"Sweet Raws Suite, Etcetera" - Live at Sevran
Concert : Jeudi 28 octobre au Studio de l’Ermitage (Paris 20ème)
Abalone productions/Musea
Produit par Bruno Angelini et la ville de Sevran
Producteur exécutif : Régis Huby
Décidément Bruno Angelini est un de ces pianistes rares qui forcent l’attention, et un compositeur sensible. Sa musique laisse des traces indélébiles : avec cette histoire imaginée, Sweet Raws Suite, Etcetera, c’est une autre écriture qui s’impose, tournée vers le réel, engagée au meilleur sens du terme : cela veut dire qu’elle sonne juste, avec puissance et lyrisme, sans pathos, mais avec ce sens de la réalité qui est aussi un prolongement du jazz d’aujourd’hui. Avec une construction dramatique et une tension qui ne retombe guère, l’argument, simple et fort, pourrait ne pas être connu, la musique l’emporterait assurément par la conviction, le frémissement, l’indignation* qui la parcourt . Mais donnons-le tout de même : il s‘agit de l’histoire de Raws, personnage imaginaire, qui après avoir combattu lors de la seconde guerre mondiale, a participé à la reconstruction de la société, avant de se retrouver balloté dans la tourmente économique actuelle, entre ultralibéralisme et exclusion, « opulence and starvation ». Un propos nécessaire donc, sous-tendu par une musique qui réveille et déclenche une réaction immédiate, passionnée.
Emouvant, nous l’avons dit et le fait que Bruno Angelini ait fait ses classes dans la Bill Evans Academy, avant d’en être aujourd’hui un des enseignants, n’est pas pour nous déplaire…S’il a su s’éloigner de cette lourde hérédité, il avoue lui même que c’est « l’interplay » qui le fascine chez le pianiste américain.
Ses généreux complices forment un trio fraternel. Quand ils improvisent, leur jeu a l’éclat et la fluidité du chant, la vérité et la vitalité du cri. Une mélancolie sourde traverse l’album, dans l’ouverture et le final de cette suite, chant éploré et saisissant de Sébastien Texier, au saxophone. Ce thème pourrait accompagner le film d’une vie, car les traits musicaux dessinent les contours, composent le portrait de Raws. Nous parions volontiers que ce motif désespéré, qui va crescendo, restera dans nos mémoires.
Mais résonne aussi dans tout l’album, un air de liberté teinté de romantisme, avec des sursauts de révolte que la musique illustre parfaitement. Dans « Wars », le rythme s’emballe soudain, une folie meurtrière gagne, les sens sont exacerbés. Plus percussionniste que batteur dans son « drumming » ambivalent, Ramon Lopez joue à l’envie des timbres et rythmes qu’il alterne, superpose, distribue !
La triangulaire classique piano-saxophone alto/clarinettes- batterie impose trois voix qui s’écoutent et se répondent en des interventions nerveuses, longues et exaltantes, avec des commentaires riches qui entretiennent et relancent l’intrigue ( « Neo capitalism : happy tomorrows for Raws ?»)
Une musique sombre et pourtant lumineuse, qui arrive à se renouveller tout au long de l’album, ménageant l’alternance de climats, d’une douce violence à une rage plus inquiétante. D’évidence, voilà un trio de musiciens formidables qui envoûtent tout en incitant à la résistance. On marche à fond ! Alors, procurez-vous vite ce « live à Sevran » et allez écouter Sweet Raws Suite… s’il passe près de chez vous !
Sophie Chambon
* Indignation
Comme le formidable roman de Philippe Roth qui vient de sortir en France…Percutant et indispensable aujourd’hui !