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29 juin 2019 6 29 /06 /juin /2019 18:42

PATRICE CARATINI (contrebasse), ALAIN JEAN-MARIE (piano), ROGER RASPAIL (tambour ka, djembé, congas, percussions)

Meudon, date non précisée

French Paradox FP.02 / l'autre distribution

 

Une certaine idée, profondément enracinée, du jazz : connivence, partage, rencontres, communauté de goûts et d'expériences, dans le respect des singularités. Le texte de Patrice Caratini, toujours très éclairant, et d'une belle plume, nous raconte la genèse de ces rencontres : avec Alain Jean Marie dans le groupe de Michel Roques dans les années 70, et avec Roger Raspail dans le quartette de Mal Waldron quelques années plus tard, et ensuite dans le fourmillement de groupes et de concerts que produit cette musique. Ils s'étaient aussi retrouvés dans le disque, et le programme, «Chofé Biguine La» du Caratini Jazz Ensemble. Bref l'ancienneté et la densité de ces liens rendaient naturels cette aventure et ce disque. Le résultat est un régal. Du jazz, assurément, avec ces couleurs qui traversent les étiquettes, les cultures et les esthétiques. La trace du blues dans African Flower de Duke Ellington, ou dans Señor Blues d'Horace Silver (ici avec un accent soul jazz qui réveille la nostalgie de l'amateur chenu que je suis devenu, quand Bobby Timmons m'émerveillait alors que j'avais une dizaine d'années). Et le doux parfum caribéen ou latino des compositions de chacun, sans oublier l'inoxydable Manteca de la bande à Gillespie, et des versions aussi étonnantes que renouvelées de Limelight de Chaplin, Couleur café de Gainsbourg, ou du Temps des cerises. Bref du jazz, et du meilleur, qui brasse les matériaux les plus divers pour en faire chaque fois un objet unique, terriblement singulier, et attachant. Grande réussite !

Xavier Prévost

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Un avant-ouïr sur Youtube

https://www.youtube.com/watch?v=j2bCVB3GPsQ

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Le trio jouera à Paris le 2 juillet au Sunside, et le 3 octobre au Bal Blomet.

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23 juin 2019 7 23 /06 /juin /2019 16:54
LIEBMAN RUDOLPH & DRAKE           "Chi "
LIEBMAN RUDOLPH & DRAKE           "Chi "

LIEBMAN RUDOLPH & DRAKE

Chi  Rare Noise Records

www.rarenoiserecords.com

Une perle du label indé britannique Rare Noise records qui porte admirablement son nom, avec ce nouvel album sobrement intitulé Chi, la force vitale, le souffle de vie, comme une traduction de la façon de s’accorder à notre vraie nature dans la philosophie taoïste. “Un concert spirituel” en quelque sorte, enregistré au Stone de New York, l’an dernier, en mai 2018 : c’est la rencontre au sommet d’un trio virtuose de l’improvisation, un triangle très équilatéral dont les bases rythmiques ont tissé depuis leur jeunesse chicagoanne des liens solides. Adam Rudolph et Hamid Drake, deux maîtres des fûts, tambours et percussions, ont aussi écouté et étudié la musique de Miles quand il évoluait vers d‘autres dimensions avec, entre autre, le saxophoniste (ténor et soprano) Dave Liebman, musicien ouvert, curieux de toutes les musiques.

 

Ce trio qui pratique une musique des plus libres, spontanées et intelligemment réactives ne s’est donc pas rencontré par hasard, même si Drake et Liebman n’ont jamais joué ensemble. Liebman a toujours aimé et pratiqué le rythme, avec raison, dans son phrasé et timing, depuis sa Drum Ode de 1974, deuxième album en leader de sa prolifique carrière. Six titres sur près d’une heure s’enchaînent avec fluidité comme une longue suite ininterrompue dont le titre est explicite : "Flux", "Continuum", "Formless Form", "Emergence" ou "Becoming" pour finir par un "Whirl" bien nommé.

