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16 août 2013 5 16 /08 /août /2013 13:53


Hampton-Hawes--Lachez-moi---avec-Don-Asher.jpg
13ème Note Editions.253 pages.22,90 euros.

Hampton Hawes: Lâchez-moi ! avec Don Asher


Il aura fallu attendre plus de quatre décennies mais le résultat est bien là, un témoignage choc sur une période effervescente du jazz, les années 50-60. Accueillie avec respect lors de sa sortie aux Etats-Unis en 1972, l’autobiographie du pianiste Hampton Hawes (Raise Up Off Me : A Portrait of Hampton Hawes. Da Capo Press) est enfin disponible en version française sous le titre « Lâchez-Moi ».
Spécialiste de la littérature anglo-saxonne et latino, la jeune (née en 2009) maison d’édition 13è Note Editions a publié cette année l’autobiographie du boxeur Jake LaMotta « Raging Bull » qui portée au cinéma avait mis en valeur la force de frappe de Robert DeNiro. L’autobiographie de Hampton Hawes (1928-1977) écrite avec le pianiste et romancier Don Asher, et traduite par Bernard Cohen, ne manque pas non plus de punch.
« Sacré pianiste et sacré personnage », selon les termes de Jean-Claude Zylberstein, auteur de la postface, Hampton Hawes a vécu mille vies. Membre à part entière de la génération be-bop, il raconte ses aventures de musicien, ses rencontres avec les géants de l’époque (Parker, Mingus, Miles Davis, Chet Baker, Billie Holiday, Monk, Rollins, Coltrane, Martial Solal aussi avec lequel il enregistra à Paris un album accompagné de Pierre Michelot et Kenny Clarke…) ses déboires, ses problèmes personnels avec la drogue, son service militaire en Corée du Sud, sa prison (cinq ans de détention avant sa grâce par le président Kennedy le 6 août 1963, document reproduit).
Genre conduisant souvent à l’exhibitionnisme le plus nauséeux, l’autobiographie prend ici la forme d’un témoignage sans fard et poignant sur la condition de musicien, d’artiste. Les vertus du pianiste de la West Coast ne nous sont pas inconnues, celui-là dont Le dictionnaire du jazz (sous la plume de François-René Simon) dit qu’il « n’a pas grand-chose à envier à son maître Bud Powell ». Enfin disponible en français, son autobiographie nous fait découvrir un authentique personnage.
Jean-Louis Lemarchand  

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4 août 2013 7 04 /08 /août /2013 21:13

A_FOND_DE_CALE.jpgMICHEL SAMSON & GILLES SUZANNE
Avec Elizabeth Cestor

A Fond  de cale
1917-2011 Un siècle de jazz à Marseille

Editions Wildproject 2012

Les auteurs Michel Samson (ancien correspondant du journal Le Monde à Marseille), Gilles Suzanne (maître de conférence en esthétique à l’université d’Aix Marseille) et Elizabeth Cestor, (chargée de mission au Mucem) ont écrit la saga de Marseille en jazz en 8 chapitres chronologiques.
Comment raconter le jazz à Marseille ? Qui y joue, qui fait quoi et quelle structures existent ?  Voilà des questions élémentaires auxquelles ils répondent en menant une enquête journalistique sérieuse, s’appuyant sur de nombreux entretiens avec les principaux acteurs du jazz à Marseille. 

Ville pauvre, populaire, rebelle, dépourvue de tout esprit  patrimonial, Marseille reste avant tout un port, même si les dockers sont  beaucoup moins nombreux aujourd’hui qu’à la grande époque. En roue libre, cette ville d’immigration qui n’a jamais cessé de brasser des arrivants venus du monde entier, était capitale du « musical hall » dans les années trente. Marseille a compté dans l’implantation mondiale du jazz, devenant même une scène d’avant-garde, avec de nombreux activistes promoteurs de la diffusion de cette musique, dont le Hot Club à ses débuts.  C’est une musique vivante ‘à consommer sur place’, depuis son arrivée dans cette ville-monde, à fond de cale. Marseille, à la Libération, est nommée « capitale française du jazz » ( Hugues Panassié), «ville noire» avec son quartier historique du Panier, où circulent G.Is et big bands. Puis, sans jamais perdre de vue l’évolution du jazz, la ville est devenue un « conservatoire à ciel ouvert », où s’est ouvert la première classe de jazz en France, sous la houlette de Guy Longnon. L’apport de Marseille au jazz est considérable, même s’il n’existe pas un jazz marseillais. Par contre, des cycles s’imposent à chaque tournant décisif de l’histoire de cette musique et ainsi se mesure l’attachement de chaque génération à «sa » musique. Plus de trente ans après leur création révolutionnaire, des structures créatives existent encore,  cherchant à briser les frontières musicales ou intellectuelles comme le GRIM fondé en 1978 par André Jaume, David Rueff, Gérard Siracusa et Jean Louis Montera (actuel directeur), ou  le GMEM (Groupe de Musique Expérimentale de Marseille).  Autre association indispensable pour implanter cette musique durablement, Le Cri du Port, seule véritable scène de jazz ( avec Michel Antonelli toujours en poste)  a longtemps fonctionné sans salle, quasiment sans budget pour monter des concerts, avec pour vocation de faire vivre le jazz dans la ville.
A chaque époque, son regard, ses filtres, ses affrontements, ses oublis et ses désillusions. Beaucoup d’artistes ont d’ailleurs jeté l’éponge et quitté la ville, rêvant d’ailleurs. Car, côté culture, la ville a souvent mauvaise réputation, alors qu’elle déborde d’énergie artistique. Le jazz s’est  constitué un public à Marseille en dépit de la richesse des discours musicaux : la dynamique collective qui s’était d’ailleurs un peu essouflée avec l’apparition d’autres musiques plus « modernes », comme le hip hop ou le rap (que Marseille se vante d’avoir ‘inventé’ en France), revient en force. Le jazz aujourd’hui est particulièrement à l’honneur dans les deux derniers chapitres « Le jazz encore possible » et « Jazz XXI ».
 
