La suite des aventures d'une chanteuse qui cultive la singularité : chanteuse de jazz, assurément ; chanteuse à texte, aussi ; compositrice-auteure enfin, qui confie la réalisation de l'album au musicien-producteur Michael Leonhart. Le disque expose mille facettes d'un univers où chanson jazz et chanson française se télescopent, avec des écarts bienvenus, presque disco, des fantaisies inclassables, de sombres mélancolies et des éclats mutins. Beaucoup de français, un peu d'anglais, et pour conclure un version portugaise de la chanson qui ouvre l'album. Jacky Terrasson en partenaire limpide sur quelques plages, des arrangements bien gras sur les rares titres qui le requièrent par leur style : bref tous les ingrédients bien choisis selon les climats, avec même, quand il le faut, une bouffée de country music. Quelques beaux textes, beaucoup de charme, et au total bien des raisons d'aimer ce disque, sans préjuger de la paroisse à laquelle appartiennent l'auditeur comme l'artiste. Fédérateur ? Je dirai plutôt sincère, et bien vu. Je sens bien qu'un ou deux censeurs de l'orthodoxie vont s'étrangler : qu'on ne compte pas sur moi pour leur tendre le verre d'eau salvateur....
Il grandit à Albuquerque (Nouveau Mexique), où il étudie la musique et l’anthropologie et apprend à jouer du piano. À New York, il joue avec Charlie Parker (1947–48), Illinois Jacquet, le nonette de Miles Davis (qui interprète deux de ses arrangements : Rouge et Move) dont les traces discographiques constitueront les “fameuses” séances Capitol du trompettiste, Lester Young, etc. Après la formation du Modern Jazz Quartet, il est l’un des principaux initiateurs, avec Gunther Schuller, du Third Stream, participe à la création de la Jazz and Classical Music Society et de l’Orchestra USA, deux orchestres à personnel variable mais qui ont en commun de réunir des instrumentistes également capables de jouer du jazz et de déchiffrer des partitions classiques. Accompagnateur recherché, il a enregistré avec Ben Webster, Charles Mingus, Clifford Brown, Coleman Hawkins, Sonny Rollins, Stan Getz, Barney Wilen, Albert Mangelsdorff, Helen Merrill, Christian Escoudé…
Cet entretien a été réalisé en juillet 1976 au cours de la Grande Parade du Jazz à Nice.
Que faites-vous, John Lewis. depuis la dissolution du Modern Jazz Quartet. Avez-vous formé un autre groupe ?
Non, je n’ai pas de groupe régulier. J’enseigne dans un collège, à New York. L’un de mes étudiants, d‘ailleurs, est le guitariste du groupe actuel de Dizzy Gillespie : Rodney Jones. J’enseigne l‘improvisation de jazz, l’histoire du jazz après la deuxième guerre mondiale… J‘enseigne aussi la technique du jeu en petite formation. Dans cette école, nous avons également un orchestre de musique de chambre… Depuis la dissolution du MJQ, l’enseignement est ma principale activité. Je ne joue presque pas, sinon avec mes étudiants… En janvier dernier. j‘ai fait une tournée au Japon avec Marian McPartland et Hank Jones. Nous avons joué en piano solo, en duos et à trois pianos. En septembre, je retournerai à l’école, les cours reprennent. J’ai aussi l‘intention de retravailler avec Marian et Hank Jones.
Combien de disques avez-vous enregistrés avec le Modern Jazz Quartet ?
Trente-six. Peut-être y en a-t-il davantage, mais je n’en connais que trente-six.
Combien de temps le Modern Jazz Quartet a-t-il existé ?
Vingt-deux ans, et avec un seul changement de personnel — quand Connie Kay, il y a vingt ans, a remplacé Kenny Clarke.
Pourquoi le MJQ a-t-il été dissous?
Nous commencions à vieillir et nous voyagions sans cesse. Pendant les trois dernières années d’existence du quartette, nous n’avons pas pris les moindres vacances. Habituellement, nous cessions de travailler ensemble en été, mais les festivals et les occasions de jouer en été se sont multipliées et il n’a plus été question de vacances. C‘était vraiment trop ! La dernière année, nous avons fait deux tournées extrêmement longues, au Japon et en Australie. Quand on veut avoir un groupe de ce type, avec toujours les mêmes musiciens, il faut faire attention à ce genre de choses… Vingt-deux ans, c’est suffisant.
Comment ce groupe était-il né ?
L’idée du quartette est partie de la section rythmique du grand orchestre de Dizzy Gillespie en 1946–47 et en 48. Il y avait Milt Jackson, Ray Brown, Kenny Clarke et moi. Nous sommes devenus de grands amis. Puis Percy Heath s’est joint à nous…
Il fit partie, lui aussi, du big band de Dizzy Gillespie ?
