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28 juin 2012 4 28 /06 /juin /2012 20:16

Philippe-le-Baraillec---Involved--cover.jpgOutnote records/ Outhere

 

Avec Ichiro Onoe, Mauro Gargano et Chris Cheek

 

On commence à connaître dans le petit monde du jazz ce pianiste secret, introverti et impliqué  (c’est le sens du titre  « Involved ») qui n’a réalisé  en cette période de production pléthorique et frénétique, que trois albums. Mais quels albums, Echoes from my Room  chez Owl , (devenu introuvable),  Invisible Wound sur le label Ajmiseries –c’est là que je l’ai découvert et chroniqué pour les DNJ- et enfin ce passionnnant   Involved  sur le label de Jean Jacques  Pussiau,  Outnote records.

Philippe Le Baraillec  est d’abord enseignant à la Bill Evans Academy aux côtés de Bruno Angelini, ce qui souligne certains  liens entre musiciens, une véritable fraternité dans la musique.  Il garde l’extraordinaire paire rythmique  de son trio d’Invisible Wound.  Comment se séparerait-on d’Ichiro Onoe et Mauro Gargano,  un duo ardemment présent et qui n’en fait jamais trop cependant ? Ces trois-là semblent toujours avoir le même plaisir à se retrouver, à partager une complicité originale et exigeante. Chaque nouvel échange complète le tableau de leurs variations en série.  Un groove subtil, éminemment jazz. Qu’il est bon de ne pas jouer la confusion dans cette période trouble : dans leur musique, on entend, sans équivoque, du jazz. Sensible à cet idiome qu’il aime et sert avec ferveur, Philippe Le Baraillec a constitué un quartet original et très sensuel, pour ne pas dire romantique : l’arrivée du saxophoniste  ténor Chris Cheek renforce pertinemment  la formation, faisant résonner l’ensemble avec encore plus de fluidité et de cohérence : chanteurs  à leur manière, ses complices suivent la finesse de son jeu lyrique et retenu à la fois, comme dans ce délicat « Iceberg » ou l’autre ballade inaugurale « 10th of september ». Citons Christian Béthune qui souligne que l’imagination de l’auditeur devient alors indispensable pour assumer la part du rêve embusquée derrière chaque note par quelque somnambule (« Nightwalkers »). On ne saurait mieux dire. C’est une musique de l’intime qu’il nous faut apprivoiser, car cette apparente clarté, cette lisibilité ne se révèlent  qu’au prix d’un réel effort d’appropriation.

S‘est on installé dans ce climat serein, intemporel mais vibrant (« War Photographer »)?   L’album se referme sur une version élaborée de  « Saint Thomas », le thème archi connu de Sonny Rollins, transformé en un arrangement plus doux, calmement joyeux, qui suspend provisoirement l’histoire, un répit très maîtrisé par la paire rythmique qui fait merveille . Le pianiste, passeur de cette histoire aborde le terme de ce voyage sur ce rythme  léger et subtil. Accessible, émouvant, passionné, il sait convaincre, sans intellectualisme forcé, mais avec une singulière acuité, et un sens poétique évident, et s’inscrit ainsi, assurément, dans  la lignée des très grands.


NB : Dans ses excellents commentaires, Christian Béthune, philosophe de formation, revient à juste titre sur la polysémie du mot «Involved» et les trois dimensions entrelacées dans la musique du pianiste, auteur de toutes les compositions hormis la dernière. Philippe Le Baraillec est en effet engagé dans son travail de musicien, avec une ferme adhésion à une philosophie de vie à laquelle il tient et croit. On peut aussi lire à ce sujet ce que le pianiste écrit de son seul solo, «La toupie», fable hassidique. La musique nous parle sans rien dire. Mais sommes nous  toujours à même de saisir cet implicite ?

Pierre de Choqueuse, l’autre contributeur des « liner notes », évoque deux disques qui se trouvent être également (est-ce un hasard ? ) des souvenirs  tendres et des références familières . Le Baraillec a aimé et découvert Bill  Evans pour ce disque Verve de 1967 « California here I come » plutôt oublié dans les discographies du pianiste, avec Philly Joe Jones et Eddie Gomez. Quant à Chris Cheek qui partage admirablement ce rêve de musique, il cite l’album Blues cruise  ( Fresh Sound New Talent avec le trio de Brad Mehldau), dont j’aime tout particulièrement la version de « Song of India », un grand hit du big band de Tommy Dorsey.  Elle est peut être là, la filiation, dans cet enracinement dans l’histoire et les générations de jazzmen qui ont précédé. Le pouvoir de la « transmission » pour se servir d’un mot que beaucoup utilisent aujourd’hui.