C’est une navigation passionnante que propose ce travail collectif autour d’un phénomène que chacun a voulu s’approprier, sans que le dernier mot ne soit dit. Peut-être parce que l’on ne viendra jamais à bout du jazz. L’approche est pertinente et suffisamment critique, les choix éclairants et le lecteur pourra se plonger à loisir dans le chapitre qui l’intéresse. La perspective historique est essentielle dans cette étude : on découvre les biographies des principaux acteurs de cette musique, qu’ils soient musiciens (André Jaume, Hervé Bourde, Gérard Siracusa, Michel Zenino…), patrons de boîtes ou clubs de jazz (l’incontournable Jean Pelle qui fit et défit le « jazz côte sud » sur trois décennies au Pelle Mêle ), politiques comme Roger « Goliath » Luccioni, contrebassiste, professeur de médecine et cardiologue, « affreux jojo du jazz », adepte d’un anti-jacobinisme ardent, directeur de la revue JAZZ, membre du Jazz Hip Trio, à l’origine du premier festival phocéen Jazz des Cinq Continents qui fait le plein actuellement.
Paradoxalement, aujourd’hui, continue « ce lent décrochage entre un public toujours plus large pour le jazz et son peu d’attrait pour la scène locale », certains amateurs pouvant satisfaire leur passion en ignorant tout ou presque des musiciens qui se sont souvent installés dans la ville, sans en être originaires.
Ces néo-arrivants jouent dans les clubs, bars du quartier de la Plaine, de Longchamp, du Panier…ou les théâtres : ils ont pour nom Raphael Imbert, Christophe Leloil, Perrine Mansuy, Eric Surmenian, Christian Brazier, sans oublier les plus jeunes Simon Tailleu, Cédric Bec, Cyril Benhamou

Travaillée par tant de mémoires, la ville n’aura jamais manqué d’inspiration, toujours prête à mixer les courants et les genres. Ecrit avec le recul suffisant pour une œuvre nécessairement subjective, analyse lucide non dénuée d’émotions, A fond de cale est le roman du jazz marseillais que doivent découvrir non seulement les « étrangers » à la cité phocéenne, mais encore les Marseillais eux mêmes. Nul n’est prophète en son pays…


NB : Ajoutons un index des plus sérieux, des notes soignées faisant référence à de très nombreuses publications et articles dans la presse spécialisée, sans oublier un interlude rare (le cahier de photos du fonds Paul MANSI, promoteur doué, dès 1947, pour trouver des concerts aux jazzmen de passage.)



Sophie Chambon

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13 juillet 2013 6 13 /07 /juillet /2013 22:25

tana_-_le_petit_livre_offrir_un_voyageur.jpgLe petit livre à offrir à un voyageur
 A lire ici ..ou bien ailleurs

Textes Raphaële Vidaling

TANA EDITIONS

« Se perdre pour voyager » écrivait Nicolas Bouvier, l’écrivain-voyageur devenu la référence en matière de voyage. Voilà que  la malicieuse collection des éditions TANA nous propose pour le départ en vacances, la grande migration estivale française, un viatique qui n’est ni vraiment guide, ni essai, à emporter avec soi sur la plage, au bord de la piscine, dans le train, l’avion. On pourra se délecter à sa lecture aléatoire, le picorer au gré de ses envies.
Se perdre pour voyager certes, mais dans une nébuleuse de stimuli, jugez plutôt : petits récits à prolonger, bouts rimés, cadavres exquis, quizz des capitales, savoureux lexique anglo-arnaque des brochures touristiques, éloge du voyage à pied, invitation au voyage à l’heure d’internet, petite typologie du voyageur en groupe, agences recommandées pour les voyages à thème les plus insolites.
Vous saurez tout (ou presque) des fantasmes du voyageur, sans oublier le carnet du voyageur immobile à l’image de Joseph de Maistre. Et encore les dix films qui donnent envie de faire son sac, ou le personnage de fiction avec lequel vous aimeriez vous envoler.
Alors que nous plaçons aux DNJ, dans nos recommandations ce formidable petit livre, vous ne trouverez rien sur la musique du voyage, pas même une petite allusion à l’attraction de Dutronc pour les hôtesses de l’air ?
Alors, amis voyageurs et vacanciers, prenez la plume, transformez-vous en lecteur actif et avisé, à l’image des adeptes du Guide du Routard . Envoyez vos suggestions de voyage en musique… à TANA EDITIONS qui publie cette collection bath….dont nous avons déjà évoqué avec bonheur les thématiques sur le cinéma et le jazz.
D’ailleurs, sort cet été la suite des Portraits légendaires de Pascal Anquetil que nous avions évoqués aux DNJ. Les 35 portraits en noir et blanc du responsable de l’IRMA feront plaisir aussi bien aux amateurs qu'aux fins connaisseurs. Mais nous vous en reparlerons…..

