navigue d’atmosphères feutrées à d’autres plus éclatantes, parfois au sein de la même composition souvent de la patte d’Alban Darche mais j’ai retenu “Où sont les oiseaux?" du contrebassiste.

Une musique qui respire, affranchie, sans éclats mais tendre, à l’image de ces compagnons de la musique.

 

 

VLADIMIR TORRES TRIO 18h30, La Maison

 

Une formation régionale car le festival de Roger Fontanel aime aussi encourager les groupes émergents, favoriser la création “au pays”, aurait-on dit avant, aider au développement “durable” du territoire. Sans oublier d’intégrer une dimension européenne cette année tout particulièrement, ne prenant pas le risque d’inviter des Américains par exemple, pandémie oblige.

Le contrebassiste franc-comtois d’ascendance hispanique a de l’expérience même si je le découvre aujourd’hui, construisant des compositions alertes d’ une efficacité notables Percussif en diable, expansionniste sur le clavier, tel est le pianiste Martin Schiffmann. Un peu démonstratifs et en cela, moins convaincants, malgré leur enthousiasme, ces musiciens vivent leur concert avec un engagement impressionnant (quelle fougue du batteur Tom Moretti) qui plait au public. C’est peut être cela l’essentiel après tout.

 

My MOTHER IS A FISH. SARAH MURCIA

21h00 THEATRE MUNICIPAL

Sarah Murcia conception et musiques

Fanny de Chaillé mise en scène/ Luc Jenny lumières/Sylvain Thévenard son

 

La soirée va se poursuivre avec un autre spectacle “intégral” qui rejoint, en un sens, le concert total de dimanche, l’ Oakland de Vincent Courtois et Pierre Baux.

La contrebassiste et chanteuse Sarah Murcia a travaillé obsessionnellement à son adaptation du Tandis que j’agonise de William Faulkner, magnifiquement traduit d'As I lay dying  par le grand “’inventeur” de Faulkner en France, Maurice Edgar Coindreau.  Cette oeuvre de “jeunesse” de 1930 que l'auteur qualifie de “son meilleur roman”, est “un tour de force. Je l’ai écrit en six semaines, sans changer un seul mot parce que dès le début je savais où j’allais”.

Il n’en va pas de même pour le lecteur que la densité d’une narration discontinue, qui plus est, égare facilement. Une histoire simple pourtant qui consiste à aller d’un point A à un point B mais le récit est marqué  par une chronologie volontiers bouleversée. Après Henry James et James Joyce, la question du point de vue des personnages importe. Voilà bien une machine à lire et à projeter la pensée, dit Larbaud dans sa préface de l’édition française initiale de 1934.

 Si l’intrigue est simple, la narration complique à loisir puisque l’on croise les monologues intérieurs des personnages, il y en a quinze tout de même, tous pris en charge en français et dans la langue originale par l’Américain Mark Tompkins, longiligne figure entre Beckett et Nosferatu, voix sépulcrale avec quelques inflexions décadentes à la Bowie quand il chante. 

 Pour faire vite, dans la famille Bundren, présentons les fils : Darl, le fou qui finira à l'asile -il y a  toujours un “innocent” dans les romans faulknériens,  Cash qui est en charge du cercueil, va chercher les planches, les scie et les cloue avant de se casser une jambe que l’on arrose de ciment (!) pour la consolider, la seule fille, Dewey Dell enceinte qui veut avorter. Les deux frères Darl et Jewel ( ou “joyau”, le préféré de la mère dont on finit par comprendre qu’il est le fruit d’une liaison illégitime avec … le pasteur Whitfield) veulent livrer en ville avant le départ du chariot.

Mais une fois pris dans ses filets, comme le poisson que pêche le plus jeune fils, Vardaman, qu’il confond avec sa mère, ce qui explique le titre choisi My mother is a fish ( un sous-titre possible du roman?), le lecteur, et nous ce soir,  n’en sortiront pas indemnes. Sarah Murcia n’hésite pas à se mettre en danger, car Faulkner, c’est un peu une grenade que l’on dégoupille, tant cet univers poisseux du Deep south, ces vies déglinguées de “white trash”, plutôt sordides, peuvent résister à l’interprétation-on le voit avec le cinéma américain qui s’en est emparé avec plus ou moins de bonheur. 

L’économie de la réalisation qui facilite la lisibilité de cette adaptation est remarquable. L'attention ne faiblit pas durant toute la durée du concert qui file plus vite assurément que la carriole de la famille Bundren qui emporte le corps d’Addie, la mère, jusqu’à Jefferson, où elle souhaite reposer près des siens. La route ne sera pas sans encombre, les éléments se mettant en travers du convoi, les ponts successivement détruits par de violentes crues, un des fléaux de cette partie du pays, oubliée des dieux. Il n’y a pas que l’eau sombre et violente, le feu purificateur intervient aussi dans une grange (Faulkner reprendra d’ailleurs cette idée dans une nouvelle “Barns”) mais la dépouille  échappe aux flammes.

 

 

La force de la reconstitution séduit, éclairant l’aspect organique du texte et de la musique également, en abordant les thèmes de la vie et de la mort, de la folie, du langage. De même que l’on navigue entre l’horizontalité de la route et du cercueil entre ses planches, la verticalité caractérise Anse, le père pour qui comptent “la maison, les hommes, les pieds de maïs”. Parce que si ç’avait été Son idée que l’homme soit toujours en mouvement;... est-ce qu’Il ne l’aurait pas fait allongé sur son ventre comme un serpent?

 

Lors des rituelles rencontres au foyer, après le spectacle, Sarah Murcia nous confie son mode opératoire, elle a presque tout lu de cet écrivain “cérébral plus encore qu’ intellectuel”. Après plusieurs lectures attentives du roman, elle l’a découpé, créant des “boîtes à thèmes” dans lesquelles elle a glissé des phrases entières, fragments,  bouts coupés pour créer de vraies chansons avec couplets et refrains, en anglais avec les mots de l’écrivain. Tout est dans le texte, nous répétera-t-elle plusieurs fois mais il faut aller le chercher. Les deux langues, là encore, se mêlent harmonieusement mais la chanteuse a pris soin de “traduire” l’intrigue au fur et à mesure pour le public français.

La scénographie est d’une grande clarté, le nom des différents protagonistes apparaissant sur le fond d’écran lors de chaque scène. Les instrumentistes sont aussi partie prenante du décor et aident aux didascalies, indications scéniques. Olivier Py dessine à la craie sur une ardoise un schéma récapitulatif qui, une fois projeté, aide à la compréhension de la pièce.

 Ce passage que représente ce voyage est habité par le chant véhément de Sarah et sa musique volontiers furieuse : interventions aux machines de Benoît Delbecq, toujours en place,

 embardées rock ( plus encore que punk pour moi) de Gilles Coronado que rejoint au sax un fougueux Olivier Py que rien ne bouscule, même pas son vieux complice de Franck Vaillant,  impérial derrière sa batterie de cuisine où il mitonne un ragoût explosif. Le casting, on le voit est aux petits oignons, de fortes personnalités qui s’entendent comme larrons en foire et servent dignement le travail de la chef qui avouera en riant que si elle est tyrannique avec eux, ils ne lui obéissent guère.

Après un tel moment d'émotion, soulignons une fois encore les choix artistiques de cette programmation qui donnent envie (et pas seulement à moi) de reprendre avec Oakland et My mother is a fish, deux des grands romans de la littérature américaine...

Photos de MAXIM FRANCOIS.

 

Sophie Chambon

 

 

 

 

 

 

 

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10 novembre 2021 3 10 /11 /novembre /2021 06:47
Djazz Nevers : entrons dans la danse...

DJAZZ NEVERS : entrons dans la danse

Lundi 8 novembre, une folle journée

 

Les choses sérieuses commencent : trois concerts aujourd’hui, soit le rythme habituel du festival qui dure une semaine du 6 au 13 novembre. Le public est présent, répondant à l’appel, heureux de cette reprise après l’année blanche de la pandémie.

