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1 mai 2018 2 01 /05 /mai /2018 12:29

Michel Edelin (flûte, flûte alto, flûte basse, bansuri, flûte non identifiée), Jérôme Bourdellon (flûte, flûte basse, flûte octobasse, flûte slovaque)

Sweet home studio, 4 & 6 juillet 2017

Label USINE LU 2017 / https://www.lesallumesdujazz.com/produit-peninsula,2327.html


 

Deux flûtistes exclusifs (chose rare en jazz et musiques cousines), avec tout ce que ce choix procure de maîtrise, de connaissance intime de l'instrument, et de recherche d'accès au graal instrumental quand il tutoie la monomanie. En fait, l'exclusivité et la monomanie sont relatives : il est arrivé à Michel Edelin de trahir sa flûte pour un saxophone soprano, mais le souci de ne pas froisser les esthètes l'a fait renoncer à cet écart véniel. De plus, outre que l'un et l'autre s'associent pour couvrir le champ instrumental qui s'étend de la flûte soprano jusqu'à la (très) rare flûte octobasse, ils s'autorisent aussi des excursions exotiques vers les flûtes indienne, slovaque, voire d'origine non identifiée. Le parti pris est celui de l'improvisation libre, où l'un et l'autre excellent. L'enjeu n'est pas mince : lancer un son, une note, une phrase, un rythme, qui se combinera dans l'instant avec la réactivité du partenaire, lequel n'aborde pas l'exercice sans bagages, mais avec ce désir de privilégier l'inouï, l'inattendu, sans oublier le passé, la culture et les expériences antérieures. Un court instant, on croit faire incursion dans l'après-midi d'un faune, mais on bifurque très vite vers d'autres horizons : les circonvolutions à l'orientale, les appels de sirènes pour un possible départ, les courses folles dans les escarpement du grave ou de l'aigu, puis l'abandon au monde des lointains. Tous les titres choisis empruntent des mots ou des expressions au Bateau ivre de Rimbaud. Il ne nous reste plus qu'à nous abandonner « Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer ! ». L'ivresse (musicale) est au programme de cette navigation sans balises.

Xavier Prévost

 

'Peninsula' sur Youtube

https://www.youtube.com/watch?v=TJYOBVrqr2g 

 

Le duo n'annonce pas de concerts pour l'instant, mais on pourra entendre Michel Edelin en duo avec la chanteuse Franca Cuomo à Paris , le jeudi 3 mai 2018 à 20h30, au Petit Balcon (10, rue du Liban, 75020)

Vidéo Michel Edelin - Franca Cuomo 'Le Snark'

https://vimeo.com/152010867#at=7

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1 mai 2018 2 01 /05 /mai /2018 11:43

Klarthe 2018 ( www.klarthe.com)
Olivier Calmel (p, compos, dir), Johann Renard (vl), Frederic  Eymard (alto), Xavier Phillips (cello), Clément Petit ( cello), Antoine Banville (dms)


Une merveille qui vous arrive comme ça, sans prévenir, un petit bijou qui vous est offert.