Oui, mais plus tard. Vers 1951, Milt Jackson grava quatre faces de 78-tours avec nous, et il y avait un tel feeling, une telle entente, que nous avons essayé de former un groupe permanent. A cette époque, Percy, Kenny, Milt et moi avions une assez grande réputation. Aussi avons-nous pensé que ce serait une meilleure idée de former un groupe en coopérative, un groupe où nous partagerions tout.
Comment, aujourd’hui, décririez-vous la musique du MJQ ?
La musique du Modern Jazz Quartet était basée sur les idées de Dizzy Gillespie et Charlie Parker. Nous voulions former un groupe plutôt qu’un assemblage de musiciens…
On a beaucoup parlé de votre utilisation de formes telles que le contrepoint et la fugue…
Oui, nous avons essayé de profiter de la musique occidentale, et pas seulement de la musique occidentale…
La tenue de scène des musiciens du quartette, très souvent l’habit, affichait un certain souci de rigueur…
Oui, parce que notre apparence physique n’était pas importante. Ce qui était important, c’était notre musique.
Vous souvenez-vous de votre premier engagement professionnel ?
Vous voulez dire la première fois que j‘ai joué pour de l‘argent? C’était il y a très longtemps. J‘avais douze ans et je jouais avec des groupes locaux, au Nouveau Mexique. Dans ma famille, presque tout le monde faisait de la musique, j’avais beaucoup de cousins qui jouaient de tous les instruments. (Propos recueillis par Gérard Rouy.)
Pour ce cinquième disque sous son nom, Pierre-Louis Garcia confirme sa démarche de franc-tireur. Après avoir pratiqué des groupes où l'esprit du rock et de la fusion côtoyait la verve du jazz le plus libre, il nous propose, dans une double album vinyle, 44 pièces, très concises pour la plupart, qu'il présente comme «des instantanés, mais aussi des improvisations longuement mûries». Comme une sorte de manifeste musical, une étape de son parcours artistique. Chaque séquence peut s'écouter comme une forme autonome avec, ici ou là, une inclusion mystérieuse de voix ou de paysage sonore. Tous les modes de jeu sont sollicités, comme autant de langues au service d'un message global : le disque (les disques, puisqu'il s'agit d'un double album) affiche(nt) une cohérence qui pourrait se lire, dans sa continuité, comme une dramaturgie sonore et musicale. Mélodies (voire mélopées), cavalcades harmo-rythmiques, slaps, harmoniques ou riffs obsédants, tout concourt à révéler, pas à pas, une histoire dont peut-être l'épisode ultérieur va dévoiler le mystère. Et à mesure que j'écoute, et réécoute, ces plages, dans la continuité ou isolément, le mystère tantôt s'épaissit, tantôt se révèle (ou donne l'illusion de se révéler). Ici on croit deviner une évocation elliptique du blues, ailleurs une allusion à un titre ancien, mais le mystère demeure. Et à la pénultième, Thomas l'obscur, dont le titre me parle car il ranime en moi une passion littéraire, je comprends que la clé n'est pas à portée d'une quelconque interprétation de ma part. Et pour l'ultime séquence, suite développée sur un peu plus de cinq minutes, il m'apparaît que toute clé d'interprétation serait vaine. Manifeste sonore et musical : musical, évidemment ; sonore, assurément, car la texture du son, le grain de chaque instrument dans chaque séquence, sont élaborés avec un soin jaloux. En réécoutant le tout, dans l'ordre, durant un peu moins d'une heure, j'ai fait un voyage esthétique et sensoriel aussi mystérieux qu'envoûtant : beau voyage, vraiment.