Commencer un concert à midi un lundi, ça il ne l’avait jamais fait, nous confie le vibraphoniste Franck Tortiller en présentant son duo avec le guitariste Misja Fitzgerald MichelLes Heures propices  est un titre tout à fait indiqué, référence à Lamartine qu’il cite en Bourguignon chauvin et ...sudiste, lui qui vient de Saône et Loire, titillant volontiers les Nivernais ou Neversois.

C’est en effet l’heure exquise pour nous griser de mélodies folk et pop des seventies, période qu’affectionne l’ ancien directeur de l’ONJ 2005, au programme provocateur : rien moins qu’ un hommage au flamboyant Led Zep, l’apocalypse en neuf disques qui avait fait bondir les puristes, mais aussi les adorateurs du culte qui voyaient d’un oeil noir les jazzmen venir troubler leur grand messe, oubliant que la musique du Zeppelin est un alliage absolu de blues irrigué de sauvages envolées free sonnantes. On rappellera une fois encore que le jazz n’est pas lié à un matériau spécifique, mais qu’il réside surtout dans la manière de jouer. Démonstration réussie avec le duo, un “sans faute” avec un son naturel, qui plus est.

 

 

Misja Fitzgerald Michel tourne dans des contextes différents, des formations qui lui permettent de pratiquer avec aisance une gymnastique totalement acrobatique, un grand écart des formes. Tout réside souvent dans des changements d’accords, de tons, avec des phrases complexes, de longs développements quand il choruse. Ce qui n’enlève rien à la finesse de l’ensemble. Misja célèbre la guitare plurielle sur sa guitare folk. Avec Franck Tortiller, il connaissent les chansons, les reprennent parce qu’ils les aiment tous deux et nous les font découvrir autrement. C’est en entendant son album Time of no reply, une reprise du chanteur poète Nick Drake, troubadour disparu trop tôt en 1974 que Franck Tortiller eut l’idée d’un projet commun. Le vibraphoniste a fait un travail remarquablement affûté sur les arrangements de “standards”. On ne dira jamais assez à quel point il est intéressant d’exercer son talent sur des mélodies qui ont fait leur preuve. Il privilégie une recherche constante de dynamiques, adaptant les couleurs et timbres de la guitare et du vibraphone, un alliage inusité, fusion des cordes et du métal teintée d’un éclat particulier.

 

Le duo donne ainsi des versions inattendues de thèmes venus d’univers musicaux pour le moins séparés, les chevaux de bataille de “Bemsha Swing” (T.S Monk) et “Segment” (Charlie Parker), “Redemption Song” de Marley, “Little Wing” d’Hendrix, ou le délicat “Guinnevere” du trio aux harmonies vocales cristallines, Crosby Stills Nash (sans Young ) à Woodstock. Il ajoute “Air Love and Vitamins” d’ Harry Pepl, devenu un hymne pour les musiciens autrichiens, se souvenant de son passage au sein du Vienna Art Orchestra, exhume Jim Pepper, pionnier du jazz fusion, saxophoniste “native” de la tribu des Kaw dans l’Oregon avec sa composition “Witchi Tai”, maintes fois reprise.

Comment rendre le ballet des mailloches sur les lames, la fluidité virtuose, la vitalité bluffante de  Tortiller? Son enthousiasme à jouer n’a d’égal que son expertise sur le vin et les cépages bourguignons du chardonnay et de l’aligoté qu’il aime à célébrer alors que nous sommes ici en terre de sauvignon! D’ailleurs, le duo termine sur une composition de son cru, “le Clos des Corvées” élevé à Couches, à la maison! A ses côtés, flegmatique, ce grand escogriffe de guitariste joue rythmique avec le plus grand sérieux quand il faut soutenir les envolées rebondissantes de son partenaire mais sait aussi changer de rôle et mener la danse dans de longues échappées.

L’esprit de ses musiques est conservé, mais transposé et le duo parvient à unifier l’ensemble et à le jazzifier quelque peu. Un répertoire rendu original en quelque sorte et qui pourtant réveille une nostalgie bienheureuse. C’est toute la grâce de ce festival pointu du réseau AJC, que de faire découvrir des choses rares, de programmer des concerts que l’on n’ entendra plus dans les grosses machines estivales.

 

Changement de décor et de style avec le deuxième concert à 18h30, au Café Charbon, salle de musiques actuelles qui fête son inauguration après de grandes transformations, en accueillant le quartet du tromboniste Daniel Zimmermann dans Dichotomie’s. J’ai toujours suivi ce musicien dans ses aventures, ne pouvant oublier que j’ai assisté à l’émergence du jeune tromboniste, dès son premier album plutôt déjanté des Spicebones, il y a vingt ans.

Ce concert est absolument stupéfiant dans l’instrumentation mais aussi dans le choix de chacun des musiciens de cette bande. Ils ne sont que quatre mais ils déménagent comme un grand orchestre. Le batteur Franck Vaillant au look improbable est un bâton de dynamite allumé quelques secondes avant explosion, imprévisible et étonnamment fiable, toujours juste dans sa recherche de sons et textures. Démentiel dans sa découpe rythmique, il allume la mèche  (Benzin était son nom), totalement réglé dans son dérèglement, droit sur son tabouret, aux commandes d’un set de batterie monstrueux qu’il doit démonter en un temps aussi long que le concert. Une folie certaine en un sens, une force comique irrésistible, cartoonesque, quand il est lancé à un train d’enfer. Personne ne se regarde dans ce groupe  mais chacun sait ce qu’il a à faire.

Le saxophoniste basse, en charge d’un engin impressionnant, Gérard Chevillon qui remplace magnifiquement Rémi Sciutto, fait entendre son chant obstiné, ostinato qui enclenche à lui seul une transe. Daniel Zimmermann eut d’abord l’idée de remplacer la basse par un tuba puis se ravisant, pensa au saxophone basse. L’effet est plus que concluant: soutien du groupe, il est sa colonne vertébrale, mais reste très musical quand il prend un solo.

Le pianiste Benoît Delbecq vit sa vie de son côté, sound designer sur tous ses dispositifs, ses pads de batterie ne marchant pas toujours au démarrage, un dérèglement toujours possible dans l’horlogerie de ses machines.

Ce serait Daniel Zimmermann qui jouerait de la façon la plus sobre, si ce qualificatif ne paraissait déplacé pour ce groupe, avec les sourdines habituelles, la plunger et la mute qu’il colle au micro pour absorber au mieux le son et une pédale wah wah du meilleur effet. Quand on aime le trombone souple, gouleyant, moelleux même, si proche de la voix, aux graves profonds, on apprécie son jeu mélodique.

Comment comprendre le titre du programme ? Désir de laisser affleurer les champs du possible, de réunir les contraires, de se déplacer dans l’hyper texte de la musique en traversant les strates de sens, dérégler quand cela sonne trop juste, détourner, faire exploser les idées reçues. Mettre un peu de trouble…

Le leader présente chaque compo, annonçant avec un humour ravageur la fin du monde, de notre monde, et son ironie fustige les méfaits de notre société, cherchant à réveiller notre culpabilité. Le jour d’après” est un titre trouvé avant le confinement, “My Sweet New Zealand Bunker” ou l’évasion des plus riches, “Toad Buffalo Courtship Dance”, la danse grotesque du crapaud buffle amoureux, “Vieux Robot” ou comment on finit totalement déglingué. Et dans ce monde qui a perdu la raison, un miracle se produit, une chanson d’amour, "Little Sun”, le groupe se calme à notre plus grande surprise et cela sonne drôlement beau, juste et doux. Delbecq joue seulement du piano, Zimmermann veille sur son équipage et nous berce voluptueusement, le sax basse  ronronne d’aise et Vaillant se cale et ralentit le tempo.

Pour le dernier spectacle de la soirée, on revient au Théâtre avec la troupe de la pianiste Eve Risser qui présente son projet Eurytmia. Ce soir l’africanité a débarqué dans les ors et les rouges du théâtre classique à l’italienne. Le jazz venu d’Amérique, s’il revendiquait ses racines africaines, n’a pas grand chose à voir avec la musique malienne. Mais la compositrice chef de troupe endosse la responsabilité et tente la rencontre musicale, en une fusion fertile.

