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17 octobre 2011 1 17 /10 /octobre /2011 22:58

PASCAL  ANQUETIL

Tana Editions, 224 pages, 45 euros
En librairie le 29 septembre 2011

Jazz_anquetil-290x290.jpg

Ce livre est un objet de plaisir, de ravissement au sens premier du terme. Et on est bien content que ce soit Pascal Anquetil, le Monsieur Irma du Jazz en France qui se soit attelé à ce chantier titanesque. A dire vrai, ils ne sont pas nombreux dans l’hexagone à pouvoir rédiger leur « favorite things » in jazz, à se prêter à ces « exercices d’admiration ».  La nostalgie joue à fond en feuilletant la galerie de portraits de musiciens de jazz. C’est une musique de joie et de danse, de résistance et de révolte, un art majeur qui avec le cinéma a bouleversé et incendié tout le XXème siècle, écrit Pascal Anquetil dans une brillante préface-manifeste qui resitue « les horizons du jazz et ses arpenteurs ».

Le pari de ce livre est de donner à voir et à lire, en un découpage judicieux de huit catégories, soixante-dix figures emblématiques de cette musique : suivant le cahier des charges, Pascal Anquetil s’est livré à une sélection rigoureusement personnelle déclinée en « génies décisifs», « maîtres chanteurs», «bâtisseurs de mondes», «virtuoses du bonheur», «anges déçus du lyrisme», «maîtres célibataires», «chefs de file», «musiciens intimes». Il  évite ainsi l’écueil chronologique souvent fastidieux, bouscule genres et époques, styles et instrumentistes. Ce qui permet des voisinages savoureux, des dérapages spatio-temporels. Exactement comme dans ces nouveaux temples des musiques actuelles où rôdent des jeunes gens affamés non plus seulement de savoir mais de plaisir. Curieusement, cette musique, éclatée en petites chapelles, en retrouverait presque une unité, redevenant le JAZZ. Et au diable les étiquettes  …qui ne demandent d’ailleurs qu’à être enlevées.

 On peut faire confiance à Pascal Anquetil, professionnel éclairé et authentique amateur, dont la vie suit le roman du jazz, pour nous conduire dans les arcanes de cette musique. Il est né suffisamment tôt pour entendre les grandes légendes du jazz, appréhender les tournants décisifs de l’histoire de cette musique sans rester à la remorque, l’oeil fixé sur le rétroviseur. C’est qu’il connaît la musique et aime les musiciens. Le journaliste Philippe Méziat, l’un de ses correspondants en région, souligne avec justesse que «Pascal Anquetil est un des rares professionnels à servir cette musique et les musiciens qui la font, plutôt que de s’en servir ».

Donc ce  livre tombe  bien : ce n’est pas un cours magistral sur le  jazz et encore moins  un abrégé « Le jazz pour les nuls » mais a « labour of love », une  série de portraits croqués avec talent, racontant une histoire personnelle du jazz, dans une écriture plus littéraire que journalistique où l’émotion le dispute à l’érudition. Il a le chic de choisir l’angle d’approche pertinent pour que cette évocation lumineuse et précise aille au delà de la musique. Pascal Anquetil arrive à restituer le parcours de chaque musicien, en introduisant souvenirs personnels et truculentes anecdotes avec son talent impayable de conteur. Et ses confidences sur les entours de cette musique éclairent singulièrement le travail des musiciens. Il a l’envie de faire partager non seulement ce qui a traversé son horizon musical du moment mais ce qui est demeuré gravé dans sa mémoire. Ses textes sont le lieu d’ouvertures, de passages, d’admirations, d’euphories. Quant à la composition de ce livre d’éclats, il tient à un rien qui est tout, le temps. Temps de la musique, de l’écriture, temps suspendu, temps ana-chronique. Il faut considérer cette architecture textuelle et visuelle comme le lieu de la cristallisation, du « mémorable ». Rien de rigide, de docte, de figé mais plutôt le reflet d’une sensibilité bienveillante, qui n’empêche pas une fréquentation assidue et studieuse des musiciens. Les figures de papier glacé (les photos noir et blanc, en pleine page sont somptueuses) s’animent sous nos yeux, redeviennent des personnages de chair et de sang, avec une réelle épaisseur. Faire vivre et respirer le jazz, créer de petits infinis, qui donnent envie-c’est le plus important-d’entendre cette musique, de replonger dans sa propre discographie, d’aller chercher et de compléter certains manques.  Comme dans une série, un feuilleton qui vous tient en haleine, on se prend alors à penser que l’auteur pourrait continuer sa liste, l’actualiser et écrire une suite. C’est du moins tout le plaisir que l’on nous souhaite…

Sophie Chambon

 

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28 août 2011 7 28 /08 /août /2011 23:49

Gallimard NRF – L’Un et l’autre

2011, 116p, 16,50 euros.

jacquesreda.jpg

 

 La poésie, c’est de la musique ! On l’a déjà dit. Tout le monde l’a dit. Et c’est peut être ce qui explique pourquoi Duke Ellington a amené l’immense écrivain Jacques Reda à la poésie à moins que ce ne fut peut être le contraire. Faudrait lui demander. Dans tous les cas c’est une histoire d’amour. D’amour curieux. D’amour et de fantasmes. Car Jacques Réda ne peut pas s’en empêcher, d’imaginer. Il est curieux et il imagine, se raconte des histoires et nous embarque avec. C’est ainsi qu’effeuillant les grands titres des compositions qui marquent l’épopée Ellingtonienne, Jacques Réda retrace ce grand Orchestre peuplé de femmes, ces Béatrices (après tout chacun le sienne), ces héros ( il les appelle des Dieux), et ce nuancier de couleurs du bleu au sépia virant à l’indigo.

Il décortique avec son imaginaire et sa grande érudition aussi. Il voit les relations de Duke avec le blues. Péché originel ? Car Duke et le blues, ce sont des relations ambiguës qu’il aime à décrypter Jacques Reda.