Comme toujours avec Yves Rousseau, une aventure musicale d'une totale singularité. Il a choisi cette fois de plonger dans les réminiscences de ses années lycéennes quand, dans la seconde moitié des années 70, il découvrait King Crimson, Soft Machine, Pink Floyd.... Et il a composé tout un programme conçu, comme il l'écrit dans le livret du CD, «dans le souvenir de ces exaltantes découvertes et de ces fulgurances», programme dans lequel s'insèrent une séquence du disque «In the Court of the Crimson King», et une brève coda empruntée à David Crosby. Ici aucune 'gêne technique à l'égard des fragments' selon l'expression de Pascal Quignard, mais au contraire une exaltation de l'émoi musical qui fait retour en la mémoire. Retour fécond, sans tentation de dupliquer le passé, mais au contraire volonté farouche de faire vivre, dans le présent d'un langage assumé, ces fragments qui le hantent jusqu'à faire surgir un nouveau désir de musique. Un travail subtil sur le traitement des vents, entre absolue consonance et écarts bienvenus ; et aussi des télescopages de rock progressif et d'improvisation jazz, servis par des solistes hors de pairs, qui paraissent totalement immergés dans ce projet très personnel qu'ils/elle font leurs. Le contrebassiste-leader-compositeur ne se taille pas la part du lion, laissant à ses partenaires de vastes champs d'expression. Mais son exposé, à la contrebasse, du thème The Court of the Crimson King est à la fois un vibrant hommage à cette mélodie de Robert Fripp et une manière d'affirmer la singularité du projet. Et chaque membre du groupe se voit offrir, au fil des plages, un espace d'expression improvisée : triomphe de l'expressivité pour Jean-Louis Pommier, envolées sans entraves pour Thomas Savy et Csaba Palotaï, éruption impériale pour Géraldine Laurent, slalom entre jazz et rock pour Étienne Manchon et Vincent Tortiller.... On ressent, dans cet univers très élaboré, la très belle part laissée aux initiatives individuelles. Outre les groupes qui l'ont inspirée, cette musique suscite en moi d'autres souvenirs : «A Genuine Tongue Funeral» de Gary Burton et Carla Bley, «Funerals» de Sophia Domancich, et «Septober Energy» de Centipede, pour ce mélange de solennité et d'absolue liberté. La combinaison des univers, la créativité musicale, et ce caractère foncièrement vivant font de ce disque un GRAND disque, tout simplement.
Xavier Prévost
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Le groupe sera en concert le 8 octobre au Rocher de Palmer à Cenon, le 9 à Tarbes, le 23 octobre à Paris, au Pan Piper, et le 12 novembre au festival D'Jazz de Nevers
Fondateur du label JMS, Jean-Marie Salhani a étroitement collaboré avec Didier Lockwood de 1979 à 1995, en tant qu’éditeur (20 enregistrements) et manageur (1500 spectacles). Deux ans après la disparition brutale du violoniste à 62 ans (1956-2018), le producteur sort un coffret « Le Jeune Homme au Violon » retraçant cette période avec une sélection de 21 titres, un livret comprenant 60 témoignages et un documentaire de 1985 signé Jean-Pierre Curtis. « J’ai eu la chance de rencontrer Didier Lockwood au bon moment et nous nous sommes séparés au bon moment. N’est-ce pas là l’essentiel ? » écrit dans le livret de 150 pages Jean-Marie Salhani. Dans un entretien avec les DNJ, le producteur évoque cette coopération avec un artiste ouvert sur toutes les musiques, instinctif, « un peu fauve » et qui n’avait « aucun tabou ».
Les DNJ : Comment s’est déroulée cette longue aventure avec Didier Lockwood ? Ce devait être sportif par moments ? Jean-Marie Salhani : Étonnamment, quand on a décidé de travailler ensemble et qu’on s’est jeté à l’eau, lui devant moi derrière, tout s’est enchaîné en permanence. En fait, nous n’avons pas eu vraiment le temps de nous poser, ce fut un enchaînement régulier systématique et immédiat dans plein de domaines. Et cela a duré quasiment tout le temps, même s’il y eut des moments où nous marquions une pause, où nous essayions de réfléchir pour contourner certains obstacles ou opérer des changements. En fait ce fut une espèce de rouleau compresseur. Nous étions pris par la situation et en permanence en train d’évoluer, lui et moi, mais en prenant la même trajectoire.
Les DNJ : Didier Lockwood était un musicien qui surprenait tout le temps son public, ses publics… JMS : C’était dans sa nature, quelqu’un de très ouvert à tout, à toutes sortes, à toutes formes de musique à partir du moment où, pour lui, c’était de la bonne musique avec de l’expression, de l’originalité. Il pouvait s’engouffrer dans n’importe quel domaine musical, n’importe quelle couleur musicale. Il n’avait aucune restriction, aucun obstacle, aucun tabou. Evidemment, cela tenait à sa formation classique mais aussi au déclic qu’il a eu dans le jazz avec son frère, Francis, puis avec Christian Vander et d’autres musiciens français et étrangers. Pour lui c’était pain bénit. A chaque fois, il prenait ce qu’il y avait à prendre et il évoluait avec. Et il faut ajouter une autre qualité de Didier, hormis la légèreté, le côté instinctif, un peu animal, un peu fauve. C’est qu’il adorait jouer fort. Quand il y a un batteur, il peut jouer très fort. Quand il est dans le jazz ou dans une forme plus acoustique, il peut faire de la dentelle, jouer à la Grappelli. Mais dès qu’il avait la possibilité de jouer avec des musiciens qui ont un certain volume, il était heureux comme tout, il adorait jouer avec de la puissance, avec des effets, du son. Cela le fascinait.
Les DNJ : Il n’avait certes pas de frein technique … JMS : La question technique était un détail. Il pouvait tout faire. Son violon c’était son passeport. L’important pour lui c’était de jouer. Il s’en sortait toujours à merveille.