Un trio organique, imaginatif et très concentré qui se sert à merveille de toutes les possibilités des instruments, des couleurs qui s’agencent pour être plus lumineuses ; en recherche des timbres, textures, couches qui s’intercalent, se frottent et s’interpénètrent. Sans oublier échos, réverb et autres effets électroniques, ni le piano qui intervient à propos, la flûte, les voix qui complètent cette diversité qui n’est jamais accumulation. Richesse de ces interventions hybridant traditions africaines, grâce au handdrum set de Rudolph composé de congos, djembés, tarija, sintir (luth à troix cordes Gnawa) et modernité d’un free jazz jamais dissonant vers lequel nous attire le mélodiste hors pair qu’est Liebman.

Entre transe et fracture, avec une vitalité extraordinaire, ces trois complices s’écoutent et savent presque naturellement se répondre tout au long de l’échange, dans ces aller-retours complices, constamment sous tension. On les regarde subjugués, grâce à une vidéo saisissante de justesse, qui illustre, plus que de longs développements, cet élan continu, cette force animante et fièvreuse…

Sophie Chambon

 

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21 juin 2019 5 21 /06 /juin /2019 17:24

Dan Tepfer (piano acoustique à interface numérique, mélodica)

New York 26-28 mai & 17-19 août 2018

Sunnyside Records SSC 1559 / Socadisc

 

Depuis cinq ans Dan Tepfer explore les possibilité de ce piano acoustique japonais dont je n'écrirai pas le nom pour échapper à la nécessité de le faire suivre par ce petit ® qui désigne une marque déposée. L'important est que, de cet instrument qui est la version informatique du piano mécanique de naguère, il fait tout autre chose qu'un instrument de restitution, ou de traitement du son. Sa formation scientifique, et sa passion de l'informatique, l'ont conduit à élaborer lui-même les algorithmes qui font réagir l'instrument à son jeu dans l'exécution ou dans l'improvisation. Ainsi piloté par l'ordinateur, le piano devient en temps réel un partenaire de musique, mais un partenaire directement influencé et inspiré par le pianiste. J'avais voici trois ans assisté à un concert au festival de Radio France & Montpellier dans lequel le pianiste consacrait une partie du programme, en solo et en duo, à cette machine infernale : saisissant et prometteur. Promesses tenues avec ce disque. Chaque plage du CD (qui en compte 11) explore un algorithme différent et ses possibilités, non dans une perspective démonstrative mais avec un parti pris d'expressivité et d'invention musicale. La première plage confronte la mélodie de All The Things You Are à la machine et à la géométrie du canon à l'octave. Les plages suivantes sont consacrées à des compositions originales directement inspirées par le choix des interactions suscitées par l'un des algorithmes élaborés par Dan Tepfer. Le CD comporte la vidéo de l'enregistrement d'une des plages, et la totalité des vidéos est accessible sur Youtube en suivant ce lien. Une expérience fascinante est d'écouter la plage sur le CD, à l'aveugle, puis de regarder la vidéo, où l'on voit le pianiste au clavier, ce qui permet de visualiser ce qui surgit des doigts du pianiste et ce qui constitue la réaction du dispositif informatique. C'est étonnant, et riche d'enseignements sur notre propre schéma perceptif. Et l'expérience continue, de plage en plage, avec aussi sur les vidéos des images synthétiques qui accompagnent le processus musical. Il en va de même au concert, et pour y avoir assisté dans sa phase originelle je puis vous assurer que c'est une expérience en soi. Lors du concert qui se déroulera le 25 juin 2019 à Paris au Café de la Danse, les spectateurs pourront de surcroît utiliser une application qui étendra le dispositif de réalité virtuelle. Une plongée s'impose dans cette expérience audacieuse, et 100% musicale !

Xavier Prévost

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Le site du Café de la Danse

https://www.cafedeladanse.com/dan-tepfer-concert/

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Sur le site des DNJ, quelques commentaires après un entretien téléphonique avec Dan Tepfer, peu de jours après la création française en juillet 2016 au Festival de Radio France & Montpellier

http://lesdnj.over-blog.com/2016/07/dan-tepfer-algorithmes-piano-acoustique-improvisation.html

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Un documentaire de la radio publique américaine, NPR, National Public Radio

https://www.youtube.com/watch?v=0L6tzG3FkcU 

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5 juin 2019 3 05 /06 /juin /2019 09:27

Vincent Bourgeyx (piano), David Prez (saxophone ténor), Matt Penman (contrebasse), Obed Calvaire (batterie)

Meudon, 21-22 septembre2017

Paris Jazz Underground PJU 019 / l'autre distribution

 

