LEM 2015
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Naïve 2015
Stéphane Belmondo ( tp, bgl) ; Jesse Van Ruller (g), Thomas Bramerie (cb), Amin Bouker (vc sur Blame it on my youth)
Après le superbe hommage à Chet Baker rendu en début d'année par Riccardo
del fra, c'est une autre marque d'amitié profonde dont témoigne trompettiste toulonnais Stéphane Belmondo qui fut longtemps un de ses proches. Assez proche en tous cas pour que son aîné le prenne un peu sous son aile ou plus exactement lui en donne des sacrées pour qu’il suive son propre chemin.
On le sait Stéphane Belmondo, incontournable jazzmen de la scène hexagonale se nourrit de rencontres très fortes. De belles personnes comme récemment Yusef Lateef ou encore le pianiste Kirk Lightsey.
Cet hommage à celui dont il fut très proche cet hommage, Belmondo l'a voulu intime, voire intimiste, dans une formation restreinte, en trio avec le contrebassiste de toujours (Thomas Bramerie) et un magnifique guitariste Jesse Van Ruller. Un peu dans la lignée de ce superbe album que Chet avait signé avec Philippe Catherine ( « Strollin’ » notamment dont Belmondo reprend le love for sale).
Ici l'osmose des trois musiciens est totale, portée par une parfaite compréhension de la mélodie dont jamais ils ne cherchent le plagiat mais qu'ils comprennent avec beaucoup de finesse et de tendresse. La marque de Chet, ici prégnante c'est la capacité de Belmondo à mettre en valeur les lignes mélodiques au travers de ses impros un peu à la manière des chansons. Alors, jamais Belmondo ne donne dans le pathos ou dans l'emphase dramatique. On est plutôt au coeur d'une sorte de jam entre trois musiciens de grand talent qui mettent leur coeur sur la table. Tous les trois ensemble.
On ne s'en lasse pas.
Jean-marc Gelin
Impulse 2015
NDR : Attention cet album ne ressemble pas à grand chose de ce que vous avez pu entendre jusqu’à présent.
Snarky Puppy ( litt. : « le chiot narquois ») est un collectif créé en 2004 par le bassiste américain Michael League. Véritable OVNI dans le paysage sage du jazz, le groupe de Brooklyn est un ensemble musical indépendant qui se joue des codes et des frontières, des instrumentums autant que des barrières stylistiques. Ce groupe d’artistes indépendants à géométrie variable, ne cesse album après album de fasciner par son art de se jouer des sons du jazz et de la funk avec un sens de l’écriture particulièrement exigeant et pourtant assez jubilatoire. Elu plusieurs fois meilleur groupe de l’année ( en 2008,2009 et 2010) le groupe de Michael League ne cesse de surprendre son monde qui aimerait bien le ranger dans une case, oui mais fichtre, dans laquelle ?
Le nouvel album, enregistré en live avec le célèbre Metropol Orkest ( aujourd’hui dirigé par Jules Buckley) est dédié à la forêt ( d’où son titre , Sylva) , que Michael League décrit comme « un endroit à la fois innocent, effrayant, inspirant, impénétrable, fragile, stoïque, révélateur, un abri, un labyrinthe, un temple, une tombe, un sanctuaire, un parlement, un prison ». De quoi inspirer l’écriture très créatrice du bassiste qui, effectivement donne un certaine dimension protéiforme à son projet soutenu parfois par les cordes de l’orchestre néérlandais. Objet curieux, cet album évolue entre jazz funky, fanfare, popo et classique et instaure parfois des climats très forts à l'image de ce Curtain très émouvant certainement la pièce maîtresse de l'album avec une ouverture à cordes très Malherienne avant que des tambours plus lourds et plus rock n'envahissent l'espace. Les morceaux à tiroirs évoluent alors dans le temps et l’espace musical saisissant au vol de constants revirements de systèmes. 2 claviers ( l’orgue de Cory Henry, assez génial ici et le fender de Justin Stanton) se partagent un groove aussi fort que subtil s’appuyant juste lorsque la dramaturgie l’impose, sur un tapis de corde qui ne vient pas casser le groove mais au contraire le porter autrement.