Eve Risser que l’on a découvert avec l’ONJ de Daniel Yvinec (2009-2013) a multiplié les projets les plus innovants depuis cette rampe de lancement. Des projets mixtes à tous les sens, dans la composition des formations et dans l’exploration de terres à défricher. Le choc sismique, elle l’ a ressenti en voyageant en Afrique de l’ouest et en découvrant des musiques, une manière d'être et de jouer, un autre temps et tempo.

Après le White Desert Orchestra qui entraînait vers les déserts blancs, les étendues de neige, de glace et de roches du Grand Nord, souvenir de la Norvège où elle a vécu, avec des paysages qui continuent à la poursuivre, puisqu’elle s’est installée dans les Vosges dans un coin qui les lui rappelle, nous confiera t-elle. Une abstraction blanche, une exploration géomorphologique où le jazz, le contemporain, le classique se glissaient dans les failles et autres anfractuosités de la roche. Une partition exigeante pour des musiciens aguerris qui peuvent aller du swing au hip hop sans crainte de l’écart.

Le deuxième volet, en miroir, Red Desert Orchestra, voit défiler d’autres déserts, les rouges étendues de latérite de l’Afrique de l’Ouest, du pays mandingue. Une introspection au coeur de ces terres qu’Eve Risser entend explorer, ces strates qu’elle dégage et fait surgir, obsédée par le “creusement”. 

Le Red Desert Orchestra a deux programmes: Kogoba Basigui, grand format de seize musiciens et musiciennes, neuf instrumentistes européens et les sept musiciennes très engagées du Kaladjula Band de la griotte Naïny Diabaté, militante de la cause des femmes au coeur de la musique malienne, traditionnellement aux mains des hommes. Pour aller à leur rencontre, Eve Risser a décidé de monter son propre groupe de douze musiciens en parfaite parité homme-femme, à l’instrumentation mixte: diverses percussions (deux balafons, deux djembes, un dun, un ngoni ) des cuivres ( un trombone, une trompette, trois saxophones), un piano, une guitare et basse. Une belle énergie pour cet ensemble faisant front, tous serrés sur la scène, les soufflants vent debout. Un effet de tribu pour jouer un spectacle à partir d’une écriture travaillée, irriguée d’improvisations.

Ce répertoire qui semble plus simple, basé sur la puissance des rythmes, enchaîne une suite en quatre parties, une composition qui s’achève sur un solo du sax baryton Benjamin Dousteyssier qui a une façon très expressive de souffler en gonflant les joues avec une force et une amplitude, qui évoquent Dizzy et sa manière si peu orthodoxe de jouer. Avec Antonin Tri Hoang, le saxophoniste baryton fait partie du remarquable projet de l’Umlaut Big Band, Mary Lou’s Ideas, preuve de l’ éclectisme du meilleur goût de ces musiciens, des jeunes qui aiment se frotter à tous les univers, se fichent bien des frontières stylistiques et semblent parfaitement à l’aise dans cette musique festive qui sonne bien. On est passé du swing le plus jubilatoire au groove euphorisant, musique pacifiée qui emplit d’aise.

Cela débute par des effets de souffle, de frottements bizarres qui envahissent l’espace. Avant que ne démarre le chant des tambours, progressif et bientôt continu, de doux unissons des cuivres qui ne sont jamais déchaînés quand ils font corps sauf dans les solos qu’ils prendront par la suite. Puis les rythmes africains en 6/8 des balafons s’en mêlent et c’est parti pour une tournerie qui semble ne jamais vouloir finir. Un équilibre fragile s’établit entre les riches harmoniques de la pianiste et la mélopée cyclique des tambours, mais l’échange fonctionne, ça circule entre les masses orchestrales qui se fertilisent.

Eve Risser fera une pause pour commenter son travail laissant ainsi le groupe et la musique respirer avant d’attaquer le final. Le public s’est chauffé et en redemande. Que faire comme rappel? D’habitude, dira la guitariste Tatiana Paris, toute petite, cachée derrière les soufflants, alors que sa collègue bassiste Fanny Lasfargues ( trio Q) qui manie une énorme guitare basse électro acoustique s’est hissée sur un praticable, on rejouerait des segments de la suite. Mais là ce sera une composition du percussionniste Oumarou Bambara qui fait se dresser le public, tout à fait volontaire pour entrer dans la danse, pris dans une douce transe, une euphorie contagieuse. Spectacle pour le moins insolite, une standing ovation du parterre et des balcons, tout finit dans la liesse et la danse.

 Le succès est total, la chef aux anges. Le groupe n’a pas encore enregistré, mais cela ne saurait tarder, Eve Risser qui ne manque pas de projets est confiante, ravie d’avoir pu jouer deux jours d’affilée ce programme, ce qui a permis à la musique d’avancer, de se développer. Elle pense même à créer sa propre structure pour aider à la diffusion, imaginant des salles, de lieux gérés par les musiciens qui pourraient accueillir les groupes plusieurs jours d’affilée.  Qu'il est doux de rêver dans la nuit nivernaise.

MERCI à MAXIM FRANCOIS une fois encore pour les photos!

Sophie Chambon

 

 

 

 

 

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8 novembre 2021 1 08 /11 /novembre /2021 16:34
D’Jazz Nevers : Oakland au Théâtre municipal

D’Jazz Nevers : Oakland au Théâtre municipal

 

Arrivée précipitée juste avant le concert de 17 heures, ce dimanche 7 novembre, deuxième jour de l’édition 2021 de ce festival bourguignon inscrit dans le paysage du jazz et des musiques actuelles depuis 35 ans.  Au programme, Oakland, un spectacle du violoncelliste Vincent Courtois et de l’acteur Pierre Baux, inspiré de Martin Eden de Jack London. Un portrait textuel, musical, sous-tendu de réminiscences, de vibrations croisées à partir de l’oeuvre de Jack London.

Mais revenons au début de l’histoire:

Jack, c’est ainsi que s’appelait le tout premier projet du violoncelliste Vincent Courtois en décembre 2018, découvert à l’AJMI d'Avignon, la musique n’étant pas encore enregistrée à la Buissonne voisine. Il allait s’étoffer et donner Love of life, réalisé avec le trio Medium, les saxophonistes Robin Fincker et Daniel ErdmannAvec Oakland à Nevers, j’ai la sensation d’assister à un aboutissement, à la création en perpétuel devenir, la fameuse “work in progress”, et de comprendre un peu comment  fonctionne le violoncelliste, qui, parti de sa découverte tardive et éblouie de Jack London en 2016, a vécu une nouvelle aventure jusqu’à ce  concert spectacle. Certes, le trio a une part plus réduite  que dans Love of Life, où l’engagement était total, les deux saxophonistes partageant les choix et aspirations du violoncelliste, chacun écrivant des compositions selon son ressenti à la lecture de certains livres et nouvelles de London. Dans Oakland, le trio souligne le texte, scénarisé et lu par Pierre Baux, chanté et parlé par John Greaves, sans surligner, en parfaite complicité.

 

Martin Eden

Je dois écrire parce que c’est moi, et je sais ce qui est en moi.

 

En 1907, Jack London s’embarque avec Charmian sa femme pour les mers du Sud sur son bateau, la Snark, pour écrire son roman le plus intime, une autobiographie (à peine) romancée, Martin Eden. A bord, il fait bien plus que mille lignes par jour comme il se l’était promis. Ecrivain et personnage se confondent alors.