Olivier Calmel dont je suis travail depuis quelques années avait insisté pour que, dans la masse de disque que je reçois, j’écoute attentivement celui qu’il venait de m’envoyer. Je crois qu’il en était un peu fier, mais sans insistance. Avec classe. J’avoue, j’ai un peu traîné, perdu dans d’autres urgences, de celles qui font le buzz du moment. J’ai donc traîné  mais pas au point de laisser filer le concert qu’il donnera le 25 mai au Triton. A ma décharge j’avoue que j’avais un peu perdu de vue Olivier qui était depuis quelques années focalisé sur la composition de musiques de films. J’avais pourtant de ses nouvelles parfois par d’autres musiciens orientés aux aussi sur cette forme d’écriture.
Mais un jour j’ai sorti cet album et je l’ai fait tourner sur ma platine.
Et là, comment vous dire, c’est un peu comme si je venais de frotter la lampe d’Alladin. Comme si un génie venu de terres lointaines mais me semblant si proches en même temps, envahissait mon salon.
Cet album qu’il dédie à Roger Calmel ( célèbre compositeur, son père peut-être je ne sais pas), est un moment de grâce absolu. Un ensemble de 15 pièces dédiées à 5 cordes ( piano, violon, alto et double violoncelle) auquel s’adjoint Antoine Banville à la batterie et pour qui l’exercice demande autant de finesse que de subtilité.
Il y a de la vie dans cet album et dans ces compositions. Une vie et une âme qui vibrent, qui dansent, qui gémissent et rient.
J’ai pensé tout de suite à John Zorn version The Dreamers. Mais c’est réducteur ( quoique). Parce que dans cet album qui évolue sans cesse on y trouve toutes les inspirations qui fondent ce qu’Olivier Calmel à 44 ans est devenu comme musicien et comme compositeur très reconnu. Il s’approprie à peu près tous les codes, de la musique classique au jazz au klezmer dans un heureux syncrétisime.
Les cordes ici s’enlacent et se tiennent ensemble franchissant des frontières ( Le hongrois qui déraille) des montagnes orientales, dominant des sommets, comme s’élevant au ciel ( Submergés). Ces cordes à qui Olivier Calmel fait tout faire qu’il s’agisse de dérouler des tapis volants, de ponctuer des lignes de basse, de faire chanter les mélodies ou de se donner des sinuosités de mélismes maîtrisés.
Il faut atteindre un vrai niveau de perfection pour composer ainsi, pour arranger de la sorte, pour diriger avec un tel sens de l’équilibre en lassant s’installer l’émotion et surtout l’imaginaire qu’il convie. Les plages de cet album s’effeuillent comme on lirait les chapitres d’un livre dont on ne s’arrache pas. Il y a , il est vrai de l’urgence dans cet album.
« Immateriel » n’est pas seulement hors du temps, il est aussi hors sol.
Jean-Marc Gelin

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29 avril 2018 7 29 /04 /avril /2018 20:42

Sony  Legacy 2018
Musiciens : trop de noms mais juste quelques noms : Keyon Harold (tp) + Marcus Strickland (ts, bcl), Nir Felder (g), Robert Glasper (p), Scott Tixier (vl), Burniss Travis (b)


More is more !
Voilà une album du trompettiste qui ne manque pas d‘envergure et de souffle. Admirablement « mis en scène » grâce à la collaboration de l’incontournable Robert Glasper, le nouvel opus de Keyon Harrold enregistré à Los Angeles est bien ancré dans son époque, entre nappes électriques, hip-hop et urban music. Travail d’orfèvre qui pourrait s’apparenter à un manifeste des temps modernes mais aussi travail sur le son, travail sur la musique, travail sur les arrangements, sur les voix et sur les textes, « The Mugican » a presque tout pour en faire un grand disque sur lequel survole un trompettiste de très haut vol qui marche dans les traces de Jeremy Pelt, ou de Christian Scott.
Keyon Harrold n’est pourtant pas un perdreau de l’année, lui qui multiplie les collaborations avec Rihana, Eminem, Gregory Porter etc… Excusez du peu.
Tout est flamboyant dans cet album. Qu’il s’agisse des chansons ou des orchestrations sur lesquelles le trompettiste, au service d’autre chose que de lui-même apporte une brillance servie par une technique de très haut niveau. Derrière lui c’est aussi toute une mécanique ultra bien huilée qui se met en branle portée aussi par un Marcus Strickland toujours aussi powerfull et un Nir Felder étirant les notes en nappes de velours ( Ethereal sounds).
Harold est bien ancré dans son temps. Celui des Glasper, des Meshell, de Kendrick. Ce temps qui syncrétisme autour du jazz toutes les tendances actuelles de la musique « savante » noire américaine.  Et dans ce temps d’ici et d‘aujourd’hui le trompettiste s’engage et délivre des messages ainsi que tous les artistes noirs américains le font régulièrement au gré de leurs productions, Broken news ou When will it stop sonnants ainsi comme un plaidoyer manifeste contre l’Amérique de Trump.
On note une magnifique composition de Keyon Harrold, Stay with me sublimée par les chanteurs Bilal et Big K.R.I.T, composition qu’aurait pu s’approprier David Bowie tant elle semble proche de so  esthétique.
Tout au long de l’album les lignes de basse de Burniss Travis imposent un groove sourd et répétitif sur lequel Harold s’envole. Il faut écouter ce dernier sur Bubba Rides again. On comprend que l’on est en présence d’un grand artiste capable de tout emballer.
Harrold sait allumer le feu et embraser la scène.
Jean-Marc Gelin

