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6 janvier 2021 3 06 /01 /janvier /2021 16:34

À onze ans, il écoute des disques de Miles Davis, puis d’Ornette Coleman, joue de la trompette, puis du cor. La pose d’un appareil dentaire l’oblige à changer d’instrument et à choisir la guitare. En 1968, il participe à un stage avec Attila Zoller, entend Jim Hall et Freddie Hubbard un peu plus tard à New York, étudie la musique de Coltrane, se passionne pour Clifford Brown, rencontre Gary Burton (avec qui il enregistrera de nombreux albums) en 1974 au Festival de Wichita, obtient un poste au Berklee College of Music (1974-75), retrouve un ami d’adolescence, Lyle Mays, auprès de qui il joue pour la première fois quelques mois plus tard, avec Steve Swallow et Danny Gottlieb.

Cet entretien s’est déroulé à l’Ancienne Belgique, à Bruxelles en 1981, à l’issue d’un concert du all stars “80/81” en compagnie de Michael Brecker, Dewey Redman, Charlie Haden et Billy Higgins.

Quelle fut votre première guitare ?

Une Gibson 175 de 1958, je l’ai achetée d’occasion à un fermier — je viens d’une toute petite ville du Missouri.

Quel est le guitariste qui vous a le plus influencé ?

Wes Montgomery, et il a toujours été mon préféré. ll était très mélodique, il jouait avec beaucoup de simplicité, de clarté, qualités que j’apprécie beaucoup.

Vous avez aussi écouté du rock ?

J’ai toujours écouté toutes sortes de musiques. Je fais beaucoup de choses stylistiquement différentes mais, pour moi, tout est proche. Ayant grandi au cours des années 1960 et 1970, je pense que la seule manière naturelle pour un musicien d’exister, c’est d’aimer toutes sortes de musiques, d’être capable de jouer dans beaucoup de situations différentes. Ces termes, comme jazz ou rock, ne veulent pas dire grand-chose.

Avez-vous eu des professeurs ?

J’en ai eu beaucoup, dans la mesure où ces types [le groupe “80/81” : Dewey Redman. Mike Brecker, Charlie Haden et Billy Higgins] sont mes professeurs. J’ai toujours joué avec des grands musiciens depuis l’âge de quinze ans…

A part la Gibson, vous avez une autre guitare électrique… ?

C‘est une Roland, une guitare-synthétiseur. Habituellement, j’en emporte une dizaine en tournée. Avec mon groupe, je joue d’environ dix guitares différentes au cours de la soirée, toutes sortes d’acoustiques, de douze-cordes…

Quelle est votre préférée ?

C’est celle-ci, la Gibson.

Quel matériel aviez-vous apporté pour le concert que nous venons d’entendre ?

Le petit ampli est un Acoustic 134 ; j’ai deux Yamaha GS 100 avec un haut-parleur Electric Voice, un digital delay Lexicon et un MXR ; et enfin cette guitare-synthétiseur Roland.

Et vos cordes ? Vos médiators ?

Des cordes d’Addario et des médiators Fender…

Je crois savoir que le disque que vous avez enregistré avec Paul Bley vous a causé pas mal de soucis… [N.D.R. : “Jaco” (IAI, 1974) avec Bley (el-p) et Bruce Ditmas (dm)]

Quelle galère ! Jaco et moi étions à New York, nous nous connaissions depuis des années, c’était avant qu’il ne parte avec Weather Report et moi avec Gary Burton. Nous avions pris contact avec Paul parce que nous l’aimions tous les deux. Nous avons un peu joué avec lui, il a enregistré une répétition puis, quand Jaco est devenu célèbre, il en a fait un disque, l’a mis sur le marché et ne nous a jamais payé un centime. Quand j’ai commencé à être un petit peu connu, il a remis ça comme s’il s’agissait de mon disque. Je l’adore, c’est l’un de mes musiciens préférés, mais au niveau du business, quelle tasse !

Vous livrez-vous a un échauffement particulier avant un concert ?

Habituellement, je joue simplement des gammes chromatiques pendant cinq ou dix minutes pour me chauffer.

Vous composez la plupart des musiques de vos albums ; vous sentez-vous davantage guitariste ou compositeur ?

Plutôt compositeur, je ne me sens pas vraiment attaché a la guitare, c’est un instrument…

Vous avez enregistré un album en solo pour ECM [“New Chautauqua” en 1978]. Que pensez-vous du solo ?

