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5 septembre 2007 3 05 /09 /septembre /2007 07:10

JJJ Chris Cody Coalition : « Conscript »

Nocturne 2007

 CHC001-RECTO.jpgAvec une intrigante énergie, le disque « Conscript » de ce quartet commence par un suspense, idéal pour ouvrir les hostilités. La « coalition » de Chris Cody fonctionne dès les premières notes comme une machine, bien huilée, dirigée par la « cool-issante » attitude d’un tromboniste au cœur tendre, Glenn Ferris. La présence de la paire d’inséparables rythmiciens donne une impression de déjà-vu, impression bien plus rassurante qu’encombrante. Laurent Robin, fidèle aux cotés de Bruno Rousselet, participe à ce projet de la même façon qu’à tous les autres, c’est-à-dire avec la plus fervente des générosités du moment. Les compositions viennent du pianiste australien, leader du groupe. Laissant place aussi bien aux mesures composés qu’aux poétiques envolées sonores, en passant par un bref regard sur le Jazz et sa culture, et tout cela parfois avec beaucoup d’humour. À la fois baladés et à la fois attendris, à la fois bousculés et à la fois chatouillés. L’esprit de surprise domine. Facile à croire quand on connaît la redoutable malice des protagonistes. La relation entre eux n’est pas seulement fusionnelle, mais elle est en plus une interaction fonctionnelle. Le résultat est un disque soigné, à la prise de son et au mixage excellents. Peut-être un bémol sur le visuel du support cd. Hélas en ces périodes illégitimes de téléchargements abusifs, un effort des musiciens dans le domaine visuel n’est jamais inutile, sans être taxé de carriérisme. Quoiqu’il en soit, on ne s’inclinera jamais assez devant le talent de ces musiciens, qui, pour l’anecdote, se retrouvent chaque année en tant que musiciens-accompagnateurs des candidats au concours d’entrée de la classe de Jazz du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. Ce qui ne fait qu’honorer d’autant plus la richesse de leur groove. C’est un disque extrêmement rythmique, le dandinement des corps est provoqué par le précis touché d’une contrebasse, allant directement à l’essentiel. On sent donc chez lui une grande expérience dans ce genre de contexte. Inutile d’en rajouter pour le vieux briscard Glenn Ferris. C’est chez Chris Cody que la maturité est ressentie différemment. Est-ce dû aux origines lointaines ? Le son personnalisé de ces voicings convoque en permanence la Beauté. Cette esthétique se rapprochant même du son européen. Mais aussi dans ce quartet, à certains moments, le swing revient au galop, profond et pénétrant, avec par-dessus des accords suspendus aux consonances bien afro-américaines. Tout en feeling, c’est un album complet certes, une boîte à idées sûrement. Des idées expérimentées à l’extrême par de férus passionnés, au service de la « session ». Est-ce une erreur que de les citer comme de parfaits « sidemen » ? Non, il s’agit bien là d’un métier : celui de servir la Musique. Il n’y a que du positif à user d’un tel disque, transporté par cette éternelle joie de vivre que nous apporte la Musique de Jazz.

Tristan Loriaut

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5 septembre 2007 3 05 /09 /septembre /2007 07:07

JJJJJean-Paul Celea, François Couturier, Daniel Humair : « Trypic » 

Bee Jazz 2007

Celea.jpg Avec une pochette réalisée d’après un monotype de Daniel Humair, le label Beejazz sort Tryptic, un album qui réunit des maîtres du jazz, trois de nos musiciens actuels, qui comptent parmi les plus expérimentés. Onze compositions, dont quatre versions « jazzifiées » de classiques très connus, une improvisation collective « Instant », mais aussi des thèmes de vieux complices  «Good mood » de Joachim Kühn, « Inki » de Harald Pepl ou encore le « Canticle with response » de John Surman. Un trio qui combine sens du lyrisme, goût et rigueur de l’échange, appétit de nouvelles aventures. Une recherche qui découle du désir de musique qu’ils ont tous, chevillé au corps. Ils continuent à faire durer leur plaisir (et le nôtre), à affiner cette identité jazz, leur passion. Car s’ils se plaisent à « interpréter » Beethoven, Mahler ou Britten, ces trois là jouent surtout leur histoire. Ces citations ou reprises ne peuvent masquer en effet les parfums de leur propre musique, parfaitement agencée, souvent émouvante, emportée parfois, toujours rebondissante.