Les DNJ : Comment pouvait-on conseiller, diriger un tel artiste ? JMS : Il y a des artistes qui te permettent de discuter avec eux, de rentrer dans leur univers et de construire avec eux. J’en ai connu deux dans ma carrière, Henri Texier et Didier Lockwood. Didier savait tout de suite en me regardant s’il était dans la bonne direction ou pas ou si moi j’étais largué ou pas. On n’avait pas trop besoin d’épiloguer. C’était très instinctif. Dès qu’il proposait quelque chose, d’aller dans une zone que je sentais favorable pour lui, je l’encourageais à fond. Par exemple, Didier à la base, la composition, ce n’était pas son truc (sic). Je l’ai poussé dans cette voie et il a adoré et crée de très belles choses comme des concertos. Je pouvais donner mon avis dans d’autres domaines de la musique que je connaissais, le jazz, mais aussi la variété. Mais je n’intervenais pas dans la musique classique, car je n’avais tout simplement pas la connaissance.
Les DNJ : Comment définiriez-vous votre coopération ? JMS : C’était une construction. Le succès, cela ne se mérite pas, cela se construit. On peut avoir un talent énorme et ne pas avoir de succès. On prenait les paris ensemble. J’ai eu des relations fortes de confiance exceptionnelles avec des artistes, comme Joe Zawinul, Aldo Romano, Uzeb, Louis Sclavis mais je n’ai jamais eu des relations aussi poussées qu’avec Didier. On était à fond dans plein de domaines. Alors on peut se demander pourquoi. Je ne sais toujours pas aujourd’hui. C’était comme cela. Cela ne pouvait être autrement.
Les DNJ : Et pourtant votre coopération s’est achevée ? JMS : Il y eut plusieurs paramètres. Cela faisait quinze ans que nous étions « à fond les ballons » et nous avions tout fait, tout refait. Et puis il y avait de la compétition, d’autres artistes qui commençaient à faire parler d’eux de manière très forte, Michel Petrucciani, Richard Galliano, Biréli Lagrène... Didier n’était plus le seul au sommet. Tous les grands artistes ont connu cela, le creux de la vague. Nous ne trouvions plus d’issue. Et surtout, Didier avait très envie de travailler dans la musique contemporaine, la musique classique. Et là ce n’était pas du tout mon domaine. Nous sommes arrivés à un carrefour et nous avons décidé d’arrêter. Ce ne fut pas facile, ce fut un choc. C’était fatal. En fait ce fut un mal pour un bien car cela a permis à Didier de faire énormément de choses qu’il n’aurait pas pu faire avec moi et personnellement j’ai pu aussi travailler avec d’autres artistes comme Maceo Parker, Mike Stern, Joe Zawinul, de prendre des responsabilités à la SACEM. Avec Didier, nous sommes restés proches et nous avons su sacraliser notre période commune de travail. Il avait souhaité retravailler avec moi trois ou quatre ans avant son décès mais je n’ai pas voulu et à la réflexion, il a compris que ce n’était pas une bonne idée. Il était préférable que nous restions proches et amis sans essayer de regarder en arrière. »
‘Didier Lockwood. Le jeune homme au violon’. Coffret comprenant 2 CD audio avec 21 titres, un DVD de 27 minutes (interviews de Didier Lockwood, Stéphane Grappelli, extraits de concerts des années 80) et un livret de 150 pages et 100 photos avec 60 témoignages dont Philip Catherine, Aldo Romano, Francis Lockwood, Henri Texier, Martial Solal, Thomas et David Enhco, Caroline Casadesus… .
JMS/ PIAS. Sortie le 9 octobre.
Joshua Redman : " Round again"
Nonesuch record 2020
Joshua Redman (ts,ss); Brad Mehldau (p); Christian Mc Bride (cb); Brian Blade (dms)
A quoi s'attendre de mauvais lorsque sont réunis parmi les plus géniaux de la scène jazz actuelle. Pensez, Joshua Redman aux saxs, Brad Mheldau au piano, Christian Mc Bride à la contrebasse et Brian Blade à la batterie pour un quartet 100% accoustique !
Ces quatre-là se connaissent sur le bout des doigts et depuis pas mal de temps. Autant dire qu'il ne leur faut pas longtemps pour se trouver, pour jouer sur les mêmes cordes sensibles et trouver la direction d'un groove aussi subtil que spontané.
On ne va pas parler de chacun des musiciens. Ils sont tous au sommet de leur art et chacun dans une forme de respect de l'autre. Joshua Redman qu'il soit au sax tenor ou soprano survole les débats avec un sens inouï de la ligne mélodique dont il se joue avec une agilité hors du commun. Il faut entendre comment il accélère le tempo sur Moe Honk comme peu d'autres que lui peuvent le faire. Prodige. Étourdissant !!