KEYON HARROLD  : » The mugician »
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29 avril 2018 7 29 /04 /avril /2018 16:28

Stéphane Chausse : sax alto, clarinette, clarinette basse, Médéric Collignon : cornet et vocal, Claude Egea : trompette et bugle, David Enhco : trompette et bugle, Hadrien Féraud : basse électrique, Stéphane Guillaume : sax soprano et tenor, flûte, clarinette, Didier Havet : tuba et trombone basse, Ludivine Issambourg : flûte et flûte alto, Sébastien Llado : trombone, Thierry Maillard : piano, Lucas Saint Cricq : sax baryton, ténor et sopranino, Yoann Schmidt : batterie, Samy Thiébault : flûte, sax tenor, sax alto, Daniel Zimmermann : trombone, Christophe Zoogonès : flûte. Enregistrement 28-31 août 2017. Studio Recall, Pompignan. Ilona Records/L’autre distribution

C’est un rêve que réalise Thierry Maillard. Le pianiste aux  14 albums à son actif en vingt ans de métier, présente un big band, formé de pointures du jazz français. Quatorze interprètes invités à jongler avec les compositions et arrangements du « boss ». « Une musique exigeante » (Sébastien Llado), « Sans concession riche et agréable »(Lucas Saint-Cricq), « Très belle musique mais très difficile à jouer »(Claude Egea). Thierry Maillard s’est volontairement écarté des chemins traditionnels du grand orchestre sans pour autant oublier les fondamentaux harmoniques et rythmique. Au fil des plages, on saisit les influences de Bill Evans, Chick Corea mais aussi Bartok ou Frank Zappa. Autant dire que l’éventail ne manque pas d’éclectisme. L’ambition est  bien au cœur de ce projet qui prend toute son ampleur par la qualité des interprètes. Chapeau bas à Thierry Maillard qui a réussi à amalgamer ces 14 artistes qui n’avaient jamais joué ensemble. Mention spéciale à un invité présent sur deux des huit titres, Médéric Collignon, toujours aussi déjanté au cornet et à la voix. Un grand orchestre qui devrait –c’est notre souhait-attirer l’attention des programmateurs de festivals. En attendant, « Pursuit of Happiness » enchante et dévoile une nouvelle facette de ses talents à chacune de ses écoutes. Tendez l’oreille !
Concert le 3 mai à 20 h à l’Athénée-Théâtre Louis Jouvet (75009, avec en première partie Olivia Gay (violoncelle) et Aurélien Pontier(piano), deux étoiles montantes de la musique classique.

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25 avril 2018 3 25 /04 /avril /2018 14:50

Thomas Julienne (contrebasse & compositions), Ellinoa (voix & textes), Boris Lamerand (violon & alto), Thomas St Laurent (guitare), Tom Peyron (batterie & percussions)

& Les Enfants d'Icare : Boris Lamerand & Antoine Delprat (violons), Maria Zaharia (alto), Octavio Angarita (violoncelle), Émilie Calmé (flûte, flûte alto, bansuri), Maxime Berton (saxophone soprano), Mohamed Najem (clarinette)

Villetaneuse, date non précisée

Blue Fish 3760231764610 / Inouïe distribution

 