 Jean-Paul Celea est un contrebassiste sûr et souple, vibrant et ardent, aux nuances multiples. François Couturier soutient l’écoute, la relance même, en exposant au piano les thèmes classiques, comme l’adagietto de la cinquième symphonie de Mahler, [ qui parcourt « Mort à Venise »], mais il a  par ailleurs, toute la fluidité, la fougue d‘un jazz vif et libre.  Daniel Humair s’en donne à cœur joie sur «Ludwig »(en fait, l’allegretto de la 7 ème symphonie de Beethoven), puissant  sans être assourdissant ; d’ailleurs étourdissant par sa capacité à être sur tous les fronts, avec sa frappe sèche et précise, son élocution claire .

Le son est exceptionnel ( La Buissonne), capté comme au plus près, l’interaction entre les instruments est impressionnante : on retiendra aussi la beauté retenue du paradoxal « Good mood » qui s’accorde à la couleur d’ensemble, à la tonalité sombre de l’album, ou  ce « Dramadrome » que DH connaît bien (issu de son Babyboom), joué ici de façon plus discontinue.

Voilà un chant qui vient de loin, du plus intime, sans se priver, dans son énonciation même, des formes de la modernité. Aucune satisfaction passéiste avec ces hommes là qui s’engagent totalement à chaque fois, le métier en aucun cas ne tuant la spontanéité. Et l’on ne peut que féliciter Beejazz d’avoir réuni ces artisans fabuleux pour un premier tableau musical, dont on espère déjà une suite.

Sophie Chambon

www.beejazz.com

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4 août 2007 6 04 /08 /août /2007 08:26

JJJJ CHARLIE MARIANO : «  Silver Blue »

Enja 2007

 mariano.jpg

Un jour que la baronne de Koenigswarter lui demandait quel serait son vœu le plus cher, Mariano dit «  je voudrais avoir le cœur et  la technique de Parker… Mais la technique de Parker, on s’en fiche, non ? Si j’avais le cœur de Bird ça suffirait ! ». Et l’on sait que pendant longtemps Charlie Mariano courut avec son sax alto sur les traces de Bird. On se souvient encore de ses envolées d’oiseau chez Kenton ou dans l’orchestre de Shelly Manne. On se souvient aussi du temps où avec sa femme, la remarquable pianiste et émule de Bud Powell, Toshiko Akioshi, ils pouvaient enflammer les scènes du post-bop. Pourtant Mariano au fil des ans a fait bien d’autres choses et finalement il faut bien le dire, était un peu tombé dans l’oubli. On doit aujourd’hui au trio du pianiste Suisse, Jean Christophe Cholet cette belle idée d’offrir à Charlie Mariano cette occasion de refaire surface.  Et c’est alors un très beau moment de pure nostalgie qui s’offre alors à nous. Avec l’âge, Mariano s’est approché de cette vérité qui n’existe finalement qu’en étant parfaitement soi même. Longtemps adepte de la musique indienne et de la pratique du nagasvaram, instrument sur lequel il savait délivrer un message mystique, Mariano parvient en peu de mots musicaux à insuffler un supplément d’âme aux thèmes les plus simples. Et c’est justement avec cette part d’âme en plus que Mariano revisite les standards. Avec ces phrases un peu traînantes et malheureusement pas toujours juste mais si belles, Mariano livre un moment magnifique de nostalgie douce. L’homme ne court plus après le temps et encore moins après le tempo. N’enchaîne plus en virtuose les triples croches lancées à toute allure. Non Mariano est juste parvenu à cette part de sincérité intime et même s’il lui arrive parfois de jouer un peu « en dehors », il y a chez lui cette façon de faire chanter, de faire pleurer la note lancinante qui n’appartient qu’aux grands. Qui n’appartient qu’à ceux pour qui, jouer des thèmes aussi connus que Prelude to a kiss, My Funny Valentine ou Black orpheus est une façon de dire bien plus que les seules notes qu’ils jouent. Les puristes feront la moue. Ils n’entendront pas ici un grand saxophoniste. Ils entendront juste un sage enfin débarrassé de tout le superflu. Charlie Mariano a peut être trouvé le cœur de Charlie Parker, peut être pas. Mais c’est avec une beauté fragile qu’ici, il nous livre le sien.
Jean-Marc Gelin