Sophie Chambon

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13 juillet 2013 6 13 /07 /juillet /2013 22:19


Couv-Hess-web.jpgChroniques 1966-1971

Collections Jazz Impressions
Alter Ego éditions
www.leseditionsalterego.worldpress.com

225 pages


Joël Mettay (Alter Ego Editions)  a eu la bonne idée d’éditer le formidable recueil de chroniques du regretté Jacques Bernard Hess, préfacé par son ami de toujours, Lucien Malson. Cette revue de presse court de 1966 à 1971, avec des textes  publiés à l’origine dans Jazz Hot puis Jazz Magazine et même dans le Rock & Folk premier,  le n° 0 de 1966 (« J’étais l’interprète de Bob Dylan »). En guise de conclusion figure un dernier texte, plus tardif, de 1985, une synthèse intitulée « Les nuits de St Germain des Prés ». D’abord appelée « Le Bloc-Notes », en référence à François Mauriac, cette rubrique fut rebaptisée « Hess-O-Hess » ( on peut aussi comprendre  S.O.S ) quand Jacques B. Hess quitta Jazz Hot pour Jazz Magazine, après un différend avec Michel Le Bris, rédacteur en chef un temps du mythique Jazz Hot de la rue Chaptal. 

Il eut une vie extraordinairement bien remplie, tragique aussi avec la déportation, très jeune, à Buchenwald. Mais dès son retour, il ne gâcha pas des dispositions naturelles plutôt exceptionnelles. Philosophe de formation, musicien de jazz et contrebassiste, traducteur émérite (on lui doit Moins qu’un chien, la traduction sans fard de l’autobiographie de Charles Mingus, Beneath the Underdog, aux éditions Parenthèses), il fait preuve d’un talent d’écriture certain et de sa belle plume journalistique, il livre une version truculente de l’actualité du jazz en France et aux Usa et donne sa vision non édulcorée de la société en pleine mutation des années soixante. J B. Hess s’inscrit d’ailleurs dans la lignée d’un Boris Vian, son aîné de quelques années dont il cite les Chroniques de Jazz qui parurent de 1947 à 1958. D’où un ton léger, spirituel mais critique dans ses papiers que vous découvrirez, sourire aux lèvres et souvent, comme moi, en proie à d’irrésistibles éclats de rire. Sans jamais être scabreux, il nous dépeint allègrement la vie aventureuse d’un musicien de jazz à Paris après guerre.
Lecture nostalgique aussi car Jacques B. Hess, qui avait l’âge de mon père, décrit l’époque de mon enfance. Qui pourra mieux saisir la finesse des allusions, replacées dans le contexte adéquat, apprécier cette revue de presse alerte et politique que les lecteurs de ma génération et de celles qui précèdent ? Souhaitons que les plus jeunes apprécient ces pages à leur juste valeur, même si l’esprit et le ton de l’époque ont changé.  Il peut y avoir « concordance des temps », recul et mise en perspective de notre époque à l’aune de précédentes, comme l’écrivait Racine,  avec le coup d’œil sur un « pays éloigné ».
 A aucun moment Jacques B. Hess n’est « politiquement correct », il ne pratique jamais la langue de bois, et les vérités qu’il assène d’un ton goguenard sont implacables. Il ne sort positivement de ses gonds - cela est rare et d’autant plus marquant- que lorsqu’il est question de racisme, de tous les racismes et discriminations (lire les terribles articles « Lynchburg », « Insurrections », ou « Obviously White ») et là, croyez moi, on ne sourit plus.
 Autre témoignage émouvant, Jacques B. Hess parle souvent d’un pianiste oublié aujourd’hui, Art Simmons qui faisait les beaux jours des clubs parisiens comme The Living Room, le Mars Club et que j’ai eu l’occasion de rencontrer lors de la réédition des albums de la collection Jazz in Paris, chez Universal.
Tout est plaisant dans Hess-O-Hess, jubilatoire, jouissif, affûté. Quand on sait qu’en plus de toute cette activité, l’auteur a initié et animé les premiers cours de jazz à l’université, on se dit que ce devait être un régal d’assister à ses cours : point de chronique érudite et assommante, de ce pointillisme parfois énervant des experts en jazz, tellement pointus qu’ils en deviennent limités. Par contre, notre aimable et disert chroniqueur quand il prend la peine d’analyser un album ou la musique d’un jazzman (Pharoah Sanders par exemple) impose une vision si précise qu’il n’y a pas lieu d’y revenir. Sans indulgence, avec la légitimité d’une véritable analyse, sans promo ni copinage.

Précipitez-vous sur ce livre, chers lecteurs, amateurs de jazz, vous ne le regretterez pas. C’est le portrait d’une époque déjà révolue, de la France des Trente Glorieuses,  un témoignage vif et précieux sur le jazz, écrit par un témoin des plus singuliers,  personnage attachant et véritable musicien.