 

Oakland : un engagement fort

Ils sont cinq pour un spectacle-concert, qui n'est pas une illustration façon ciné-concert ou théâtre musical. Les musiciens ont préféré se concentrer sur les images musicales qui allaient naître, en véritables compositeurs et traducteurs de cette matière vivante. Mots, images, sons fusionnent lors de leurs improvisations. L'axe narratif tourne autour de scènes décisives : le musicien Vincent Courtois et le comédien Pierre Baux ont découpé à vif dans l’oeuvre, choisi leurs morceaux emblématiques qu'ils ont mis ensuite en musique et en chants. Le récitant, c’est Pierre Baux, miroir de John Greaves. Les deux langues alternent, se chevauchent, le français dans sa traduction, plus châtié que l’anglais rude du Gallois qui évoque le langage direct et cru du prolétaire Martin Eden alias Jack London. Le texte est ainsi travaillé à deux voix qui se répondent et se complètent. Pierre Baux fait ressortir le travail du texte à partir d’un ressassement des versions possibles, jamais totalement satisfaisantes. John Greaves anime cette langue crue et en fait sonner la syntaxe maladroite.

La force de ce spectacle est d’être complet : de la mise en lumière avec goût par Thomas Costberg ( j’ai encore dans l’oeil un soleil flamboyant, cercle rouge orangé sur le bleu de l’écran en fin de pièce) à la scénographie qui joue habilement de la disposition des musiciens.

Le violoncelliste assis au centre est entouré de Daniel Erdmann au ténor à sa gauche, de Robin Fincker à la clarinette à sa droite; si Erdmann se balance d’avant en arrière, Fincker tourne volontiers de droite à gauche, réglant ainsi toute une chorégraphie entre eux, Courtois regardant alternativement l’un et l’autre. A un moment, Robin Fincker qui s’est saisi du saxophone est rejoint sur la scène par Daniel Erdmann et tous deux ne font plus qu’un, entourant le violoncelliste qui joue en pizz ou à grands traits d’archet. La musique accessible en dépit d’une réelle exigence, est composée de fragments obsédants qui deviennent vite tournerie. Le son du trio conjugue élégance et rudesse, dépouillement et éclats de violence, le registre grave unifiant l’ensemble, ouvrant des passages entre les genres, d'une musique de chambre à la pop, au folk.

Chacun a sa porte d’entrée pour évoquer l’oeuvre de “celui qui a mené sa vie comme un galop furieux de quarante chevaux de front” ( Michel Le Bris). London écrivait en résonance avec ce qu’il avait vécu : marin, chasseur de phoques, boxeur, mineur, correspondant de guerre en Corée, blanchisseur, vagabond et “brûleur de dur”. Autodidacte génial, il fit son apprentissage d'écrivain en réunissant ses expériences. Ce “travailleur de la plume”, ouvrier dans l’âme a vécu le rêve américain et son envers. Une mise en abyme qui ne peut que troubler à la lecture de Martin Eden. Défaite de l’individualisme? Désenchantement romantique d’un écrivain réaliste? Deux univers irréconciliables, voilà le drame de cet écrivain sorti des bas fonds. Il ne pouvait choisir entre ses appétits, ses révoltes, ses ambitions et désirs.

Comme il faut avoir un angle d’attaque, c’est ce cri de révolte du prolétaire contre l’esclavage qu’imposent le travail avec les machines dans des conditions surhumaines que cette histoire nous conte. Plus que l’intrigue sentimentale, l’attraction irrésistible, poétique, sensuelle et charnelle pour une jeune fille de la hauteune fleur d’or pâle sur une tige fragile” que Martin Eden veut conquérir. Pour y réussir, il décide de s’instruire et plonger dans la culture avec l'avidité et la rage qu'il met dans tout ce qu'il entreprend.

 

Vincent Courtois expliquera, lors des Rencontres animées par Xavier Prévost après le spectacle, au foyer du théâtre que le fil rouge de cette écriture est la référence au poète décadent anglais du XIXème, pour le moins obscur aujourd’hui, Algernon Swinburne : dès le premier chapitre, avant même de rencontrer Ruth, Martin Eden découvre un livre de Swinburne qui déclenche en lui le désir passionné de s'instruire et de lire. Bien plus tard, alors qu’il est devenu célèbre, ses manuscrits ayant enfin été acceptés, lors d’une traversée sur la Mariposa, où il est invité d’honneur, désabusé, il songe encore à Swinburne. La réussite a mis en péril son identité même. Comment survivre à la gloire sans se perdre soi même? En se remémorant le poème de Swinburne qui mit fin à ses jours, il décide de ne plus résister à l’appel de la mer.

La mort ne faisait pas souffrir. C’était la vie cette atroce sensation d’étouffement: c’était le dernier coup que devait lui porter la vie….Et tout au fond, il sombra dans la nuit. Ça il le sut encore. Et au moment même où il le sut, il cessa de le savoir.

Lors de cette rencontre où intervint finement Noël Mauberret, président de l’association des amis de Jack London, Roger Fontanel, le directeur du festival Djazz Nevers justifie la raison d'être d'un tel moment : le spectacle doit être total, les festivals ne plus rester cloisonnés à la seule musique. Quoi de plus merveilleux en effet que cette transversalité artistique qui donne envie de se replonger dans un livre après un concert enthousiasmant ? Il est aussi question de fidélité dans l’engagement et le travail de Vincent Courtois avec son trio depuis douze ans, avec Pierre Baux (ils ont déjà mis leurs forces en commun pour Tosca, adapté à leur manière Raymond Carver). Mais aussi de la fidélité de Nevers et de son festival aux projets que Vincent Courtois nomme “répertoire”. Quand on aime un artiste, on le suit. 

Oakland enfin est bien plus qu’un décor, car si London y revient toujours, Vincent Courtois, dès l’émergence de l’idée à Avignon eut envie de pousser plus loin, de partir sur les traces californiennes de l'écrivain, d’explorer son port d'ancrage et de jouer un spectacle complet avec des textes lus et interprétés par des comédiens amis, et pourquoi pas, des inserts de photos et de montages de films de London lui même. Il a réalisé son envie et vécu son rêve…

Merci à MAXIM FRANCOIS pour les photos!

Sophie Chambon

 

 

 

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12 septembre 2021 7 12 /09 /septembre /2021 10:37

Ce 18 septembre 2001 restera dans la vie de Martial Solal (94 ans aujourdhui) comme le jour le plus long… Levé à 4 heures du matin à son domicile francilien, le pianiste s’est couché 24 heures plus tard. Le temps de traverser l’Atlantique et de donner un concert au prestigieux Village Vanguard.

Le plus ancien club de jazz de New-York (1934), au cœur du Greenwich Village, avait été contraint à la fermeture (la seconde seulement alors dans l’histoire du lieu après celle décrétée lors du décès de son fondateur Max Gordon en 1989), tout le quartier ayant été bouclé après les attentats du World Trade Center le 11 septembre.
Sa patronne, Lorraine Gordon, avait décidé de rouvrir dès le 14 septembre. L’incertitude persistait sur la venue de Martial Solal, engagé depuis sept mois. Le trafic aérien était interrompu sur l’Atlantique Nord. Finalement, c’est le « piston » qui permettra à Solal d’arriver à New York, une passionnée de jazz travaillant à Air France réussissant à obtenir des sièges au tout dernier moment.

 

Martial Solal, pianiste singulier, pouvait, à 74 ans, réaliser un de ses rêves, enregistrer au Village Vanguard. Il avait choisi pour l’accompagner deux représentants de la jeune génération, le bassiste français François Moutin et Bill Stewart à la batterie. Le bouche à oreille fonctionne chez les fans de jazz et le Vanguard affiche complet en fin de semaine pour l’enregistrement de l’album (‘NY-1 MARTIAL SOLAL Live at The VILLAGE VANGUARD’. Blue Note.2003).  Dans ce lieu mythique, toute une jeune génération découvre un jazzman unique et qui plus est européen. Pour Martial, c’est le couronnement de sa carrière et aussi un petit pincement au cœur de retrouver New York où il avait joué cinq semaines de rang en club (au Hickory House) … 38 ans plus tôt ! Les américains auraient bien voulu alors que « Mister Solal » s’installe chez eux, dans « la Mecque du jazz », mais le pianiste préfèrera revenir à Paris et mener une carrière indépendante de toute contrainte artistique ou commerciale.