Ce disque n’était pas vraiment un solo dans le sens où Ralph Towner joue en solo : il y a quelques surimpressions. J’aime ça mais je ne le maîtrise pas vraiment. C’était une musique très spécifique, une déclaration très personnelle et que je devais faire tout seul, mais je ne suis pas un très bon guitariste solo.

Avez-vous un groupe régulier à New York ?

J’ai un orchestre aux Etats-Unis, il y a Lyle Mays aux claviers et Dan Gottlieb à la batterie qui jouent avec moi depuis cinq ans ; Nana Vasconcellos est aux percussions et mon nouveau bassiste, Steve Rodby, est fantastique, c’est le groupe que je préfére. Nous sommes cinq musiciens mais, par moments, ça sonne comme si nous étions cinquante. Nous avons beaucoup de synthétiseurs et une certaine manière d’utiliser ensemble des instruments acoustiques et électriques.

Et le trio guitare-basse-batterie ?

J’ai longtemps joué dans cette formule, avec Jaco Pastorius pendant deux ans [N.D.R. : avec Bob Moses à la batterie]. On a fait aussi beaucoup de concerts en trio avec Dave Holland et Jack DeJohnette [N.D.R. : et, plus tard, avec Charlie Haden et Billy Higgins].

Qui a eu l’idée de ce groupe “80/81” ?

C’est moi, je connais tous ces types depuis très longtemps, j’ai connu Dewey [Redman] et Charlie [Haden] quand ils étaient avec Keith [Jarrett] alors que moi, à la même époque, j’étais avec Gary [Burton], les autres c’est pareil. Ce sont en quelque sorte mes amis, je voulais faire des disques différents de mon groupe et je n’avais jamais vraiment enregistré avec des souffleurs, j’avais quelques morceaux prêts… Nous nous sommes tellement amusés à faire le disque que nous nous sommes dits que ce serait rigolo de faire un jour une tournée. C’est une tournée en coopérative et j’avais pourtant insisté pour que, sur toute la publicité, mon nom soit mis en bas. Quand je suis arrivé ici, à Bruxelles, et que j’ai lu « Pat Metheny et le groupe “80/81” », ça m’a fichu un coup. J’étais encore au lycée que tous ces types jouaient et travaillaient, c’est ridicule. Sur le disque [N.D.R. : Pat Metheny Quintet sur ECM, avec Jack DeJohnette à la place de Billy Higgins], c’est autre chose, j’avais écrit la musique et j’avais mon mot à dire, mais pour des concerts et particulièrement celui-ci, tout est improvisé, ce n‘est vraiment pas mon groupe.

Avez-vous entendu parler de James “Blood” Ulmer ?

Je l‘ai entendu il y a près de six ans avec Ornette [N.D.R. : en 1985, Pat Metheny et Ornette Coleman enregistreront “Song X” (sur Geffen) avec Haden, DeJohnette et Denardo Coleman], et c‘était fantastique. Récemment. c’était pas terrible.

Et Derek Bailey ?

Je l‘aime beaucoup, particulièrement sur le disque qu’il a fait avec Dave Holland chez ECM [N.D.R. : en 1996 à New York, Bailey et Metheny enregistreront un coffret de 3 CD (sur Knitting Factory) avec Gregg Bendian et Paul Wertico (perc)]. ll y a aussi un autre guitariste qui met des micros en haut du manche…

Fred Frith ?

C’est ça, je l’aime bien aussi. Mais je vais vous dire : la guitare électrique préparée, c’est bien, mais il me semble que l’avenir viendra de la guitare-synthétiseur.

Quelles sont vos activités aux États-Unis ?

Je suis pratiquement toujours en tournée, mon groupe travaille davantage que n’importe quel autre groupe de jazz, la seule manière de s’améliorer, c’est de jouer beaucoup. Dès que je reviens de cette tournée, je repars avec mon groupe. Chaque fois que je ne suis pas en tournée, je passe mon temps à écrire de la musique pour le groupe, en attendant avec impatience de repartir.

Composez-vous sur un piano ou à la guitare ?

J’écris généralement sur une feuille de papier, c’est plus simple ! Je n’ai pas à essayer d’imaginer comment mettre tout en place.

Quels sont vos projets de disques ?

