La semaine dernière, j’ai commencé à lire POUR JOHN CASSAVETES de Maurice DARMON (Le Temps qu’il fait ) et j’ai sursauté, en lisant cette phrase où l’auteur résume le cinéma à une histoire de portes qui s’ouvrent et se referment.
Lubitsch savait remarquablement utiliser les portes dans ses films…
Et puis, j‘ai repensé au générique extraordinaire de cette émission des années quatre vingt, qui s’appelait Cinéma, Cinémas. Les noms de Michel Boujut, Anne Andreu et Claude Ventura apparaissaient en rouge sang, dans cette évocation de films mythiques peints par Guy Peellaert à la manière des tableaux d’Edward Hopper que l’on commençait à voir reproduits en carte postale, en poster, sur la couverture des livres 10/18 de Christian Bourgois .
Je ne regardais pas particulièrement le travelling de l’ homme en imperméable, coiffé d’un feutre qui ouvrait et refermait les portes d’un long couloir - il s’agissait d’un extrait d’Alphavillede JLG (Jean Luc Godard)- mais la musique me faisait déjà chavirer d’un bonheur douloureux , nostalgique: c’était celle d’un certain Frank Waxman pour un de mes films culte A place in the sun de George Stevens avec Elizabeth Taylor et Montgomery Clift.
Commençait alors le magazine de cinéma le plus baroque, le plus surréaliste avec des interviews « cadavres exquis » de Pascale Ogier ou de Dominique Sanda, des reportages de Cassavetes tournant Love streams chez lui, avec sa femme Gena Rowlands, une interview extraordinaire de Peter Falk ou de Ben Gazzara évoquant New York, sa ville natale …
On prenait le temps d’écouter les auteurs, de décortiquer certains plans, de revoir des bouts de pellicules et des images d’archives en noir et blanc… avec cette façon très particulière d’envisager le cinéma de la grande époque, celle des studios en écoutant les confidences de Sterling Hayden, Jane Mansfield, Jack Lemmon pour « Somelike it hot », de Robert Mitchum inimitable, évoquant le tournage avec Charles Laughton de The night hunter…
Il y avait aussi ces petits bijoux, des petites fictions recréant un tournage de Louise Brooks en plein désert en 1928, ou la vie de John Fante en repassant ses photos de famille, un véritable thriller où Philippe Garnier devenait le détective « A la recherche de David Goodis ».
Tous ces anciens qui n’en finissaient pas d’arpenter leurs boulevards du crépuscule …
Oui, vraiment , retrouver ces émissions.
J’ai ressorti alors la vidéo enregistrée à l’époque, puis le DVD envoyé par JPL (Jean Pierre Lion), série de douze épisodes des meilleures séquences de l’émission que Jean Pierre Jeunet avait ressorti à la manière d’un feuilleton, sur France 4, en 2008 .
Cinéma, Cinémas était une émission formidable qui figure aux côtés d’ Au cinéma ce soir d’Armand Panigel, qui animait les jeudis soirs de mon enfance .
Je ne me doutais pas encore, à l’époque que Michel Boujut aimait aussi le jazz et écrivait dans Jazz Magazine.
Aussi, je ne me livrerai pas à l’exercice de style de la notice nécrologique. D’autres s’en chargent déjà, je suppose.
Les musiciens de jazz ne fabriquent que de l’instantané : pour survivre, chaque seconde doit inventer la suivante. Ils se citent fréquemment et c’est un jeu frustrant que de relever ces références, ou de devoir les laisser passer.
Il en va de même au cinéma…La musique comme le cinéma se consomme un peu comme une drogue, on en devient vite dépendant. Et on ne choisit pas au hasard ces personnages tragiquement exposés sur l’écran . La jazz qui nous intéresse est alors une inépuisable source de fictions.
Avec l’évocation d’un musicien, d’une photo, d’un film, d’un chorus, commence une histoire…
Le cinéma n’est plus un métier, ni même un passe-temps, mais une façon d’être au monde.
Sophie Chambon