Esaie Cid (saxophone alto, clarinette), Jerry Edwards (trombone), Gilles Réa (guitare), Samuel Hubert (contrebasse) et Mourad Benhamou (batterie).
Studio Piccolo, Paris, 15 octobre 2020.
Swing Alley, Fresh Sound/Socadisc
Grâce au saxophoniste Esaie Cid, la compositrice Katherine Faulkner Swift (1897-1993), plus connue sous son nom d’artiste Kay Swift, gagne une reconnaissance posthume et amplement justifiée.
Si l’histoire du spectacle a retenu sa romance avec George Gershwin (qui fit scandale pour une femme mariée à un banquier et mère de trois enfants), elle aura été la première femme à composer pour Broadway avec le show ''Fine and Dandy'', présenté en 1930. Après le décès de George Gershwin, son contemporain (1898-1937), Kay Swift continua à composer notamment en compagnie du frère de George, Ira Gershwin.
La première période de la carrière de la songwriter avait été proposée par Esaïe Cid, saxophoniste alto et clarinettiste, dans un album sorti en 2019*.
Le jazzman barcelonais installé à Paris depuis deux décennies nous présente aujourd’hui une suite avec une sélection d’œuvres inédites écrites par Kay entre 1930 et 1970 pour ses proches ou pour des shows qui eurent peu de succès ou restèrent simplement à l’état de projet. On y retrouve ainsi ‘’A Moonlight Memory’’ écrit en 1933 avec Edward Heyman, l’auteur de Body & Soul.
Esaie Cid a réalisé des arrangements sur ces œuvres et les interprète avec son quintet de cœur (Jerry Edwards, Gilles Réa, Samuel Hubert et Mourad Benhamou). Cette formation sans piano évolue avec élégance et déploie une couleur sonore très West Coast des années 50. Un charme indéniable allié à une sensibilité authentique qui séduit tout au long des 45 minutes de cet album tout à fait recommandable.
A relever un livret signé de la petite fille de Kay Swift, Katharine Weber qui maintient sa mémoire, (KaySwift).
Ce disque est le témoignage et l'aboutissement d'une folle aventure qui vit le jour voici une dizaine d'années, par la grâce d'une conversation entre Jean-François Pauvros et Gérard Terronès. Ainsi naquit l'idée d'un grand orchestre rassemblant des improvisateurs et improvisatrices des générations qui se sont succédées depuis le début des années 70 jusqu'aux années 2000. Gérard Terronès, activiste de la scène et du disque (avec notamment les labels Futura, Marge, puis Futura Marge) fut un acteur majeur des années free. Et Jean-François Pauvros fut l'un des musiciens les plus engagés dans les musiques de l'extrême. C'est dire que, de ce projet commun, ne pouvait surgir que des musiques fécondes et des émois d'une belle intensité. J'ai le souvenir d'avoir assisté à plusieurs des concerts du cycle 'Jazz à La Java', rue du Faubourg du Temple, entre 2012 et 2016. Et sous l'œil bienveillant et l'oreille attentive de Gérard Terronès, c'est un 'Jazz en liberté' qui pouvait chaque fois éclore, comme un écho au titre de l'émission qu'il a longtemps proposée sur Radio Libertaire. Au fil des rencontres, entre les débuts de l'orchestre et ce disque, Futura Expérience a vu passer, en plus des personnes citées plus haut, Leïla Martial, Pierrick Pédron, Claude Barthélémy, Ramón López, Bobby Few, Alexandra Grimal, et beaucoup d'autres qu'il serait vain de vouloir citer de manière exhaustive (d'ailleurs, j'en suis bien incapable....).
Puis est venu le temps d'enregistrer pour aboutir au disque. Gérard Terronès n'a pas vu la fin de cette aventure, mais la liste des membres du groupe se termine ainsi : Gérard Terronès, présence. Plus qu'un symbole, un manifeste.