Sophie Chambon     



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10 juillet 2013 3 10 /07 /juillet /2013 15:31

 


MEDIONI-MFT-web.jpgLe Tour du Jazz en 80 écrivains
Alter Ego Editions
 270 pages. 19.50 €
 

La couverture, illustrée d’une affiche du grand Pierre Alechinsky  annonce la couleur : chacun des écrivains pressentis devra indiquer parmi ses « favorite things », l’album de jazz qu’il aime par dessus tout et écrire à son sujet. Soit un tour du (monde) jazz en 80 écrivains de Michel Arcens à Martin Winckler qui nous sauve  Bill Evans et son trio (Sunday at the Village Vanguard, Riverside 1961) .
Frank Medioni, l’auteur producteur sur France Musiques de Jazzistiques, entre autres, a rassemblé les impressions et improvisations de ceux qui aiment le jazz, qui ont un certain goût du jazz. Cette pleïade d’ écrivains (poètes, philosophes, essayistes, auteurs de polars) se raconte ainsi en livrant une expérience intime, essentielle et donne les raisons du choix d’un album de chevet ou à emporter sur la fameuse île déserte.
Bigre, la carte se resserre comme peau de chagrin. Comment rendre raison d’une préférence, nous glisse Yannick Seité dans la préface, « répondre à un disque par des phrases»? Mais le jazz, la littérature, la philosophie se sont toujours associés en toute liberté. On retiendra de ces multiples témoignages que ces auteurs envient aux jazzmen la liberté, l’individualité du timbre, la faculté de se lancer dans l’improvisation.
Sans être experts (il y a cependant dans la liste des critiques confirmés de cette musique), ces fans éprouvés de la Great Black Music projettent leurs élans du cœur et de l’âme dans des mots, des phrases tout ensemble spéculatifs, nostalgiques, intuitifs. Au seuil de cet itinéraire, traversée du pays du jazz, anthologie très spéciale, on entre dans l’intimité de textes, parfois surprenants, souvent émouvants, teintés d’une nuance autobiographique indéniable.
Ainsi, selon l’âge et le vécu des auteurs, s’attache un regard qui filtre évidemment.
Il y aura donc des oublis dans cette liste qui esquisse les contours du « roman » du jazz d’une époque, comme diraient les historiens, de 1928 ( Armstrong in Weather Bird, Odeon) à  2012 (Misha-Fitzgerald Michel in Time of no reply , No Format). 
Les noms jaillissent les uns après les autres comme un chapelet de perles, joli collier à porter cet été.
Qu’est-ce qui peut expliquer ces choix parfois curieux, où cohabitent des albums vinyles essentiellement ( trois  78 tours dans la liste) et très peu de Cds ( nécessairement après 1985). Peu de musiciens français et de jazz européen en général : une seule citation  pour notre Michel Portal avec son Dejarme solo ! (Dreyfus 1980), mais dans la poignée d’albums récents, de vraies surprises comme le Compass de Suzanne Abbuehl en 2001, Colin Vallon (Rruga, ECM 2011),Trombone Shorty, Marc Copland, Thomas Enhco (Fireflies, Label bleu 2012) , Aldo Romano (Il piacere), Marc Ducret tout de même. Très peu de jazz vocal  ( une triade nouvelle composée de Sarah Vaughan, Billie Holiday et…Jeanne Lee), des « classiques » du bop, hard bop et du free avec les inévitables  John Coltrane, Albert Ayler, Eric Dolphy, Ornette Coleman, Charles Mingus, T.S Monk, Charlie Parker. Si Ole de Coltrane revient trois fois, on ne retrouve pas le mythique Kind of Blue.
Miles Davis et Dizzy Gillespie ne sont pas cités, Louis Armstrong et Bud Powell in extremis.
En choisissant sans regret « seulement » 80 albums,  ce tour du jazz  évite la monotonie de la chronologie, bouscule pacifiquement les genres et époques. Il me reste une suggestion à faire à chaque lecteur, qu’il  fasse à son tour, non pas sa propre liste (trop facile) mais le choix unique de l’ album qui l’a marqué à jamais.

Sophie Chambon 

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22 juin 2013 6 22 /06 /juin /2013 23:15

 

Ed. Alter Ego, Jazz Impression 2012,  105p, 12 euros TTC

http://leseditionsalterego.wordpress.com

 couv-lemarchand-web.jpg

Et voilà comment, d’une façon originale, il est possible de raconter 100 ans de jazz ! Au travers 19 anecdotes choisies de la manière la plus arbitraire qui soit par notre confrère et ami Jean-Louis Lemarchand ( dont les lecteurs des DNJ apprécient dans ces colonnes les chroniques avisées). Partant de la naissance du jazz en 1913 au travers de l’Original Dixieland Jazz Band pour se terminer 100 ans plus tard dans l’émotion d’un concert unique réunissant pour la première fois deux géants de cette musique, Yusef Lateef et Ahmad Jamal lors d’un concert donné à l’Olympia le 27 juin 2012.