Une prochaine séance avec mon groupe en octobre à New York ; ensuite, un projet avec Nana Vasconcellos, j’écrirai la mélodie et lui les paroles, en portugais. Nous pensons faire ce disque avec des musiciens brésiliens, Nana, Lyle Mays et moi, un disque de chansons. ll y a tellement de choses que je voudrais faire. J’aimerais tellement faire un disque où on joue vraiment, un disque plus improvisé. J’aimerais faire aussi un disque de standards.

On lit parfois que vous êtes la « nouvelle star de la guitare ». Qu’en pensez- vous ?

Ça n’a pas de sens. Je ne fais qu’essayer de faire ce que je peux, essayer de m’améliorer et c’est difficile. C’est à soi-même de savoir si on est bon ou non. J’ai l’impression que je m’améliore régulièrement avec le temps.

Pour conclure, pouvez-vous me montrer vos ongles ?

J’ai les deux doigts extérieurs avec des ongles courts et les trois du milieu avec des ongles longs.

(Propos recueillis et traduits par Gérard Rouy.)

Photos © Gérard Rouy

 

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4 janvier 2021 1 04 /01 /janvier /2021 08:49

 

Alexandra Grimal (saxophones ténor, soprano & sopranino, voix), Edward Perraud (batterie, percussions)

enregistré en 2014

unsui | Alexandra Grimal & Edward Perraud | Alexandra Grimal (bandcamp.com)

 

Sans édition CD ni label, et donc seulement accessible en fichier numérique via la page bandcamp d'Alexandra Grimal, un duo enregistré voici plus de six ans, qui vient d'être publié, et dont le titre a été inspiré par la lecture de François Cheng : 'Unsui' est un terme chinois qui dans la tradition zen désigne simultanément le nuage et l'eau, ce qui glisse comme le nuage et coule comme l'eau. Et cette musique improvisée est comme un flux mouvant, une matière diaphane qui poursuit son essor et se répand dans notre esprit et nos sens, tantôt comme un baume qui nous envelopperait de ses sortilèges, tantôt comme une danse qui nous conduirait sur des chemins insoupçonnés. Un dialogue incessant entre les deux artistes, conversation qui procède simultanément de la puissance matérielle du son et de l'exercice spirituel en quoi s'accomplit la musique. Et le lyrisme aussi s'empare des saxophones, stimulé par la frappe ou les frottements qui font chanter les percussions. On se laisse embarquer, suivant un fil que l'on perd forcément (le luxe de l'auditeur, c'est qu'il a le droit de perdre le fil), et l'on arrive au terme de ce voyage improvisé après un texte qui nous égare comme en un rêve. Une très belle page de musique scénarisée, à laquelle il suffit de s'abandonner, avec bonheur et recueillement.

Xavier Prévost

 

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31 décembre 2020 4 31 /12 /décembre /2020 18:31

François Lana (piano, synthétiseur), Fabien Iannone (contrebasse), Phelan Burgoyne (batterie)

Vevey, mars & août 2019

Leo Records CD 884 / Orkhêstra

https://francoislana.bandcamp.com/album/cath-drale

 

Un oublié de l'automne : l'album est arrivé en octobre, au moment de sa parution, quand attendaient un foule de CD à paraître en novembre mais reçus dès septembre. Une revendication d'influence explicite, dans le texte du livret, qui cite Monk, Paul Bley, Andrew Hill (une plage lui est dédiée) et le plus rarement évoqué Herbie Nichols. Et c'est bien cette dernière influence qui m'a frappé de prime abord : thèmes fragmentés, sinueux, mais forme cohérente, servie par des jaillissements soudains qui sont la vie même. Entre deux improvisations collectives (la première et la dernière plage), des compositions tissées d'inventivité, d'énergie, de swing. Du piano pensé mais qui déborde de vitalité, une interactivité manifeste entre les membres du trio, et le goût de faire chanter les instruments sans étouffer l'énergie. Au fil des plages le très troublant Hillness, dédié comme son titre le laisse supposer à Andrew Hill, avec aussi tous les jeux de mots implicites qui peuvent nous entraîner ailleurs.... Une intro sur des harmonies tendues, un basculement vers un climat de blues 'à la Monk', et quelques escapades qui fleurent bon la revendication de singularité. La plage suivante lance des fusées qui me rappellent Herbie Nichols, que j'adore. Et partout de la liberté, de l'inventivité, de l'audace. Et, du début à la fin, un vrai bon disque de jazz (très) moderne !