 Un récit plus détaillé figure dans « Ce jour-là sur la planète jazz » de Jean-Louis Lemarchand (éditions Alter Ego . 2013) qui propose plusieurs dates-évènements tels que l’enregistrement d’Ascenseur pour l’échafaud (1957) ou le concert de Charles Mingus Salle Wagram (1964)..

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

©photo X. (D.R.)

 

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16 juillet 2021 5 16 /07 /juillet /2021 08:36

Quand Barney Wilen disparut le 25 mai 1996, le quotidien Libération lui consacra sa « une » sous le titre « La dernière note » illustrée d’un dessin issu de la BD de Loustal et Paringaux « Barney et la Note Bleue ».  Judicieux choix.


Publiée en 1986 chez Casterman, la bande dessinée marqua le retour sous les projecteurs d’un artiste déjà mythique, musicien prodige, partenaire de Miles Davis dans la bande originale d’Ascenseur pour l’échafaud, compositeur de musiques de films noirs, féru de free jazz, parti explorer l’Afrique...

 


Ce come-back tient pour beaucoup au hasard. Le jazzman de 49 ans découvre dans un kiosque de presse une BD dont il est le héros malgré lui. Dans cet épisode, publié par le mensuel "A Suivre" des éditions Casterman, l’auteur fait décéder le saxophoniste. Interloqué, Barney entend prouver son existence, et pour ce faire il utilise une méthode pour le moins originale : avec ses comparses, Philippe Petit (guitare) et Yves Torchinsky (contrebasse), l’artiste vient jouer sous les fenêtres du magazine de Philippe Paringaux, aux Champs-Elysées.
L’aubade improvisée – et captée au magnétophone (un TCD5M métal Sony Dolby avec un couple de micros électret) par un producteur de radio ami mis au parfum (Xavier Prévost) ne reste pas sans écho. Le contact établi entre le scénariste et son héros bien vivant va donner naissance à deux « bébés », un éditorial (la BD avec le dessinateur Jacques de Loustal) et un phonographique (un disque).

 

 

Enregistré en novembre et décembre 1986, « La Note Bleue » reçoit un accueil enthousiaste – plus de 60.000 ventes, le meilleur score du label indépendant IDA Records – et va décrocher en 1987 le Grand Prix international du disque de jazz de l’Académie Charles Cros. Barney Wilen a réuni pour l’occasion, outre le guitariste Philippe Petit, son complice depuis 1984, le pianiste Alain Jean-Marie, le bassiste Riccardo del Fra et le batteur Sangoma Everett. « C’est un disque destiné à être écouté en même temps, comme un clin d’œil, une référence, à l’époque, à la B.D » confiait-il alors à Libération.

Sur un répertoire connu de ses fidèles admirateurs (No Problem, Round about Midnight), des compositions personnelles (dont Portrait de l’artiste avec saxophone) et l’un de ses thèmes préférés, (Bésame Mucho), le saxophoniste (ténor, soprano) exprime un lyrisme propre à séduire un public bien au-delà des fans de jazz.

 

 

Un jazzman culte au Japon

 

 

Barney  est bien revenu. Six mois plus tard, en juin 1987, Philippe Vincent, le producteur de « La Note Bleue », rassemble en studio le saxophoniste avec un trio (Michel Graillier au piano avec la même rythmique Del Fra - Everett). Cette fois, la culture française est à l’honneur comme l’indique le titre de l’album (« French Ballads » - IDA Records), avec des oeuvres de Trenet (L’âme des poètes), Prévert-Kosma (Les feuilles mortes), Salvador (Syracuse), Louiguy-Piaf (La vie en rose), Michel Legrand (Un été 42, Les Moulins de mon cœur, What are you doing the rest of your life) … Un répertoire qui assurera à Barney une formidable cote d’amour, notamment au Japon où le musicien fait l’objet d’un culte toujours vivace aujourd’hui.

 

« La Note Bleue » aura donc joué un rôle crucial dans la carrière du saxophoniste (1937-1996) né à Nice d’un père américain et d’une mère provençale. Cette double aventure ‑ éditoriale et discographique – va pouvoir bénéficier d’un nouveau public, et notamment anglo-saxon, avec la sortie par le label espagnol Elemental lors du Disquaire Day le 17 juillet prochain (la manifestation se tient cette année sur deux dates, le 12 juin et le 17 juillet), d’un coffret de luxe en édition limitée (2000 exemplaires numérotés).

Sont ainsi proposés la version originale du disque remastérisé avec un titre inédit (All Blues de Miles Davis) dans un vinyle de 180 grammes, un livret de 40 pages (français et anglais) avec témoignages (musiciens, journalistes…), photos de Guy Le Querrec lors de la séance, la BD éditée en anglais et un CD inédit d’un concert de 1989 enregistré au Petit Opportun pour l’émission Jazz Club, produite par Claude Carrière et Jean Delmas et diffusée sur France Musique le 27 septembre 1989 (avec Jacky Terrasson (piano), Gilles Naturel (contrebasse) et Peter Gritz (batterie).

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

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*Barney Wilen. La Note Bleue. Coffret Elemental Music-INA-Casterman. Sortie le 17 juillet.
Présentation sur le site www.elemental-music.com
L'édition CD reprenant l’album « La Note Bleue » et l’enregistrement au Petit Opportun y compris les commentaires de Claude Carrière en direct sortira le 3 septembre 2021.

 

 

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25 mai 2021 2 25 /05 /mai /2021 18:24

La pandémie a empêché cette année la tenue d'une cérémonie publique pour la remise des tous les Grands Prix de l'Académie. Le 5 février dernier, les Coups de cœur Jazz, Blues & Soul, et les Prix in honorem, avaient été annoncés sur France Musique dans l'émission 'Open Jazz' d'Alex Dutilh.

http://www.charlescros.org/Selection-Jazz-Blues-Soul-2020

Et comme chaque année les Grands Prix ont été choisis parmi ces Coups de cœur. Ils ont été proclamé ce mardi 25 mai 2021 dans l'émissions 'Open Jazz' d'Alex Dutilh

https://www.francemusique.fr/jazz/jazz-culture-palmares-de-l-academie-charles-cros-jazz-blues-soul-2020-95999

 

Le Grand Prix Jazz 2020 a été décerné au disque

«Abrazo» (ACT / PIAS)

de VINCENT PEIRANI & ÉMILE PARISIEN

ont participé au vote Jazz

Philippe Carles, Alex Dutilh, Arnaud Merlin, Nathalie Piolé, Xavier Prévost, Jean-Michel Proust, Daniel Yvinek

.

Le Grand Prix Blues & Soul a été décerné au disque

«Have You Lost Your Mind Yet ?» (Cooking Vinyl)

de FANTASTIC NEGRITO

Ont participé au vote Blues & Soul

Joe Farmer, Stéphane Koechlin, Jacques Périn, Jean-Michel Proust et Nicolas Teurnier.

 

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27 avril 2021 2 27 /04 /avril /2021 16:55
Le Mans, 2003.

J’ai rencontré Horace pour la première fois à la Fondation Maeght de Saint-Paul-de-Vence pour les concerts d’Albert Ayler et de Sun Ra en 1970. J’étais tout jeune photographe (accrédité par Nord Matin) et c’est lui qui est venu me parler, nous avons sympathisé immédiatement. Il était un peu plus âgé que moi, de la génération de photographes comme son copain Philippe Gras, Jacques Bisceglia, Thierry Trombert, Guy Le Querrec… Puis je l’ai revu l’année suivante au Festival international de jazz d’avant-garde au Château des comtes de Gand où il était venu avec Philippe Carles, le jeune nouveau rédacteur en chef de Jazz Magazine. Moi, j’avais une accréditation de Jazz Hot mais, là-bas, j’ai fait une interview de Han Bennink (ma première interview) et je l’ai tout naturellement proposée à Philippe Carles qui, évidemment, était très intéressé. C’est comme ça que je suis devenu collaborateur de Jazz Magazine pendant une quarantaine d’années. J’ai fréquenté de plus en plus de festivals en tant que photographe et rédacteur, où Horace était présent, des années 70 aux années 2000.