La même équipe que pour le disque «Short Trip» (Fresh Sound New Talent, 2016, chronique ici), mais sans la chanteuse invitée Sara Lazarus. Et toujours cette passion ardente du jazz, d'un jazz qui repose sur ses fondamentaux tout en laissant respirer la liberté jusqu'à l'abandon total. Le disque débute presque sagement, dans les canons de l'idiome : dans un thème original une partie en trio un peu 'à la Hancock' du début des années 60, avant l'entrée du sax comme aux temps du Coltrane (ou de Dexter) de la même époque, puis vient une ballade, I Fall In Love Too Easily, jouée en trio avec une savante ferveur qui donne le frisson. Au troisième titre on décolle vers le sinueux, le tendu, l'audacieux, sans quitter le souci du 'cap au jazz' . Aux côtés du piano et du sax, basse et batterie entretiennent la tension, l'enrichissent et la subliment. Comme une sorte d'idéal du quartette de jazz quand la maîtrise, l'imagination et l'engagement sont au rendez-vous. Mais déjà chaque solo du pianiste nous dit qu'il y a là une manière de fuir la redite, le cliché, ces faiblesses qui portent à dérouler une improvisation avec les mêmes valeurs rythmiques assorties de transitions harmoniques soigneusement préparées à la maison. Le pianiste est mélodique ET inventif, il prend des risques mais garde un œil sur la cohérence de l'horizon. Au fil des plages, des chansons ou des standards du jazz : I Love Paris me rappelle un peu la manière dont, au début des années 60, Martial Solal métamorphosa Sous le ciel de Paris. Le jazz a cette faculté de modifier sans trahir. Lush Life, que l'on croirait intouchable, verra aussi ses couleurs harmoniques changer, dans une relecture aussi libre qu'amoureuse. Les compositions originales sont toutes d'une indiscutable densité, et Peace d'Horace Silver, qui clôt le disque, vient comme un ultime hommage à ce jazz qui suscite tant de libertés pour qui sait les conquérir : Vincent Bourgeyx et ses amis sont au nombre de ces élus. Beau disque de jazz, qui nous entraîne loin de nos bases tout en nous parlant une langue familière : peut-être est-ce là le 'rêve cosmique' de «Cosmic Dream».

Xavier Prévost

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Vincent Bourgeyx joue en quartette les 7 & 8 juin 2019 à Paris au Sunside

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Un extrait en trio

https://www.youtube.com/watch?2=&v=4o_W_GtdBpM

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Le site de Vincent Bourgeyx

http://vincentbourgeyx.net/vincentbourgeyx/BIO.html

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4 juin 2019 2 04 /06 /juin /2019 11:44

Stephan Crump (contrebasse), Ingrid Laubrock (saxophones ténor & soprano), Cory Smythe (piano)

Zurich, 1er décembre 2017

Intakt Records CD 319 / Orkhêstra

 

Enregistré à la Rote Fabrik dans le cadre du festival 'Unerhört !' (inouï en allemand), c'est un moment privilégié de dialogue improvisé. Deux ans plus tôt, pour le même label ils avaient commis «Planktonic Finales» (Intakt CD 285). La saxophoniste allemande établie à Brooklyn après un long détour britannique est en phase quasi télépathique avec le pianiste californien et le bassiste originaire de Memphis, Tennessee. Miracle new-yorkais ou prédestination esthétique, en tout cas cette rencontre est musicalement des plus fécondes. Comme toujours quand l'improvisation décolle, lorsqu'elle 'prend' comme une émulsion réussie, cela tient du miracle autant que du mystère, de la science autant que de la sorcellerie. On glisse d'une proposition musicale à l'autre, c'est fluide et pourtant plein de frictions et de tensions qui se résolvent toujours en beauté, fût-elle étrange : bel accomplissement lorsqu'au terme de quelque 50 minutes de musique les applaudissements du public nous font surgir d'un songe où la musique nous avaient conduits, captifs et ravis.