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7 juillet 2007 6 07 /07 /juillet /2007 21:49

JJJJ Airelle Besson et Sylvain Rifflet quintet : « Rocking Chair »

Chief Inspector 2007


rocking-20chair.jpg

Si on aime les labels indépendants, on ne peut que suivre, de très près, le travail de  Chief Inspector, né en 2003 de la détermination de Nicolas Netter et Olivier Pelerin. Les musiciens qui participent à l’aventure sont tous jeunes et bien ancrés dans leur époque, on ne sera donc pas du tout surpris de voir la tribu s’agrandir,  d’un nouveau groupe mené par le « couple » Airelle Besson et Sylvain Rifflet que l’on découvrit pour notre part au Tremplin Jazz d’Avignon en 2004.

Un quintette acoustique soutenu, renforcé par le travail sur le son de Gilles Olivesi  qui suit les musiciens en concert, sculptant, prolongeant par des effets dont il a le secret, les textures et  couleurs de chaque instrumentiste.

 Un son spatial,  mais pas nécessairement rock dans  ce tendre « Duo », ou « Eternité ». Du jazz ? Assurément mais pas seulement, croisé d’autres influences (percussif et exotique dans le « Fly away » qui emmène ailleurs ou dans ce « Désert » un peu mélancolique.)

Une douceur quelque peu lunaire, une fluidité qui s’enroule, se déroule, s’étire et pourtant ce  Rocking chair n’incite pas à la paresse pour autant. Ce serait sans compter la belle énergie rock du contrebassiste Eric Jacot et du batteur Nicolas Larmignat  qui interviennent souvent de façon progressive comme sur le final déferlant de  « Tsunami » évidemment.

  Des contrastes forts entre les timbres, des associations  superposées, des strates empilées comme dans ce  « Boo Boo » inaugural, des ruptures de rythme, des échappées fulgurantes. Et pourtant l’album a une réelle cohésion, impulsée peut-être par les soufflants qui maintiennent le cap de leurs compositions.

  Airelle Besson a un phrasé souple et délié à la trompette, délicatement effusif (« Mai-ion »), doucement lyrique dans ses solos ; Sylvain Rifflet, aux saxophones,  l’équilibre, complétmentaire, plus offensif et tranchant (« Wee Wee »). Pourtant, à la clarinette, il a composé un petit thème que l’on repère tout de suite, qui s’insinue et persiste dans la mémoire auditive, contrairement au titre malicieux « Forget it ». Dans l’une et l’autre de ces compositions, le guitariste Pierre Durand accompagne, prolonge, relance l’échange avec grâce.

Une esthétique nouvelle ? Peut être, un climat insolite qui s’installe en tous les cas,  cette musique rassemble- c’est déjà beaucoup-  flirtant entre jazz et rock, électronique et acoustique, évitant le piège des classifications hâtives. Plus complexe qu’il n’y paraît à la première écoute. Et c’est cela que l’on retient… A suivre assurément.