Un disque très singulier, très soigneusement élaboré, qui chemine entre le meilleur du rock progressif (la sinuosité, les tensions harmoniques, la prosodie sur le fil), le jazz, et une forme de pop music (très) sophistiquée. La musique, composée par le leader, est finement orchestrée et les textes (en français comme en anglais, signés Camille Durand, alias Ellinoa) font corps avec le projet musical autant qu'avec la voix. Dans le traitement mélodique, dans la relation voix/orchestre, je ne peux m'empêcher de penser à «Cinq Hops» (1978), magnifique disque, hélas trop méconnu, de Jacques Thollot. Autant dire que j'ai eu grand plaisir à découvrir cette musique, cette voix flexible et d'une belle présence, cette dramaturgie musicale très construite, qui laisse aussi place aux solistes. L'ensemble instrumental invité rend justice à une écriture d'une belle densité, marquée par le début du vingtième siècle, et qui ne cède pas aux facilités du genre (faire crédible, sérieux, donner le change au territoire savant). Le lyrisme de l'écriture est indiscutable, maîtrisé mais pas contraint. Bref c'est un réussite, sur un projet ambitieux qui a su pleinement s'accomplir.

Xavier Prévost

 

Le groupe sera en concert le 2 mai à Paris au Studio de l'Ermitage

 

Lien d'écoute

http://smarturl.it/Theoremofjoy


 

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24 avril 2018 2 24 /04 /avril /2018 10:56

Mark Turner (saxophone ténor), Benoît Delbecq (piano), John Hébert (contrebasse), Gerald Cleaver (batterie)

Paramus (New Jersey), 15 juin 2017

Clean Feed CF463CD / Orkhêstra International

 

Un quartette créé en 2016 à New York, et qui réunit des connivences croisées : entre Benoît Delbecq et Mark Turner (Benoît Delbecq Unit, «Phonetics», Songlines, 2005) et entre le pianiste, le bassiste et le batteur (John Hébert Trio, «Floodstage», Clean Feed, 2014). Les compositions sont signées du pianiste : des mélodies distendues et rêveuses, dont l'apparente incertitude recèle en fait une fermeté de cheminement (comme chez Bartók ou Lennie Tristano....) ; ou des progressions anguleuses entre la richesse de timbres du piano préparé et les accents rythmiques perpétuellement déplacés par l'esprit du jeu. Ce jazz ne cherche pas le confort du tapis volant, il procède de l'écart, de la foucade, de l'embrasement, bref c'est un jazz très libre (mais non dépourvu de mémoire). Ici (The Loop of Chicago) le piano préparé, sonnant comme un carillon ivre, va déclencher un parcours claudicant qui va finalement se fondre en une boucle ouverte vers l'infini. Ailleurs (Spots on Stripes) l'effervescence rythmique va engendrer une ligne presque paisible, qui nous entraîne loin sur un chemin dont nous ne devinions pas le profil. Et dans Dawn Sounds le rythme entêtant va susciter d'autres couleurs, une mélodie très chantante, et pourtant très libre de toute prédictibilité. Et cette liberté va prévaloir, de plage en plage, même sur Old Vinyl, qui fleure bon la cursivité d'un jazz balisé par l'histoire, et nous entraîne cependant là où nous n'espérions pas accoster. D'un bout à l'autre, les musiciens semblent en parfaite communication, sur un chemin pourtant escarpé : c'est à cela, probablement, que l'on reconnaît un projet abouti, et un art consommé. Jouissif, pourvu que l'on s'y plonge avec intensité !

Xavier Prévost

 

Mark Turner participera à la 'Drum Battle' le 29 avril 2018 à la Philharmonie de Paris

 

Un avant-ouïr sur Soundcloud

https://soundcloud.com/benoitdelbecq/benoit-delbecq-4-spots-on-stripes


 

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20 avril 2018 5 20 /04 /avril /2018 19:37

Daniel Erdmann (saxophone ténor), Christophe Marguet (batterie), Henri Texier & Claude Tchamitchian (contrebasses)

Malakoff, décembre 2015

Das Kapital Records CD 17A11 / l'autre distribution

 