Sophie Chambon

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27 juin 2012 3 27 /06 /juin /2012 15:11

Yuval-Amihai-copie-1.jpg

Myspace

 

Après avoir remporté plusieurs récompenses dans des compétitions de premier plan, dont un 1er prix au tremplin Jeunes Talents du festival Jazz à Saint-Germain-des-Prés Paris en 2008 et un grand prix de groupes au Concours national de Jazz à La Défense en 2009, le quintet du guitariste Yuval Amihai nous livre enfin son premier opus. Cet album est la conséquence d’un lent processus de maturation, pendant lequel les musiciens de Yuval Amihai n’ont eu de cesse de mettre les compositions à l’épreuve du live. L’album livré aujourd’hui est clairement le reflet de ce travail.
Dès les premières notes de Rikud La Shalom (Dance for Peace), Yuval Amihai Ensemble absorbe l’auditeur, le propulse à l’écart de là où il se tenait préalablement, et le voici embarqué pour un long et doux voyage. Titre après titre, l’écriture témoigne d’une délicate sensibilité, où l’articulation entre les thèmes et l’espace libéré pour l’improvisation n’apparaît jamais forcée ; et si la guitare de Yuval Amihai donne souvent le ton, comme sur Kadimuchka, ce dernier la manie sans excès.
Dans ce premier album s’exprime la vitalité d’une jeunesse pleine d’espoir, baignée dans des sonorités marquées par les origines israéliennes du leader (Ma Avareh). Il y a aussi comme un goût de terre, d’ocre et de sable, et ce paysage s’installe avec douceur, sans effraction. Les routes empruntées coupent les déserts, à la fois vides et pleins de vie, dès lors que l’on sait y regarder. Des espaces s’ouvrent, tandis que des passerelles entre des mondes et des univers distants se créent.
Dans ce périple, Yuval Amihai peut compter sur la maîtrise, la virtuosité et la fidélité de ses jeunes acolytes, Damien Fléau au soprano sax, Etienne Bouyer au ténor et soprano, Olivier Degabriele à la contrebasse et Gautier Garrigue à la batterie. Tous témoignent, morceau après morceau, d’une volonté indéfectible de se mettre au service d’un ouvrage collectif, avec toute la retenue que cela impose. Yuval Amihai le sait : son quintet est un Ensemble.

Joa Scetbon

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25 juin 2012 1 25 /06 /juin /2012 08:06

 

Concord Jazz 2012

Christian Scott AA (tp), Matthew Stevens (g), Jamire Williams (dm), Kris Funn (b), Mawrence Fields (p) + Kenneth Whalum (ts), Louis Fouche (as), Corey King (tb)

 CJA-33237-02.jpg

 

L’ouvrage est impressionnant, monumental, à l’image de Christian aTunde Adjuah dont c’est le nouveau nom un peu mégalomaniaque.

Visant large, le trompettiste redéfinit sa carte du jazz en embrassant la tradition avec sa propre vision de la modernité où l’acoustique se marie à l’électro dans une sorte d’opéra grandiose (voire même grandiloquent). Impressionnant, le trompettiste l’est par son jeu. Mais à la manière d’un Christiano Ronaldo dans l’équipe du Portugal, la nouvelle star de la nouvelle Orleans semble jouer seul devant et aux autres de la suivre. Il n’empêche, le trompettiste fait étalage d’une spectaculaire technique. Certainement l’un des meilleur trompettiste du monde. Ainsi cette ouverture tonitruante, bluffante, à la limite du démonstratif ( Fatima Aisha Rokero 400) ou encore sur Pyrrhic Victory of aTunde Adjuah, témoignage mégalo puisqu’il relate les réactions négatives de son entourage à la découverte de son nouveau nom.

Gros travail d’arrangements pour une musique qui explore des univers d’une incroyable richesse. Puisque ce nouveau nom est censé retracer l’univers large de cette identité que le trompettiste revendique entre l’Afrique, les Etats-Unis, la culture indienne, et même européenne sans toutefois tomber jamais dans une world music aux idiomes faciles. En émerge de multiples sons, de multiples ambiances, mouvantes et parfois indéfinissables.

Christian Scott signe un manifeste identitaire, celui d’un indien noir de la Nouvelle Orléans, mais avant tout le manifeste de la modernité de l’après Katrina qui renvoie loin les très vieux clichés de la cité du Croissant. Car il  y a ici de la profondeur et foin d’esprit festif. Une certaine spiritualité qui peut (ou pas) émouvoir mais qui fascine de bout en bout pour celui qui donne le temps à l’écoute de ce double album fleuve.

Christian Scott sait créer des instants dramatiques, intenses (Danziger), grâce à une technique époustouflante dans l’aigu sans que Christian Scott n’hésite aussi à aller vers une sorte de Nu-jazz que ne rejetterait pas son fondateur norvégien. Et voilà pour les clichés continentaux explosés au passage et les musiciens américains ne sont définitivement plus cantonnés dans l’après bop

Il y a alors quelque chose de magique dans cet album-là. Qui relève un peu d’une sorte de magie  indienne.

Et Christian Scott pour peu que l’on oublie ses effets de manches et son égo démesuré, signe ici une œuvre. Personnelle et riche.