 

Nancy 1972. Nos premières virées aux NJP.

 

Nous sommes devenus de bons camarades, tous deux amateurs de bonne chère. Je me souviens de lui aux premières éditions des Nancy Jazz Pulsations (souvenance émue d’une dégustation de « bourru » de champagne dans une brasserie de Nancy, je buvais assez peu et ce délicieux breuvage se sirotait comme du jus de fruit. Grosse migraine pour moi le lendemain !). À la Fondation Maeght, j’avais alors un appareil photo Porst (?) que m’avait offert mon père et j’étais fasciné par le Pentax Spotmatic à vis d’Horace, depuis j’ai toujours acheté des Pentax à vis, d’occasion dans des magasins, et même à Jean-Jacques Pussiau qui vendait le sien, pendant ma période de photographe « argentique ». Par la suite, nous nous sommes souvent croisés aux festivals d’Antibes, d’Angoulême, de Mulhouse…

 

Quelque part entre Antibes et Paris, à la campagne chez des amis à lui, 1975.
Mulhouse 2004. Une de ses photographies avait été choisie pour l'affiche du festival.

Horace était un râleur, un gueulard, il gueulait contre la société et le gouvernement (comme moi, il était très à gauche), contre les piges de Jazz Magazine qui n’étaient pas assez élevées, c’est lui qui a réussi à persuader Frank Ténot d’augmenter les piges photos, un peu plus tard je suis allé voir Ténot pour lui demander d’augmenter les piges écrites. Horace était très intransigeant sur le plan des droits d’auteur, à une époque où il convenait d’être plus « arrangeant »… Je savais qu’il  avait « couvert » Mai 68 à Paris et qu’il avait fondé un collectif de photographes, Boojum Consort, formé de sympathisants d’extrême-gauche.

 

Le Mans, 2003.
Mulhouse, 2001.

Mais Horace était un faux dur, je m’en suis rendu compte quand je lui ai demandé un jour, à propos d’une de ses photos de John Coltrane où le micro est juste devant le saxophoniste, pourquoi il ne s’était pas déplacé pour éviter le micro, il m’a simplement avoué qu’il n’avait pas osé. C’était un grand fumeur de Gitanes et il ne crachait pas sur la bouteille.

 

Mulhouse, 2002.
Mulhouse, 2007.

Sur le tard, venu s’installer de Paris dans un bourg dans le Morvan (il était voisin de Daunik Lazro) où il s’était construit un site internet un peu « vieux style », il était fauché et était devenu plus taciturne, semblant avoir perdu confiance en lui sur le plan de sa photographie, d’autant plus qu’il était atteint d’un double glaucome…

 

Mulhouse, 2001.
Mulhouse, 2008.

 

Trop isolé dans le Morvan, épaulé par son amie Manon il émigra à Decazeville dans l’Aveyron il y a trois ou quatre ans. Je ne l’ai plus jamais revu, il m’a appelé un jour au téléphone à ma grande surprise, agréable conversation de septuagénaires… Le 16 avril, dans une salle d’attente de l’hôpital de Montauban, il a fait une chute et heurté le chambranle d’une porte, provoquant un traumatisme crânien au niveau de la tempe et un coma sans issue. La perte d’un vieux camarade est toujours source d’une grande tristesse. Chienne de vie.

 

Gérard Rouy (Texte et photos)

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10 mars 2021 3 10 /03 /mars /2021 19:57

 

Une saxophoniste, Sophie Alour, et une cheffe d’orchestre, Maria Schneider, ont obtenu les récompenses les plus prestigieuses décernées par l’Académie du Jazz dans son palmarès 2020 dévoilé le 10 mars.

 


Le Prix Django Reinhardt, du musicien français de l’année, est allé à l’instrumentiste qui rejoint ainsi sur les tablettes de l’institution ses consœurs de la jazzosphère, Cécile McLorin Salvant (chant, 2017), Airelle Besson (trompette, 2014), Géraldine Laurent (saxophone, 2008), Sophie Domancich (piano,1999).
Saxophoniste et flutiste, Sophie Alour (46 ans) qui compte déjà une riche carrière depuis ses débuts sur scène au début des années 2000. s’est illustrée l’an passé par son dernier album, Joy (Music From Source) une rencontre entre jazz et musiques orientales avec la participation de joueurs d’oud (Mohamed Abozekry) et de derbouka (Wassim Halal).

 

Le Grand Prix de l’Académie (le meilleur disque de l’année) a consacré une œuvre magistrale, « Data Lords » (ArtistShare), double album composé et joué par le grand orchestre de la jazzwoman américaine Maria Schneider, évocation du monde actuel en deux parties (le monde naturel et le monde digital).

 

 

Une autre Jazzwoman s'est invitée au palmarès, la saxophoniste Tineke Postma, couronnée par le Prix du Musicien Européen de l'Année.

 

L’Académie du Jazz a également récompensé du Prix du Disque Français l’album Interplay (Trebim Music/L’autre distribution) de Diego Imbert  (basse) et  Alain Jean-Marie (piano) pour un hommage à Bill Evans et Scott LaFaro, et du  Prix du Jazz Vocal, le chanteur franco-belge David Linx pour « Skin in the Game » (Cristal / Sony Music) qui a devancé les chanteuses Kandace Springs et  Anne Ducros.


Deux géants disparus du jazz sont également à l’honneur du palmarès 2020 : Charles Mingus (Prix du Meilleur Inédit pour « Bremen 1964 & 1975 » Sunnyside / Socadisc), et Dexter Gordon (Prix du Livre de jazz pour « Dexter Gordon Sophisticated Giant » signé de sa veuve Maxine Gordon et publié dans sa version française aux Éditions Lenka Lente).

 

Crise sanitaire oblige, le vote des académiciens (près de 50 participants) s’est opéré par internet à la fin janvier. Quant à la cérémonie traditionnelle de remise des prix, donnant lieu à des prestations musicales des lauréats en présence d’invités de la communauté du jazz (en 2020 au Pan Piper, en 2019 à la Seine Musicale) elle a été remplacée par une présentation du palmarès lors d’une émission spéciale de Jazz à FIP à laquelle participait le Président de l’Académie du Jazz, François Lacharme. Hommage a été rendu à cette occasion à Claude Carrière, décédé le 20 février dernier, et qui présida l’Académie de 1993 à 2004.

 

 

Club Jazz à FIP, 10 mars 2021

 

 

 

 

Jean-Louis Lemarchand.

 


 
                        LE PALMARÈS 2020

 


Prix Django Reinhardt (musicien.ne français.e de l’année)
SOPHIE ALOUR, saxophoniste.


Finalistes : Benjamin Moussay, Grégory Privat.


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Grand Prix de l’Académie du Jazz (meilleur disque de l’année) :
Maria SCHNEIDER ORCHESTRA  pour « Data Lords » (ArtistShare).


Finalistes : Joshua Redman / Brad Mehldau / Christian McBride / Brian Blade « Round Again » (Nonesuch / Warner Music) et Fred Hersch « Songs from Home » (Palmetto / L’autre distribution).


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Prix du Disque Français (meilleur disque enregistré par un musicien français) :
Diego IMBERT / Alain JEAN-MARIE pour « Interplay » (Trebim Music / L’autre distribution).


Finalistes : Pierre de Bethmann « Essais / Volume 4 » (Aléa / Socadisc), Multiquarium Big Band (Charlier / Sourisse) « Remembering Jaco » (Naïve / Believe).


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Prix du Musicien Européen (récompensé pour son œuvre ou son actualité récente) : TINEKE POSTMA (saxophoniste néerlandaise).


Finalistes : Matthieu Michel, Andreas Schaerer.


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Prix du Meilleur Inédit :
CHARLES MINGUS pour « Bremen 1964 & 1975 » (Sunnyside / Socadisc) .

 

Finalistes : Paul Desmond « The Complete 1975 Toronto Recordings » (Mosaïc), Art Blakey & The Jazz Messengers « Just Coolin’ » (Blue Note / Universal).


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Prix du Jazz Classique :
GUILLAUME NOUAUX & THE STRIDE PIANO KINGS (Autoproduction).