Xavier Prévost

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Un vidéo de 2019 filmée à la Halle Papin de Pantin

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23 décembre 2020 3 23 /12 /décembre /2020 10:17
CHRISTOFER BJURSTRÖM PIANO SOLO    L’ECUME DE MAI

CHRISTOFER BJURSTRÖM

L'ECUME DE MAI

SORTIE DECEMBRE 2020

MZ Records – Label de disques

 

 

 

L’écume de mai surgit en bord de mer, souvent au printemps. Produit du bouillonnement de la mer, elle est portée par le vent vers le rivage. Christofer Bjurström évoque dans cet album ce qui nous constitue dans les diverses temporalités de nos vies, comment nous sommes présents au monde. Comme des tableaux sonores qui ouvriraient une fenêtre idéale dans laquelle s’inscrit le visage intérieur du pianiste.

Explorant les possibilités d’un instrument complet, il affirme une dimension narrative, qui ne va pas sans émotion. Il choisit ainsi de se portraiturer à travers un choix de textes et par des plages improvisées. Travail solitaire et plus ingrat mais adapté sans doute à cette période introspective. Rappelons que le disque fut enregistré en juin dernier pour le label Marmouzic records. Une musique sensible, qui nous met aussi à l’épreuve, qui trace au fil de 9 compositions le relief de ses humeurs troublées, sceau du confinement?
Cette aventure toujours risquée du piano solo décline donc 9 pièces libres, vives, inspirées de poèmes de Jules Supervielle, Abdellatif Laâbi, Claude Roy, Bo Carpelan, Emily Dickinson, Sylvia Plath et Raymond Carver.

Ce qui est devenu écume, le tout premier titre, en réponse à Supervieille dans Oublieuse Mémoire, éclaire le projet sans ambiguïté:

C’est tout ce que nous aurions voulu faire et n’avons pas fait,

Ce qui a voulu prendre la parole et n’a pas trouvé les mots qu’il fallait,

Tout ce qui nous a quittés sans rien nous dire de son secret …

Ce qui est devenu écume pour ne pas mourir tout à fait ...

Ce qui avance dans les profondeurs et ne montera jamais à la surface, Ce qui avance à la surface et redoute les profondeurs;

 

La musique est plus que jamais une tentative de fixer l’éphémère même siRien de ce qui arrive ne demeurera” écrit Raymond Carver dans La vitesse foudroyante du passé.

Ce qui demeure, trace de l‘instant qui se joue, de la musique qui advient, fait de la place à nos images mentales, à nos paysages intérieurs. Christofer Bjurström parvient à produire une musique à la fois résistante et liquide, avec des formes qui naissent et s’évanouissent, en une plongée dans les tréfonds de l’intime. Notes en pluie serrée et persistante, ou qui perlent et rebondissent un un friselis moutonnant, martèlement audacieux du clavier ou bruit sourd dans les bois et cordes quand le piano est préparé, superpositions d’accords et de brisures rythmiques composent un chant jamais plaintif mais lucide, une mélodie souvent heurtée, des tressaillements qui remontent avec le souffle du temps. Avec l’appréhension d’un certain vide qui devient silence, dans une tonalité volontairement grave, s’inscrivent pauses, ruptures, blancs. Un rythme souvent insistant, obsessionnel parcourt ses solos qui racontent presque toujours une histoire. Surgissent aussi des mélodies plus fluides, impressionnistes, des élans lumineux réparant les horizons éclatés, qui ramènent vers des rivages connus, avec l’espérance.

Ainsi écoutons nous ce piano en archipel, singulier pluriel qui sait accompagner les images d’un film qui se projette dans notre imaginaire.

Sophie Chambon

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22 décembre 2020 2 22 /12 /décembre /2020 01:49

Folio/Gallimard.448 pages. 11,50€
 

 

C’est un grand classique et comme tel, toujours d’actualité. Free Jazz, Black Power, l’étude de Philippe Carles et Jean-Louis Comolli, publiée en 1971 (Editions Champ Libre *) fait l’objet d’une nouvelle publication en version poche, avec le saxophoniste Marion Brown (1931 ou 1935-2010) en première de couverture, saisi par le photographe Philippe Gras.


Le texte présenté dans cet ouvrage de 448 pages date de l’édition de 2000 (avec Julius Hemphill, autre saxophoniste, 1938-1995, en couverture, photo de Giuseppe Pino), alors actualisée par ses auteurs, Philippe Carles, à l’époque rédacteur en chef de Jazz Magazine et Jean-Louis Comolli, chroniqueur de jazz et de cinéma et cinéaste.