Mention spéciale aussi pour Brad Mehldau qui met son intelligence de jeu au sens du collectif. Tous les deux se rencontrent sur leur amour des mélodies presque chantantes entre jazz, pop et blues.
Quand à la rythmique, il n'y a pas grand monde pour les surpasser aujourd'hui. Elle est là pour la maîtrise du groove et assurer à ce quartet un son et une cohésion sans faille.
On touche au grand art comme sur ce Silly Love Song.
Après, dire que la musique jouée soulève une grande vague d'enthousiasme, il y a un pas que personnellement j'ai un peu de mal à franchir.
Une fois passé le fait que ça joue terrible (c'est le moins que l'on puisse dire), on reste un peu sur sa faim. Serait-ce dû à un climax qui semble hesiter entre une tradition hard bop et un jazz plus moderne sans veritablement trancher ? Peut-être un peu trop sage parfois. Comme s'il fallait trouver une base commune surtout axée sur les lignes melodiques.
Mais qu'importe il reste l'ancrage dans cette forme de jazz qui puise aux traditions essentielles pour les détourner en un jazz actuel bourré d'energie vitale.
Et au final on reste ébahis par ce quartet de folie qui redonne au jazz des couleurs essentielles. Celles qui nous font vibrer sur chacun de ces morceaux.
Et il faut bien le dire, nous amène à tutoyer les sommets.
Jean-Marc Gelin
Joshua Redman, Brad Mehldau, Christian McBride, and Brian Blade perform "Right Back Round Again," from their album 'RoundAgain,' out now on Nonesuch Records:...
René Thomas était né à Liège, en Belgique, en 1926. Après la Seconde Guerre mondiale, il commence à se produire dans sa ville natale avec les très bons musiciens qui font alors la vie du jazz belge : Bobby Jaspar, Jacques Pelzer, “Fats” Sadi… rassemblés dans le groupe des Bob Shots — ils sont au programme, le 14 mai 1949, du Festival de jazz de Paris, le même soir que les quintettes de Charlie Parker et de Miles Davis.
Très impressionné par Jimmy Raney qu’il entend au Blue Note à Paris, où il s’est établi en 1953, il enregistre son premier disque en leader l’année suivante, part s’installer au Canada et participe à quelques séances d’enregistrement à New York (notamment avec Sonny Rollins, qui le juge « meilleur que n’importe lequel des guitaristes américains »). De retour en Europe, il forme avec Bobby Jaspar un quintette très actif, dirige son propre groupe, puis accompagne Stan Getz (1969–71), en compagnie d’Eddy Louiss et Bernard Lubat. Au cours d’une tournée en Espagne au sein du trio de Lou Bennett, il meurt à Santander en janvier 1975 des suites d’une crise cardiaque, à l’âge de quarante-huit ans. Il a marqué d’une manière profondément originale l’évolution de l’instrument et a inspiré de jeunes guitaristes comme Larry Coryell, John McLaughlin ou Philip Catherine.
Il a enregistré, entre autres, avec Chet Baker (Rca italien), Lou Bennett (Rca, Philips), Toshiko Akiyoshi (Metrojazz). Sonny Rollins (Verve). Stan Getz (Polydor), Eddy Louiss (Cy-Rca). Lucky Thompson (Mps); en tant que leader : « René Thomas Quintet » (Vogue), « René Thoms et son Modern Group (Polydor), avec J.-R. Monterose (Jazzland), « Comblain 61 » (Rca italien), « René Thomas — Bobby Jaspar Quintet » (Rca), « Meeting Mr Thomas » (Barclay), avec Charlie Rouse (United Artists), « T.P.L. » (Thomas-Pelzer Limited, avec Han Bennink - Vogel).
Cet entretien s’est déroulé au cours du Premier Festival de Jazz de Liège en 1972, à l’issue du concert du quintette Thomas-Pelzer Ltd avec Jacques Pelzer (as, ss, fl), Léo Fléchet (p), Jean Linsman (b) et Tony Liègeois (dm). René Thomas était un homme chaleureux, enjoué et plein d’humour. Avec Bobby Jaspar et Toots Thielemans, c’était l’un des musicien belges les plus prestigieux dans les années 50 sur les scènes internationales.
Qu’est-ce qui vous a amené, René Thomas, à choisir la guitare ?
Le hasard. Mon beau-frère est italien. À l’époque où il courtisait ma sœur, qui est mon aînée de dix ans, il venait à la maison avec une guitare. Souvent, il l’oubliait, et je m’amusais à en jouer. Il m’avait appris quelques accords à l’italienne : sol majeur avec deux doigts, la basse et la chanterelle, et deux ou trois trucs de ce genre. Je suis parti de là. Puis j’ai entendu Django Reinhardt — sol ça fait la bémol, puis la, puis si bémol, puis si, do, ré bémol. Django a été ma première influence. Je l’ai connu à Paris et à Bruxelles. Il y a eu aussi Jimmy Raney et, en fait, un peu tout le monde — pas seulement des guitaristes, surtout des trompettistes, des saxophonistes. D’ailleurs, je suis de moins en moins influencé par la guitare. Avant d’être un guitariste. je suis un musicien de jazz. Mais actuellement, côté guitaristes, j’aime bien Larry Coryell, John McLaughlin et George Benson.