Sophie Chambon

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7 juillet 2007 6 07 /07 /juillet /2007 21:47

JJJJ MICHAEL BRECKER : « Pilgrimage »

Emarcy 2007


brecker.jpg

 
Bien sûr on ne manquera pas de penser que cette ultime réunion entre amis autour de Michael Brecker avec Metheny, Hancock, Meldhau, Pattituci et de Jack de Johnette a un côté tragique et poignant lorsque l’on sait que cette session enregistrée en août 2006 fut la dernière pour le saxophoniste qui se savait déjà condamné et qui disparut 5 mois plus tard. Laissant au passage la scène américaine orpheline de l’un des plus grands jazzman que compte la scène américaine. On pourrait alors se laisser aller à aborder cet album par sa face mélancolique. Mais pourtant une fois passé l’émotion que l’on peut ressentir en regardant les photos de cet enregistrement c’est une toute autre forme d’émotion qui s’installe face à un album de très haut niveau dans lequel le maître mot est paradoxalement l’énergie ! Car malgré l’état d’immense fatigue qui était le sien lorsque cette session fut enregistrée, dès les premières notes Michael Brecker nous entraîne irrésistiblement dans son univers, dans cet espace fusionnel incandescent entre jazz et rock. Cet espace qu’il a su forger et qu’il a contribué tout au long de ces 20 dernières années à porter haut. Car dans cet album à facettes multiples on retrouve parfois le même esprit que celui qui présidait grandes heures de Steps Ahead. Un morceau comme Anagram ou Tumbleweed dans lequel Brecker avec l’aide du re-re passe du ténor à l’EWI semble ressurgir d’une époque où Mike Stern tenait le manche à la place de Metheny. Mais on entend aussi que Brecker est resté à l’écoute des discours jazzistiques post funk si prisé par toute une génération de saxophonistes New Yorkais actuel et qu’il a certainement influencé pour de longues années encore. Car Brecker avec un art compositionnel  incroyable a toujours constitué une forme de synthèse. Mêlant la complexité de la forme à la fluidité du discours, sa musique s’est toujours inscrite à la croisée de bien des chemins. Alors avec une fougue, pas si assagie que cela Michael Brecker joue avec ce son presque déchiré, acide amer, avec cette  façon de jouer du ténor comme d’autres jouent de l’alto, dans un registre très « affûté». Énergie bouillonnante d’un discours ciselé, découpé fin, au millimètre. Outil de précision d’une grande finesse. Atour de ses compositions de très grands musiciens sont venus lui donner la réplique. Si Metheny reste là dans une réserve qui ne lui est pourtant pas naturelle, en revanche Hancock et Meldhau se partagent la piano rivalisant avec discrétion d’inventions subtiles qui apportent un éclairage remarquable à a musique de Brecker. Et puis enfin il y a l’association de Pattituci et de Jack De Johnette qui sonne comme une vraie révélation. De celles que l’on entendra certainement dans d’autres contextes. Une dernière fois Michael Brecker nous transporte ou nous porte, on ne sait pas trop. Élève en tous cas notre sentiment « tripal » pour cette musique à la fois légère et si forte. Michael Brecker s’y affiche là d’une remarquable actualité. Une actualité que l’on sait éternelle.
Jean-Marc Gelin

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7 juillet 2007 6 07 /07 /juillet /2007 21:45

JJJ OLIVIER CALMEL: “EMPREINTES”

Musica Guild 2007

 


empreintes-small.jpg

Lorsque nous avons reçu cet album on avait encore en tête le précédent et premier album d’Olivier Calmel (Mafate) qui nous avait alors totalement conquis par sa capacité à nous faire voyager. Qu’est ce qui fait que ce deuxième opus se révèle à la fois incroyablement plus riche mais en même temps un peu moins emballant.

Olivier Calmel a fait visiblement un gros travail d’écriture sur cet album où il semble privilégier les frottements harmoniques et les ruptures dans un ensemble de petites pièces plus ou moins courtes où la ligne mélodique se révèle moins. Et malgré tout, tout se passe comme si l’écriture prenait le pas sur l’improvisation et le cadre formel sur l’improvisation (même si une écoute attentive montre que ce n’est pas le cas). Une maîtrise qui ne cède pas au lâcher prise.