Mais parlons du disque. Il commence par une étonnante version de Lonely Woman avec, sur une rythmique binaire appuyée, un exposé du thème, lent et majestueux comme une prière, ou un chant rituel, dans un tutti d'où émergent les singularités instrumentales. C'est fort et beau, le décor est dressé. Puis c'est une composition de Jean-François Pauvros, Opale, ressurgie du passé («Hamster Attack», Londres,1988), évocation mélancolique du rivage pas-de-calaisien de la Mer du Nord, rivage cher à son cœur. Retour à Ornette ensuite, avec Sadness. Éclats de liberté sur un canevas qui, décidément, reste sombre. Puis Retrospect de Sun Râ commence par une digression très libre, et très intense, de Sophia Domancich, digression attisée par Sylvain Kassap, Xavier Bornens, Michel Edelin et les autres, sur fond de tambours éloquents. Et le thème s'épanouit, prend ses aises, et s'ouvre aux multiples improvisations ; c'est la plus longue plage du disque, et l'on est embarqué. Fables of Faubus commence sur un monologue rythmé par un piano manifestement choisi pour son désaccord profond. Puis le lancinement historique de ce célèbre thème de combat emporte tout sur son passage. Maintenant c'est Machine Gun (pas celui de Peter Brötzmann, celui de Jimi Hendrix), et ça barde, mais avec une verve lyrique. Puis c'est Totem, signé Michel Edelin, emprunté au répertoire du groupe 'Flûtes rencontre', mais aussi pour nous tous (eux les artistes, nous les amateurs), le souvenir d'un club du treizième arrondissement de Paris, le Totem, où Gérard Terronès fit entendre de très belles musiques, dont certaines immortalisées au disque (Archie Shepp avec Siggy Kessler, Raymond Boni / Gérard Marais Duo, le groupe Perception autour de Didier Levallet.....). Et pour conclure retour à un thème (et à la voix) de Jean-François Pauvros pour Memorias del Olvido, issu du disque «Buenaventura Durruti» (nato, 1996). Un disque fort comme l'amitié et le goût de l'aventure. Bravo les gars et les filles, Gérard aurait aimé ce disque. Je crois même qu'il aurait aimé le produire.
Futura Expérience dresse le portrait de Gérard Terronès, un producteur, dénicheur de talents du jazz et la musique improvisée, créateur des labels indépendants Futura et Marge Records. Peu d...
Au vu de sa discographie, on connaît surtout Mauro GARGANOcomme l’indispensable accompagnateur de musiciens avec lesquels il a su tisser des liens indéfectibles. Il a néanmoins créé en 2009son premier groupe Mo’Avast ( “ça suffit” dans le dialecte des Pouilles),ce qui n’est pas un détail.
Il revient avec unenouvelle formation et un album, simplement intitulé FEED, conçu en plein Covid, entre avril et septembre 20. Alors que beaucoup d’artistes confinés se réservaient en solo, le contrebassiste est la pierre angulaire d’un trio inspiré qui se réinvente au fil des morceaux, huit pièces vibrantes qui donnent à ces “nourritures” une cohérence rare.S’il rend justice à certaines influences (dans “Feed”, il suit Craig Taborn qui privilégie la basse comme ligne principale de la mélodie), le contrebassistedonne une interprétation libre et rigoureuse qui doit beaucoup à la performance collective, à l’alliage efficace des timbres, à une fusion dans le flow de l’improvisation,à une vision d’ensemble clairement exposée. La musique suit une ligne imaginaire reliant rock prog, fragments de folk (“Lost wishes”), chanson italienne, harmonies municipales pendant les processions de Pâques (“Ilva’s Dilemma”)mais aussi le contemporain et le jazz qui s'exprime parfois en "petits motifs rythmiques, répétés avec de petites variations", sorte de haïkus musicaux.
Communiant fiévreusement avec les rythmes jamais ralentis d’un Christophe Marguet qui s’épanouit dans les crescendos, la pulsation demeure l’élément dominant du trio, avec du tranchant et une déterminationque l’on peut après coup, associer au danger de l’orange de la pochette, couleur “radioactive”, criminelle et polluante. Pas de sentimentalisme ni d’autofiction dans cette musique qui chante par ailleursl’amour des Pouilles natales, l’attachementà une certaine culture.
Son “message”fait remonter une émotion vive, une rage devant l’injustice que font endurer aux plus faibles les puissants. Par deux fois, Arcelor Mittal est désigné comme le responsable hautement criminel dans “Ilva’s dilemma” et “The red road”, une histoire dramatiquement actuelle qui nous est racontée par la musique. Le contrebassisteréfléchit encore à cette période étrange du confinement (“Keep Distance”) où il fallut recoller les morceaux d’un moi brisé, rassembler les fragments épars, regarder au delà, pour ne pas perdre pied,comme dans ce “Look Beyond The Window” dans une spirale qui aspirejusqu’au vertige, avec un batteur lui aussiimprégné de cet esprit de Résistance .