Jean-Marc Gelin

 

 


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22 juin 2012 5 22 /06 /juin /2012 19:26

world-saxophone-quartet-the-complete-remastered-recordings-.jpgCe coffret, pas cher, contient:
"Steppin' With the World Saxophone Quartet" - 1979
Hamiet Bluiett (baritone sax, fl) - Julius Hemphill (as, ss) - Oliver Lake (as, ss) - David Murray (ts, bc)

"W.S.Q" - 1981
Hamiet Bluiett (baritone sax, alto cl) - Julius Hemphill (as, ts) - Oliver Lake (ts, as, ss) - David Murray (ts, bc)

"Revue" - 1982
Hamiet Bluiett (baritone sax, alto cl) - Julius Hemphill (as, ss, fl) - Oliver Lake (ts, as, ss, fl) - David Murray (ts, bc)

"Live in Zurich" - 1984
Hamiet Bluiett (baritone sax, alto cl, alto fl) - Julius Hemphill (as, ss, fl) - Oliver Lake (ts, as, ss, fl) - David Murray (ts, bc)

"Live at Brooklyn Academy of Music" - 1985
Hamiet Bluiett (baritone sax, alto cl) - Julius Hemphill (as, ss) - Oliver Lake (as, ss) - David Murray (ts, bc)

"Moving Right Along" - 1994
Hamiet Bluiett (baritone sax, contralto cl) - Eirc Person (as, ss) - Oliver Lake (as, ss) - David Murray (ts, bc) - James Spaulding (as) sur deux titres.


Après 35 ans d'existence et 21 CD, le WSQ, quartette à la géométrie et aux musiques variables, serait la seule réunion de saxophonistes à avoir émergé commercialement dont le répertoire est aussi vaste que créatif et basé sur des revendications politiques noires américaines. A sa création lors de la deuxième moitié des années 70, la formation se compose de Oliver Lake, Julius Hemphill et Hamiet Bluiett - provenant tous trois d'un groupe du Missouri - associés à  David Murray, rencontré lors des Loft-sessions à NYC.
Au fur et à mesure que les années passent, le groupe devient interchangeable en fonction des disponibilités de chacun et suite au triste décès de Julius Hemphill en 1995. A partir de là, le trio Bluiett/Lake/Murray se complète par alternance avec Bruce Williams, James Carter, John Purcell, Eric Person ou Kidd Jordan entre autres, pour des collaborations plus ou moins régulières.

Caractérisé par sa free-routine, le WSQ fait du free jazz et de la musique improvisé en général sa pierre angulaire jusqu'au milieu des années 80. A cette époque, le quartette s'écarte de la revendication politique genre "poing levé" pour une autre plus culturelle qui rend hommage à la culture noire, probablement influencée par David Murray, infatigable défricheur des racines noires américaines (2).
Dans les années 90, le groupe s'associe à des formations africaines variées (3) . Dans les années 2000, le quartette retrouve son âme contestataire: elle reprend sa formule free très vigoureuse (4)  ou se fait accompagner d'une rythmique costaude et virile (5). Au fil des années, le quartette a évolué en s'ouvrant vers des horizons variés, en particulier après la mort de Hemphill.

La discographie du WSQ s'est faite essentiellement au sein de trois labels: Black Saint: Elektra/Nonesuch puis Justin Time.
Dans ce coffret Black Saint & Soul Note, on retrouve les débuts discographiques du quartette de 1978 à 1984 pour cinq d'entre eux, et "Movin' Right Along" paru en 1994. Les six CDs du coffret dont des masterpieces du quartette. Les cinq premiers sont représentatifs de l'époque où le quartette est dans la revendication free et politique et qu'il joue son "tube" ("Hattie Wall") pour commencer ou clore un concert. Le sixième , chronologiquement parlant dans le coffret, est dans la même veine artistique. Deux CDs sont enregistrés en concert (Brooklyn Academy of Music, Zurich) et les quatre autres en studio.
Ainsi, l'auditeur entend le quartette s'exprimer sous des angles divers: ce dernier alterne entre énergies créatives sur scène ("Live in Zurich"), orfèvreries de studio ("Steppin' with the World Saxophone quartette"), dépenses free-funk calibrées et bougrement efficaces ("W.S.Q."), compositions abstraites aux textures entremêlées - par l'ajout des flutes de Hemphill et Lake - et compositions a capella aux fondements roots/blues ("Revue"),
"Live in Zurich" dispose d'une prise de son moyenne et inégale, compensée par six compositions (sur les sept du cd) d'Hemphill et une cohésion "naturelle" remarquable d'un groupe bien calé.
"Steppin' with World Saxophone quartette" est plus intimiste alors que l'effort semble porté sur la technique saxophonistique. "Moving Right Along" est un cd de transition qui s'ouvre aux reprises (6) et à de nouveaux athlètes du saxophone: Eric Person remplace Hemphill; James Spaulding - saxophoniste si injustement oublié - arrive en cinquième larron sur deux titres.
Mes trois CDs par ordre de préférence: "Revue", "W.S.Q", "Live at Brooklyn Academy of Music". Pas de déception possible avec ce coffret: que du bon!

JG

 

(1) Je vous conseille vivement d'écouter "Requiem for Julius", hommage du WSQ pour leur camarade Hemphill, paru chez Justin Time, label canadien qui a supporté le groupe sur plusieurs albums.
(2) Avec un cd destiné à la musique de Duke, aux ballades de jazz, et à la Soul/R&B avec le TRES formidable "Rhythm and Blues".
(3) Le WSQ donne naissance à "M'Bizo", "Selim Sivad" (hommage à Miles avec De Johnette) et "Four now".
(4)  Le dernier en date est "Yes we can" avec Kidd Jordan!
(5) "Political Blues" et "Experience", hommage à Hendrix
(6) "Amazing Grace" ou le très très enlevé "Giant Steps".