C’est que la musique de Snarky y est conçue de manière symphonique comme une sorte d’opéra rock ( Gretel) où la masse orchestrale du Métropole prend toute son ampleur. Lorsque l’on entend une composition comme Sintra qui s’appuie sur l’écrin
des arrangements pour cordes on pense à la liberté que pouvait avoir un Charlie Haden lorsqu’il racontait avec Carla Bley et son Liberation Music Orchestra une musique à grande ampleur narrative.
En fait toutes les références des grandes écritures du jazz et de la pop avec un grand zest de classique se mêlent ici et les références se bousculent alors pour un musicien qui démontre ici l’étendue et la richesse d’une culture musicale foisonnantes
Pour ceux qui n’étaient pas au concert de Snarky Puppy le 7 mai Paris o le 8 à Coutances, il est urgent de se procurer cet album comme le témoignage éclatant d’une musique en mouvement.
Fascinant
Jean-Marc Gelin
Jazz & People 2015
Leïla Olivesi (p, vc), David Binney (as), Manu Codjia (g), Yoni Zelnik (cb), David Kontomanou (dms)
L’âge d’or du Jazz
Coffret de 5 CD. Jazz Magazine-Jazzman- Wagram Music. Réalisation, Lionel Eskenazi
Tout comme la langue d’Esope, la compilation peut être soit la meilleure soit la pire des choses. Dans cette dernière catégorie (que nos lecteurs naturellement fuient) figurent les reprises d’enregistrements-pirate, de qualité sonore déplorable, sans indications discographiques. Le coffret signé par un ex-collaborateur des DNJ, Lionel Eskenazi appartient (on s’en serait douté vus les états de service d’icelui auteur des deux précédents coffrets annuels pour Jazz Magazine ) à la première.
Nous avons ici affaire à une sélection ciblée dans le temps, 1954-1962, intitulée sobrement « L’âge d’or du jazz ». Le choix de la date initiale a été opéré spécialement pour correspondre au lancement de Jazz Magazine par Frank Tenot et Daniel Filipacchi et accompagner les 60 ans du magazine-référence. Pour ceux qui aimaient le jazz à l’époque –parmi lesquels l’auteur de ces lignes- ces 100 titres rappellent une période foisonnante, où le hard bop voisinait avec le third stream et, au tout début des années 60, le free jazz. En cinq heures d’écoute, on retrouve les titres-phare de l’émission-culte quotidienne de Daniel et Frank.
Pour les jeunes générations, le réalisateur justifie son appartenance à l’Académie du Jazz par l’œcuménisme de ses choix. De Benny Goodman à Cecil Taylor, de Charlie Parker au MJQ, de Jimmy Giuffre à John Coltrane, de Nat King Cole à Nina Simone, de Lester Young à Ornette Coleman, d’Oscar Peterson à René Urtreger, d’Erroll Garner à Martial Solal… on pourrait allonger à l’envi l’exercice. Présentés de manière chronologique- ce qui permet de voir que Duke Ellington a gravé en dix jours en septembre 1962 un album en trio avec Max Roach et Charles Mingus – Money Jungle dont est extrait ici Fleurette Africaine, et une rencontre avec John Coltrane, présentée avec In a Sentimental Mood- ces 100 morceaux offrent un panorama aussi varié que surprenant. Et l’écoute en continu permet ainsi de passer pour l’année 59 d’Anita O’Day à Bud Powell, Tina Brooks, Bobby Timmons et Sun Ra. Sacré grand écart !
Evidemment, toute sélection présente ses limites, ne serait-ce que par les contraintes techniques imposées (difficile d’aller au-delà de 70 minutes par album). Pourquoi avoir écarté untel ? On peut deviser à l’infini. Laissons ce débat aux ayatollahs aigris ! Et plongeons dans ce bain de jouvence des années 50-60 sans nostalgie ni regret.