Et pourtant cet album diablement intéressant est surtout particulièrement riche et se situe dan une sorte d’entre deux. En effet alors que Frederic Eymard ( jeune violoniste alto soutenu par Didier Lockwood) semble tirer vers le classique, Olivier Calmel lui, tire de son côté vers le jazz dans une exercice qui relève parfois de la rencontre et parfois de l’opposition frontale. D’Humeur changeante ou Epistrophe sont deux morceaux qui à ce titre illustrent bien ce sens des contrastes. On retrouve bien sûr avec Olivier Calmel les inspirations liées au voyage. Travelling Mafate poursuit le travail engagé précédemment du côté de la musique flamenco et  Le Hongrois Déraille s’embarque vers l’Europe de l’Est. Mais il y a là d’autres inspirations beaucoup plus cinématographique ou littéraires où à la manière d’un Darius Milhaud, Olivier Calmel nous conte quelques histoires (Trois messes basses, Préludes des cinq Rameaux). Ces histoires sont parfois trop brèves pour ne pas générer quelques frustrations comme ce Au Lever que l’on aurait tant aimé entendre se poursuivre.

C’est qu’avec Empreintes, Olivier Calmel poursuit un travail commencé il y a déjà quelques années. Soucieux de gagner ses galons bien mérités de compositeur, le pianiste pourtant épaulé d’une admirable rythmique (dont le très grand Jannuska !) semble constamment se brider. Pourtant cela ne fait aucun doute, le salut vient de cette lumière qui semble jaillir au bout de ses doigts de pianiste et qu’il réfrène, à notre sens un peu trop souvent. Lorsque en fin d’album, Olivier Calmel parvient à se lâcher totalement (au risque, dans l’emballement de paraphraser lourdement la référence à My favorite Thing), on sent qu’il y  là une ouverture, une sorte de respiration salutaire. Une voie dans laquelle il hésite pourtant encore à s’engouffrer mais que avec impatience nous attendons pour le prochain album de ce jeune pianiste si talentueux.

Jean-Marc Gelin

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7 juillet 2007 6 07 /07 /juillet /2007 21:43

JJJJ(J) BILL CHARLAP : « live at the Village Vanguard »

Blue Note 2007

charlap.jpgIl y a dans le jeu du pianiste américain Bill Charlap quelque chose qui tient d’une immense délicatesse. Enregistré en live à l’occasion des 70 ans du Village Vanguard, le pianiste y revisite le territoire des standards de jazz de Autumn in New York à It’s only a paper moon en passant par The Lady is a tramp  ou Rocker de Mulligan et même pour le plus récent un All across the City de Jim Hall. En trio classique, accompagné des frères Washington ( Peter et Kenny) à la basse- batterie, Bill Charlap ne s’éloigne jamais vraiment des terrains bien balisés d’une interprétation classique des thèmes classiques. Mais sous les doigts de Bill Charlap, ces interprétations n’en deviennent pas moins de vrais modèles. Et l’on comprend vite en l’écoutant ce qui fait la différence, ce qui crée un monde entier entre deux pianistes dont l’un est un tout grand. Car il y a là une vraie leçon de chose, une approche d’une incroyable finesse. Celle d’un piano qui se révèle caressant avec cette légèreté qu’ont les amants dans l’art des préliminaires sensuels. Une façon de susurrer, de murmurer, de faire frissonner, de faire courir un souffle léger sur l’épiderme avec autant de sous entendus que de passion retenue. Alors dans ce discours amoureux et avec un sens inouï de la respiration (rythmique) Bill Charlap développe son jeu, dit, retient, ne dit pas, dit quand même, s’enflamme avec tact et élégance. Jamais grossier Bill mais toujours gourmand comme en témoigne ce Lady is a Tramp joué ni devant, ni derrière, juste dans le tempo avec  ce qu’il faut de discrète coquinerie. Alors que le coup d’avant dans Autumn in New York il nous avait promené (réellement je vous assure) quelque part entre Central Park et Soho. Non seulement la rythmique de cet album est irréprochable mais elle est incroyablement en phase avec le discours du pianiste. Magie d’un trio où les frissonnements du jeu de balai de Kenny Washington semblent répondre aux murmures de Charlap. Du grand art ! Ecoutez cette version toute en retenue (monumentale) de It’s Only a paper moon ou cette interprétation grandissime et émouvante de All across the city à tomber par terre et une conclusion en extase sur Last Night when we were young standard sublime et trop rarement joué.  En tous points cet album est une vraie mer veille. Il m’est arrivé parfois de penser à Hampton Hawes dans cet album, puis ensuite à Oscar Peterson ou à Phineas Newborn. Mais en réalité on s’en fiche un peu. Car  ce que l’on entend là c’est une histoire du piano jazz qui vient de très loin. Quand le jazz parle à l’âme et s’installe sous la peau. Body and soul.