Une sorte de retour aux sources pour le saxophoniste et le batteur : par-delà leur collaboration en duo, depuis quelques années maintenant, ils ont choisi de croiser leurs expériences, et les connivences nouées avec d'anciens partenaires, autour d'un projet commun. On est ici dans le jazz de stricte obédience, près des racines de chacun : les co-leaders ont apporté leur compositions de manière plus affirmée car c'est leur initiative, mais chaque invité propose aussi un thème de sa plume. Les trios, avec chacun des bassistes, alternent avec des plages en quartette à deux contrebasses, et c'est un plaisir de voir, pas à pas, ce qui distingue ces deux contrebassistes autant que ce qui les unit : tout deux possèdent ce sens de la vibration tellurique, et quand il s'agit de faire chanter la basse, l'approche est plus incarnée chez Texier quand Tchamitchian ne dédaigne pas l'épure. Mais ça vibre, intensément, et Daniel Erdmann comme Christophe Marguet s'épanouissent pleinement dans cette proximité qu'ils on convoquée. Après une sorte de danse sur tempo médium, signée par le batteur, et sur laquelle le sax évolue librement (comme il le ferait sur un standard), vient une composition du saxophoniste, intitulée Ornette, et qui rappelle que cette musique, même dans l'avant-garde de la fin des années 50, restait ancrée dans la souple cursivité du jazz. Au fil des plages, et quels que soient les tempos, le lyrisme tend à prévaloir, avec une touche de mélancolie. En fait, c'est une sorte d'immersion voluptueuse dans le plaisir de jouer en groupe, sans ego ni emphase, le pur plaisir du jeu. Et pur plaisir pour nous qui écoutons.

Xavier Prévost

 

Le groupe jouera pour célébrer la sortie du CD le 24 avril, au restaurant-salle de concert O'Gib, rue Lavoisier, à Montreuil (Seine-Saint-Denis)

 

Un avant-ouïr sur Soundcloud

https://soundcloud.com/christophe-marguet/

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18 avril 2018 3 18 /04 /avril /2018 21:25

Deux pianistes, qui ont en commun une formation classique du plus haut niveau, et une indiscutable vie de jazzmen, choisissent au même moment (le centenaire de la mort du compositeur) de célébrer (en les détournant) les compositions de Claude Debussy, compositeur qui a tant influencé l'harmonie du jazz.

HERVÉ SELLIN «Claude Debussy, Jazz Impressions»

Hervé Sellin (piano), et sur 2 plages Yves Henri (piano à 4 mains)

Meudon, 3-5 novembre 2017 et 9 mars 2017

indéSENS INDE 107 / Socadisc

 

Il faut se rappeler que lorsque Gérard Badini rendit hommage à Debussy, en 1991 et en grand orchestre, dans son disque «Meets Claude Debussy» (Mantra Records), il fit appel à Hervé Sellin pour la dernière plage, avec la Toccata, étoffée d'un big band. L'an dernier, dans son disque «Passerelles» (chronique dans Les DNJ en suivant ce lien), qui était partiellement en dialogue avec la pianiste classique Fanny Azzuro, Hervé Sellin convoquait en solo sa version très personnelle du Prélude à l'après-midi d'un faune, qui côtoyait dans le CD Schumann, Dutilleux et Satie. Un Prélude que l'on retrouve dans ce disque entièrement consacré à Debussy, enregistré à Meudon dans deux lieux différents : l'Auditorium du conservatoire, et le Studio de Meudon, lequel est justement renommé pour la qualité de ses pianos. Le disque commence avec une relecture très libre de The Little Sheperd, avec inclusion d'un fragment de Golliwogg's Cakewalk (autre pièce tirées de Children's Corner). Puis vient le fameux Clair de lune (troisième mouvement de la Suite Bergamasque) dont les richesses harmoniques et mélodiques sont promenées sur les territoire du jazz avec bonheur. Après Le Petit Nègre (pièce tirée d'un recueil d'exercices) empreint de l'esprit du ragtime, c'est le Prélude à l'après-midi d'un faune déjà cité (formidable liberté!), puis Reflets dans l'eau (tiré des Images), qui nous rappelle combien Debussy est compatible avec le jazz de la seconde moitié du vingtième siècle (avec une discrète allusion à Blue in Green, versant Bill Evans plutôt que Miles Davis). Le Ballet de la Petite Suite part d'un énoncé littéral avant d'obliquer vers la jazz waltz : ici Hervé Sellin est rejoint par son confrère Yves Henry, avec lequel il avait proposé en 2012 un programme Debussy entre classique et jazz. Jazz waltz encore sur La fille aux cheveux de lin, et aussi dans Doctor Gradus at Parnassum (retour du second pianiste), avec une foule de ruptures très bienvenues, et une jubilation presque palpable. Hervé Sellin aborde ensuite la Sarabande, qu'il débarrasse de sa majesté un peu guindée tout en demeurant très debussiste dans ses improvisations. Puis c'est La plus que lente, une sorte de quintessence de ce projet, mêlant amour profond de cette musique et totale liberté de variation. Et en conclusion In a Mist, composition très debussiste de Bix Beiderbeke (qui l'avait enregistrée au piano en 1927), qui résume magnifiquement la démarche d'ensemble d'un disque qui se révèle une totale réussite.