Feed alterne aussi des moments élégants, de répit, teintés de mélancolie, frémissements où le pianiste Alessandro Sgobbio détache les notes du silence. La musique composée par Mauro Gargano a la juste gravité pour exalter ce “soulèvement” émotionnel. Tout ce qui lui importe est d’aller au bout de son idée. Et il atteint son but puisqu’elle résonne encore fort dans notre conscience, longtemps après l’avoir écoutée.
Jérôme Etcheberry (trompette, arrangements), Malo Mazurié (trompette), César Poirier (saxophone ténor, clarinette), Benjamin Dousteyssier (saxophones alto & baryton), Félix Hunot (guitare), Sébastien Girardot (contrebasse), David Grébil (batterie)
Meudon, octobre-novembre 2020
Camille Productions MS102020CD / Socadisc
Plaisir de retrouver Jérôme Etcheberry, que j'ai entendu sur disque, et aussi sur scène, dans des contextes très différents (Duke Orchestra, avec Louis Mazetier, ou dans le groupe du chanteur Hugh Coltman), et que j'avais même accueilli à Radio France pour un concert 'Jazz sur le Vif' au sein du 'Kcombo6' de Philippe Milanta... Plaisir aussi de retrouver, dans ce 'Popstet' à la gloire de Louis 'Pops-Satchmo' Armstrong des musiciens que j'avais écouté dans d'autres contextes : Malo Mazurié avec le Gil Evans Workshop de Laurent Cugny, Ludovic Alainmat au sein du big band de Jean-Loup Longnon, ou encore Benjamin Dousteyssier que j'avais accueilli dans un trio avec Paul Lay et Fidel Founeyron pour une musique inspirée par Lennie Tristano. Bref un authentique bonheur, pour l'amateur que je suis, de constater que le jazz se joue des frontières stylistiques.
Cela dit, c'est bien de la musique de Satchmo qu'il est ici question, avec un titre en forme d'emblème. Et le répertoire du Grand Louis, brillamment arrangé pour octet dans l'esprit des grands orchestres de la fin des années 20 et du début des années 30. Tous ces thèmes , souvent créés dans des effectifs plus succincts (et même en duo pour le fameux Weather Bird, dont la version avec Earl Hines est une pièce d'anthologie), sont servis par des solistes qui mêlent le son d'époque et l'éternelle jeunesse. Les deux trompettistes sont à la hauteur de l'enjeu, et si en juillet prochain on va commémorer le cinquantenaire de la mort de Stachmo, l'esprit est là, Still Alive, and Well !
Enregistré en direct à la Salle Gaveau (75008). 23 janvier 2019. Challenge Records / DistrArt Musique. Sortie le 12 mai.
Le Tout-Paris du jazz s’était donné rendez-vous ce 23 janvier 2019 Salle Gaveau. On y programmait Martial Solal en solo.
Un retour sur la scène dévouée à la musique classique pour le pianiste qui s’y était produit pour la première fois en 1962, en trio (Guy Pedersen, basse, Daniel Humair, batterie) … et en smoking. «Martial Solal improvise », annonçait l’affiche. Un exercice familier pour l’artiste depuis les années 50 mais auquel il s’était préparé depuis plusieurs mois pour « être en doigts ». Les spectateurs privilégiés n’allaient pas être déçus. Martial Solal n’aura peut-être jamais été plus libre que ce soir-là. Jouant, comme il le précise dans le livret du disque, « sur les mélanges de tonalités, de rythmes, de durée, de style ».
Le répertoire comprenait des standards éternels (My Funny Valentine, I’ll Remember April, Lover Man, Tea for Two…), des compositions personnelles (dont Coming Yesterday qui donne son titre à l’album) pièce maîtresse de ses concerts, un medley d’Ellington, et un air habituel des fêtes, Happy Birthday. Du haut de ses 91 printemps, Martial Solal se montrait impérial, facétieux, guilleret, cassant les codes, surprenant, inclassable. Une forme qui se manifestait aussi dans ses échanges avec le public entre les morceaux. La preuve que l’on peut jouer sérieusement sans se prendre au sérieux.