Jean-Marc Gelin

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7 juillet 2007 6 07 /07 /juillet /2007 21:41

JJJJJ JACQUES COURSIL : « Clameurs »

Universal 2007

 

coursil.jpgEn 1969, il y a 38 ans, Jacques Coursil, alors trompettiste virtuose de la scène free-jazz, compagnon de Sunny Murray, d’Antony Braxton, d’Albert Ayler, de Frank Wright, se retire discrètement de la scène après l’enregistrement de son deuxième album, The way ahead, pour se consacrer à la linguistique, qu’il enseignera à Caen et aux Antilles avant de partir à l’université Cornell aux États-unis. En 2005, à la demande d’un de ses anciens élèves de Cornell, un certain John Zorn, qui l’accueille sur son label Tzadik, il rejoue enfin de la trompette en public et enregistre son troisième album, Minimal Brass. Il a passé dit-il ses trente dernières années à démanteler la trompette, à supprimer de son jeu toutes les affèteries, à travailler inlassablement son instrument, pour ne conserver que le souffle continu. Less is more…ne peut-on que se dire à l’écoute de ce sublime album. Avec Clameurs, Jacques Coursil appelle avec les mots du poète martiniquais Franz Fanon au refus du « «meurtre de ce qui a de plus humain dans l’humain, la liberté ! […] Je demande que l’on me considère à partir de mon désir […] Exister absolument ! » Né en 1939 à Paris, Jacques Coursil ne découvre sa terre d’origine martiniquaise qu’à 40 ans. C’est une terre de brassage culturel, de passage, de lumière, de chaos, de labeur, de blessures, de révoltes mais surtout de cris étouffés. « Le cri de l’esclave, de l’opprimé, s’étouffe dans sa gorge. S’il crie, on le bat, il est mort –le cri à pleine voix est le privilège de l’homme libre. Dans la langue des poètes, le cri noué se mue en écrit », explique Jacques Coursil dans le livret qui accompagne son nouvel album. Son projet ici est à la fois politique, musical et linguistique et se décline en « 4 oratorios pour trompettes et voix ». Coursil rend hommage dans leur langue (français, créole, arabe),  à quatre poètes du cri : Franz Fanon, le révolutionnaire martiniquais mort en Algérie en pleine révolution, Monchoachi et Edouard Glissant, poètes martiniquais contemporains et Antar, poète pré-islamique réduit à la servitude, fils d’une esclave éthiopienne et d’un arabe (« Ignorants, ils blâment le noir de ma peau. Or sans noir, l’aube ne parait [pas] dans la nuit »). Ni violence ni provocation dans leurs cris toutefois, simplement la parole mise à nu pour dire les déchirures de l’histoire et proclamer, envers et contre tous,  la liberté de l’homme, le refus de tout asservissement. «Le malheur du nègre est d’avoir été esclave. Mais je ne suis pas esclave de l’esclavage qui déshumanisa mes pères. Je suis homme et c’est tout le passé du monde que j’ai à reprendre –la guerre du Péloponnèse est aussi mienne que la découverte de la boussole…Ô mon corps, fais de moi toujours un homme qui interroge ! ». Grâce au re-recording ce n’est pas une trompette mais un chœur de trompettes, toutes jouées par Coursil qui répondent à cette ode de l’homme debout. Les trompettes s’entremêlent, s’entrechoquent, entrent en conversation dans des combinaisons circulaires, concentriques et répétitives. Le son de Coursil est d’une pureté exceptionnelle. Son jeu est à la fois intense et dépouillé et l’alchimie avec Alex Bernard à la contrebasse et Mino Cinelu est parfaite.   « Je demande que l’on me considère à partir de mon désir », c’est ainsi que Coursil conclut cet album-ovni !