 

ENRICO PIERANUNZI « Monsieur Claude [A Travel with Claude Debussy] »

Enrico Pieranunzi (piano), Diego Imbert (contrebasse), André Ceccarelli (batterie), avec Simona Severini (voix), David El Malek (saxophone ténor)

Meudon, 14-15 janvier 2018

Bonsaï Music BON 180301 / Sony Music

 

Le pianiste italien a beaucoup de points communs avec son confrère Hervé Sellin : comme lui de formation classique du plus haut niveau, comme lui enseignant dans une grande institution, il s'est professionnellement partagé entre le classique (un peu) et le jazz (beaucoup, et avec les plus grands : Chet Baker, Art Farmer, Jim Hall, Johnny Griffin....). Hervé Sellin quant à lui a régulièrement accompagné Griffin, et aussi Gillespie, Dee Dee Bridgewater, Barney Wilen, Phil Woods.... Bref ce sont deux indiscutables jazzmen, qui ont aussi dans leur cœur Debussy. Enrico Pieranunzi avait déjà musardé du côté de Scarlatti, Bach, Haendel, Satie, Schumann, Fauré et Milhaud, et il saisit lui aussi le centenaire de la disparition de Debussy pour un hommage jazzistique. Son choix réside dans la formule du trio de jazz, qui accueille aussi alternativement la voix de Simona Severini et le saxophone de David El Malek. Le trio, c'est celui du disque «Ménage à trois», très rôdé par la scène. Le pianiste italien prend le parti de créer des compositions de jazz inspirées par des pièces de Debussy, restant parfois proche de l'original tout en le travaillant en jazzman (Bluemantique, d'après la Valse romantique ; Passepied nouveau ....), modifiant le tempo (L'autre ballade) ou transposant pour le confort de la vocaliste (Romance). Il va aussi transformer la Rêverie en une sorte de bossa nova avec voix sans paroles, ou doter La fille aux cheveux de lin d'un tempo plus vif, et le renfort du saxophone. Son Blues for Claude, blues hétérodoxe, se tourne à la fois vers les gammes par tons chères à Monsieur Claude, et vers les rugosités rythmiques et harmoniques de Monsieur Thelonious. Nuit d'étoiles, sur un texte de Théodore de Banville, se métamorphose en valse jazz et là, saxophone et voix cohabitent (ce qu'ignorent les infos du CD). Mr. Golliwogg (déjà enregistré sur le disque «Ménage à trois») ne cache pas sa source, mais le traitement est très différent de l'usage furtif adopté par Hervé Sellin. Et après un solo archi-debussiste intitulé My Travel with Claude, Enrico Pieranunzi conclut par une dernière composition originale, sur L'adieu, poème d'Apollinaire (comme l'avaient fait Arthur Honegger, Bohuslav Martinů.... et Léo Ferré). Ici encore la bossa nova fait entendre la langueur de son rythme détendu. Belle conclusion pour un hommage également totalement réussi. Décidément Monsieur Claude n'a pas fini d'inspirer les jazzmen !