Xavier Prévost

 

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4 juin 2019 2 04 /06 /juin /2019 09:33

Mario Stantchev (piano, composition)

Pernes-les-Fontaines, 27 octobre 2017

Cristal Records (digital) /Believe Digital

Ouch! Records (vinyle) / https://www.ouchrecords-vinyls.com/

 

Premier disque en solo, après plus d'une dizaine de références dans des configurations diverses, pour le pianiste venu de Bulgarie en 1980, et dont la carrière de jazzman avait débuté à l'Est dans les années 70. Parallèlement à ses activités d'enseignant au Conservatoire de Lyon, il n'a jamais cessé de se produire, du duo au sextette en passant par des phalanges de musique contemporaine (Ensemble 2E2M, Groupe Intervalles), croisant au fil des ans Ron Carter, John Scofield, Toots Thielemans, Louis Sclavis, mais aussi Michel Perez, Michel Barrot, Francesco Castellani, Lionel Martin, pour n'en citer que quelques-uns, sans oublier le contrebassiste Hervé Czak, qui l'accompagnait déjà en 1981 et l'accompagne encore à chaque occasion.

En solo, Mario Stantchev donne libre court à son imagination et à sa fantaisie autant qu'à ses passions musicales. S'il choisit de commencer par un thème très sombre, espièglement intitulé Épilogue , c'est probablement pour dresser un décor mouvant où nous allons nous perdre avec délices. Ambiance de préludes et de nocturnes debusséens, avant une plaisanterie musicale qui se joue des gammes par tons et s'évanouit du côté de Frère Jacques. Escapade vers Messiaen ensuite, avant un envol digne de Chick Corea. Et l'on continue ainsi, de plage en plage, naviguant sur les crêtes de vagues qui nous portent de tango en rhapsodie, de complainte en impromptu,

sans que jamais la question du style ne se pose : c'est du beau, du grand piano qui nous porte, nous emporte et nous transporte dans un flux de plaisirs et d'émois musicaux jamais démentis, jusqu'à une sorte de mouvement perpétuel conclusif qui donne à l'album son titre. Belle réussite ; pour la goûter, il suffit de s'y abandonner....

Xavier Prévost

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Mario Stantchev jouera en solo à Paris, au Sunside, le 6 juin 2019

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Un avant-ouïr sur Vimeo

https://vimeo.com/330033459

et sur le site de Cristal Records

https://www.cristalrecords.com/albums/musica-sin-fin/

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3 juin 2019 1 03 /06 /juin /2019 22:19

SEBASTIEN PAINDESTRE - ATLANTICO : «  New eastern island »
La Fabrica’son 2019
Sébastien Paindestre (p, compos); Dave Schroeder: (chromatic harmonica, Mongolia ever buree, piccolo, bass flute, soprano saxophone, compos); Martin Wind (cb); Billy Drummond (dms); Janis Siegel (voc (2)); Billy Drewes (ss(1)).

Sebastien Paindestre n’a pas définitivement tourné la page Radiohead. Il y reviendra pour un 3eme opus mais pas tout de suite. Dans l’immédiat Sébastien Paindestre affirme surtout ici qu’il est avant tout un jazzman avec ses traditions et ses influences.
« New Eastern Island », le nouvel album d’Atlantico son groupe transatlantique est avant tout celui d’une rencontre, avec le saxophoniste Dave Shroeder, véritable référence du jazz New-Yorkais, impliqué dans toutes les grandes institutions du jazz de big apple. Shroeder s’est en effet pris d’affection pour Sebastien Paindestre depuis le premier album réalisé ensemble ( « En rouge ») et publié en 2016. Au point aussi de lui ouvrir en grand les portes d’un studio New-yorkais et d’aller jusqu’à produire lui-même l’album. Une histoire d’affinité musicale et d’amitié.
Sebastien Paindestre est arrivé de l’autre côté de l’atlantique avec ses compositions en poche ( auxquelles le saxophoniste a aussi contribué) et accompagné d’une formation de haut vol en associant au projet une rythmique de très très haute facture avec Martin Wind à la contrebasse et l’immense Bill Drummond à la batterie.
Et le résultat est à la hauteur de l’affiche. «  New Eastern island » se moque des sentiers battus et des clichés du jazz pour offrir une musique ouverte porteuse d’une réelle identité.
Par le talent de ses acteurs et par le choix de l’instrument qui évolue au fil des thèmes en associant parfois le sax soprano superlatif de Shroeder, parfois l’harmonica du même Shroeder ( sur les traces de l’harmoniciste belge Toots Thielmenans) ou encore la flute de Janis Siegel, Sebastien Paindestre parvient à créée un univers protéiforme porté aussi par des compositions dans lesquelles la nostalgie n’a pas de place.
Car il s’agit bien d’un album porté par un vent frais qui regarde le monde avec une formidable envie de jouer juste pour le plaisir. Il y affirme qu’il y  a une autre voie dans le jazz . Ni américain, ni européen mais quelque part au milieu de l'océan. Au delà aussi des postures post-coltraniennes ou Neo-colemaniennes. Car c'est effectivement une musique inspirée qu'il propose ici.
Pas un moment d’ennui tout au long de cet album ou l’on s’épate tant des compositions que du jeu des solistes qui contrent à créer cet univers « open mind »avec un souci du détail et du jouer ensemble. Il n’est que d’entendre cette formidable rythmique qui assoit la musique sur des bases aussi solides que vibrantes.
New Eastern Island montre peut être la voie. Celle d’un jazz épuré et riche à la fois.
Une réussite.
Jean-Marc Gelin