Parce qu’aussi il prend le jazz suffisamment au sérieux pour, à son âge, avoir le loisir de s’en amuser aussi. Le site web Criss Cross (excellent au demeurant) a eu la bonne idée d’aller interviewer le mâitre des mots. Le poète et romancier, le choniqueur de jazz qui a eu la bonne idée de publier cet été cette « Autobiographie du jazz » écrite à la première personne. Et c’est  avec une facétie de sage que celui-ci s’était prêté au jeu de cette interview avec autant d’humilité que de savoir précieux à tous et à toutes.

Mais revenons à notre ducale affaire. Celle qui déclencha tout chez le jeune Réda lui aussi jeune amoureux des femmes et de cette musique nouvelle. Jacques Réda  qui ne sait pas encore, qui goûte à tout pour revenir ensuite à ses premières passions.

 

 Morceaux choisis

« Puis nous avons constaté que notre irruption post-ellingtonienne dans l’histoire de la musique n’en avait pas inversé le mouvement, et nous devînmes du jour au lendemain « be-bop » à outrance. Julius ne jurait plus que par Thelonious Monk et, reniant Sonny Greer pour s’inféoder à Max Roach, Nanard cherchait l’inspiration en précipitant des seaux à charbons vides dans l’escalier de sa cave ».

Sa relation au Duke, on l’a compris aurait pu tourner court.

 

Mais voir Duke, voir son orchestre. Le rêve : 

« Si je les ai connus ? En tout cas je les ai vus comme je vous vois, et j’aurais pu me faufiler à l’entracte dans les coulisses pour les voir de plus près, leur mettre un crayon dans la main afin qu’ils signent discrètement mon programme. Mais ce ne sont pas mes moeurs »

Suit un analyse subtile de l’œuvre de Duke. Aléatoire et revendiquée comme telle.

On commence par L’Orchestre Amour ( Duke et les femmes et cette Adelaide Hall par qui tout commence. On notera en revanche dans toute cette gynécée : pas un mot sur Ella). On poursuit par L’Orchestre Bleu ( "A la première écoute, avant d’avoir compris que Duke s’en était pris à l’état d’âme dépressif que l’expression «  the blues »c ommunément résume, plutôt qu’à une forme musicale qui le structure et permet de le surmonter, j’ai failli céder à la tentation de me croire plus proche du blues que lui ». Enfin L’Orchestre Club peuplé de héros et de danseuses à frivolités. Les héros de la litanie Ellingtonnienne, les vieux hussards, les fidèles d’entre les fidèles.

« Dix jours après Paul Gonsalves, dont la longue cavalcade à Newport en 1956 avait, « Diminuendo and Crescendo in blue » rendu patente la métamorphose de l’orchestre tel qu’en lui-même ; quelques mois avant Harry Carney qui en était resté la poutre maîtresse pendant quarante-sept ans après l’apparition de la jeune créole ( référence à Creole Love callde 1927) Duke mourut à New-York le 24 mai 1974. C’est pourquoi je n’aime pas les biographies, elles finissent toujours mal »

 

Au travers de ces courts chapitres, ce petit ouvrage  conserve cette extrême élégance de l’érudition qui n’écrase pas. Qui ne vous renvoie pas à votre crasse ignorance. Jacques Réda est plutôt du genre à vous prendre par la main et, en regardant les étoiles vous invite à fermer les yeux et à écouter ce qu’il sait, ce qu’il présume, ce qu’il suppose et ce qu’il imagine. Et c’est presque si Jacques Réda s’en voudrait de se montrer trop savant sur son sujet qu’il est vrai, on parcourt d’autant mieux que l’on a les oreilles ce petit East Saint Louis Toodle-Oo avec en toile de fond la parole qu’il rend à ce trompettiste trop oublié, Bubber Miley que Jacques Réda dans une moment de réminiscence passionnée arrache à l’oubli injuste et le rend ici un peu à la vie. Et aux étoiles.

Jean-Marc Gelin

 

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3 juin 2011 5 03 /06 /juin /2011 19:23
Textes réunis par Vincent Cotro

Actes du Colloque international 

« John Coltrane  (1926-1967)» : l’œuvre et son empreinte. »

(Université François RABELAIS, TOURS, 26-27 novembre 2007)

Collection Contrepoints

Editions Outre Mesure, 2011.

 coltranecoltro-copie-2.jpg

 

John Coltrane n’a pas fini de faire parler de lui, plus de quarante ans après sa mort. Son influence ne se limite pas au premier cercle de musiciens qui l’ont accompagné, ou qui ont eu la chance de l’entendre (Dave Liebman), ni à tous ceux qui ont gravité dans la galaxie de ce soleil noir, tentant d’assimiler, de continuer la musique après lui.

L’intérêt de cette nouvelle publication des très sérieuses éditions OUTRE MESURE dirigées par le rigoureux Claude Fabre (1), est indéniable : pour être d’une irréprochable précision, cette étude n’écarte pas pour autant les dimensions émotionnelles, esthétiques, poétiques, voire politiques de l’œuvre/vie de cet immense artiste.

Maître de conférences à l’Université de Tours, où il dirige le laboratoire de Recherches transversales en musicologie, ses travaux portant sur l’histoire et l’esthétique du jazz (2), Vincent Cotro n’a eu de cesse de réunir musiciens et chercheurs de différentes disciplines pour se pencher une fois encore sur le Cas Coltrane et apporter un éclairage actuel sur la création en plein devenir, tant comme saxophoniste que comme leader et compositeur, dans une période restreinte de 1955 à 1967. Dans le développement coltranien, se rejoignent alors le blues originel et les influences africaines, la musique savante (Coltrane était un « lettré de la musique »),  les projections fantasmatiques de certains pays comme l’Espagne  (Miles Davis aura aussi cette tentation avec son Sketches of Spain) sans oublier l’influence de l’Inde du nord  de Ravi Shankar emblématique de l’époque. Il ne s’intéresse à ces cultures que pour les transcender et renouveler sa créativité. Il ne se coule pas dans le moule, mais puise dans ces autres imaginaires pour atteindre un idéal fusionnel, cosmique, au cœur de la musique modale. 

Quatre thématiques distinctes regroupent les diverses contributions du colloque de Tours :

Evolution et unité- Coltrane compositeur- Imaginaire et environnement- Body and Soul… (3), soit une forme de cheminement, imaginé pour nous saisir de l’œuvre, la musique de Coltrane, considérée comme point de départ, tourner autour de cet objet miroitant en examinant différents champs investis par l’œuvre, avant d’opérer un ultime retour sur l’humain, vers l’intime.  (Vincent Cotro, prologue).