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20 juin 2012 3 20 /06 /juin /2012 22:04

 

Cidi 1101

Sortie JUIN 2012

 

www.muzzix.info

www.lacabine.org

www.circum-disc.com

 toc.jpg

Toc !  Faut-il aller voir du côté de ce mal étrange appelé « trouble obsessionnel compulsif »? Quand on écoute cette musique déferlante d’un trait, on est hypnotisé par le pouvoir de ces vagues de son qui secouent sacrément. Et on aime ça… les tympans sont (mal)traités avec une saine vigueur.

Toc, ce sont surtout les initiales des trois musiciens qui composent ce groupe dont c’est le deuxième album, à savoir Jérémie TERNOY au Fender Rhodes, Peter ORINS à la batterie, Ivann CRUZ à la guitare. Pas de danger, nous sommes plongés dans l’univers fascinant de la scène lilloise, unique en France, et de ce collectif épatant de musiciens qui signent sous le label CIRCUM que l’on suit depuis ses débuts (Muzzix, Zoone libre, La Pieuvre, Circum Grand Orchestra, Peter Orins trio, le quintet Impression…) .

On se situe  dans le domaine de la musique libre, aux marges de l’espérimentation radicale, du free punk pop complètement barré, du post rock, du jazz core. On pourrait ainsi multiplier les appellations et tentatives de rangement, à la Pérec,  c’est à dire tenter un classement méthodique de styles et d’influences ... Mais c’est impossible avec cette musique délirante, improbable et pourtant réelle, autour de l’accord parfait (ou non), surtout libre des trois instrumentistes. Toujours cette volonté de travailler sur le son, de sculpter la matière sonore, d’en accomoder toutes les textures organiques et synthétiques, d’oublier un temps la mélodie qui …finit par ressurgir en boucles ou selon les artefacts de l’improvisation. Une énérgie sèche et musclée, des temps forts où ça vibre et respire, circule entre les trois compères qui s’écoutent et se complètent. Pas de filtre encrassé ou brouillé et de surenchère sonique, et pourtant rien n’est vraiment lisse en dépit de quelques douces boucles : le piano s’affole, la guitare cisaille ou groove délicatement, la batterie exécute et martèle comme dans le final (12’ quand même) où tout grince et arrache dans un crescendo fou…intitulé « That’s what she said ». Ah oui, vous pouvez ne regarder ( comme je l’ai fait)  les titres (pleins d’humour)  qu’après avoir écouté le disque en entier, comme une suite qui raconte alors une histoire, qui prend sens.

Un album vibrant, serein, qui ne lâche rien. Il reste encore tout un territoire à explorer à ces musiciens. Faisons confiance à nos amis nordistes… et suivons-les dans leur aventure.

 

Sophie Chambon

 

NB : La photo de couverture, souvent réalisée par Peter Orins, contribue à ancrer l’image du label dans son territoire, urbain, post moderne et industriel…

 

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19 juin 2012 2 19 /06 /juin /2012 23:09

 

Ayler Records 2012

Alexandra Grimal ( ts, ss), Todd Neufeld ( g), Thomas Morgan (cb), Tyshawn Sorey (dm)

 alexandra-grimal.jpg

Chère Alexandra,

Vous dire tout d'abord que j'ai beaucoup aimé votre dernier album. Vous avez cette façon de chercher à fabriquer le son seule ou collectivement avec vos camarades de jeu.

Cette façon d'explorer les champs de l'improvisation et surtout ce son que vous déployez, cette classe avec laquelle vous jouez, toute en économie, marquant les pauses, imposant les silences pour laisser le velours de votre ténor éblouir l'espace de ces lumières moirées. Votre musique est conceptuelle.

La formule pianoless est exigeante. Elle suppose une grande écoute. Vos maîtres (Rollins par exemple) avaient montré la voix. Vous la suivez à votre façon mais vous bifurquez.

Il vous arrive de plonger dans l'exploration très libre, de créer des tableaux abstraits (Orion).  Vous laissez beaucoup d'espace au trio dans une conversation intellectuelle parfois fascinante (Cassiopae) sans que l'on sache vraiment où vous voulez en venir. Mais il y a aussi des moments de grande intensité comme ce très long développement sur Andromeda.

Mais j'ai quand même cherché si vous étiez la jeune Alexandra Grimal que l'on retrouvait il n'y a pas si longtemps dans les tremplins de jazz. Pourquoi, à votre âge tant de maturité, tant de sagesse et de retenue. Et j'ose à peine vous le dire, votre exploration d'espaces silencieux, interstellaires, est parfois un peu soporifique. On aimerait le choc, l'émergence d'une sorte de Marc Ducret. Vos étoiles se meuvent lentement dans une sorte de constellation en apesanteur. Mais nul météorite. Le trou noir qui guette. Mais vous impressionnez par la maturité de votre jeu.