Ce soir-là, Martial Solal, ovationné, donnait une leçon de jazz et de vie. Il nous révèle dans le livret accompagnant l’album qu’il s’agissait de son dernier concert public. « J’ai l’impression d’avoir pendant ce concert semé un brin d’herbe indiquant une direction que j’aimerais voir se poursuivre ». C’est une sorte de testament musical qui nous est donc livré. En attendant des inédits qui devraient nous éclairer un peu plus encore sur le « mystère » Solal.
Gary Brunton (contrebasse, composition), Bojan Z (piano), Simon Goubert (batterie)
Malakoff, 9-10 décembre 2020
Juste une Trace / Socadisc
Une sorte de cri d'amour pour le jazz de stricte obédience par trois musiciens qui n'en ont pas une conception étroite et qui, chacun dans son parcours individuel, ont visité bien des univers musicaux. C'est la suite du disque publié voici bientôt deux ans sous le titre «Night Bus», qui devient la raison sociale du trio. «Second Voyage» parcourt des compositions de Gary Brunton, leader de fait (même si la pochette affiche les trois noms en plus du nom du trio, Night Bus, et du titre de l'album. Les thèmes conçus par le bassiste favorisent les développements sur tempo vif, sans pour autant négliger la délicatesse (Two Wrongs Don't Make A Right). Dans les deux cas, Bojan Z et Simon Goubert font merveille, habités qu'ils sont par le sens du jeu collectif et le goût de porter loin l'inventivité du jazz. Un hommage à Charles Mingus, en trio, fait la part belle aux évocations du passé, et à la manière qu'avait Mingus de saisir la contrebasse, et la musique, à bras-le-corps. Deux évocations de l'univers de David Bowie (Ashes To Ashes, en solo de basse, et Moonage Daydream, en trio) révèlent le goût du contrebassiste britannique (installé dans notre pays depuis des lustres) pour l'identité culturelle du pays qui l'a vu naître. Un formidable duo contrebasse-batterie, intitulé Red Mitchell, dit aussi le goût du musicien pour un autre maître de l'instrument. Et un duo avec le piano, sur le seul standard 'à l'ancienne' (si les Bowie relèvent du standard, ils sont d'une autre planète musicale), How Deep Is The Ocean, permet à Bojan Z de donner libre court à son lyrisme. Bref, de la première à la dernière plage, c'est un très très bon disque de jazz, ouvert sur la diversité musicale, et puissamment mû par le plaisir de jouer. On ne saurait y résister.
Michael Wollny (synthétiseur, piano électrique, piano), Émile Parisien (saxophone soprano), Tim Lefebvre (guitare basse, électronique), Christian Lillinger (batterie & percussion)
Berlin, décembre 2019
ACT Music 9924-2 / PIAS
Un groupe rassemblé par le pianiste allemand Michael Wollny, et qui assemble trois musiciens avec lesquels il a joué, individuellement. Quatre musiciens dont c'est la première rencontre sur scène. Quatre soirées dans un club berlinois du quartier de Charlottenburg, le 'A-Trane', sur la très bourgeoise Bleibtreustraße, pas très loin de la gare de Savignyplatz.
On n'est pas aux Instants Chavirés ni au Studio de l'Ermitage, mais la musique n'est pas pour autant collet monté. Elle est même assez offensive, totalement improvisée, assumant les effets électroniques dès l'abord (le son du soprano sur la première plage), mais on n'est pas du tout dans un registre technologique et désincarné. C'est même tout le contraire : l'expression, et même un certain expressionnisme (le syndrome berlinois ?) prévalent, sur une pulsation forte, un groove qui lamine toute tentation d'académisme ou d'afféterie. C'est puissant, ça déménage, et pourtant mille détails révèlent l'intensité de l'écoute interactive, de la créativité mélodique et sonore, et du désir de porter loin, jusqu'à une forme d'extase, le goût du risque. La pochette du disque représente la structure moléculaire de la psilocybine, substance psychotrope contenue dans le psilocybe, minuscule champignon que l'on trouve dans les prés où paissent les vaches, près des rivières (le Nord de la France en regorge à l'automne). Une substance dont certains croient qu'elle est hallucinogène. Après en avoir consommé, j'ai pleuré d'émotion en écoutant un concert de Sam Rivers (avec Dave Holland et Barry Altschul) : je témoignerai donc qu'elle exacerbe simplement l'émotivité....