 

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14 mai 2019 2 14 /05 /mai /2019 21:15

Stéphan Oliva (piano), Sébastien Boisseau (contrebasse), Tom Rainey (batterie)

Pernes-les-Fontaines, 2018

Yolk RecordsJ2075 / l'autre distribution

 

Les quelques chroniques déjà parues font largement état de l'acronyme qui désigne le groupe et le disque tout à la fois : initiale des musiciens, O, R, B, et I.T. pour international trio. Bon, c'est fait. Le discours d'escorte qui accompagne le disque file la métaphore du circulaire et de l'ellipsoïdal, même si moins de la moitié des titres y fait référence. La musique, dira-t-on, peut en attester plus largement. Certes. Mais écoutons-la sans cette grille communicationnelle. La première plage, Split screen (référence aux écrans fragmentés, divisés, du multimédia ubiquitaire?) me fait penser à Lennie Tristano. Stéphan Oliva est un fan, et un grand connaisseur, de ce Maître du lyrisme tranchant, souvent abusivement taxé de froideur, quand il s'agit plutôt de poésie fracassée, déconstruite (et, comme la mer de Paul Valéry, «toujours recommencée»). J'entends cela ici, et beaucoup d'autres choses : l'escapade sérielle, la segmentation thématique, l'interaction subtile des voix (et la batterie n'est pas de reste). Parlons du batteur. Tom Rainey est un monument de précision pertinente, et pourtant son drumming respire la liberté, comme celui de Paul Motian, avec qui le pianiste avait enregistré («Fantasm», 1999, BMG ; «Intérieur nuit», night bird music, 2001) : technique supérieure chez Rainey, mais même sens poétique. Ne me demandez pas ce qu'est la poésie d'un batteur : je la sens, je la ressens, mais je renonce à tenter de la formaliser, et même de la formuler ; je crois bien que j'en suis incapable, peut-être devrais-je m'abstenir d'écrire.... Le dialogue, ou plutôt le trilogue, se joue tout au long du disque, plage après plage, selon cette indicible clarté. Suit une composition de Sébastien Boisseau : mouvements libres, convergence des pensées et des choix musicaux, magie et mystère, liberté, poésie encore.... Voici Gene Tierney, que le pianiste avait déjà évoquée dans son disque «After Noir (piano gone)» (sansbruits sbr013, 2011), poésie, mystère, encore (je m'enlise!) profonde musicalité, interaction fine (très fine!). Bref, quand je ne m'enlise pas, je m'égare.... Et cela se poursuit au fil des plages, compositions du pianiste et du batteur, plus le formidable Inflammable de Marc Ducret : c'est parfait, parfaitement captivant, alors si vous voulez me suivre dans mon égarement, plutôt que de vous infliger un commentaire de chaque titre (un petit mot quand même de Around Ornette, avec citations furtives -et jouissives parce que furtives- de Turnaround ), je vous propose de vous plonger dans le disque : pré-ci-pi-tez-vous pour l'acquérir ! Je vous conseille l'administration par voies auditives (ne le mangez pas!). Et puisque le groupe est en tournée (dates ci-dessous) ajoutez une bonne dose saisie sur le vif du concert.