Il est vrai que le free jazz dans sa version abrupte et protestataire a quelque peu disparu de l’expression jazzique depuis le début de ce XXI ème siècle même si son influence demeure sur les jazzmen de la jeune génération. Il n’empêche que l’analyse effectuée alors garde toute sa pertinence. Free Jazz, Black Power, selon leurs auteurs, « reconsidère l’histoire du jazz dans son articulation avec l’histoire sociale et politique des Noirs américains ».

 


Dans leur introduction, Philippe Carles et Jean-Louis Comolli écrivaient : « Il est remarquable que l’un des principaux problèmes auxquels soient affrontés aujourd’hui les militants politiques noirs américains soit celui de l’idéologie dominante dans les élites et une partie des masses noires ». C’était en 1971.

 

(*). Le livre avait aussi frappé les esprits par le dessin de couverture signé Reiser, figure mythique de Hara-Kiri, représentant un noir tirant la langue et levant le poing.

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

©photo et dessin : Philippe Gras et Reiser.

 

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21 décembre 2020 1 21 /12 /décembre /2020 09:31

Sylvain Daniel (guitare basse, voix, claviers, percussions, piano, bugle, batterie), Guillaume Poncelet (trompette), Sophie Agnel (piano, synthétiseur), David Aknin (batterie), Johan Renard & Anne Le Pape (violons), Cyprien Busolini (alto), Jean-Philippe Feiss (violoncelle), Olivier Augrond (voix)

sans date, Pantin & Paris

Kyudo Records / l'autre distribution

https://sylvaindaniel.bandcamp.com/album/pauca-meae

 

J'aborde ce disque avec circonspection : il est construit autour de poèmes de Victor Hugo. Or les héros de mon dix-neuvième siècle littéraire s'appellent plutôt Balzac, Flaubert, Baudelaire, Lautréamont, Rimbaud, Jules Vallès, Nerval, Mallarmé (liste non exhaustive), le Père Hugo m'étant toujours apparu comme un notable certes souvent contestataire (les exils, Napoléon le Petit, Le Dernier jour d'un condamné, L'homme qui rit, Quatrevingt-treize....), mais tellement installé dans le parcours qui devait le conduire depuis la position de Pair de France jusqu'aux obsèques nationales, malgré les désagréments causés par ses engagements successifs. Et sa poésie m'a toujours semblé d'une correction bourgeoise qui m'anesthésie.

Mais j'aime beaucoup la musique de Sylvain Daniel, donc je m'y suis plongé. Après avoir lu dans une gazette culturelle un article qui s'étendait longuement sur Hugo plus que sur la musique, je vais tenter d'esquiver le piège, et de me concentrer sur cette œuvre musicale. Une musique autour du texte assurément. Dans le texte aussi, parfois contre, mais pour mieux l'évoquer. Le texte, c'est le livre IV des Contemplations, un recueil intitulé 'Pauca Meæ' : peu de vers (60 pages, quand même, dans le tome 2, cinquième édition, des Contemplations chez Hetzel en 1858), pour cet ensemble de poèmes suscité par la mort de Léopoldine. Soixante pages, c'est déjà beaucoup quand le titre suggère peu....

Côté texte d'abord, la diction d'Olivier Augrond est constamment adaptée au poème convoqué. Intimité chaleureuse pour 'Elle avait pris ce pli' (cinquième poème du recueil, mais première plage du CD) ; violence à peine contenue (et soulignée par un changement de prise de son) dans 'À Villequier' (les huit derniers vers d'un long poème) après une formidable séquence musicale de profonde mélancolie où la trompette nous envahit d'émois. Les poèmes ne sont pas évoqués dans l'ordre du recueil et d'ailleurs, pour la plage suivante du disque, 'Aux anges qui nous voient', c'est un double emprunt au livre VI du recueil, et donc plus à 'Pauca Meæ'. Mais la musique est toujours d'une grande intensité, et sur un canevas répétitif le spleen est toujours là. Puis vient la folie du père égaré par son chagrin. La musique encore dit plus que l'essentiel. L'inoxydable Demain, dès l'aube (souvenir du premier poème que l'on m'a fait apprendre à l'école, à l'âge de cinq ou six ans....) est esquivé pour n'offrir qu'un court-circuit entre les vers 5 à 8 et 11-12 de la fin du poème. Belle manière de nous épargner la grandiloquence du début du poème (Hugo n'est pas Baudelaire, hélas!). Il y a ensuite encore des emprunts au livre sixième, mais sans détailler chaque plage, je dois dire que, du début à la fin, Sylvain Daniel m'a convaincu musicalement par la pertinence de son choix hugolien. Et la conclusion chambriste qui, dans la dernière plage, reprend le thème de la première, sans texte mais avec quatuor à cordes, m'a énormément plu. Pas fan du Père Hugo (sauf les exceptions que j'ai mentionnées), mais enchanté par ce disque puissamment évocateur !