A l’inverse d’une démarche d’historien qu’aurait préconisé un Lucien Lefebvre de l’Ecole des Annales, Jean-Louis Lemarchand privilégie l’histoire événementielle. Moins en ce qu’elles racontent d’anecdotique, que dans ce qu’elles disent de moment privilégiés où le jazz se construit, dans ces sortes de moments qui ont contribué à en faire une Histoire avec sa cohorte de légendes et de mythes. Mais chaque fois en replacant ces petites histoires dans a grande avec un H.

Il peut s’agit de l’histoire de Strange fruit par Billie Holiday ; il peut s’agit du Greatest Jazz concert réunissant ppur la seule et unique fois sur scène Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Bud Powell, Charles Mingus et Max Roach ou du bout de peau prétendument coincé dans l’embouchure de Miles lors de l‘enregistrement d’Ascenseur pour l’Echafaud.

Ce petit ouvrage d’à peine plus de 100  pages s’adresse autant aux amateurs néophytes qu’au public plus éclairé qui y découvrira le dessous de ces histoires souvent connues superficiellement (Si l’on savait par exemple que le Greatest jazz concert avait donné lieu à une bataille d’égo, on y apprend que le cachet de Gillespie s’était élévé à 450 dollars, celui de Bud Powell à 500 dollars et celui de Parker, qui en 53 etait déjà une légende vivante à peine à 200 dollars).

 

Avec son sens de l’écriture d’une rare limpidité et d’une efficacité redoutable, ce petit ouvrage se laisse dévorer en deux temps trois mouvements avec une certaine délectation. Celle de pénétrer en un territoire parfois bien connu mais remarquablement bien raconté. Et puisque les choix qui l’ont émaillé sont par définition limitatifs et totalement aléatoire, l’on imagine que l’ami Jean-Louis en a encore un grand nombre dans sa hotte. Là c’etait trop court et pour nous ôter cette frustration on en redemande encore avec une insatiable impatience.

Jean-Marc Gelin

 

Par le menu

1/ 6 mars 1913, San Francisco : Le jazz fait so entrée dans la presse

2/ 28 juin 1928, Chicago : Louis Armstrong enregistre West End blues

3/ 21 novembre 1934, New-York : Ella Fitzgerald remporte un concours amateur

4/ 2 décembre 1934, Paris : 1er concert du Hot-Club de France

5/ 20 avril 1939, New-York : Billie Holiday enregistre Strange Fruit

6/ 22 février 1948, Nice : Ouverture du Festival International de Jazz

7/ 15 mai 1953, Toronto : Charlie Parker et son quintet au Massey Hall

8/ 4 décembre 1957, Paris : Miles Davis enregistre Ascenseur pour l’échafaud

9/ 21 mars 1960, Paris : John Coltrane débarque à l’Olympia

10/ 30 mai 1962, Moscou : Benny Goodman entame une tournée en URSS

11/ 17-19 avril 1964, Paris : Mingus à Wagram et au Théâtre des Champs Elysées

12/ 30 juillet 1969, Alger : Archie Shepp joue avec des touaregs

13/ 25 juillet 1970, Saint Pal de Vence : Albert Ayler à la Fondation Maeght

14/ 4 juillet 1976, New-York : dernier concert de Thelonious Monk

15/ 16 avril 1981 : ouverture du New Morning à Paris

16/ 17 décembre 1982, Roissy : Michel Petruciani retourne aux Etats-Unis

17/ 11 avril 2000, New-York : Bruce Mundvall (Blue Note) reçoit Norah Jones

18/ 18 septembre 2001, New-York : Martial Solal se produit au Village Vanguard

19/ 27 juin 2012, Paris : Yusef Lateef et Ahmad Jamal à l’Olympia

 

 

 


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9 juin 2013 7 09 /06 /juin /2013 18:14

 

Textes réunis par Vincent Cotro, Laurent Cugny et Philippe Gumplowicz

Collection «  Jazz en France »  Editions OUTRE MESURE

www.outre-mesure.net

 catastrophe-apprivoisee-la-regards-sur-le-jazz-en-france-94.jpg

Voilà un titre saisissant, poétique et fort (Jean Cocteau, tout de même)  pour traiter d’un projet conséquent, l’histoire du jazz en France, soulignant le «paradoxe d’une déprise apparente et d’une maîtrise absolue ». Pendant trois ans, sous la direction des très sérieux Laurent Cugny, Vincent Cotro et Philippe Gumplowicz, musicologues, enseignants chercheurs ont confronté leurs différents points de vue et il en est sorti ce premier volume, aux Editions Outre Mesure dont le catalogue, ynonyme de qualité, est essentiel dans le domaine des publications sur le jazz, en langue française.

Le propos est énoncé simplement dès la préface : le jazz est étudié comme musique mais aussi comme phénomène culturel, en croisant les représentations que s’en font musiciens, écrivains, dessinateurs, cinéastes, historiens… Quatre lignes de force sont ainsi tracées, traitant de l’aspect chronologique, de la médiation et des hommes qui ont assuré la propagation du jazz, de la musique et des musiciens et enfin de la vie du jazz en région. Ce qui permet de replacer «l’objet jazz» dans toutes ses dimensions et de dévoiler cette mise en perspective multiple, musicale, sociale, culturelle, littéraire, économique et politique... Un portrait inspiré d’une musique et plus largement de l’histoire culturelle de notre pays au XXème siècle.