Régine Coqueran

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7 juillet 2007 6 07 /07 /juillet /2007 21:40

JJJJ KURT ELLING : « Nightmoves »

Concord Jazz 2007

 

elling-nightmoveslg.jpg C’est le premier album de Kurt Elling sous le label Concord Jazz. Tous les autres avaient été signés sous celui de Blue Note et on se souvient encore de quelques galettes magnifiques comme Man in the Air (2003) ou This time it’s love (1998). Celle-ci ne l’est pas moins et disons le tout net, Kurt Elling grave là l’un de ses plus beaux enregistrements. Certes Kurt Elling ne compose pas, n’écrit pas, n’arrange pas c’est juste un chanteur de jazz. Mais quel chanteur ! Alors que d’autres s’amusent comme des gamins à jouer (certes avec  talent) les nouveaux crooners prompts à surajouter dans les effets vocaux, Kurt Elling montre au contraire une immense classe dans sa façon de chanter simplement, avec cet art du swing qui lui semble collé à la peau. C’est bien simple même dans les tempos très lents il swingue. Et même lorsqu’il s’arrête de chanter, il swingue encore ! C’est si naturel chez Elling. Entre Sinatra en moins crooner et parfois Jon Hendricks en plus calme ! Car Kurt Elling est le prolongement de cette catégorie de chanteurs qui va de Mark Murphy ( référence évidente) à Harry Connick. Avec cette voix de baryton posée dans le médium, il sidère par ses « graves » venus sans ténèbre de lointaines profondeurs. Écoutez  le dans Change Partners où l’on entend mêlés Irving Berlin et Carlos Jobim. Ici Kurt Elling s’aventure, à sa façon sur le terrain du Brésil. Mais toujours avec ce phrasé, ce balancement capable de tenir la note tout en la laissant retomber. Sur Where are you my love, il intègre un quatuor à cordes et s’inspire d’un chorus de Dexter Gordon (celui de l’album « Go »). Et dans ces incursions il y a toujours chez Elling une sorte de travail sur le son. Sur And We Will fly il cherche à travailler un registre un peu pus haut mais y perd cependant en intensité. Ce n’est pas vraiment sa tessiture. Et pourtant, juste après dans un duo avec le contrebassiste Rob Amster, tout en restant plus haut perché il continue à séduire. C’est qu’il y a dans cette expression de Kurt Elling des thèmes récurrents, une sorte d’exaltation poétique de la vie, de l’amour et de l’espoir du jour naissant. Au-delà de la perpétuation des leçons de ses maîtres, Kurt Elling semble engagé dans une véritable recherche esthétique qui au-delà du chant visite les textes (un beau poème de Théodore Roethke) et les détours mélodiques difficiles. Écoutez ce Leaving again couplé à In the Wee small hours, vous n’en sortirez pas tout à fait intact. Car Elling s’y montre romantique sans effusion juste avec l’art d’un chant simple mais terriblement efficace. Comme toujours less is more. Cet album créé une émotion de bout en bout depuis le swing qui s’empare de tout votre corps jusqu’à la chanson plus romantique. Kurt Elling peut alors vous mener au gré des morceaux de la joie du groove aux larmes effleurées. Et puis, accompagné de remarquables musiciens comme le saxophoniste Bob Mintzer, le contrebassiste Christian Mc bride et surtout son pianiste attitré Laurence Hobgood, Kurt Elling ne cesse de nous réserver des surprises. En fin d’album il revisite totalement Body and Soul rebaptisé pour l’occasion New Body and soul dans une ambiance très jazz club. On pourra certes faire le reproche de terminer sur un morceau qui n’évite pas les pièges de la production américaine un peu kitsh. Kurt Elling est un chanteur rare et d’une classe incroyable. Qu’il garde cette âme intacte et surtout qu’il évite d’abuser de cette classe et de l’émotion qu’elle suscite sans quoi il pourrait se perdre dans les méandres d’un mauvais gôut que aujourd’hui avec génie il parvient toujours à éviter.