(photo Tambour Management)
Avec également, de loin en loin, des épisodes d'un calme et serein lyrisme, lequel se résout évidemment en tensions sonore et rythmique. Et aussi, dans une plage, un furtif échantillonnage d'une pièce et jouée par un ensemble à vent de Norvège. Le tout assemblé comme un continuum insécable qui nous entraîne jusqu'au terme de 42 minutes d'intensité musicale, après un solo de claviers de Michael Wollny. Nous sommes bousculés, remués, émus et ravis !
Edyson Production VTPL1566/1 / Inouïe Distribution
Une chanteuse et un chanteur qui, depuis leur jeunesse, sont des fans de Tania Maria. En 2001, lui par le biais de son label, elle par celui de son agent, sont pressentis pour assurer la première partie de la chanteuse brésilienne à l'Olympia. Ils viennent l'une et l'autre de publier un disque, et c'est l'occasion de profiter de cet éclairage prestigieux. C'est Verioca Lherm qui finalement fera la première partie, mais Thierry Peala est ce soir là en coulisses. Ils se rencontrent, deviennent amis, et longtemps après naîtra ce projet de chanter ensemble la musique de Tania Maria. Et cela aboutit à ce disque, voyage dans les compositions de cette grande chanteuse-pianiste, qui d'ailleurs a manifesté son plaisir d'écouter le fruit de ce message d'admiration.
Le pari de faire revivre l'effervescente vigueur, et la musicalité, du répertoire original est tenu, et même gagné. Pour avoir vu sur scène, dès les années 70, l'artiste ainsi célébrée, je dois dire que j'ai été impressionné par la manière dont ce duo restitue à sa manière (arrangement vocal des deux voix, improvisations, pulsation rythmique inhérente à cette musique....) la formidable vitalité issue de ces compositions, et leur incarnation originelle. Et puis le percussionniste 'historique' de Tania, Edmundo Carneiro (plus de 20 ans de collaboration, ce qui ne l'empêcha pas de donner aussi le rythme à Baden Powell, Chucho Valdés, Toots Thielemans, Jacques Higelin....) est venu prêter main forte pour six titres. Bref c'est une sorte de fête de la musique brésilienne syncopée, dans la langue du Brésil ou dans celle des U.S.A., et l'on peut s'y plonger avec enthousiasme. Verioca Lherm tient la guitare dans la souple pulsation qui sied à cet univers musical, et aussi à l'occasion le tambourin ou le sifflet de là-bas, tandis que les deux voix donnent des lignes de basse percussives autant que musicales, et Thierry Péala conjugue parfois le piano rythmico-mélodique joué d'un doigt de chaque main, redoublé d'un sifflement du meilleur aloi. Bref, la passion parle autant que la joie de jouer. Recommandable de bout en bout. Avec pour moi une petite préférence, très personnelle, pour Lemon Cuica, Yatra-Ta, Seu Dia Vai Chegar, et peut-être aussi pour Marguerita, notamment pour la citation conclusive de la chanson Elle attend de Maurane. Bref, vous l'aurez compris, j'ai beaucoup aimé cet album, sur ce répertoire qui m'est un peu familier, d'une chanteuse que je découvrais avec ce disque, et d'un chanteur que j'ai souvent écouté, beaucoup apprécié.... et présenté sur scène dans un tout autre répertoire en novembre 2000, avec son quintette dont l'invité était Kenny Wheeler.