Chacun y trouvera donc un intérêt, que l’on se passionne pour La chaleur des Hot Clubs à Marseille entre 1940 et 1968 [i] , que l’on découvre Pierre Mac Orlan en « Jazz writer » ou s’attarde sur « Boris Vian e(s)t le raisin aigre », que l’on s’intéresse au jazz à la radio sous l’occupation, que l’on veuille en savoir (encore) plus sur les figures mythiques du jazz français comme Barney Wilen ou Michel Petrucciani, atypiques comme Martial Solal, « un et multiple », ou vraiment méconnues comme Bernard Peiffer, (« une certaine idée de la main  gauche »). Puisant dans le gisement des représentations culturelles qui traversent cette musique, cet ouvrage va vite devenir une référence dans son domaine, un outil rigoureux et pertinent. D’une présentation sobre, toujours élégante, (Claude Fabre est l’infatigable éditeur et maître-d’œuvre de la maison Outre Mesure), ce livre issu d’une dynamique collective efficace et intense, est tout simplement remarquable.

 

Sophie Chambon



[i] Ce texte est issu d’un travail de recherche récemment publié  de Gilles Suzanne et Michel Samson qui porte sur un siècle de jazz à Marseille

A fond de cale. 1917-2011, un siècle de jazz à Marseille

 Marseille édition Wild project, 2012.

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20 avril 2013 6 20 /04 /avril /2013 19:32


unknown-pleasures-joy-division-de-l-interieur-de-peter-hook.jpgTraduction de Suzy Borello
Editions Le Mot et le Reste
Collection Attitudes
www.atheles.org/lemotetlereste

 A la fin des années soixante dix, Peter Hook (Hooky) est l’un des membres fondateurs de Joy Division avec Bernard Sumner, Ian Curtis et Stephen Morris. Après son précédent ouvrage, déjà publié aux éditions Le Mot et le Reste, l’Hacienda, la meilleure façon de couler un club, il raconte, dans le même style simple, direct, alerte (impeccablement traduit par Suzy Borello), l’histoire trop courte du groupe qui allait révolutionner le visage de la musique, en revitalisant le rock à l’ère du post punk, élaborant un son nouveau, sombre, halluciné, hypnotique et si intensément juste qu’il déterminera l’engagement de groupes comme The Cure, Echo & the Bunnymen, Wire et Radiohead.
Rappelons que le mot punk était déjà employé dès le milieu des années soixante pour des groupes amateurs jouant un rock primaire aux Usa. Le mot réapparaît et se démocratise avec les SEX PISTOLS...le sexe comme éloge de la transgression rock...Un groupe adulé par les gothiques dont les deux albums sortis entre juillet 79 et juin 80, Unknown pleasures et  Closer  forment un testament aussi monochrome que leur pochette.
 Quatre garçons pas vraiment dans le vent, des  prolétaires qui avaient une certaine vision artistique, sans en avoir toujours les moyens techniques. Fantasque, jovial, le bassiste de Joy Division, Peter Hook raconte ses souvenirs sans trop enjoliver, avouant ses turpitudes avec une bonhommie confondante et beaucoup d’humour. On s’amuse énormément dans les premiers chapitres qui racontent l’enfance. Et puis il y a ce noir et blanc des souvenirs de ce groupe composé de sales gosses, de ces lads du nord de l’Angleterre, des Mancs  toujours prêts à en découdre avec les cockneys ou ceux de Chelsea. Ils passent leur temps à se faire de sales blagues, à boire, à déconner... « Du vin, des femmes et des chansons ». Ils vivent encore chez leurs parents, à l’exception du chanteur Ian Curtis, marié et bientôt père de deux enfants.  Ils mènent une vie très dure, travaillant le jour et faisant leur gig le soir, conduisant, rangeant, plaçant et déplaçant leur matos, ne touchant que des sommes dérisoires,  les conditions des concerts étant  très différentes de celles d’aujourd’hui. Aucun confort et souvent le froid glacial. Des instruments rassemblés à la-va-vite, bricolés et un van pourri que conduit  Hook en ronchonnant, car il doit en plus, payer l’entretien et  les réparations. Aucune solidarité dans la bande !
Le groupe se laissa manœuvrer et manager par le producteur fou Martin Hannett, remodelant à sa guise les enregistrements de ces gamins qui ne comprenaient rien à ce qui se passait. Leur seul plaisir était de jouer, d’en découdre sur scène, de se laisser aller à l’ alchimie de cette formation, relégant par exemple, dans Unknown Pleasures, les guitares au fond du mix pour mieux capter les échos hantés, la voix sépulcrale d’Ian Curtis. La vie du groupe et de son chanteur devient une étrange balade, avec comme décor, une ville qui se délite sous les coups du thatchérisme, tout en donnant naissance à un son résolument nouveau, imprégné d’une sourde révolte, une résignation hurlée.
 Le suicide d’Ian Curtis marque la fin du groupe. Curtis ne fait même pas partie du club des 27, puisque mort à 24 ans ! Miné par son divorce, ses crises d’épilepsie de plus en plus sérieuses -elles augmentent avec le succès et le rythme infernal des concerts- il convulse sur scène. Il  finra par se pendre au matin dans la cuisine de son petit appartement de Macclesfield, près de Manchester, juste avant  le départ pour une tournée aux USA.
Peter Hook  le répète souvent, et on ne peut que tenter d’imaginer comme lui , ce qui aurait pu être. On sent bien toute la peine du bassiste et son remords actuel de n’avoir rien compris à la détresse morale, physique du chanteur et d’avoir laissé faire.  Un soir par exemple, il retrouve le chanteur inconscient,  dans les toilettes, blessé. Une fois ses esprits retrouvés, Curtis fera quand même son concert. A sa mort, ses camarades, s’ils ont continué et créé NEW ORDER dans le prolongement de JOY DIVISION, n’ont voulu ni pu remplacer le lead singer. Et c’est tout à leur honneur...
Le très beau film Control d’Anton Corbijn réalisé en 2007 avec Sam Riley (lui même rocker) dans le rôle d’Ian Curtis traduit cette vie en circuit fermé, qui, très vite,  saisi d’une accélération folle, conduit à une impasse. Fatale. Peter Hook y fait souvent référence, soulignant  juste quelques différences. Il corrige ainsi quelque peu l’image d’Ian Curtis, protéiforme et caméléon, épris d’absolu, très « arty » mais aussi semblable aux autres membres du groupe, dans certaines frasques ou délires  très imbibés. « Il avait le projet et nous on était ses outils pour le mettre en œuvre ». Pas vraiment de tiraillement entre sensibilités musicales distinctes. Du moins sur scène. « La plupart des batteurs se contentent de taper comme des sourds. Steve, lui jouait de la batterie. Cela se voyait qu’il avait été dans un trio jazz, parce qu’on aurait dit qu’il avait fusionne le ressenti et la subtilité du jazz avec la puissance et l’énergie du rock et du punk ». Car curieusement, en dehors des concerts, chacun retrouve ses petites mesquineries, son égoïsme.
Les éditions marseillaises Le mot et le reste ont fait un excellent travail, avec une mise en page astucieuse, des chronologies intercalées, les titres de chapitres qui reprennent quelques formules choc. Un graphisme intrigant de lignes diffractées. Une lecture plus que plaisante, puisqu’on prend le livre et on ne le lâche plus. On retient l’excellente suggestion  que nous propose Peter Hook d’écouter chaque album piste par piste, en suivant son décryptage. D’intelligentes « liner notes » après coup.  Des titres qui sautent à la gorge  dont la liste montre l’ambiance délétère de ce groupe qui pâtit au début, de leur nom tiré de l’histoire nazie. Et pourtant, il n’y eut jamais aucun engagement ou fascination envers les nazis.
Enlevé, percutant et instructif, voilà un témoignage sur une époque pas si lointaine et pourtant déjà révolue, un portrait à l’acide d’une certaine Angleterre que l’on retrouve dans les films de Mike Leigh ou Ken Loach, une  balade nocturne et froide. Ce groupe météorite a marqué une page de l’histoire du rock. C’est aussi un peu de notre histoire personnelle et la nostalgie fait le reste.
Unknown pleasures/Joy Division vu de l’intérieur(382 pages- broché  26 euros)
Sophie Chambon