Evidemment, il ne s’agit pas d’une œuvre de vulgarisation à proprement parler, mais cette lecture éclairera tout amateur de jazz, même ceux qui pensaient connaître John Coltrane. Car le sujet d’étude est inépuisable. Preuve en est le témoignage oral lors du colloque, informel,  particulièrement émouvant de Dave Liebman (4) qui a vécu dans la lumière de Coltrane toute sa vie et n’a cessé d’en réfléchir les implications.

La diversité des angles d’approche des divers auteurs pourra satisfaire la curiosité d’un public, même non lecteur de musique, toujours avide de  saisir le mystère Coltrane, qui en un temps record, a non seulement transformé l’approche de son instrument, bouleversé toute la musique  mais encore offert un immense corpus de compositions.

Au début de sa carrière, John Coltrane a payé son dû aux figures du passé, se mesurant à Lester Young, et même à Charlie Parker, archétype du jazzman de l’époque ; il va ensuite choisir le soprano, à la tessiture plus aiguë que le ténor, pour obtenir une nouvelle sonorité de l’instrument, inspirée des instruments orientaux, à anche double.

Pressentant que le temps lui est compté, il s’abandonne  à une quête spirituelle obsessionnelle qui se double d’une violence extrême et déstructurée (catharsis ?). La musique, à la fin de sa courte vie, est  proche du cri, de la mélodie pure et infinie, du rythme essentiel. Jusque dans cette composition « My favorite things » qu’il a faite sienne, maintes fois ressassée, triturée, depuis la bluette de Rodgers/Hammerstein, jusqu’à sa version finale (encore inaudible pour certains). Le free jazz, il l’a initié, en s’approchant d’une forme épurée, qui va à l’essentiel.

Certains critiques sont allés encore plus loin, considérant Coltrane comme un « théosophe du jazz »…Il faudrait aussi évoquer l’extrême douceur, paradoxale, dans le genre de la ballade qu’il porte au plus haut (4). Coltrane nous parle, et dans le long poème chanté « A Love Supreme », on a le sentiment qu’il joue les paroles dans sa musique.

En prenant de judicieux exemples qui seront analysés, décortiqués jusqu’à en extraire tout le suc, on comprend  avec « Olé » ou « Blue Trane », comment Coltrane s’est confronté à toutes sortes de contraintes dont il a réussi à s’échapper brillamment. Philippe Michel fait l’autopsie de Giant Steps, à la fois composition et album de 1959, œuvre charnière, dernier morceau issu du be bop avec beaucoup d’accords, où déjà Coltrane pense composition, structure et pas seulement grille d’accords. En analysant de façon comparative toutes les prises, le chercheur fait parler la musique, dans sa contribution La liberté gagnée sur / par la contrainte. Car Coltrane s’échappe en permanence de tous les cadres, même du contexte terrible de l’époque, et joue ce qu’il est. Citoyen du monde par sa musique qui accueille toutes les musiques du monde, il les transforme en les faisant siennes. Un autre exemple probant est donné avec « India » : au-delà de l’évocation d’autres influences musicales, très en vogue à l’époque, Coltrane installe le climat (le mode) puis le thème (soubassement fondé sur deux notes) mais il ne peut s’empêcher là encore de s’évader hors de ce cadre fixé.

 L’édition toujours très soignée, d’une grande clarté, comporte une mise en page impeccable et un index précis. Grâces soient rendues une fois encore à l’excellent Claude Fabre qui accomplit depuis la création d’Outre Mesure, l’un des plus remarquables travail d’édition et de mise en forme sur le jazz, son histoire et son esthétique, en rendant nombre de publications universitaires ou d’amateurs passionnés et exigeants, possibles et lisibles.

 

Sophie Chambon

 

1.    Outre mesure a déjà publié la biographie de référence  de John Coltrane  par Lewis Porter : John Coltrane, sa vie, sa musique qui obtint le prix du livre de jazz en 2007 (Traduction de Vincent COTRO.)

2.    Vincent Cotro est l’auteur dans la même collection Contrepoints de l’important Chants libres : le free jazz en France. 1960-1975.  Il a egalement traduit l’ouvrage de Ekkehard Jost, Free Jazz.

3.    Liste des articles du colloque repris dans l’ouvrage :

1.    John Coltrane compositeur (Christa Bruckner Haring)

2.    La structuration intervallique dans les compositions de John Coltrane  (Ludovic Florin)

3.    Parvenir à l’unité : l’autoréférence dans la musique de John Coltrane (Marc Medwin)

4.    « Giant Steps » : la liberté gagnée sur/par/la contrainte ( Philippe Michel)

5.    John Coltrane et l’intégration des concepts indiens dans le jazz improvisé (Carl Clements)

6.    Les Dilemmes de l’orientalisme afro américain : Coltrane et l’imaginaire hispanique dans « Olé » (Emmanuel Parent et Grégoire Tosser)

7.    Four for Trane : le jazz et la voix désincarnée (Tony Whyton)

8.    Quelques poèmes pour Coltrane (Claudine Raynaud)

9.    John Coltrane : un deuil impossible  Bertrand Lauer

4.    « Le témoignage de Dave Liebman devait combler l’aspiration au mythe venant de la salle. Le mythe vrai. » Laurent Cugny (Postface).

 

 

 

 

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20 mai 2011 5 20 /05 /mai /2011 21:45

YVES BUIN

LE CASTOR ASTRAL

BLUE MELODY

 barney-wilen.jpg

Un portrait musical sensible : retour sur un jazzman de légende

 

Yves Buin emploie les mots justes pour dire qui était BARNEY WILEN.

Les titres de chaque chapitre renvoient pertinemment à un  album  (Moshi, Jazz sur Seine, Jazz hip trio…) ou à une période spécifique de la vie/carrière de ce musicien jugé parfois extravagant,  tout simplement hors norme.

 Oui, Bernard Jean Wilen, dit Barney Wilen, sortait vraiment de l’ordinaire. Flegmatique dandy, il cultiva une certaine élégance jusqu’à la fin. Un authentique musicien de jazz, qui en quarante ans de carrière réalisa un  parcours musical sans faute.