Xavier Prévost

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Le trio est en tournée, le 16 mai au festival 'Jazz in Arles', le 17 au Pannonica de Nantes, le 18 à Paris, Maison de la Radio (concert 'Jazz sur le vif'), le 22 au Périscope de Lyon, le 23 au Cri du Port de Marseille, et le 24 au Petit Faucheux de Tours

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Un avant-ouïr sur Youtube

https://www.youtube.com/watch?1&v=p_m6GMWen7A

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9 mai 2019 4 09 /05 /mai /2019 07:53

Denis Colin (clarinettes basse & contralto), Pablo Cueco (zarb), Simon Drappier (arpeggione), Julien Omé (guitare)

Bois-Colombes, 10-12 décembre 2018

Faubourg du Monde TAC 026 / Socadisc

 

Atypique assurément : ce gang de francs-tireurs associe deux presque vétérans des musiques aventureuses, et deux quadragénaires l'un et l'autre portés sur les musiques hétérodoxes. Joyeux mélange, plein de surprises, qui en dépit du nom de groupe suggérant des pères tranquilles n'exclut pas vigueur et incartades détonantes. Le discours d'escorte de cette musique suggère discrètement l'appellation Psychedelic Folk Jazz. C'est plutôt bien vu, car on y trouve les textures du folk, entre douceur de soie et rudesse du lin ; et puis les dérives (extra) sensorielles de la musique psychédélique, et bien sûr cette liberté frondeuse du jazz. Entre la mélancolie de Chevaliers, le caractère véhément de La Chasse, et le lancinement chromatique de Hommage au désert, un point commun (valable d'ailleurs pour toutes le plages) : authenticité du son, sans fioritures, mais d'une grande finesse ; subtilité du cheminement mélodique ; expressivité virtuose et trompeuse simplicité du propos. Bref une forme d'exemplarité artistique : évidence et mystère, indissociablement liés. Superbe.

Xavier Prévost

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En concert le 9 mai 2019 à Paris au Studio de l'Ermitage

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Un avant-ouïr en suivant le lien ci-dessous

https://www.faubourgdumonde.com/portfolio/quiet-men/

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9 mai 2019 4 09 /05 /mai /2019 01:16

Patrick Artero (trompette), David Blenkhorn (guitare), Sébastien Girardot (contrebasse), Guillaume Nouaux (batterie), Don Vappie (vocal). Studio Music Unit (Montreuil) 29-31 janvier 2019. Camille Productions/ Socadisc.

Un trompettiste se retourne sur son passé. Tel pourrait s’intituler le dernier album de Patrick Artero. Après un demi-siècle à arpenter scènes et studios, le jazzman salue onze confrères qui ont « balisé son parcours ». Des trompettistes qui « me font rêver, transpirer, enfiévrer, douter mais qui m’invitent à ne jamais renoncer ».

Ils appartiennent tous à l’époque classique, antérieure au be-bop : King Oliver, Bunk Johnson, Louis Armstrong, Bix Beiderbecke, Roy Eldridge, Rex Stewart, Cootie Williams, Red Allen, Buck Clayton, Joe Newman, Tommy Ladnier. Cet hommage proposé par le producteur indépendant Michel Stochitch (auquel on doit des albums de Pierre Christophe, Philippe Milanta, et le tout récent Bean Soup, coup de chapeau à Coleman Hawkins par Michel Bescont et Michel Bonnet),  prend un aspect particulier : Patrick Artero a eu l’idée d’insérer entre chaque titre des courts extraits de poèmes de Langston Hughes, une des figures de proue du mouvement Harlem Renaissance des années 20.

L’auditeur effectue ainsi un retour aux sources de la musique afro-américaine. De la Nouvelle Orléans avec ses influences caribéennes et même irlandaises à New York et l’atmosphère du Cotton Club. 

La sobriété qui ne cache pas l’émotion caractérise le jeu de Patrick Artero, qualités qui habitaient déjà son hommage à Bix Beiderbecke (2 Bix or Not Too Bix. Nocturne. 2005). Le guitariste David Blenkhorn lui donne la réplique, deuxième voix alerte du quartet avec basse et batterie. Panorama de la trompette jazz classique, 'Family Portrait' fait souffler un vent de fraîcheur printanier salutaire.


Jean-Louis Lemarchand


Patrick Artero sera au Caveau de la Huchette (75005) du 14 au 16 mai avec son Swing band.

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