Jean-Marc Gelin

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7 juillet 2007 6 07 /07 /juillet /2007 21:38

JJJJ Jean Marc Foltz, Stephan Oliva, Bruno Chevillon

« Soffio di Scelsi »

Harmonia mundi  2007

 

Philippe Ghielmetti (Illusionsmusic)  et le studio La Buissonne  peuvent se vanter d’être de formidables « porteurs de projet » : ils sortent en cette fin de mois de juin un album étrange, qui a tout d’un specimen, futur « collector » peut-être ! C’est qu’ils ont encouragé l’enregistrement d’un projet étonnant, déconcertant même pour qui n’est pas familier avec le  travail du compositeur italien, Giacinto Scelsi, mort en 1988.

Les puristes  ne seront pas satisfaits : ce n’est pas à proprement parler du contemporain (le trio ne JOUE pas du Scelsi) et encore moins du jazz, au sens de swing et cha-ba-da. Mais la question ne devrait même plus se poser, puisque ce Soffio di Scelsi qui porte admirablement son titre, flirte avec les marges, soulignant le rapport plus qu’étroit entre musiques improvisées et contemporaines.

 Scelsi touche en plein centre le musicien qui improvise ; c’est à l’intérieur du son que naît sa musique’, avoue Jean Marc Foltz, qui, encore clarinettiste au sein de l’Intercontemporain,

a découvert puis joué dès 1992, la musique du compositeur italien. Jusqu’à son dernier souffle,  Scelsi a cherché à transposer dans une démarche visionnaire, l’univers en sons, qu’il

voyait même colorés en jaune et rose.

Le trio, constitué de Stephan Oliva  au piano, Bruno Chevillon à la contrebasse et Jean-Marc Foltz aux clarinettes, est idéal pour interpréter librement et poétiquement une suite de quatorze petites pièces, incluant, dans le Sogno XIII, des citations originales, dites par Bruno Chevillon,  pour éclairer cette vision « cosmologique » ? de « rythmes profonds surgissant du dynamisme vital ».

L’écoute de cet ensemble si peu académique, suppose donc un engagement complice :  le souvenir de la création au théâtre de la Minoterie, en mai 2005, à Marseille, puis une seconde version , toujours la même année,  au Bordeaux Jazz festival cette fois, confirme tout l’intérêt de cette réinterprétation par un trio de musiciens chevronnés.

La prise de son est essentielle dans un tel projet : le « quatrième homme », Gérard de Haro, le maître de la Buissonne, était tout indiqué pour capter cette aventure, car non seulement il connaît ces musiciens, mais il sait aussi anticiper leurs désirs, et les guider de sa parfaite connaissance du son.

Cet album se découvre lentement au fil d’une traversée initiatique, d’une plongée au cœur du son et de la musique des sphères. Une musique de rêve éveillé, où résonnent des accords mystérieux et troublants, des sonorités étrangères à nos perceptions ordinaires. De climats nettement percussifs  en moments de plus intense méditation, on se laisse guider par une musique sans nostalgie, ouverte au monde.  Un album à recommander fortement.

Sophie Chambon

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