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27 mars 2013 3 27 /03 /mars /2013 22:02




CouvNinaSimoneHD.jpgMercure de France. 270 pages.18,50 euros.

Elle avait choisi la France pour vivre ses dernières années.  Evidemment pas par hasard. Nina Simone (21 février 1933-21 avril 2003) entretenait une relation  bien particulière avec la patrie de Piaf , Damia, et Signoret dont elle avait pris le prénom comme nom de scène en souvenir de l'héroïne de Casque d'or. Le public le lui rendait bien qui appréciait spécialement sa version de Ne me quitte pas de Brel ou My Way, le tube de Paul Anka adapté du hit de Claude François, Comme d'habitude.
Gilles Leroy fait partie des fans de toujours d'Eunice Kathleen Waymon. "J'ai grandi avec ses succès", confie le prix Goncourt 2007 avec Alabama Song qui dévoile son tiercé gagnant « dans l’ordre » : "Don’t Smoke In Bed », « Mississippi Goddam » et « My Way ». Il s'est donc emparé du destin de cette musicienne hors normes devenue chanteuse par défaut, faute d'avoir été acceptée au Curtis Institute qui lui aurait ouvert la voie à une carrière de pianiste classique. La fille de  prédicateurs a toujours laissé parler son cœur. Avec force et violence et cet orgueil qu’elle tenait de sa mère. La vie ne l’a pas épargnée et la solitude ne l’aura jamais quittée même au plus haut de sa carrière.  Ainsi que confesse Nina dans « Nina Simone, roman », en réponse au public qui réclame un de ses tubes « My Baby Just Cares For Me », « est-ce que quelqu’un s’est jamais soucié de moi ? ».
Fidèle à sa méthode de travail, Gilles Leroy est parti d’une « base très réelle » et y a apporté son « imaginaire ».  Le résultat est à la hauteur de la « grande prêtresse de la soul ». Un portrait intime et fort, toute en empathie, ne dissimulant aucune des faiblesses et des fêlures d’une artiste rare sans céder au voyeurisme ou à l’hagiographie. De Tryon (Caroline du Nord) à Carry-le-Rouet (Bouches-du-Rhône), d’Eunice Waymon à Nina Simone,  nous partageons le parcours d’une adolescente qui se voyait concertiste classique, passionnée de Bach, Debussy et Chopin, acharnée au piano, et qui devint l’une des voix généreuses qui comptent dans l’univers de la musique noire.
Œuvre authentique d’écrivain, « Nina Simone, roman », permet, mieux que bien des documents, d’approcher la personnalité d’une chanteuse et (nous soulignons) pianiste hors du commun. Avec ce livre, Gilles Leroy parvient, après Zelda (Alabama Song) et Zola Jackson, à brosser, selon ses propres dires, « un portrait global de l’américaine du XXème siècle ». Ce n’est pas le moindre atout de ce roman-vérité.
Jean-Louis Lemarchand
Gilles Leroy signera son livre le 10 avril à la librairie Mollat à Bordeaux et le 11 avril à la Terrasse de Gutenberg à Paris, à chaque fois à 18 h.