Finalistes : Hot Sugar Band & Nicolle Rochelle « Eleanora, The Early Years of Billie Holiday » (CQFD / L’autre distribution), Dave Blenkhorn / Harry Allen « Under a Blanket of Blue » (GAC Records).


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Prix du Jazz Vocal :
DAVID LINX pour « Skin in the Game » (Cristal / Sony Music).


Finalistes : Kandace Springs « The Woman who Raised Me » (Blue Note / Universal), Anne Ducros « Something » (Sunset Records / L’autre distribution).


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Prix Soul :
DON BRYANT pour « You Make Me Feel » (Fat Possum).


Finalistes : Robert Cray « That’s What I Heard » (Thirty Tigers), Izo FiztRoy « How The Mighty Fall » (Jalapeno).


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Prix Blues :
ANDREW ALLI pour « Hard Workin’ Man » (EllerSoul).


Finalistes : Shemekia Copeland « Uncivil War » (Alligator / Socadisc), Jimmy Johnson « Every Day Of Your Life » (Delmark / Socadisc).


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Prix du Livre de Jazz :
MAXINE GORDON, Pour  « Dexter Gordon Sophisticated Giant » (Éditions Lenka Lente).


Finalistes : David Koperhant / Bruno Guermonprez / Rebecca Zissmann « 59 rue des Archives » (Éditions ActuSF), Robert Palmer « Deep Blues» (Éditions Allia).


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21 février 2021 7 21 /02 /février /2021 19:43

Claude Carrière et Rebecca Cavanaugh, Montpellier 25 juillet 2014

 

Quand j'écris ces lignes, le dimanche 21 février, Claude est mort depuis un peu plus de 24 heures. J'ai appris la sombre nouvelle dans le métro qui me conduisait à la Maison de la Radio pour un concert à huis-clos, avec en première partie le quartette de Géraldine Laurent (une musicienne que Claude contribua largement à faire connaître au début de sa carrière), et en seconde partie le quintette d'Olivier Ker Ourio. Cette seconde partie étant en direct sur France Musique, dans l'émission 'Jazz Club', inventée en 1982 par Claude Carrière et Jean Delmas, qui la co-produisirent jusqu'en 2008. Funeste coïncidence. Me reviennent aujourd'hui à propos de Claude une foule de souvenirs, d'amateur d'abord, à l'écoute de France Musique, puis de collègue, et d'ami.

J'avais écouté avec passion, à la fin des années 70, les premières années de la série 'Tout Duke', dont Claude produisit pour France Musique quelque 400 épisodes. Et j'avais lu ses articles dans Jazz Hot, même si mes goûts et autres choix idéologico-esthétiques me rattachaient à la 'famille' de Jazz Magazine. J'ai rencontré Claude et Jean Delmas (et aussi André Francis) en juillet 1981 au festival de Nice. Je faisais des émissions de jazz sur Radio K, une radio francophone basée à San Remo. Station à la naissance de laquelle j'avais très activement participé : un ministre de Giscard avait déclaré (révélations du Canard Enchaîné) que nous étions «un poignée d'aventuriers gauchistes». Pas faux. Contact très amical avec Claude et Jean, manifestement très intéressés par notre démarche libertaire (et puis, une radio où il y a plusieurs émissions de jazz chaque semaine, ça leur parlait !).

En janvier 1982, alors que je dînais seul après mon émission dans la cuisine de notre hôtel transformé en station de radio, j'ai écouté un des premiers 'Jazz Club' sur France Musique avec Barney Wilen. Or peu avant Barney, que j'avais rencontré à Nice, et qui était venu improviser en direct pour nous pendant trois heures sur des mixages de musiques et autres divagations sonores, m'avait ouvert les portes de Jazz Magazine, conseillant à Philippe Carles de me recruter. J'étais avant cela à Lille, et je n'aurais pas postulé à JazzMag, par égard pour mon pote Gérard Rouy qui officiait déjà depuis plus de 10 ans dans ces colonnes. Encore une rencontre, encore une chance. Le mois suivant, après la fermeture de Radio K, venu à Paris rejoindre ma petite amie, je cherche du boulot. René Koering (celui-là même qui avait accepté l'idée du 'Jazz Club'), cherche de nouvelles voix pour France Musique. Fin février, je suis reçu par Koering, qui a bien aimé l'enregistrement du direct avec Barney (je lui ai bien dit que je n'avais fait que concrétiser une idée du saxophoniste....), et cinq semaines plus tard je fais mes débuts sur France Musique le samedi matin dans l'émission de Philippe Caloni consacrée à l'actualité du disque, et où je vais succéder à Lucien Malson pour traiter l'actualité phonographique de ma musique préférée. Pour le petit gars de province que très peu de gens dans la micro-jazzosphère connaissaient, encore un coup de chance.

 

Et l'évocation de Philippe Caloni ravive un autre souvenir. En juillet 1982, toute l'antenne de France Musique est au festival d'Aix-en-Provence, y compris les jazzeux, et je fais quotidiennement à Aix une émission que j'aurais pu faire dans les studios de Paris. Nous sommes sur une terrasse, devant l'Institut d'Études Politiques où sont nos studios provisoires, à l'heure du pastis, et nous chantons à tue-tête (à peu près juste et en place....), le thème Hot House, composé par Tadd Dameron et immortalisé par Gillespie et Parker. Joyeuse tablée avec Caloni, Claude, le réalisateur Michel Gache, Jean-Paul Beaugelet-un technicien féru de jazz-, et quelques autres dont votre serviteur....

Une foule d'autres souvenirs au fil des années, comme ce soir où deux jeunes producteurs de France Musique avaient organisé une soirée privée entre nous, hors antenne, au studio 106, où ceux et celles qui le souhaitaient (productrices et producteurs, réalisatrices et réalisateurs, technicien.ne.s, attaché.e.s de production....) étaient convié.e.s à jouer pour leurs collègues. On écouta ce soir-là un mouvement de sonate pour violon & piano de Brahms, un quatre mains sur quelques danses hongroises du même, une mélodie de Rachmaninov, et les jazzeux ne furent pas de reste, au piano : Arnaud Merlin joua en trio Israel de Johnny Carisi, Yvan Amar nous offrit un solo improvisé d'une insolente sinuosité harmonique, Claude était attendu en milieu de programme pour jouer Ellington ou Strayhorn, et votre serviteur devait intervenir en fin de soirée. Mais Claude était en retard : on me demanda d'anticiper ma prestation. Et pendant que je me livrais à une variation sauvage intitulée Le chien d'Igor aboie et la caravane passe, massacrant les accords du Sacre, et aussi un court fragment mélodique de L'Oiseau de feu, avant de glisser vers les harmonies de Caravan (une des rares tonalité où je puis, très sommairement, improviser....), Claude fit une magistrale entrée en haut du gradin du studio. Le voyant, je fus pris d'une panique insondable, comme un délinquant pris sur le fait : massacrer le Duke devant la Statue du Commandeur des Ellingtonophiles, c'était un crime de lèse majesté ! Mais le piano du studio 106 (un Steinway 'D' de Hambourg de la fin des années 90) était d'une telle qualité, c'était un tel plaisir que de le maltraiter, que j'ai accompli mon forfait jusqu'à l'ultime accord (de Fa, très altéré). Claude, toujours bon camarade, et naturellement bienveillant, ne fit aucun commentaire désobligeant à propos de mon sacrilège....