À quelle époque avez-vous commencé à jouer du jazz ?
Un peu avant la guerre, et plus encore pendant et après. J’ai beaucoup vécu à Paris pour pouvoir jouer le plus souvent possible. C’était en 46–47. Puis j’ai joué au Blue Note avec Kenny Clarke et Lou Bennett. Une grande époque… En fait, il y a beaucoup de « grandes époques » — tout dépend des gens avec qui on travaille. Mais il faut reconnaître qu’avec Kenny ce fut souvent une « grande époque ». On s’amusait bien… Lou Bennett marchait blen, le trio marchait bien, on a fait quelques disques. Certains sont bien…
Quels musiciens vous ont le plus impressionné ?
J’en ai rencontré beaucoup… Je ne sais pas, peut-être Sonny Rollins, Jackie McLean, Al Haig… Il y en a tellement. Côté européen, j’aime beaucoup Eddy Louiss et Bernard Lubat. J’ai d’ailleurs fait un disque avec eux et Stan Getz. Les critiques ont dit qu’il n’était pas très bien enregistré. lls n’ont pas tort…
Cela ne les a pas empêchés de reconnaître que la musique est excellente
Oui, pour celui qui tend l’oreille. qui écoute avec attention. Au début. ce n’est pas très engageant, il faut faire l’effort d’aller vers la musique.
Vous êtes allé aux Etats—Unis il y a une dizaine d’années…*
Oui, c’est très important de voir ce qui se passe là-bas, surtout à certaines époques. Moi, par exemple, je suis heureux d’y être allé entre 56 et 62. ll y avait des types comme Freddie Hubbard, Herbie Hancock, qui n’étaient pas très connus. Je faisais le bœuf avec eux dans un café qui était ouvert le dimanche après-midi. Je devais courir avec ma guitare et mon ampli. Plusieurs blocs, à pied… l| y avait Hubbard. Wayne Shorter, Joe Henderson. J’ai pu aussi rencontrer John Coltrane. C’était le plus grand, un des plus grands…
Comment vous situez—vous par rapport à ce qu’on appelle «free jazz»?
Je ne sais pas… Je n’aime pas beaucoup… En fait, le jazz n’a jamais cessé d’être libre. Vous pouvez toujours dire qu’il y a des harmonies à respecter. etc., mais — comme diraient Louiss et Lubat — la liberté a toujours existé. C’est à nous de la faire, tout en suivant une ligne, une discipline, des figures imposées — je ne sais pas comment appeler ça… J’ai été l’un des premiers à entendre Ornette Coleman. C’était en 58. Ce que j’aime chez lui. c’est qu’il suit une ligne harmonique. Après lui, il y a eu des types qui ont vulgarisé cela, qui en ont profité, mais c’était moins gracieux, moins aérien que ce que fait Ornette. C’était même moins musical. Quand Ornette joue du violon, il ne cherche pas à « jouer du violon », il veut produire des impressions, des couleurs. (Propos recueillis par Gérard Rouy)
Bill Carrothers (piano, voix), Peg Carrothers (voix), Jean-Marc Foltz (clarinettes), Philippe Mouratoglou (guitares), Stephan Oliva (piano), Matt Turner (violoncelle), Alan Ingram Cope & Emmanuel Guibert (voix)
Pernes-les-Fontaines, juillet 2019
Vision Fugitive VF313020 / l'autre distribution
Comme toujours avec l'équipe de Vision Fugitive, une idée et une réalisation d'une singularité absolue. L'étincelle qui enflamme le brasier créatif est une bande dessinée, ou plutôt une série de BD dont le héros bien réel, Alan Ingram Cope, était en 1941 un jeune soldat californien venu en Europe pour «combattre un gars qui s'appelait Adolf». Avec la complicité de l'auteur, Emmanuel Guibert (Grand Prix du festival d'Angoulême 2020), et du graphiste & producteur (labels Sketch, Illusions Music, et désormais Vision Fugitive) les musiciens co-fondateurs du label et leurs complices musicaux ont concocté une œuvre musicale totalement insolite, où la musique de chambre rencontrerait la mélodie de l'entre-deux-guerres, l'avant-garde de l'après-guerre, la chanson américaine (du dix-neuvième siècle jusqu'aux années 40), le rock progressif, la musique répétitive, le jazz et le spiritual.... Surprise d'entendre surgir au détour d'une plage When the Swallows Come Back to Capistrano, dont la version de Pat Boone me berçait quand j'avais 6 ou 7 ans (ma sœur aînée, répétitrice de français en Angleterre, avait rapporté ce trésor ainsi que Bill Haley, juste avant que Rock Around The Clock ne devienne un tube universel.....). Bref une sorte de disque-monde qui travers le temps avec une incroyable densité artistique, nous racontant entre les lignes ce monde d'Alan (et son enfance) en créant plutôt qu'en illustrant, en suscitant des émois singuliers plutôt qu'en dénouant le fil d'un récit. Les images sont ici dans la musique, au plus profond de la matière sonore dont elle fait jaillir la poésie par une savante distillation. Le talent musical des protagonistes, tous complices de longue date, est évidemment le ferment d'une telle réussite. Et comme toujours sous le label Vision Fugitive, un très bel objet graphique, avec un livret d'Emmanuel Guibert, qui écrit des mots très émouvants au sujet d'Alan Ingram Cope, qui voici plus de 25 ans était devenu son ami avant d'être le personnage de ses romans graphiques. Et le dessinateur au fil des pages dessine tous les artistes, y compris Gérard de Haro et Philippe Ghielmetti devant la console d'enregistrement du studio de La Buissonne. Disque très singulier, mais surtout TRÈS TRÈS BEAU !