Francesco Geminiani (saxophone ténor), Manuel Schmiedel (piano), Rick Rosato (contrebasse), Daniel Dor (batterie)
New York, novembre 2018
Fresh Sound New Talent FSNT 614 / Socadisc
Deuxième disque en leader, et premier sous le label catalan Fresh Sound, pour cet enfant de Vérone passé par la Suisse et New York avant de s'installer à Paris. Après son projet 'Playwood', qui était en double quartette (groupe de jazz et quatuor à cordes), et qui a donné des concerts en Suisse et en Italie, le saxophoniste a publié en 2018 «Coloursound», enregistré en 2015. Un disque en trio, dont le bassiste était celui du quartette publié aujourd'hui. Le groupe de ce nouveau CD s'est rassemblé à New York, où se sont croisés le saxophoniste italien, le pianiste allemand, le contrebassiste canadien et le batteur israélien. La musique est très lyrique, servie par une sonorité chaude, privilégiant le registre supérieur du saxophone. Les thèmes sont forgés sur des lignes plutôt sinueuses, déployées avec une grande verve dans les improvisations. On a manifestement affaire à un orfèvre. Le déroulement des thèmes comme des improvisations s'effectue toujours avec une implication plus qu'active, créative, des trois partenaires du saxophoniste. Il en résulte un discours riche, souvent tendu, qui porte l'auditeur à une grande attention, et de sérieuses attentes pour les phrases qui vont venir. Les compositions sont signées par Francesco Geminiani, sauf une belle reprise du Chelsea Bridge de Billy Strayhorn, et une très décapante version de Marina, tube de l'accordéoniste et chanteur calabrais Rocco Granata, chanson qui date de la fin des années cinquante et fut reprise par Dean Martin.... Cette dernière reprise est jouée up tempo, comme un thème bop du meilleur aloi. Et, pour conclure, une belle ballade mélancolique, qui résume l'identité du disque, aventureux et lyrique. Mention particulière pour le pianiste, qui peut accompagner comme on le ferait d'un lead de Schubert, mais s'envole aussi dans des improvisations anguleuses aux accents vifs qui rappellent à l'amateur chenu le souvenir de Lennie Tristano. Le titre de l'album évoque un coucher de soleil sur l'Hudson River, ce que traduisent de manière allégorique les peintures de Charles Berberian. Un disque hautement recommandable. Pas de concerts annoncés pour l'instant. Comme le saxophoniste, depuis qu'il est à Paris, a été entendu aux côtés d'Arnaud Dolmen, Nicolas Moreaux, Pierre Perchaud et quelques autres d'ici, il est possible qu'il donne à entendre ce répertoire avec de nouveaux partenaires.
Srdjan Ivanovic (batterie, claviers), Andreas Polyzogopoulos (trompette), Federico Casagrande (guitare), Mihail Ivanov (contrebasse)
Invité : Magic Malik (flûte, voix)
Paris, 21-22 novembre 2019
Le Coolabel CL 006 - Absilone / Socadisc
Un univers musical singulier, tout à la fois détendu et habité d'intensité musicale et sonore. On navigue un peu du côté de l'Europe de l'Est, avec le batteur-compositeur (également présent aux claviers), venu de Bosnie-Herzégovine via Athènes (puis Amsterdam et Utrechts) ; avec aussi le trompettiste grec Andreas Polyzogopoulos ; sans oublier le contrebassiste bulgare Mihail Ivanov. Et puis Gênes, en Italie, qui a vu naître le guitariste Federico Casagrande, c'est pour nous la première étape sur la route des Balkans.... Et pourtant la musique ne peut être circonscrite à un quelconque tropisme façon 'Musique(s) du Monde'. C'est lyrique, diablement nuancé, cousu de subtilités musicales sans lourdeur aucune (on ne voit ni les coutures ni les ficelles). C'est entêtant, presque hypnotique parfois, notamment quand Magic Malik, invité sur deux titres, mêle sa voix à la multiphonie de sa flûte, dans un univers de tourneries qui nous embarquent et ne nous lâchent plus. Solistes impeccables (le guitariste, le trompettiste, le flutiste....), compositions majoritairement signées par le leader, plus une co-composée avec le trompettiste, et deux reprises d'Ennio Morricone, dont l'inoxydable Homme à l'harmonica, métamorphosé par de multiples nuances, loin des effets appuyés de l'original et du surlignage cinématographique du film de Sergio Leone. De Morricone également À l'aube du cinquième jour, tiré du film éponyme. Là encore cette mélodie familière est transcendée par le groupe, et par le solo de guitare. De plage en plage, c'est un pur régal, nimbé de mélancolie.
Le Cd, initialement annoncé en février, a paru fin avril. On attendait les concerts de sortie, repoussés pour cause de pandémie. Le Blazin' Quartet donnera finalement ce concert de sortie le 15 mai à Paris au Studio de l'Ermitage, en direct sur France Musique dans le 'Jazz Club', et en vidéo sur Facebook