  

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19 janvier 2013 6 19 /01 /janvier /2013 18:35

 

Jazz impressions

Editions  Alter ego 

Ce livre vient de recevoir le prix de l’ Académie du Jazz dans sa catégorie !

 gerber.jpg

« La gloire est le soleil des morts » peut on lire dans Illusions perdues.

Après la période de fête où les livres, albums, CDs, DVDs se sont vendus dans une extrême urgence selon des thématiques porteuses, peu de chance de revendre sur ebay, ce petit bijou concocté une fois encore par le romancier du jazz, le feuilletoniste de cette musique dont nous pouvions suivre les émissions sur France Musique.

Alain Gerber est  un expert de cette musique  qu’il connaît intimement depuis des décennies. Il s’enest fait plus encore que l’historien et la mémoire vivante, le romancier, et on ne sait jamais quelle est la part exacte de fiction dans ses livres.
Cette fois, il explore une thématique passionnante sur les oubliés du jazz, ces mal aimés,  les « seconds couteaux » qui s’illustrèrent comme les acteurs du cinéma américain des séries B, voire Z ( je pense à l’impeccable Robert Ryan, le « good bad boy » qui n’eut jamais  la notoriété des stars les plus révérées, les Cooper, Stewart, Gable, Grant ).

L’approche chronologique étant trop académique, Alain Gerber s’intéresse à ces malheureux, ces méconnus qu’il classe ingénieusement  par instrument, sans oublier la voix ( 4 seulement  dont Eddie Jefferson, Jelly Roll Morton, Frank  Rosolino et la seule femme de la liste Lorez  Alexandria ). Il propose en quelque sorte une autre histoire, alternative du jazz. Comment ces musiciens faisaient-ils pour ne pas (trop) attirer l’attention sur eux ? Pour arriver à exprimer ce qu’ils voulaient dire en gardant dans l’esthétique des majors, une position marginale, en faisant figure d’ indépendant. Comment est on passé à côté de ceux qui se sont laissés détruire par leur passion et leur rage, impuissants à affronter leur démons intérieurs et la part neuve de leur musique ? Ainsi sont évoqués Jimmy Rowles, Connie Kay, Israel Crosby, Michel Warlop, Sonny Stitt, Lucky Thompson, Charlie Ventura, Teddy Edwards, Illinois Jacquet. Plus curieusement, mais le choix est pertinent, le pianiste Martial Solal  fait partie de la liste, « cas d’école ... immense artiste... un créateur dont l’apport inestimable reste trop largement méconnu. »

Ce dictionnaire suit l’itinéraire personnel d’Alain Gerber qui réécrit l’histoire du jazz en portraits délicats et souvent mélancoliques, retrace la chronique amère de ces années jazz,  décrit ces parcours sinon flamboyants, du moins terriblement difficiles de ces musiciens, soulignant et vengeant leur solitude : il a rêvé la parole singulière de tous ceux qui pouvaient déclarer ne rien avoir à dire, « je préfère ne pas ».

Un lyrisme fiévreux, une éloquence parfois emphatique mais avec ce goût réel des mots et des phrases qui sonnent, avec ce sens imparable du tempo. N’oublions pas que ces papiers ne paraissaient pas dans les feuilles de choux, même spécialisées, mais étaient lus à la radio par leur auteur lui même, de sa voix calme, un peu blanche –rien à voir avec les commentaires studieux de Patrick Brion au Cinéma de minuit. En poursuivant l’analogie  entre jazz et cinéma,  on peut  trouver des points communs : l’époque, la suprématie américaine des majors (ici des studios), la domination des Américains dans des formes artistiques qui leur sont propres avec quelques artistes « contrebandiers » qui usent du système insidieusement plutôt que d’essayer de le combattre, qui en seraient ouvertement  les iconoclastes[1]. Mais la plupart ont payé le prix fort de leur indépendance et de leur talent. Ils n’arrivaient pas toujours “in the right time and in the right place”. Too bad!  

Sophie Chambon



[1] Lire à ce propos l’article Voyage avec Martin Scorsese à travers  le cinéma américain (Petite bibliothèque des Cahiers du cinéma) ou voir le documentaire  A personal  journey through American movie.

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