Vers la même époque un directeur de France Musique voulut faire une grande opération en direct du Jazz Club de Méridien (baptisé à l'époque 'Jazz Club Lionel Hampton') car le grand Lionel lui-même devait y donner un concert. Ce n'était pas un vendredi, mais le directeur voulait que Carrière et Delmas en fissent une soirée spéciale de l'émission 'Jazz Club'. Nous pensions tous que le grand Lionel Hampton, alors âgé de 92 ans, n'était plus à l'époque musicalement qu'un pâle reflet de son considérable talent passé. Ce ne fut donc pas un 'Jazz Club' spécial, mais une soirée exceptionnelle de France Musique. Depuis deux ans j'avais la responsabilité du Bureau du Jazz, Claude et moi avions comme activité principale, et presque exclusive, la radio. Il nous fallut donc avaler la couleuvre et faire ensemble ce direct. Le directeur savait que ce serait, médiatiquement (sinon musicalement....), un événement, et quelques jours plus tard il exhibait triomphalement un argus de la presse (photocopie des tous les articles de presse, avant et après cette soirée) de plus d'un kilo ! Manifestement lui et nous n'avions pas la même conception de notre métier. Nous fîmes vaillamment ce direct, avec des invités (donc certains 'suggérés' par la direction) qui parlèrent surtout d'eux-mêmes, et assez peu, et peu pertinemment, de Lionel Hampton. Lequel joua, comme il put. Souffrance pour une partie des présents, et des auditeurs de France Musique, et aussi manifestement pour les musiciens qui l'accompagnaient, qui tenaient à conserver un autre souvenir de ce héros du jazz. Le seul bon souvenir de cette pénible soirée, ce fut Sacha Distel, très affable, qui parla brillamment de Lionel Hampton, de ses émois d'amateur, et de l'enregistrement qu'il avait fait pour Barclay avec Hampton en 1955. Sacha fut le seul qui vint à la fin du direct nous saluer. Je ne le connaissais pas personnellement, mais pour moi il était le guitariste d'un très beau disque avec John Lewis et Barney Wilen, en 1956, et l'homme confirmait mon préjugé favorable.

 Le Jazz Chamber Quintet, pendant la répétition, 25 juillet 2014

 

Je vais clore là cette litanie des souvenirs professionnels qui m'ont lié à Claude Carrière, alors qu'il en est bien d'autres. Mais je voudrais conclure par celui qui, peut-être, me tient le plus à cœur. Nous sommes en juillet 2014. Claude a été écarté de France Musique en 2008, et il a mal vécu cette injuste éviction. J'ai moi-même appris deux mois plus tôt que Radio France ne renouvelle pas mes contrats. J'ai encaissé mais je n'en mène pas large. Pour la programmation de jazz du festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon j'ai conçu une série de concert où figuraient le trio de Manuel Rocheman, le quartette de Boris Blanchet, beaucoup d'autres, dont Dominique Pifarély qui conclurait le festival, et qui serait mon ultime production pour Radio France après 32 ans de présence. Et le 25 juillet, veille de ma dernière prestation, j'accueillais le formidable 'Chamber Jazz Quintet' avec en invité André Villéger. Le groupe rassemblait la chanteuse Rebecca Cavanaugh, Frédéric Loiseau, Marie-Christine Dacqui, Bruno Ziarelli.... et au piano Claude Carrière. J'écris formidable pas seulement en pensant à l'adjectif que Claude utilisait volontiers, mais parce que j'aimais beaucoup ce groupe. Juste avant d'entrer sur scène, alors qu'en coulisse je m'apprêtais à faire l'annonce de présentation avant de laisser place aux artistes, Claude semblait paniqué à l'idée de jouer devant ce très nombreux public (plus de 1.500 spectateurs dans l'Amphi d'O), et les micros de notre chère radio en prime. Le doute et l'angoisse de celui qui était pourtant plus que légitime. Claude entra vaillamment sur scène avec ses amis. Le concert commençait avec une composition à lui dédiée par son ami le guitariste Frédéric Loiseau, Blues for C. Introduction par le piano seul. Claude avait vaincu le démon furtif de l'angoisse d'avant-scène. L'intro était magnifique. Le concert le fut tout autant. Il fut diffusé à la rentrée par une consœur de France Musique. C'est ainsi que l'Ami Claude fut un repère dans ma vie de radioteur occupé de jazz, de ses prémices jusqu'à sa conclusion. Merci Claude !

Xavier Prévost

L'Amphi d'O à Montpellier, photo Luc Jennepin

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21 février 2021 7 21 /02 /février /2021 11:46
BLACK AND BLUE : adieu à Claude Carrière, passeur de jazz.

BLACK AND BLUE : adieu à Claude Carrière, passeur de jazz.

 

 

J’ai appris la nouvelle lors du passage d’antenne hier soir sur France Musique entre Jérôme Badini des Légendes du jazz et Yvan Amar du Jazz Club. Ce dernier a rendu hommage à Claude Carrière, journaliste et producteur, le créateur avec Jean Delmas, de la formule en 1982 avec ces concerts retransmis avec les aléas du direct.

J’ai bien conscience que toute une génération tire sa révérence et cela fait mal. Ce sens de la perte est aussi aggravé en cette période anxiogène. Comme si on perdait ses repères. Je me souviens de Claude Carrière, mon “papa de jazz” comme j’aimais à l’appeler, dont la voix si particulière ( mais il y en avait d’autres à l’antenne à l’époque, Alain Gerber, Lucien Malson, Daniel Nevers, sans parler d’Henri Renaud ou André Francis) me révéla Tout Duke dans cette formidable série, dont chaque épisode, toujours trop court, passait à 12h 05 sur les ondes, si ma mémoire ne me joue pas des tours. Heure tout à fait improbable, mais possible pour une lycéenne malade qui s’était trompée de fréquence, délaissant France Inter que sa mère écoutait toute la journée à partir du “Bonjour” tonique et décontracté de Bouteiller.

Nous étions en 1977, cela je m’en souviens parfaitement. Si j’écoutais dans la discothèque familiale Gershwin et Armstrong sur des LP Brunswick épais noir réglisse, j’allais avec les émissions de Claude Carrière et ses extraits généreux que j’enregistrais frénétiquement sur des Sony chrome vertes très résistantes que m’avait rapporté mon père, entrer dans le monde du Duke et de Billy Strayhorn, apprendre qui était le “lapin” Johnny Hodges, le voluptueux Harry Carney ( "Frustration"), le trompettiste Cootie Williams qui eut droit à son concerto, le clarinettiste Barney Bigard ou le tromboniste Juan Tizol ("Caravan")… Il n’ y avait pas internet, j’entendais des noms dont l’orthographe me paraissait approximative (Joe Tricky Sam Nanton !) et je repassais les extraits sans fin.

Ma connaissance et mon amour du jazz ont été “déformés” ainsi alors que la musique pop, rock, le free vivaient des heures excitantes. J’écoutais d’autres musiques mais quand on en venait sur le terrain du jazz, c’était le classique des grands orchestres…

Je ne lisais pas encore la presse spécialisée, et je me fichais bien de Jazz Hot, Jazz Magazine, Rock and Folk ou Best. Je lisais plutôt du cinéma. Mais je dois à la radio cet apprentissage, ce voyage initiatique dans le temps et la musique.

Plus tard, j’ai retrouvé Claude Carrière, l’homme du label CRISTAL, et je me suis régalée à lire ses livrets aux notes de pochette si érudites. Tout un art de la synthèse pour présenter une compo, un musicien, un thème. Je me suis constituée toute la série des Original Sound de Luxe, collection qu’il dirigea à partir de 2007, aujourd’hui bien rangée dans ma discothèque. Albums de référence que j’ai chroniqués sur ce site très régulièrement, par ailleurs. Claude Carrière | Un artiste du label Cristal Records

avec toutes ces pochettes merveilleusement dessinées par Christian Cailleaux, après une sélection rigoureuse en fonction de chaque thème.

Comme Claude Carrière était pianiste, il enregistra aussi sur Black and Blue deux albums : 

Rebecca CAVANAUGH/LOISEAU/CARRIERE/DACQUI: "Looking Back" - les dernières nouvelles du jazz (over-blog.com)

THE CHAMBER JAZZ QUINTET MEETS ANDRE VILLEGER :"For all we know" - les dernières nouvelles du jazz (over-blog.com)

 

A lire aussi le témoignage de Franck Bergerot Claude Carrière – Reminiscing in Tempo – Jazz Magazine et évidemment l’hommage de Jean Louis Lemarchand sur notre site des DNJ.

Sophie Chambon

 

 

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