Prodige dès ses 18 ans- il remporta le prix de jazz cool spécialement créé pour lui- il devint vite le prince des nuits de St Germain des Prés. Reconnu par Miles qui le choisit pour enregistrer la musique du film de Louis Malle « Ascenseur pour l’échafaud », il fut une des figures notables de ce jazz parisien florissant : il fut une sorte de point nodal européen avec Stéphane Grappelli et Bobby Jaspar…alors que Martial Solal attendra quelques années.

Endossant l’habit de post bopper, exilé de lui-même, il prit constamment des risques et s’acclimata à toutes les époques, sans refuser les filiations d’ Ellington, Davis, Rollins, Powell, en les modelant à sa mesure, utilisant  contiguités de formes et d’échos. Il connut donc logiquement en son temps le free jazz et fréquenta, lors d’expéditions en Afrique,  la faune trouble des baladins de la musique noire- le fluide vital . Plongeant dans l’incitation contemplative, le dialogue cosmique, la musique sortait de lui librement. Il était comme un medium, parfois spectateur de la musique de ses complices, car pour lui, toute rivalité était étrangère.

Yves Buin, sans se départir d’une certaine rigueur, avoue toute son admiration pour ce musicien incomparable dans les pages de ce livre publié dans la sérieuse collection du Castor Astral. Les exergues de chaque chapitre constituent  à elles seules de petits bijoux qui, mis bout à bout, créent en filigrane un portrait singulier.

Gommant sans doute certaines aspérités, il ne choisit de souligner que les points forts du parcours musical du saxophoniste.  Angle satisfaisant car, comme pour tous les grands artistes, la musique conduit la vie de Barney WILEN.

Pour caractériser cette évocation, on retiendra en particulier certains axes choisis par l’auteur comme

 Un attachement indéfectible à l’art blanc de la ballade en référence à Chet Baker, Stan Getz, Art Pepper.

Le goût des standards et de la musique populaire, qu’il relit à sa manière, en  jazzman intègre. Dans ce travail toujours inachevé, il arrive à bouleverser, à découper autrement ces mélodies installées dans une évidence classique.

Le sacré et le sens de l’ailleurs quile fascinait. Inspiré par les musiques natives où il retrouvait une forme de sacré, Barney Wilen avait cette nostalgie profonde d’un insaisissable qu’il recherchait dans ses voyages physiques, psychiques ou dans les paradis artificiels.

Yves Buin insiste sur l’importance de ces escapades voyageuses, entre errance et imprévu, qui allaient conduire le saxophoniste vers une des terres natales de son imaginaire, l’Afrique, confluence des musiques premières. 

Aussi, en refermant les pages de ce livre précis et sensible, les lecteurs n’auront de cesse, espérons le, de se replonger dans la musique de ce musicien incomparable. Quant à ceux qui ne le connaissent pas encore, ils pourront  le suivre fidèlement à la trace, avec ce guide musical. C’est tout le mal qu’on leur souhaite !

 

Sophie CHAMBON

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30 avril 2011 6 30 /04 /avril /2011 09:32

Illustrations de rémi Courgeon

Texte de Stéphane Olivier

Raconté par Elise Caron

Collection Découverte des Musiciens

Ed. Gallimard Jeunesse Musique

 

 ella.jpg

 

Dans la très bonne série des musiciens de jazz racontés aux Enfants, sous la houlette des illustrations de Rémi Courgeon ( plus de 20 albums chez Albin Michel, Casterman, Nathan …) et des textes de Stéphane Olivier ( Les Inrockuptibles, Jazzmagazine), les éditions Gallimard après avoir fait Louis Armstrong et Django poursuivent ici avec Ella Fitzgerald.

 

Travail salutaire ( et ô combien difficile) de vulgarisation à destination des enfants pour retracer la vie et l’œuvre de la diva du jazz.

Les textes sont à la fois intelligents  et très pédagogiques. L’essentiel est dit avec toute la délicatesse nécessaire à l’apprentissage des jeunes. Les petites icônes illustrant l’ouvrage ouvrent de petites fenêtres très astucieuses et remettent les choses dans leur contexte de l’époque. Car il s’agit aussi de faire comprendre aux enfants «  comment c’etait avant »…. Et d’ouvrir leur sensibilité aux notions du swing, du scat et du chant populaire américain.

 

Petit faible aussi pour les dessins très doux de Remi Courgeon qui évitent toute naïveté et apportent à leur façon du rythme à la lecture.

 

Petit regret toutefois , celui que n’ait pas été trouvées quelques photos d’Ella enfant, ni que la chronologie des extraits musicaux n’ait pas été respectée. Elle aurait peut-être permis de faire saisir comment la voix de la chanteuse a pu évoluer dans le temps.

Mais les auteurs ont finalement privilégié, dans le format court de ces petits livres  d’entrer directement dans la magie universelle de la voix d’Ella et de donner un large panel de ce qu’elle exprime dans le swing, le scat, la joie de ses « live », la sensibilité extrême d’un Bewitch au plus près de la mélodie.

En 38 mn d’audio et 11 petites pages de livres le pari est réussi: une gageure !

 

Bien sympa.

 

Jean-Marc Gelin

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12 avril 2011 2 12 /04 /avril /2011 23:24

 
BDMusic
Sortie le 28 Mars


Cabu-Sarah-Vaughan.jpg Sarah Vaughan

 

Définitif et indispensable nous dit Claude Carrière qui a opéré la sélection des Cabu Jazz consacrés à la ‘divine’ Sassy. On ne peut que se réjouir de redécouvrir sur une période rapprochée, entre 1954 et 1958, beaucoup d’ enregistrements dans diverses formations de cette chanteuse exceptionnelle. C’est l’une des trois grandes,  reconnues avec Ella au timbre solaire et Billie, « Lady Day » de nos coeurs