Vous auriez eu quelques années de plus nous vous aurions suivi avec plaisir. Nous cherchons juste, ici votre enthousiasme.

Dans votre jeu émerge aussi la démarche de celle qui cherche, de celle qui doute. Et cela est en soi purement admirable.

Jean-Marc Gelin

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11 juin 2012 1 11 /06 /juin /2012 23:05

C'etait lors de son passage à Paris, avant l'émission "Le rendez vous" que la chanteuse de Rochester nous avait accordé quelques instants pour revenir sur son dernier album, "Soul flower", critiqué assez largement parmi les journalistes de jazz qui y voyait un tournant un peu trop marketé de la chanteuse.

De quoi challenger l'artiste au groove irrestistible.

Car qu'on le veuille ou non, Robin Mc Kelle a le feu sacré et un tempérament du même calibre.

 

 

 

 

 

Votre dernier album est résolument soul. C’est un tournant dans votre carrière ?

 

 

Absolument. C’est l’album que j’ai toujours rêvé de faire. C’est un vrai changement par rapport à mes albums précédents qui avait commencé avec "Mess Around". Mais cet album a été une expérience vraiment fun pour moi. C’est l’album que je voulais faire depuis très longtemps.

 

Il y avait donc longtemps que vous aviez ce projet en tête ?

 

Oui, clairement. Mon premier album, "Introducing" était un album avec un  big band. Cela tournait autour des standards des années 40 et curieusement il a eu beaucoup de succès. Mais il est arrivé un peu comme un heureux accident. A l’époque je travaillais avec un groupe comme celui d’aujourd’hui mais d’un autre côté j’essayais aussi de percer et de gagner de l’argent en tant que chanteuse. "Introducing" était un bon moyen de mettre un pied dans cette musique populaire aux Etats-Unis en reprenant des standards. C’était un peu ma carte de visite. Cela a eu beaucoup de succès. Cela m’a rendu heureuse mais j’avais d’autres choses en tête et j’ai commencé à craindre d’être cataloguée comme jazz singer.

 

Vous avez surpris beaucoup de monde avec ce nouvel album . Beaucoup ont eu du mal à vous y reconnaître.

 

Pourtant c’est tout ce que je suis maintenant. C’est vraiment moi dans cet album. Je comprends que les gens qui aiment le jazz soient désappointés et pourtant j’aime chanter de vrais standards de jazz. Mais ce que je suis réellement, c’est ce que vous entendez aujourd’hui. Mais vous savez il y a beaucoup de gens qui m’ont influencé et qui font que j’aime aujourd’hui chanter autant du jazz que de la soul.

 

Mais quand vous dites, « maintenant c’est la vraie Robin Mc Kelle », comme vous avez pu le dire dans plusieurs journaux, cela veut il dire que vous trichiez avant ?

 

J’essaie d’être authentique. Si les gens disent cela, tant pis. Ce que je suis réellement, c’est surtout une artiste qui ne veut pas se fixer des limites ou se laisser enfermer dans un style. Ce que je revendique donc c’est cette liberté que je crois avoir retrouvé. Après le succès de "Introducing", je crois que j’ai été très limitée dans des albums comme "Mess Around". J’ai réussi à casser ce carcan. Mais c’est une continuation. Beaucoup ont dit que je faisait du Motown revival. Je comprends mais il faut aussi que vous compreniez que c’est aussi un moyen pour moi d’aller lentement dans cette direction sans tout révolutionner d’emblée. Mais ce qui importe c’est qu’en tant qu’artiste, en tant que compositrice autant que chanteuse, je me sente libre d’aller dans la direction que j’ai choisie et surtout d’avoir le son que je veux avoir.

 

 

Mais quand même vous entrez aussi dans ce piège marketing. Votre look a changé par exemple.

 

C’est ce que vous entendez auprès des journalistes de jazz. Vous m’auriez vu dans la rue avant, j’étais habillée comme ça. C’est drôle que vous me disiez cela parce que j’i mon propre label, je me produis moi-même, personne me dit ce que je dois faire. Je suis mon propre manager.

Mais dès que c’est un peu populaire on est suspicieux. Regardez Norah Jones. Dès qu’elle a commencé à devenir très populaire, elle a commencé à être critiqué pour cela même. Idem pour Melody Gardot.

 

Et vous l’avez trouvé ce « son » ?

 

Oui c’est le son que j’essayais d’attraper. Mais il faut une équipe pour cela. Il faut autour de vous des gens qui comprennent où vous voulez les emmener. Et qui comprennent le but. C’est mon travail , c’est celui des musiciens et c’est celui de l’ingénieur du son. Et c’était très difficile parce que je ne voulais pas sonner « vintage » et que je ne voulais pas non plus sonner trop moderne. Je voulais sonner « organique »

 

Je comprends que vous ne vouliez pas donner dans le côté retro, mais pourquoi avoir peur de sonner « new » ?

 

Je me suis mal exprimée. Ce que je veux dire c’est que je ne voulais pas faire quelque chose qui soit trop marketé, trop ciblé sur un public jeune. Quelque chose de trop « produit ». Et au niveau u son, je ne voulais pas une musique trop compressée. Je voulais qu’elle reste un peu plus naturelle. Je n’ai pas voulu que cela soit parfait. Je veux que l’on sente la « human touch ». Sur l’album «  Introducing » j’adore ce que l’on a fait mais cela me semble trop parfait avec le recul.