Xavier Prévost
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Une exposition des œuvres d'Emmanuel Guibert est installée jusqu'au 18 octobre à Paris à l'Académie des Beaux-Arts, Quai de Conti
Les livres LA GUERRE D'ALAN et L'ENFANCE D'ALAN du dessinateur EMMANUEL GUIBERT, GRAND PRIX DU FESTIVAL D'ANGOULÊME 2021, mis en musique par un orchestre fra...
Deux disque parus au mois d'août : la suite des passionnantes aventures en duo avec Émile Parisien, et la rencontre de l'accordéoniste avec le Collectif La Boutique, sur la musique de Jean-Rémy Guédon, et sous la houlette de Fabrice Martinez
Comme pour l'album «Belle Époque» inspiré par Bechet, ce disque puise dans un vivier de thèmes populaires : du jazz (Jelly Roll Morton), des musiques latino-américaine (Xavier Cugat, Tomás Gubitsch, Astor Piazzola) ou de la pop (Kate Bush). Avec une unité d'inspiration : débordement lyrique, étreinte fusionnelle. Ça bouge, ça danse :The Cave, de Jelly Roll, avec contrechants en multipiste, et puis ça décolle dans une impro à l'ancienne qui bien vite déborde du cadre de la tradition tout en s'octroyant des citations furtives.Temptation, du film musical de Raoul Walsh Going Hollywood (1933) est traité avec une dramaturgie d'époque, mais très vite l'expression et l'inventivité des deux musiciens s'en emparent pour nous embarquer ailleurs. Deux thèmes de Piazzola, dont le fameux Deus Xango, immortalisé par le compositeur avec Gerry Mulligan, qui est ici explosé en de multiples envolées. Une très vive composition du guitariste Tomás Gubitsch est encore l'occasion d'un essor commun, hyper lyrique, et une chanson de Kate Bush nous entraîne encore ailleurs, mais toujours dans les lointains de l'émotion. Sans parler des trois compositions de l'accordéoniste et de celle du saxophoniste, qui chantent jusqu'au cœur de l'émoi le plus accompli, avec aussi le brin de folie et de fantaisie qui convient. Un très très beau disque évidemment ; évidemment inclassable, c'est ce qui fait sa force !
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Le duo jouera le 17 octobre à La Ravoire (Savoie), le 23 octobre à Clermont-Ferrand, les 27 & 28 octobre à Paris au Théâtre des Bouffes du Nord, le 1er novembre au festival 'Jazz Onze' de Lausanne, le 17 novembre au Théâtre de la Criée à Marseille, le 20 novembre à Rennes, le 8 décembre à Luxembourg, et le 11 décembre à Saint-Ouen-l'Aumone dans le cadre de 'Jazz au fil de l'Oise', sans parler des autres dates en Allemagne, Italie, Angleterre, Roumanie, Suède, Norvège....