L’anthologie couvre quatre petites années mais les titres sont amplement suffisants pour comprendre ce qui fit le succès de Sarah Vaughan. Sa voix couvre une tessiture rare et elle passe avec agilité des plus beaux graves, veloutés, soyeux et sensuels à des aigus de soprano. Pour le style, si on file la comparaison avec le lyrique, elle a une telle maîtrise qu’elle est capable de toutes les transitions et ornementations comme dans le « bel canto » !
Elle module à souhait, avec des effets de gorge qui vous donnent la chair de poule et des astuces de voix de poitrine,  avec un vibrato qu’elle sait amener à point nommé, sans chevroter. Modulations donc, effets sophistiqués où elle contrôle certaines affectations (point de cordes dans cette sélection, comme ce sera plus tard le cas), parce qu’en fin de compte, elle s’amuse,  elle sculpte les mots, distille les « lyrics », se régale à varier les tempos, étirer le temps, broder et jouer avec certaines diphtongues. Une technique éblouissante la rend impériale dans les scats qu’elle lance avec un plaisir évident aiguisé par un sens opportun de l’improvisation. Cela s’entend , elle est heureuse de chanter dans ces clubs : ceux qui eurent la chance de l’écouter passaient assurément de sacrés beaux et bons moments !
Car  Sarah a un tel désir de musique qu’elle réserve au gré de son tour de chant des surprises rares. 

L’anthologie nous donne l’occasion de l’écouter avec diverses formations et toujours le même batteur, le grand Roy Haynes, dans deux de ses  trios,   le premier avec John Malachi (p) Joe Benjamin (b) et Roy Haynes (dms) en avril 1954, le second en 1957 avec Jimmy Jones (p), Richard Davis (b) et Roy Haynes.
Deux moments de bravoure, quand en décembre 1954, elle chante  dans une formation étoffée de Clifford Brown (tp), Herbie Mann (fl)  et Paul Quinichette (ts). Si certains titres ont fait l’objet de versions multiples, je retiendrai le « September Song » et le « Lullaby of birdland » insurpassables . La subjectivité peut jouer, mais pour faire découvrir ces thèmes, commencez par Sassy.

Et le final de l’anthologie est absolument stupéfiant : en mars 1958, à Chicago, au London House, 8 titres avec son trio et quelques membres du Count Basie orchestra dont Thad Jones à la trompette et Frank Wess au ténor. Elle est éblouissante dans « Three little words », sa version de « Speak low » fait dresser l’oreille, et le final est grandiose dans « Thanks for the Memory » :  Sarah, détendue, s’interrompt pour parler au public, reprend,  sourit, cela s’entend !
 Si le timbre charnu, pulpeux s’épanouit, se colore toujours davantage, l’art d’accompagner de ses partenaires est admirable : totalement au service de la chanteuse mais jouant néanmoins leur propre partie, en soliste à part entière !
La classe !
On ne saurait rêver meilleur récital que ce  numéro de deux Cds consacré à l’une des très grandes du jazz vocal. Hautement recommandé !

 
   

Cabu-50-Singing-LADIES.jpg 50 Singing LADIES
Cabu Jazz

 Notons aussi dans la même livraison des Cabu Jazz, une formidable compilation d’une grande diversité de voix et de styles : 50 SINGING LADIES.

C’est l’un des panoramas les plus complets de l’art vocal entre 1933 et 1959. 
De A à W,  la crème des chanteuses de jazz américaines.
Connie Boswell avec les Dorsey Brothers’orchestra chante sa propre composition « The river’s taking care of me », alors que Lee Wiley avec le même orchestre donne un “I got the right to sing the blues” qui pourrait s’aligner avec la version de Jack Teagarden.  Si Bessie Smith, l’impératrice du blues ou Ethel Waters sont les divas d’un autre âge, le double Cd se termine en 1959 avec Nancy Wilson et l’orchestre de Billie May, formidable arrangeur dans un ‘The more I see you’ formidable !
Vous allez redécouvrir toutes sortes de voix , chaudes et sensuelles, voix « cool » ou blanches (June Christy, Chris Connor, Helen Merrill, Jeri Southern…), de celles qui sussurrent (Blossom Dearie) ou qui swinguent, qui vocalesent comme Annie Ross . Figurent aussi dans cet hommage, Julie London, qui n’est pas nommée dans l’excellent dictionnaire du Jazz, ou Nan Wynn qui doubla Rita Hayworth à Hollywood.
Elles sont presque toutes là, ces chanteuses, oubliées aujourd’hui, Ernestine Anderson  accompagnant Gigy Gryce,  Ivie Anderson avec l’orchestre de Duke Ellington, Helen Humes, celui de Count Basie,  Maxine Sullivan avec le sextet de son mari, John Kirby dans un émouvant « The heart you stole from me » … aux côtés des « historiques », des « grandes » auxquelles on pense immédiatement quand on évoque le chant :  Sarah, Ella, Billie, Peggy, Anita, Dinah.  Mention particulière à  Nina Simone à la voix de contralto dans un bouleversant « He needs me » en 1957, alors qu’à la même période, Betty Carter lance un « Let’s fall in love » enthousiasmant et inégalé.
L’un des objectifs de cette sélection est de faire découvrir  celles qui n’ont pas atteint la même célébrité, sont restées dans l’ombre ; qui, avec le même talent, comme Lorez Alexandria, demeurent injustement méconnues.
Connaissiez-vous Yvonne Lanauze, Pearl Bailey, Sylvia Syms, Kai Starr… ?
La liste est longue et ce n’est pas l’un des minces mérites de ce numéro d’une collection impeccable, de surcroît, à petit prix que de vous faire entendre toutes ces voix enchanteresses.
A se procurer et à écouter ... très vite !

Sophie Chambon

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12 avril 2011 2 12 /04 /avril /2011 23:16

Cabu Jazz Masters
Une collection de 32 titres
Sortie le 28 mars

BDMusic / Harmonia mundi

Cabu-Woody-Herman.jpgWoody Herman une anthologie  1949/1959

Décidément, on aime  beaucoup la dernière livraison des Cabu jazz consacrée à Woody HERMAN et à Quincy JONES, chefs d’orchestre.
Le dessinateur de Charlie Hebdo et du Canard Enchaîné continue à croquer des portraits des grands du jazz, alors que Wozniak en assure la mise en couleur sur un fond jaune éclatant. Le label affectionne la BD et le Jazz,  on le sait  et on attend à présent comme pour un épisode de la nouvelle saison de la série l’ anthologie maison concoctée par Christian Bonnet.
Si l’objectif de cette collection est de faire découvrir ces perles rares, ces joyaux d’une époque bien révolue, voilà encore quatre beaux numéros.
On commence par les leaders.   