 

Vous voulez dire que vous cherchez quelque chose de plus «  sauvage »

 

Absolument. Plus sauvage et plus libre.

 

 

Vous avez dit récemment à propos des jeunes chanteuse de soul ou de R’B comme Amy Whinehouse ou Adele, « elles sont trop jeunes pour penser «  la soul »

 

Non, je n’ai jamais dit cela. Je vois bien ce que vous voulez dire, et je ne visais ni Amy ni Adele. Je pensais aux toutes jeunes chanteuses qui n’ont pas ce vécu des chanteuses de jazz . Je suis un peu agacée par ces gamines de 16 ans à peine qui sonnent comme Ella Fitzgerald. Cela n’a pas de sens. C’est bullsheet, cela n’a pas de sens. Une gamine de 16 ans ne peut pas comprendre ce que c’est d être amoureuse ou d’avoir perdu son amour. Alors comment pourraient elles elles chanter Lush Life ?

 

Vous voulez dire, qu’il faut porter un poids pour chanter ? Et vous vous portez quelque chose ?

 

Oui je porte des amours perdus, je porte des amis qui sont morts et tout ce avec quoi j’ai grandi

 

Mais n’est ce pas un stéréotype ?

 

Non, il faut pas rentrer dans ce genre de clichés. Vous n’avez pas forcément à être Etta James.

Et alors ! Ce n’est pas parce que je ne suis pas alcoolique et que je ne me drogue pas que je n’ai pas un vécu qui peut me permettre de donner du sens à ce que je chante. Chacun a sa propre histoire. Mais on attend autre chose de nous que d’être un simple produit commercial marketé. Nous sommes avant tout des chanteuses de jazz. Et moi je fais la musique que j’aime faire, la musique que j’aime écouter. Une musique groovy, pas forcément populaire. Et je ne suis pas seule, j’ai aussi un groupe formidable avec lequel j’aime faire de la musique.

 

Vous ne cherchez pas à être populaire mais vous surfez quand même sur la vague de la soul music

 

C’est vrai que chaque jour qui passe, on voit on nouveau clone de la Motown qui sort dans les charts. Amy et Adele ont ouvert la marche. Et il y a aussi Sharon Jones, Lee Fields. Ce sont des gens qui peuvent vraiment porter cette musique. Ils la ressentent. Ils ont ce feeling. Cela nous manque. Mais c’est tellement frustrant lorsque l’on est chanteur d’allumer la télé et de voir tous les faux chanteurs qui n’ont pas beaucoup de talents.

 

La grande différence, en ce qui vous concerne est que vous avez un réel background musical. Vous n’êtes pas seulement chanteuse mais aussi musicienne. Vous enseignez aussi.

 

Oui c’est vrai, j’ai beaucoup aimé l’enseignement. J’ai enseigné à Berklee le jazz vocal, les techniques de chant, la théorie musicale.

 

Il y a aussi le fait que vous écrivez vous-même votre propre musique 

 

Je ne veux pas que d’autres fassent ma propre musique. J’étais frustrée sur Introducing de ne pas pouvoir chanter ce que j’écrivais. Et j’entends, maintenant que je chante mes propres compositions, certains me dire " mais pourquoi vous ne revenez pas aux standards". C’est difficile d’avoir à changer. Cela suppose de prendre des risques, mais je n’imaginais juste pas faire tous les ans le même disque jusqu’à la fin de mes jours.

Je crois qu’une petite différence, si je peux me permettre, avec les chanteuses de soul actuelles, c’est que j’écris. Et c’est surtout la façon dont je compose la musique. J’ai une approche harmonique qui vient plus du jazz. Je pense à sam Cooke ou encore à Otis Redding.

J’aime le groove et j’aime des chanteuses comme Sharon Jones mais je trouve que c’est parfois un groove stéréotypé. On peut groover mais il faut que la musique soit aussi intéressante.

 

 

 

 

 

Quelles sont vos influences ?

 

Quand j’écris, j’essaie de ne pas me laisser influencer par des chansons que j’entends. Mais si vous me demandez ce que je mets dans mon Ipod, en ce moment ce que j’adore c’est Coldplay, j’adore ce groupe. Mais j’écoute plein de choses. Du rock aussi, comme Janis Joplin. C’est tellement puissant.

 

 

Quelle est l’audience de ce projet aux Etats-Unis ?

 

Vous savez les gens, partout dans le monde ressentent les mêmes choses. Ils veulent avoir e feeling, ce groove. Et l'accueil est plutot bon. Cela me permet d'ailleurs de faire pas mal de tournées.

 

Mais avec un projet comme celui-ci êtes vous approché par des grands labels ?

 

Définitivement non. J’aimerais bien qu’ils s’intéressent à moi. Qu’il s’agisse d’un gros label ou d’un petit label indépendant d'ailleurs. J’aimerais juste qu’ils aiment ma musique. Vous savez c’est de l’artisanat aujourd’hui. Je fais tout sur cet album. J’ai investi de l’argent.