Xavier Prévost

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20 décembre 2020 7 20 /12 /décembre /2020 14:55

Ma Rainey’s Black Bottom. Bande originale du film de George C.Wolf. Branford Marsalis. Sony Music/Milan. Décembre 2020.

Avec Bessie Smith, Ma Rainey (1886-1939) figure au panthéon des chanteuses de blues des premières années du jazz au début du siècle passé. Dotée d’une voix de contralto « parfaitement contrôlée » et de rondeurs généreuses, Ma en imposait sur scène. « Véritable arbre de Noël décoré de bijoux, elle jouait admirablement de son physique », observe François Billard (Les chanteuses de jazz. Ed.Ramsay).

 

Sa forte personnalité et ses qualités artistiques d’interprète (dès l’âge de douze ans) et de compositrice -on lui doit ainsi en 1924 'See See Rider', un des futurs hits d’Elvis Presley- ont inspiré le théâtre, avec une pièce, ‘Ma Rainey’s Black Bottom’, signée August Wilson et jouée à Broadway en 1982.
Le récit des aventures à Chicago en 1927 de la chanteuse de Colombus (Georgie) -imaginées sous la forme d’un huis clos dans un studio d’enregistrement- vient d’être porté à l’écran par George C.Wolfe avec le même titre, celui d’une composition de la chanteuse, film qui est diffusé sur Netflix depuis le 18 décembre.

 

Dans le rôle-titre, Viola Davis (Oscar en 2017 pour son interprétation dans 'Fences') partage la vedette avec Chadwick Boseman (le héros du film 'Black Panther') qui incarne un trompettiste dans ce qui s’avèrera sa dernière apparition à l’écran (il est décédé d’un cancer en août dernier à l’âge de 43 ans).

 

La bande-son en a été confiée à Branford Marsalis qui s’est plongé dans l’univers musical des années 20 et plus spécialement, précise-t-il dans le livret, dans les interprétations de King Oliver et de Paul Whiteman. Le saxophoniste et arrangeur de la Nouvelle-Orléans souligne combien les deux musiciens ont su élargir le format traditionnel des petites formations de l’époque (trompette, clarinette, trombone, banjo ou piano, basse ou tuba et batterie).

 

A la tête d’une grande formation avec force violons, violoncelles, saxophones (ténor, alto), trombones, cornets, Branford Marsalis reproduit brillamment l’atmosphère de cette époque flamboyante sans céder à une quelconque nostalgie poussiéreuse. Des 24 titres joués ici, quatre sont des compositions de Ma Rainey y compris celle qui donne son nom au film et ‘Those Dogs of Mine’ interprétée par Viola Davis ... Un album qui mérite d’être classé au milieu de la centaine d’enregistrements laissés par Gertrude, Malissa Pridgett surnommée  « la mère du blues ».


Jean-Louis Lemarchand.

 

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20 décembre 2020 7 20 /12 /décembre /2020 10:39

Pierre de Bethmann (piano, piano électrique), Sylvain Romano (contrebasse) Tony Rabeson (batterie)

Pompignan (Hérault), 7-8 septembre 2019

Aléa 013 / Socadisc

http://aleamusique.fr/fr/disques/72-pierre-de-bethmann-trio-essais-volume-4

 