Woody Herman est une des personnalités attachantes de l’histoire du jazz, puisqu’il n’aura eu de cesse, sa vie durant, de faire vivre son propre big band .
De 1936 jusqu’à son dernier souffle en 1987, le clarinettiste-saxophoniste altiste aura lutté pour que sa belle machine, particulièrement rutilante exprime cet amour irrépressible du jazz.
Son véritable mode d’expression était son orchestre qu’il arriva à maintenir tout en changeant souvent de personnel et même de dimension.  On a tout de même l’occasion de l’entendre à la clarinette dans « Rhapsody in wood » (qui fut aussi un film en 1947) et chanter de belle manière dans le célèbre « I’ll be glad when you’re dead, you rascal you ».
Ainsi Woody Herman et ses « troupeaux » successifs ( « Herd » en anglais) virent défiler la fine fleur du jazz de ces années bénies, les trompettistes Shorty Rogers, Conte Candoli, les trombonistes Bill Harris, Carl Fontana, Urbie Green.. et évidemment Jimmy Giuffre qui à cette époque ne jouait pas encore « free » mais enchantait avec les « Four brothers », lançant une nouvelle sonorité.
Si on ne trouve pas dans la sélection le fameux solo de Stan Getz débutant, « Early Autumn » en 1947, citons quelques pépites comme
ce « Spain » en 1950 qui permet d’entendre Milt Jackson au vibraphone, un fondant « East of the Sun » de septembre 1952  ou encore « Nice work if you can get it » avec the «Third Herd».
Il y en aura pour tous les goûts avec cette curiosité de 1958  « New cha cha » avec Tito Puente très « caliente », très tendance actuellement.

Voilà une époque heureuse où le jazz s’écoutait en club, à la radio, se dégustait au cinéma : une esthétique aujourd’hui révolue mais les sonorités de ces collectifs, à géométrie et personnel variables, demeurent uniques . Avec de très grands arrangeurs comme Nat Pierce (une version superbe de « Blue Lou »), Ralph Burns, Gene Roland . Plus de soixante après, le frisson demeure…
 
 

Cabu-Quincy-Jones.jpg Quincy JONES

On connaît ce maître de la musique noire, ce virtuose de l’éclectisme, arrangeur, producteur génial de stars planétaires Ray Charles, Michael Jackson, auteur de musiques de films, déclencheur d’événements comme « We are the World ». Mais sait-on que ce musicien exceptionnel né en 1933, était un bopper dans l’âme et qu’il eut toujours le chic de savoir ce qui allait être au goût du jour, donc à l’époque, du jazz.
Un des mérites de ce numéro de Cabu Jazz est de mettre en lumière dans un premier Cd, son rôle de leader, à la tête de son big band, de 1955 à 1959. Et là défilent absolument tout ce que le jazz comportait de pointures, instrumentistes exceptionnels Zoot Sims, Al Cohn, Phil Woods, Lucky Thompson pour les saxophonistes, le pianiste Hank Jones, Clark Terry, Harry Edison à la trompette,  Frank Wess à la flûte, Charlie Mingus apparaît sur un « Lullaby of birdland » de 1956.
Quand  Quincy Jones ne compose pas pour son orchestre, il arrange (déjà) les merveilleuses compositions de Benny Golson  (« I remember Clifford » ) avec un solo de bugle de Clark Terry, et sur «Whisper not», un solo de Zoot Sims. On passe d‘émouvantes et tendres ballades à un blues « Everybody’s blues », ou à des compositions  résolument swing comme « Tickle toe » ou « A Change of Pace ». On se rend compte que les années cinquante étaient particulièrement excitantes avec un large éventail de styles et des musiciens formidablement talentueux.
Le second Cd montre la « versatilité » remarquable de Quincy Jones qui travailla autant pour le jazz vocal avec Dinah Washington, Helen Merrill, Ray Charles dont il fut aussi producteur que pour certains leaders comme Lionel Hampton « Kingfish », Art Farmer Septet (un « Work of Art » qui porte si bien son nom ), Gigy Gryce à Paris toujours avec le trompettiste Art Farmer mais avec Henri Renaud et Pierre Michelot, Sonny Stitt…
En tournée mondiale avec Dizzy Gillespie en 1956, Quincy Jones, infatigable activiste de la scène jazz, fut aussi le directeur artistique d’Eddy Barclay la même année : «Tout doucement » avec un solo de Don Byas au ténor. Pour nous Français, une curiosité, notre Henri Salvador dans une traduction de Vian chante une version un peu différente de « O When the saints » en 1958. On terminera par une autre « madeleine », ce « For Lena and Lennie » du Count Basie orchestra, qui fut  repris avec brio par Nougaro et qui fut aussi l’indicatif d’une émission suivie de Pierre Bouteiller sur France Inter.        
Quincy Jones façonna en partie le paysage musical du jazz pendant plusieurs décennies.  Il est bon que l’on s’en souvienne !

Sophie Chambon

NB : On souligne la praticité de l’objet digipack,  avec des enregistrements restaurés avec le plus grand soin, les précieuses informations discographiques se lisant directement à l’intérieur.Et le prix modique de cette série très didactique.



 

 

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26 février 2011 6 26 /02 /février /2011 00:45

belhomme-way-ahead.gif   Editions Le mot et le reste - 2011

Après Giant Steps, Jazz en cent figures (et cinq cents chroniques de disques),le journaliste et musicien Guillaume Belhomme persiste et signe avec ce Way ahead, Jazz en cent autres figures .

Avec ce chiffre rond (il faut bien se donner une limite), il livre le second tome d’une anthologie du jazz assez personnelle qui raconte l’histoire de cette musique, au travers de portraits et de rapides discographies. Filiation ou récupération, transgression, déviation, tout ceci est éclairé et présenté d’un point de vue biographique.

Le découpage original, qui ne se prétend pas exhaustif, affirme haut et fort ses choix, le mérite de l’ouvrage étant de montrer que le jazz que certains figeaient ou déclaraient mort, il y a déjà quelque temps, n’en finit pas de renaître, n’a cessé de changer, d’avancer en zig zag.