 

Est ce qu’il y a un projet que vous rêvez d’accomplir dans votre carrière de chanteuse ?

 

Mais c’était celui-ci mon rêve. Aujourd’hui mon rêve c’est de continuer à avoir ce succès pour pouvoir continuer à faire de la musique et à créer.

 

 

 

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10 juin 2012 7 10 /06 /juin /2012 09:05

 

Stéphane Tsapis ( p, comp, arrgts), Dimitra Kontou (voix), Andréa Tsapis (voix), Adrien Daoud (ts), Matthieu Donarier (ss, cl, clb), Arthur Decloedt (cb, b), Matthieu Boccaren (acc), Arnaud Biscay (dm)

 kaimaki.jpg

 

Je m’en veux un peu. Voilà déjà des mois que ce très beau disque est sorti et je l’ai trop longtemps passé sous silence dans ces colonnes. Shame on me.

Car enfin, quel beau projet que cet album du jeune pianiste Stéphane Tsapis ! Encore relativement peu connu sur la scène du jazz, le jeune pianiste gagne ici un pari audacieux.

Un de ces projets qu’il faut absolument découvrir car il a la beauté des œuvres rares et pour lequel on ne peut s’empêcher d’éprouver une immense tendresse tant l’actualité de la Grèce nous attriste aujourd’hui.

L’infinie détresse du peuple grec donne en effet une résonance particulière à ce projet qui prend tout son sens, un sens lourd et qui nous place, nous, de ce côté-là de l’Europe devant nos responsabilités historiques

 

Objet rare, entre projet musical et littéraire où les musiciens côtoient les narrateurs, Kaimaki raconte une page de l’histoire du peuple hellène, raconte l’exode de ces partisans qui prirent en 1945 un bateau, le Mataora parti du Pirée en direction de la France. Errance, fol espoir, amour du berceau de la révolution par ceux qui virent un jour naître la démocratie. Désillusions et désenchantement pour ceux que finalement nous n’avons jamais véritablement accueillis.

À partir de la lecture d’un ouvrage d’André Kédros ( « l’Homme à l’œillet »*), le jeune pianiste Stéphane Tsapis a su créer un ouvrage poétique soutenu par une musique superbe et des textes d’une magnifique limpidité. En juxtaposant l’écriture de Kedros et celle qu’un autre écrivain grec, Yannis Ritsos écrivit 20 ans plus tard durant la période des colonels( *), Stéphane Tsapis a su trouver là, une vraie cohérence littéraire et musicale. Le chant d’Adrien Daoud au ténor ou celui de Matthieu Donarier contrinue d’ailleurs beaucoup à ce fil conducteur, alors que Tspais se révèle , ;outre un grand compositeur, un pianiste d’une belle sensibilité.

Fusion parfaite entre le dire et le contexte musical admirablement servi par une écriture talentueuse et d’excellents musiciens pour une sorte de road movie très personnel où le jazz du pianiste prend une direction plurielle. La musique est belle et les compositions du pianiste sont de vrais bijoux. Moments de pure poésie.

Stéphane Tsapis avait pour avec lui des textes émouvants, des voix magnifiques (dont celle que l’on suppose être celle de son père, formidable narrateur), des musiciens inspirés. Le résultat est une pure merveille.

 

 

 

C’est un projet très beau, à découvrir de toute urgence. Il faut absolument faire le buzz autour de Kaimaki. Il faut aller le voir, il faut l’écouter, il faut le lire, il faut le découvrir et se laisser embarquer à bord du Mataora.

A delà des discours réducteurs que l’on entend aujourd’hui sur la Grèce, Stéphane Tsapis prend un autre chemin pour rendre ici un sublime hommage à sa culture moderne, aux souffrances et aux espérances qui fonde aujourd’hui cette nation éprise de liberté. Avec solidarité nous aimons et nous pleurons aussi.

Jean-Marc Gelin

 

 

André Kedros : «  L’homme à l’œillet », Robert Laffont 1990

Yannis Ritsos : «  Le mur dans le miroir et autres poèmes » , Gallimard

 

 

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9 juin 2012 6 09 /06 /juin /2012 22:21

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C'était une bien belle façon pour ouvrir le Paris Jazz Festival que de proposer le nouveau quartet de Daniel Humair.


Le batteur suisse on le sait, aime s'adjoindre les services de nouveaux talents et ceux qui étaient à Marciac il y a trois ans ont encore en tête le formidable concert de Baby Boom dans lequel on entendait Christophe Monniot ou Matthieu Donarier.

 

Pour le projet prèsenté aujourd'hui le batteur s'etait entourè d'Emile Parisien au soprano (et même au tènor !), Vincent Peirani à l'accordéon et Jerôme Regard à la contrebasse.

Et, disons le tout de suite, ce projet qui fera l'objet d'un disque qui sortira en septembre sur le label Laborie, risque bien, après ce que l'on a entendu d'être le buzz de la rentrèe.