Le quatrième volet d'une série entamée en mars 2015, avec le beau projet de jouer les standards, et pas que (dans les volumes précédents Gabriel Fauré, Gainsbourg, Ravel, Boris Vian, Brassens, Stevie Wonder....), et toujours ce beau souci de vraiment réinterpréter. On pourrait même dire déconstruire/reconstruire, avec amour et respect pour les musiques choisies. Cette fois le choix de Pierre de Bethmann s'est porté sur des standards du jazz au sens strict (Anthropology, Saint Thomas, Think of One), mais aussi sur des grandes compositions de jazzmen (et jazzwomen) que l'on ne qualifierait pas forcément de standards (et pourtant....) : Three Blind Mice de Carla Bley, Deluge de Wayne Shorter, Ma Bel de Kenny Wheeler.... Sans oublier une chanson de Paul Mac Cartney (This Never Happened Before), et une autre du pianiste argentin Guillermo Klein, Moreira, reprise notamment par Miguel Zenón. De tout cela le pianiste fait œuvre nouvelle. Parker, Rollins et Monk sont joyeusement (mais amoureusement) pervertis dans leur rythme, leurs harmonies, ou dans leur ligne mélodique. Parfois le piano sort du cadre quand la basse rappelle les fondamentaux, et tout cela débouche sur des improvisations qui renouvellent la longue histoire de ces thèmes. Sylvain Romano, solide comme le roc, permet à ses partenaires toutes les audaces (Ah! les commentaires de Tony Rabeson, qui sont en eux-mêmes des histoires autonomes....). Pierre de Bethmann s'évade volontiers, avec toujours une grande pertinence (citer Night Train en improvisant sur Monk, il faut oser). Le traitement réservé à Wayne Shorter, Carla Bley et Kenny Wheeler paraît moins radical, tout simplement peut-être parce que ces thèmes sont moins ancrés dans nos mémoires par leurs interprétations de référence, et forcément moins porteurs aussi de souvenirs de relectures. En tout cas, d'une plage à l'autre, et d'un bout du disque à l'autre, on se régale de la liberté avec laquelle ce répertoire choisi est interprété, réinterprété, métamorphosé (c'est la nature-ou plutôt la culture- du jazz même).

Un avant-ouïr en suivant ce lien

http://pierredebethmann.fr/audio-player/72

 

 

On retrouve ce volume 4 dans le coffret publié simultanément, accompagné des volumes précédents. Chroniques de ces volumes antérieurs dans les Dernières Nouvelles du Jazz en cliquant sur vol.1, vol.2, vol.3

 

Encore quelques jours avant Noël ou le Nouvel An pour offrir ce coffret en cadeau !

Et il y a une surprise dans ce coffret : un volume complémentaire, intitulés «Essais/supplément», avec des plages inédites issues de l'ensemble des séances depuis 2015 : Introspection de Monk, en solo, qui raconte l'histoire dans un dialogue entre les deux mains du pianiste ; Les feuilles mortes, en trio cette fois, en se jouant du thème et des accords, avec une cavalcade improvisée ; Stablemates, de Benny Golson, en solo, avec encore un jeu de mains ; retour au trio pour Melody of the Moment, impromptu surgi de la rencontre entre Herbie Hancock et Jacob Collier ; et solo de la dernière plage sur As Time Goes By. Ces inédits sont un supplément d'âme pour un bonheur conclusif.

Xavier Prévost

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Des extraits du coffret en suivant ce lien

http://pierredebethmann.fr/fr/fr/albums/73-pierre-de-bethmann-trio-essais-volumes-1-a-4

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19 décembre 2020 6 19 /12 /décembre /2020 12:04

Edward Perraud (batterie, guitare, électronique, claviers, harmonica, composition)
Elise Caron (voix, flûte, textes, composition)

Fontenay-sous-Bois, mars 2018 ; Malakoff, février 2017 ; Ed Studio, 2014

Quark Records QR202026 / l'autre distribution

 

Deux personnes et deux personnalités (deux personnages aussi), d'une totale singularité. Près de dix ans après la parution de «Bitter Sweet» (Quark QR 0210630), les revoilà, avec un nouveau titre en forme d'oxymore ; c'est normal car leur singularité est plurielle, avec ce goût de franchir les frontières des genres musicaux, de mettre la fantaisie en abyme, de conjuguer la simple gaîté et l'émotion forte. Et aussi leur passion commune pour des univers musicaux chamboulés, entre l'improvisation, la musique contemporaine, le jazz, la chanson à (beaux) textes (en français, en italien), les rythmes du monde et les bruissements des musiques électro-acoustiques. Les percussions sont très présentes du côté d'Edward Perraud, mais aussi une foule d'instruments convoqués par les besoins de l'expression. Chez Élise Caron la voix (ou plutôt l'impressionnante palette de ses multiples voix : de chant, de théâtre, de murmure) cède ponctuellement le terrain à la flûte. Et tout cela nous raconte des histoires, étranges ou tendres, inquiétantes ou rieuses. Psalmodie de la peur ou vertige du temps suspendu, mystères de la mémoire, naufrage de l'innocence, chansons sans paroles, topographie de l'intime, tout converge, à force de ces multiples voix, de ces multiples expressions instrumentales, vers une fresque impossible à décrire, où l'humour, l'angoisse, côtoient l'émoi profond comme la légèreté parée d'insouciance. On a pu les écouter, l'une comme l'autre, dans des univers musicaux totalement différents. Mais ils se livrent là, en totale connivence ; l'écrit, l'improvisé, le finement élaboré et le totalement spontané se conjuguent et se côtoient : si l'on n'a pas le cœur sec ni l'oreille sourde, le bonheur est au bout du chemin.