Jean-Louis Lemarchand
Jazz Magazine Jazzman présente : "L'âge D'or Du Jazz"
Il y a 60 ans, le 1er décembre 1954, paraissait dans les kiosques le premier magazine français dédié au jazz : Jazz Magazine. Pour célébrer cet anniversaire, le mensuel propose un coffret de ...
http://www.fipradio.fr/decouvrir/album-jazz/jazz-magazine-jazzman-presente-l-age-d-or-du-jazz-15741
Intuition Music
1 CD+ 1 DVD
Quel plus bel hommage pour les 80 ans du pianiste sud-africain Abullah Ibrahim !
Un choc !
Le label allemand Intuition a profité d’un concert en solo donné en Sicile en juin 2014 pour en graver à la fois sa captation mais aussi pour réaliser une magnifique interview filmée qui fait l’objet d’un DVD.
A l’aube de ses 80 ans Abdullah Ibrahim dégage une sorte de force tranquille et une sérénité que seuls quelques vieux sages dans ce monde agité peuvent transmettre. Lorsqu’il joue c’est comme si cette sagesse millénaire tombait sur vous et vous enveloppait. Chacune des notes du pianiste est en effet empreinte d’une exceptionnelle profondeur, d’une gravité qui va chercher au cœur même de l’essentiel. Qui va puiser au cœur de la vie, des hommes et de Dieu certainement.
Il y a bien sûr, comme souvent dans l’exercice du piano solo, une sorte d’introspection. Mais avec Abdullah Ibrahim elle prend la forme d’une sagesse chamanique. Une façon d’arrêter le temps. La musique d’Abdullah Ibrahim est méditative et si émouvante lorsqu’elle jette ce regard sur lui-même et sur ses propres racines. Le pianiste dit beaucoup, digresse autour d'une immense improvisation. On y entend parfois Ravel et Debussy, parfois Monk ou la religiosité de Coltrane dans ses réflexions et dans son cheminement. C’est que, comme chez le saxophoniste, il y a dans sa musique venue des township et du jazz d’Ellington une part de religiosité, de gospel et de profondeur croyante. Ce sont parfois comme des chants d’église qui s’élèvent vers le ciel.
La musique d’Abdullah Ibrahim se trouve ici au sommet de l’art du pianiste. Cette musique qui ouvre en chacun les portes d’une méditation profonde. La quintessence du piano solo.
Puis suit un documentaire tourné au même moment qu’avait lieu de concert. Documentaire magnifiquement réalisé où le pianiste y raconte l’histoire de ces chansons qu’il a composées. C’est magique comme lorsque, avec générosité il nous fait entrer dans l’intimité de ses compositions, comme lorsqu’il parle d’Aspen et de son imaginaire qui prend forme en musique. Et cette émotion qui surgit lorsqu’il parle de l’amour et de Blue Bolero dédié à la femme de sa vie. Il y raconte aussi avec tendresse ses influences sur la musique de Cap Town, l’apartheid, l’exil et l’incroyable pouvoir politique que sa musique a pu avoir sur tout un peuple en lutte (Mannenberg). Derrière l’apparente simplicité de ses mélodies, il évoque sans fausse modestie la complexité de ses structures musicales et parle de « la profondeur de la simplicité. ». Cette interview que l’on aurait voulu prolonger se poursuit par un extrait de ce concert solo du 26 juin 2014 au Fazioli Concert Hall, magnifiquement filmé au cœur du processus de l’improvisation comme rarement capté par l’écran.
On sort de là, le cœur et l’âme chavirée, persuadé d’avoir rencontré un être sublime, sorte de chamane magnifique dont chacune des phrases et chacun des sourires peuvent apporter un supplément de paix et d’amour.
C’est tout simplement bouleversant.
Jean-Marc Gelin
Les Dernières Nouvelles du Jazz