Xavier Prévost

 

Le groupe d'Enrico Pieranunzi jouera à Paris, au Sunside, les 24 & 25 avril 2018

 

Sur Youtube, présentation de son disque par Enrico Pieranunzi

https://www.youtube.com/watch?v=b6dT-xpxK3s

 

Sur Youtube, présentation du disque d'Hervé Sellin

https://www.youtube.com/watch?v=0ClhDIprEQc

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15 avril 2018 7 15 /04 /avril /2018 08:53

Le rapports entre la musique (et plus précisément ici le jazz et son entour) et la littérature, voilà bien un sujet riche autant qu'insondable, depuis Pierre Reverdy donnant la réplique aux jazzmen jusqu'à Sade selon Jean-Rémy Guédon et Archimusic, en passant par Charlie Parker vu par Kerouac ou Cortazar. Dans les deux disques qui nous occupent en cet instant : une nouvelle d'Edgar Poe, Ligeia, (dans la traduction de Charles Baudelaire) vue par les membres de l'ARFI de Lyon (et Michael Lonsdale) , et des poèmes de François Cheng mis en espace musical par Yves Rousseau, la question n'est pas posée en termes d'illustration ou d'accompagnement, mais plutôt, peut-être, en termes de correspondance(s). Cela tombe presque sous le sens si l'on veut bien se rappeler ce que ce mot, et son pluriel, signifient dans l'œuvre du traducteur d'Edgar Allan Poe ; et aussi si l'on considère que le poète-calligraphe-linguiste et romancier François Cheng interroge l'essence même de la beauté sans la circonscrire à un objet, une technique ou un moyen d'expression. 

YVES ROUSSEAU «Murmures»

Anne Le Goff (voix), Pierrick Hardy (guitares), Thomas Savy (clarinette basse), Keyvan Chemirani (percussions), Yves Rousseau (contrebasse, composition, arrangement).

Pernes-les-Fontaines, julllet 2017

Abalone AB 032 / l'autre distribution

 

Ici la voix est à la fois celle qui dit le poème, et celle qui le chante, dans le dialogue avec les instruments. Celle aussi qui, sans les mots, par la vocalise, fait écho au texte et aux instruments, tout à la fois. La musique d'Yves Rousseau parle d'un monde où l'aventure sonore fait sens, quoi qu'en disent ceux qui s'accrochent au postulat stravinskien selon laquelle la musique n'exprime rien. D'ailleurs, de la musique comme de la poésie, on serait tenté de dire que nous ne lui demandons pas, fondamentalement, de nous délivrer un sens. Rien qu'une parole peut-être, une parole qui se prolonge et dont la durée nous parle. Alors écoutons la caresse de la clarinette qui fait écho au texte, l'emportement des percussions qui ouvrent la voie (voix?) au poème qui vient, dans l'absolu dénuement de la parole, avant que la basse obstinée ne remette le rythme cursif sur le chemin de notre écoute. Correspondance(s), vraiment, entre ces disciplines (arts, moyens d'expression....) qui nous parlent en dialoguant.


 

ARFI «DarkPoe»

Michael Lonsdale (récitant), Xavier Garcia (clavier, échantillonneur), Clément Gibert (clarinette, clarinette basse, saxophone alto, flûte à bec), Guillaume Grenard (trompette, trompette à coulisse, euphonium, flûte à bec), Géraldine Keller (voix, flûte traversière, objets), Nicolas Pelletier (batteries électronique et acoustique), Jean-Marc François (objets)

Paris, juillet 2016 & Brignais (Rhône), février 2017

Label Arfi AM 064 / l'autre distribution


 