Xavier Prévost

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17 décembre 2020 4 17 /12 /décembre /2020 00:19

Un nouveau label de jazz débarque en cette veille de Noël, LP3 45-Records. Une initiative de trois musiciens -un saxophoniste, Luigi Grasso, et deux pianistes, Yaron Herman et Laurent Courthaliac- et d’un entrepreneur, Peter Schnur, qui prend une forme particulière : les albums sortent exclusivement en format vinyle et digital et se distinguent également par leur contenu, sélectif, avec seulement trois titres pour une durée maximale de 17 minutes.
Chaque album est produit à 500 exemplaires numérotés. Premières sorties le 18 décembre avec René Urtreger et Kurt Rosenwinkel, tous deux au piano.

 


-Les DNJ : Lancer un label en cette période est-ce bien raisonnable ?
-Laurent Courthaliac : Nous ne sommes pas en compétition avec les autres labels. Le leitmotiv du label c’est ‘Less is More’. C’est un peu comme une carte postale du jazz enregistré dans un salon. On capture un instant, un moment d’un artiste. Une session est enregistrée et nous retenons seulement trois titres pour une durée maximale totale de 17 minutes. L’intitulé du label est d’ailleurs explicite : LP3 45, un raccourci entre MP 3 et LP (vinyle), et 45 pour le format artistique, rappel du 45 tours avec ses 3 titres. Je me suis rendu compte que lorsque j’écoutais un disque sur une plateforme, j’écoutais rarement plus de trois morceaux. Je dois l’avouer, les disques avec 70 minutes de musique, souvent cela me gave (sic).

 

 

-Les DNJ : Pourquoi avoir choisi d’écarter le format du CD ?
-LC : Quand je vendais mes disques à l’issue des concerts, j’ai souvent entendu la réflexion : « je vous aurais bien acheté un CD mais je n’ai plus d’appareil pour les lire ». Aujourd’hui, les gens écoutent principalement la musique sur leur téléphone, leur ordinateur via internet avec tous les systèmes de streaming (Deezer, Apple…) mais ils sont de plus en plus nombreux à redécouvrir le vinyle qui a la meilleure définition. Avec notre label nous entendons toucher ces deux publics.

 

-Les DNJ : Vous avez aussi décidé de refuser l’accès à vos albums en streaming …
-LC : Nous ne voulons pas de cette logique. Nos albums forment un tout au sens artistique. Les disques vinyles seront disponibles en précommande sur diggersfactory.com et l’achat (17 euros) d’un album physique sur le site donnera accès gratuitement au format digital. Pour les achats en digital. (5 euros) LP3 45-Records sera disponible uniquement sur Apple Music. Nous privilégions ainsi le circuit court et 50 % de nos bénéfices iront à nos artistes.

 

 

-Les DNJ : Quelle est la ligne éditoriale de votre label ?
-LC : Je laisse totale liberté aux artistes pour choisir les morceaux qu’ils souhaitent interpréter. La collection commence avec deux musiciens que je connais de longue date et que j’ai enregistrés sur mon propre piano chez moi à Paris, René Urtreger et Kurt Rosenwinkel, le guitariste, dont ce sera le premier album solo en tant que pianiste. Nous prévoyons de faire trois sorties par an –décembre, avril et septembre- au rythme de deux albums à chaque fois. En 2021, vous pourrez ainsi retrouver les pianistes Kevin Hays et Johnny O’Neal et découvrir une extraordinaire jeune saxophoniste ténor new-yorkaise, Nicole Glover.

 

Propos recueillis par Jean-Louis Lemarchand.


©photo Patrick Bourdet, Renato Nunes et Andreu-Dalle

 

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