Ayant franchi allègrement le 21 ème siècle, cette musique continue d’exister autrement, suffisamment pour que l’on prête l’oreille à l‘histoire musicale en train de se faire, « a work in progress ».

C’est la préface du saxophoniste chicagoan Ken Vandermark qui définit parfaitement les objectifs du livre et en pose la problématique : présenter l’histoire du jazz, de ceux qui l’ont fait et continuent de la faire, sans chronologie écrasante ; en évitant l’énumération des écoles et courants esthétiques, qui se succèdent comme dans toute histoire de l’art . Encore qu’il y ait des modes et des cycles récurrents justement… cercles un peu « vicieux ».

Certains musiciens méritent d’être redécouverts régulièrement, en dehors de leur temps, à l’aune de ce qui se fait aujourd’hui. Ainsi, Pee Wee Russell (1906-1969) (très bonne pioche) débute la liste des musiciens classés par la date de naissance. Ce clarinettiste des plus inventifs, original, qui a su rester libre, mérite d’être remarqué. Quant à la dernière figure choisie dans Way Ahead, il s’agit de Matt Bauder né en 1976, élève à la Wesleyan university d’Anthony Braxton.

Le critère de classement divise les artistes en trois catégories :

les novateurs, « la seconde vague » de « ceux qui ont élargi le champ des possibles », les radicaux, « à distance de toute continuité apparente du jazz », inclassables, plutôt déstabilisants. On sent bien que ceux-ci ont toute la sympathie de l’auteur, mais on ne reviendra pas sur sa sélection, ayant compris où il se situe. Guillaume Belhomme précise ses sources (lecture des revues de jazz et de magazines, des publications sur internet (All about jazz, European Free Improvisation Pages, le son du grizzli…)

Son angle d’approche, intéressant, fait la part belle au jazz américain et on ne saurait le déplorer, puisque le jazz vient de là-bas, tout de même ! Figurent donc au côté de certains incontournables, des « seconds couteaux », un peu oubliés aujourd’hui, tout à fait passionnants.

Le jazz européen est plus limité dans ses manifestations et semble se réserver au free. Les Français, sont largement sous-représentés : sauf erreur, nous n’avons relevé que trois noms Michel Doneda, Jean Luc Guionnet et Daunik Lazro.

Maintenant que le jazz est une musique « du monde », beaucoup de musiciens talentueux et méconnus mériteraient d’être entendus par un public plus large que celui des amateurs et des «spécialistes ». De New York à Chicago, de Los Angeles à Londres, Amsterdam etTokyo, le jazz est une réalité vivante, parfois urgente.

Ainsi, sans prétendre au Dictionnaire du Jazz, bible incontournable de tout amateur éclairé ( à renouveller régulièrement pour tenir compte de l’intense vie musicale actuelle), ce Way aheadpourrait désormais trouver une place à ses côtés, en signe d’ouverture à la musique et d’esprit libre.

 

NB : Précisons enfin que l’ouvrage a une mise en page simple, claire et précise avec des vignettes illustrant les albums marquants de chaque musicien choisi. Un index et une bibliographie complètent ce nouveau numéro de la maison marseillaise que l’on ne présente plus, Le mot et le reste qui continue à imprimer une certaine direction éditoriale, insolite et souvent avant-gardiste .

 

Sophie CHAMBON

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13 février 2011 7 13 /02 /février /2011 19:11

Jacques BOUZERAND, Michel ROHBOT, Gilles DE MONTAUZON, Catherine BELOEIL, Francis HOFSTEIN

Editions Delatour France

300p- 49 euros

 lejeuincessantdedanielhumair.jpg

 

Si l’on a pas eu la chance de voir exposées à la Galerie de la Pointe à Paris, les toiles de Daniel Humair, on pourra prendre sa revanche avec Le Jeu incessant de Daniel Humair, superbe livre d’art, sorti aux Editions Delatour France.

Une somme captivante qui revient sur la carrière prolifique de Daniel Humair avec des illustrations pleine page, des « pages-fenêtre » reproductions soignées de  la palette de l’artiste : on plonge dans la couleur et son « théâtre de formes inventées

à la fois fixes et flottantes.»

Daniel Humair n’est jamais arrivé à choisir entre peinture et musique qu’il a pratiquées parallèlement depuis plus de quarante ans. Cette personnalité gémellaire a équilibré, en les réconciliant, deux passions essentielles. Francis Hofstein, l’un des auteurs, précise pourtant que Daniel Humair ne peint pas le jazz qui d’ailleurs ne se peint pas. Et comment rendre le swing ?

Selon la technique de monotypes, le peintre s’est inventé un vocabulaire formel,  toujours en gestation, avec un côté rustique, faussement maladroit.

Son catalogue de formes en série, abstraites ou réalistes, mais plurielles, résiste à toutes définitions : fourches, marelles, lingots, croix, boîtes… objets étranges qui se déclinent de tableau en tableau. Il effectue des variations à l’infini sur un thème, un travail improvisé qui convient à sa pratique du jazz : une transposition du geste musical en geste pictural, la maîtrise du geste (essentielle chez le batteur) plus que du tracé, selon la « cuisine des hasards », intégrant les accidents de parcours.

« L’image aboutie ne m’intéresse que si elle est le fruit de stades accidentels et créatifs ».

Des formes qui reviennent, obsessionnelles, saisies dans une palette plutôt sombre, qui déborde de ces formes toujours imparfaites, mouvantes. La photo prise au plus près, ne révèle  jamais de la haute pâte, mais une matière fluide au contraire avec les pigments tirés à la brosse. Il met en place des formes avec la tension provoquée dans l’espace. Ces formes perverties sont son alphabet, sa boîte à outils, assez unique !

Ce sont souvent de grands formats sur lesquels il se penche, à même le sol, sans réitérer le geste intiatique de Pollock dans l‘ « Action painting ». Car son style est original, même si d’évidence, Daniel Humair s’est nourri de la peinture contemporaine (avec des attirances bien compréhensibles) pour Cy Twombly, Paul Rebeyrolle, Bram van Velde, le mouvement Cobra et Pierre Alechinsky entre autres…

Une interview, en tous points remarquable, livre les préoccupations esthétiques de Daniel Humair, son credo artistique, sa problématique de peintre : « La peinture ce sont des territoires (déjà) occupés » qu’ il s’évertue à ne pas transgresser.