COLLECTIF LA BOUTIQUE, FABRICE MARTINEZ, VINCENT PEIRANI «Twins»
Vincent Arnoult (hautbois, cor anglais), Emmanuelle Brunat (clarinette basse), Clément Duthoit (saxophones), Nicolas Fargeix (clarinette), Fabrice Martinez (trompette,bugle), David Pouradier-Duteil (batterie, udu), Anaïs Reyes (basson), Yves Rousseau (contrebasse), Fabrice Martinez (direction artistique), Vincent Peirani (accordéon, accordina), Jean-Rémy Guédon (composition)
Paris, 11-13 décembre 2019
La Boutique CLB 932027 / l'autre distribution
L'Ensemble Archimusic est devenu le Collectif La Boutique quand son fondateur, Jean-Rémy Guédon, est parti voici deux ans aux Comores prendre la direction de l'Alliance Française. Et le trompettiste-compositeur-arrangeur Fabrice Martinez est devenu le directeur artistique de cette formation très singulière : les bois d'un quatuor de musique de chambre, associés à un groupe de jazz. Pour ce disque, il a rassemblé des compositions de Jean-Rémy Guédon extraites de plusieurs disques d'Archimusic : «Sade Songs», «Pensées pour moi-même», «Le rêve de Nietzsche», «Fantaisie numérique».... Et le choix du soliste invité s'est porté sur Vincent Peirani. Parce que certains thèmes étaient originellement conçus pour une voix lyrique ; et sans doute aussi parce qu'il fallait un musicien qui habite la musique de son expression personnelle, en toute liberté. La musique, adaptée à ces nouvelles circonstances, conserve ce caractère singulier qui allie les plus belles consonances à de hardis débordements harmoniques, très ponctuels : une sorte de tuilage dedans/dehors, dans l'harmonie et dans la tension extrême. Le plus finement écrit et orchestré se confronte aux saillies de l'improvisation. Et le jeu sur le rythmes, avec parfois des surprises, accentue encore ces moments de singularité. Vincent Peirani n'est pas seulement le soliste invité, il est aussi un puissant stimulateur des improvisations d'autrui (souvent Fabrice Martinez, mais pas exclusivement). Au fil des plages on se délecte, on s'étonne.... et on se régale ! Belle réussite
Xavier Prévost
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Cette musique sera jouée par le Collectif La Boutique et Vincent Peirani le 9 décembre à Paris au Studio de l'Ermitage.
Produit par French Paradox,Faune est le premier album d’un jeune et brillant batteur à la double culture, qui combine rigueur classique et spontanéité jazz et qui a vécu des deux côtés de l’Atlantique. Le titre de l’album FAUNE fait d’ailleurs référence à Mallarmé et Debussy.
Raphaël Pannier a réuni un quartet de rêve, une “dream team” composée de deux Français dont le contrebassiste FrançoisMoutin et dedeux Américains, le pianiste Aaron Goldberg et le saxophoniste alto Miguel Zenon. Le quartet interprète ses compositions et ses arrangements de Ravel (la “Forlane” du Tombeau de Couperin), de Messiaen (“Le baiser de l’enfant Jésus”) et aussi un classique de Wayne Shorter avec Miles Davis, “ESP” de 1965.
L’album commence avec un thème connu, celui d’Ornette Coleman, “Lonely Woman”, exposé finement par le saxophoniste, également directeur musical. Puisles énergies libérées se déploient dans toutes les directions, chacun laisse son empreinte, le contrebassiste s’emballe en un solo des plus chantants, suivant le déluge sonore du batteur. Cavalcade effrénée, liberté d’expression que l’on retrouve dans les deux toutes petites pièces en crescendo “Intro et “Outro” ESP, précédant cette composition captivante où Zenon fait merveille.
Le groupe se scinde parfois en sous-éléments, en un trio à l’assise solideavec un piano fluide, très rythmique, la paire contrebasse/batterie toujours très active, voire survitaminée (“Midtown blues”). Même leur “Lullaby” n’a rien d’une berceuse, sombre plus que mélancolique ou apaisant, sacrément inquiétant même tant le chant est lancinant, dominé par la force hypnotique du sax alto.
Pour les arrangements classiques, Raphaël Pannier fait appel à un pianiste classique, Giorgi Mikadze. Ce qui peut surprendre a priori, mais l’alchimie est réelle, avec l’aide de ce formidable “liant”, le travail chambriste de Miguel Zenon dans la pièce de Messiaen, une ballade délicate et poétique où il font preuve de sensibilité et d’élégance dans un ensemble hors du temps! Un peu moins convaincante est la révision de la “Forlane” de Ravel qui fait entendre un contrepoint (contrebasse/batterie) à la partie de piano, si claire et immédiate dans l’émotion.
On retiendra ce précipité de sons, de rythmes enlevés, cette “manière” virtuose, d’une énergie réjouissante qu’équilibre le rendu plus subtil des pièces classiques. On aime la complicité de ce groupe aventureux qui emprunte un chemin musical peu balisé par le choix des thèmes, leuraptitude à varier les climats dans le montage des titres, un “Caprice” originellement pour Bandolim de Hamilton de Holanda. chaloupé et festif, précédant la “Forlane” plutôt mélancolique.
Ces “performances” saisies à vif sur l’album, méritent d’être suivies en live. Une prescriptionvivement recommandée en ces temps incertains…