Cette fois la voix est plurielle : celle de Michael Lonsdale, qui est en elle-même une aventure sonore, une musique, une dramaturgie sensorielle ; et celle de Géraldine Keller, coutumière des allers-retours entre diction et chant. Le texte d'Edgar Poe fait vivre cette fascinante Ligeia, qui meurt mais revient de cet au-delà spectral où elle semble avoir toujours élu domicile. La voix de Géraldine Keller lui donne corps aussi, dans un échange avec le texte littéraire, et la musique qui, mêlant le jazz contemporain et l'électro-acoustique, épouse le mystère de ces noces fatales. Il n'est pas non plus ici question d'illustrer ou d'accompagner un texte dont le pouvoir d'évocation est considérable. DarkPoe est aussi un spectacle sonore (donné à Lyon en avril 2017, puis en janvier 2018). Un dispositif pour l'ouïe, car les spectateurs y assistaient dans le noir complet. Peut-être faut-il écouter le CD dans l'obscurité, pour goûter pleinement les correspondances et les échanges qui se tissent dans ce dialogue mesmérique entre deux voix (le récitant, la chanteuse) et la musique de l'ARFI.

Xavier Prévost

 

Un avant ouïr de 'DarkPoe' sur Culturebox

https://culturebox.francetvinfo.fr/musique/dark-poe-michael-lonsdale-prete-sa-voix-a-un-ovni-litteraire-et-musical-268337

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15 avril 2018 7 15 /04 /avril /2018 08:35

Fresh sound new talent 2018
Yuval Amihai (g), Damien Varaillon (cb), Gauthier Garrigue (dms) + Hermon Mehari (tp), Amid Friedman (ts)


Il y a de ces moments de délicatesses, je vous dis pas ! Et quand ces moments de grâce entraînent dans leur sillage des thèmes que vous connaissez par coeur et qui résonnent comme la réminiscence de purs moments de bonheur, l’extase est complète, le nirvana pas loin.
Yuval Amihai est un jeune guitariste, que pour notre part nous avons contribué à révéler lors du Tremplin du Festival de St Germain. Il nous avait alors totalement charmé par sa façon, sans manière et sans chichis, de poser ses notes bleutés sur une musique, pas révolutionnaire mais totalement inscrite dans la tradition.
Dans ce nouvel album, Yuval Amihai avait en tête les duos d’Ella Fitzgerald avec Joe Pass dans cet album de légende où la chanteuse s’était lancée dans l’exercice du duo. C’est avec le même sens du blues et des chatoyances harmoniques que Yuval se lance dans un répertoire de standard sur lequel il s’amuse lui même à faire chanter sa guitare. Et c’est avec un sacré talent qu’il entreprend l’exercice. Faut dire ! Le guitariste a une façon rare de faire sonner la note, juste la note en lui donnant à la fois un son, une résonnance qui effleure comme une caresse. Avec un sens rare de la mélodie, il ne part jamais en vrille, reste totalement sous contrôle avec ce je-ne-sais-quoi de supplément d’âme qui fait que la musique est alors plus que la musique. Et pourtant on les connaît bien ces thèmes signés de quelques géants : Duke Ellington ( I ain’t nothin’ but the blues), Oliver Nelson ( stolen moment), Van Heusen ( Polka dots and moonbeams), Keith Jarrett ( So tender), Rodgers-Hart ( You are so beautiful) et même un époustouflant Michel Legrand ( De Delphine à l’ancien). Ca chante, ça balance, ça swingue avec légèreté et sans ostentation, ça vous  fait du bien par où ça passe.
Et puis lorsqu’il ne s’agit pas de ces thèmes emblématiques, Yuval Amihai compose et associe dans un registre assez différent deux compagnons de route au sax et à la trompette, qui viennent donner alors un autre relief, un autre volume.

On ne s’étonne pas alors que Jordi Pujol, grand découvreur de talent devant l’éternel, ait jeté une oreille enamourée sur les sonorités bleues de ce guitariste rare. Ce fils naturel de Joe Pass, de Tal Farlow et même un peu de Wes Montgomery ou Georges Benson.
Il est assurément de cette trempe-là.
Jean-Marc Gelin

 

Concerts de sortie

- 20 et 21 avril au Bemol à Lyon

- 25 avril au Sunset à Paris

- 26 avril au Jazz Fola à Aix en Provence

 


Chronique de son précédent album :
http://lesdnj.over-blog.com/2015/06/yuval-amihai-trio-longing.html

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