 

De même que son jeu de batteur ne ressemble à aucun autre, il cherche avant tout à comprendre, puis à éclairer le sens de son travail, de son esprit très analytique : « Il faut apprendre à dessiner consciemment ce que l’on fait inconsciemment ». Personne ne parle mieux de son art musical et pictural, de sa pratique qu’il considère comme artisanale. Sans fausse humilité, il sait décrire la vision d’un homme qui continue à multiplier les échanges, à travailler sans relâche, sachant aussi désapprendre pour se renouveller.

 

A la satisfaction de lire et d’apprendre, s’ajoute le plaisir de feuilleter pour la beauté des images : le format choisi pour le livre met en valeur l’iconographie subtile, sur des supports variés : pochettes de disques, enveloppes, affiches des festivals de Rive de Gier ou de La Seyne, couvertures de Jazz Magazine et bien entendu, photos et planches-contact de tout ce que la « planète jazz » a compté d’important.

Ainsi sont soulignées avec goût les œuvres aux techniques mixtes sur papier, vinyle, aquarelles, après les Néocolor de Caran d’Ache de ses débuts, en alternance avec les textes précis et sensibles d’auteurs, spécialistes de l’histoire de l’art, du jazz  et fins connaisseurs du parcours de Daniel Humair. 

Enfin, comment ne pas apprécier le Cd bonus de Daniel Humair avec ses complices le contrebassiste Bruno Chevillon et le saxophoniste ténor Tony Malaby.

Ainsi, ce beau livre de couleurs et de formes devient aussi objet musical. Formidable !

 SOPHIE CHAMBON

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30 janvier 2011 7 30 /01 /janvier /2011 16:37

 

baru-antediluvien.jpgLe ROCK A BARU : R’N’R antédiluvien 

2 Cd Rock’n Roll et 31 illustrations 2011

Sortie 27 janvier 2011

Co édition BD MUSIC / 9è Art +, organisateur du festival international de la bande dessinée.

BD Music

BD Angoulême

Alors que s’est ouvert le 38ème festival d’Angoulême, du 27 au 30 janvier, saluons la belle initiative du festival et des éditions de BD musicde Bruno Théol qui confie à Baru, président du jury >cette année, donc Grand prix en 2010, la bande-son d’un « hors série » consacré à la BD et au ROCK !

En France, la BD connaît un réel engouementet commence à sortir des définitions couramment admises d’ art populaire, destiné à la détente.Eminemment visible, lisible, le « neuvième art » est intégré au paysage culturel français.

 Baru de son vrai nom, Hervé Baruléa, fils d’un ouvrier métallurgiste italien de Lorraine est entré en Bd en découvrant REISER : « Il m’a décomplexé vis-à-vis du dessin . J’ai commencé en représentant une patate au dessus d’une autre patate, avec des balais à la place des bras ».

Quéquette Blues, son premier album, en 84, en fait un pionnier de la Bd réaliste et sociale. Le dessinateur y glisse parfums et expressions de son époque, souvenirs et musiques. Car il est fou du rock anglophone et de cinéma américain à la Scorsese, ce qui motive cette initiative inattendue et heureuse du R’NR antédiluvien : le rock à BARU.

Ce sont 31 tueries. 50 ans d’âge ; dédiées à toutes les buses qui n’auraient pas encore remarqué que bande dessinée était l’autre nom du rock and roll. 

Coproduits par le festival et BD music, sort un livre-disque et une exposition qui célèbrent les affinités électives entre rock et bande dessinée. 31 auteurs sont au générique, choisis par Baru dans le réservoir des musiques américaines enregistrées avant 1960. C’est dire tout l’intérêt de ce double CD de Rock and Roll Vintage, dont les morceaux sont connus des spécialistes ou « accros » du genre mais souvent inconnus du grand public.

Une œuvre originale autant que pédagogique, de vulgarisation pour découvrir ces groupes américains *(les notices biographiques sont rédigées par un musicien du groupe Bijou, le français Jean William Thoury et traduites en anglais par Martin Davies).

La liste est impressionnante d’autant qu’il s’agit d’entendre des groupes d’une période révolue, d’avant Elvis : connaissiez-vous le rocker chicano Chan Romero, le rockabilly du Johnny Burnette trio, Larry Williams, émule de Little Richard, Screamin ‘Joe Neal dans la tradition des blues shouters, la country de « Rocking baby » d’ Eddie Bond and the Stompers en 1956 sur Mercury, le «Black Cadillac» de Joyce Olivia Green de 1960 sur disque Ramirez ? On va de surprise kitsch en découverte émouvante, mais il ne s’agit pas du tout d’une histoire du rock ou d’un cours magistral, et comme toujours dans les long box de Bd music, on se régale de musique, en la lisant graphiquement : le livret du disque est signé par 31 plumes, dessinateurs qui chacun ont choisi d’illustrer d’un inédit, l’un des titres de cette compil de luxe !

Ainsi ce retour aux cases donne un panorama du neuvième art actuel et francophone avec des pointures comme Frank Margerin, Charles Berbérian, Nicolas de Crécy, Loustal, Florence Cestac, Manu Larcenet, Richard Guérineau (il faudrait les citer tous, pardon…). Ces figures de rock and roll pas vraiment mythiques sont croquées au feeling par les meilleurs spécialistes avec une véritable cohérence thématique si non stylistique : une rengaine à la « Cigarettes, whisky et petites pépées» avec de belles américaines et des guitares électriques. Un parfum pas si éloigné des musiques cousines du blues et du jazz.

C’est notre coup de cœur du moment, absolument épatant ! A écouter et feuilleter très vite dans la présentation élégante et flashy (couleurs qui claquent comme ces chansons) recherchée avec le visuel de chaque pochette originale au format carré de 25 cm .

 

* A l’exception d’une curiosité, illustrée par Prudhomme The Tielman Brothers dans ce « Record Hop » de 1959 sur le label Imperial , des jeunes Néerlandais venus d’Indonésie !

Sophie Chambon

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