Une double parution qui vient rafraîchir nos esprits en cet août torpide : les deux premiers CD du nouvel ONJ élaboré sous la direction artistique de Frédéric Maurin.
D'abord un album enregistré 'sur le vif' au festival Jazzdor-Berlin en juin 2019, avec le programme « Dancing in your head(s) » autour de la musique d'Ornette Coleman et de sa galaxie (chronique par Sophie Chambon en suivant ce lien). Ce programme avait été créé pour l'inauguration de l'orchestre au festival Banlieues Bleues en avril 2019.
Et puis un album enregistré à Ludwigsburg au studio Bauer, lieu auquel Frédéric Maurin reste fidèle depuis l'aventure de Ping Machine. Il s'agit cette fois du programme «Rituels», qui avait été créé lors d'un concert 'Jazz sur le Vif' à la Maison de la Radio en novembre 2019.
ORCHESTRE NATIONAL de JAZZ «Rituels»
Ellinoa, Leïla Martial, Linda Oláh & Romain Dayez (voix), Catherine Delaunay (clarinette, cor de basset), Julien Soro (saxophone alto, clarinette), Fabien de Bellefontaine (saxophone ténor, clarinette, flûte), Susana Santos Silva (trompette), Christiane Bopp (trombone), Didier Havet (tuba, trombone basse), Stephan Caracci (vibraphone, marimba, glockenspiel, percussions), Rafaël Koerner (batterie), Bruno Ruder (piano), Elsa Moatti (violon), Guillaume Roy (alto), Juliette Serrad (violoncelle), Raphaël Schwab (contrebasse)
Frédéric Maurin (direction artistique, composition), Ellinoa, Sylvaine Hélary, Leïla Martial, Grégoire Letouvet (composition)
Ludwigsburg, Allemagne, 2-5 septembre 2019
ONJ Records 484444 / l'autre distribution (double CD)
Le projet est singulier à plus d'un titre : après avoir invité comme arrangeur principal, pour l'autre album, Fred Pallem, Fred Maurin invite cette fois trois compositrices et un compositeur, lequel était en lice quelques mois plus tôt, pour le dernier round de la sélection du nouveau directeur artistique de l'ONJ, face à lui : belle reconnaissance, et fair play éloquent. Et la composition de l'orchestre diffère de celle de l'autre programme : judicieuse manière de choisir les interprètes en fonction du répertoire proposé, ce qui n'altère nullement l'investissement de chacun et chacune dans le groupe.
Autour de textes issus de cultures anciennes, (et aussi de Llorca pour Sylvaine Hélary, et pour Leïla Martial un texte de son cru qui traverse le temps et les cultures), des musiques très singulières qui composent une sorte de fresque, en forme de puzzle, qui attise notre curiosité et nos sens :«....comme un rituel journalier, avec des chants de quatre moments de la journée» confiait Fred Maurin à Jazz Magazine (n° 715) au printemps 2019. La voix est ici au cœur même du sujet, la matière où s'élabore l'imaginaire musical.
Au début de la première pièce (Sylvaine Hélary), intitulée Le Monde Fleur, c'est un peu comme dans la pièce de Jean-Féry Rebel Les Éléments (1737), un passage du χάος au Κόσμος, du chaos au cosmos, du désordre originel au monde structuré. C'est un mouvement inexorable qui se déploie, porté par des solistes d'une expressivité folle (Bruno Ruder, Christiane Bopp, Julien Soro), et les voix, le texte, qui cultivent le mystère et les tensions sans quoi n'existerait pas d'Art véritable : admirable ! Et la magie continue d'opérer, de plage en plage : formidable palette de Leïla Martial, qui 'habite' littéralement la musique de son chant hétérodoxe et de ses improvisations sur le fil. Magie de Catherine Delaunay qui tutoie les cimes dans la composition de Grégoire Letouvet. Incroyable poésie presque lettriste de Leïla Martial, puissant lyrisme de la composition d'Ellinoa /Camille Durand, qui nous conduit vers un très beau dialogue de Stéphan Caracci avec l'orchestre et la rythmique.... Je n'en finirais pas de détailler tout ce qui, dans ce double disque, m'a littéralement emballé. En écoutant ces 2 CD, et les réécoutant encore en écrivant ces lignes, me vient un souvenir : dans les années 90 Lucien Malson m'avait commandé, pour les Cahiers du Jazz renaissant aux Presses Universitaires de France, un texte où je parlerais du jazz tel que je le voyais alors (et le vois toujours encore). Pour parler de cette musique qui m'a passionné, et continue de le faire après toute une vie d'amateur, j'avais titré le texte «Le Jazz, probablement....». Seule manière pour moi d'évoquer cette musique prospective qui jamais ne perd de vue son horizon lointain et fondateur. Bref, découvrez urgemment ce jazz contemporain qui déborde de vie autant que d'intelligence. D'ailleurs, que seraient la vie, et la musique, sans cette intelligence qui transforme la sensation en émotion....
Xavier Prévost
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l'ONJ jouera le programme «Rituel(s)» le 2 octobre pour la rentrée des Grands Formats aux Passerelles de Pontault-Combault (Seine-et-Marne), le 28 octobre à Paris au Studio de l'Ermitage, et le 31 janvier à la Philharmonie de Paris
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Un avant-ouïr sur Youtube
Réécoutez le concert de création de « Rituels » sur le site de France Musique