Un quartet en osmose totale pour une musique juste superbe.

photos-2011-2012 0718Emile Parisien, gènie du soprano semblait aujourd'hui faire corps avec son instrument, dans un exercice de dompteur, un corps à corps avec le soprano dont il sort victorieux et héroique. Daniel Humair, lui, c'est le coloriste. Le batteur qui exposait derriere lui une de ses toiles, est ici comme un peintre. On croirait le voir mixer les couleurs, triturer la pâte, choisir ses pinceaux, tenter des contrastes et des chocs lumineux. 

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A l'accordéon, Vincent Peirani s'impose comme le futur très grand de l'nstrument, prompt à en faire exploser les codes, à s'affranchir de toutes contraintes.

 

 

 


Et Jérôme Regard, que l'on trouve bien trop rare sous nos contrèes, est ici, sous l'oeil du batteur, gardien du temple, dessinant les contours de la feuille.

Sous un ciel menacant, on entendait gronder le tonnerre au loin, comme une magnifique réponse à cette musique à la force tellurique irrésistible.

 

 

Ce quartet pouvait se jouer des éléments.

Le public était debout pour une véritable ovation. Le Paris Jazz Festival ne pouvait pas mieux commencer.

 

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4 juin 2012 1 04 /06 /juin /2012 09:19

Abalone 2012

Jean-Charles Richard ( ss, bs, bansuri), Peter Herbert (cb),Wolfgang reisinger (dm)

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Le premier album de Jean-Charles Richard avait sidéré tout le monde. C’était à l’époque une prise de risque totale puisque pour un premier opus, Jean-Charles Richard avait choisi la forme la plus ultime et avait enregistré « Faces », en solo. Il avait été alors salué comme un immense moment de musique. Et il aura donc fallu à Jean-Charles Richard pas moins de 7 ans et un agenda totalement overbooké pour que le génial saxophoniste se remette à enregistrer, cette fois en trio, accompagné de Peter Herbert à la contrebasse et de Wolfgang Reisinger à la batterie. Trio un peu inattendu pour ceux qui ont entendu Jean-Charles Richard ces dernières années sillonner l’hexagone au gré d’innombrables projets où il mettait souvent son art au service des autres ( le dernier projet en date avec Christophe Marguet) , mais qui ont oublié qu’ils s’agit pourtant depuis longtemps de son trio de base.

Et autant il y avait dans « Faces » quelque chose qui tenait d’une sorte de mystique, presque d’une ascèse, autant nous sommes ici directement plongés dans tout autre chose. Il fallait passer de l’auto-consumation à la propagation de l’incendie. Et ce que dit le saxophoniste relève de quelque chose de tellurique, profondément ancré dans le sol, quelque chose de tripal et tribal à la fois. Et là encore Jean-Charles Richard frappe fort, renversant la table par l’intensité de ce qui s’exprime. Car il se dégage de cet album une formidable puissance dans l’expression et du jeu. Puissance du son projeté. Puissance d’une rythmique. Puissance d’une dynamique irrésistible. Car Jean-Charles Richard est allé chercher deux musiciens d’exception. Il suffit d’entendre la construction d’un thème comme le Reliquaire du bonheuroù après une introduction spectaculaire à l’archet se met en branle un ostinato puissant porteur d’un clair obscur saisissant. Peter Herbert, le contrebassiste autrichien d’une exceptionnelle densité de jeu, comme un socle massif, est un indéfectible pilier dont la profondeur de jeu prend parle aux esprits chamaniques. Toujours bouleversant. Bien plus qu’un contrebassiste. L’expression de la gravité. Et Wolfgand Reisinger, le batteur viennois, longtemps compagnon de route de Dave Liebman ( il n’y a pas de hasard) donne à ce trio un frémissement de la pulse presque ethnique.

 

Bien qu’il s’en défende le saxophoniste, s’il parvient à s’émanciper des maîtres, n’en porte pas moins leurs traces indélébiles. En premier lieu celle de son mentor, Dave Liebman auquel un thème comme Misfit-Bandit me fait irrésistiblement penser. Peu de saxophonistes naviguant aux deux extrêmes du son avec la même maestria ( e l’aigu du soprano au grave du bartyton) parviennent à une telle pureté du son. Jean-Charles Richard dessine au soprano des calligraphies dans le ciel ( Le Reliquaire ou encore le bien nommé Firmament). Au point d’avoir banni de son langage toute espèce de vibrato. Porté parfois vers des inspirations orientales ( Neiges Graves), JCR joue même sur un  titre du bansuri, une flûte traversière indienne sur un superbe Bengalis. Et lorsqu’il s’empare du baryton, c’est avec la force décapante d’un jeu totalement libéré dont le flot entraîne tout.

 

 

 

La musique de Jean-Charles Richard ne ressemble à aucune autre. Nourrie de quelques fleuves nourriciers ( Liebman, Steve Lacy), elle déverse son cours dans un magma fertile, une terra incognita qui met les sens en éveil,

Avec son trio, Jean-Charles Richard exprime un concept paradoxal, celui de l’intensité d’une musique dépouillée de tout superflus (Myosotis). Il y a quelque chose d’essentiel dans cette musique-là, au sens étymologique. Et c’est cela qu’exprime le trio dans un mouvement cohérent, une sorte d’unité trinitaire.   

Jean-Marc Gelin

 

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